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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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être pour toujours ; et qui sait dans quel motif, inutile à mon<br />

bonheur, inutile à celui des autres, que la société me présentait<br />

comme un appât pour me priver des avantages de ma destinée !<br />

La société !… comme je concevais amèrement qu’il était possible<br />

de la haïr, et que les excès de ces âmes violentes qui en préparaient<br />

la dissolution sans le savoir, pouvaient bien n’être que<br />

l’explosion tardive des sentiments de l’homme naturel, réprimés<br />

pendant tant de siècles ! Comme j’ambitionnais quelquefois<br />

d’assister à l’accomplissement de leur funeste mission ! La société<br />

pouvait-elle être un bien, quand c’était elle qui me séparait<br />

de Thérèse, qui m’empêchait de me saisir d’elle du droit de la<br />

force et de l’amour, et de l’emporter dans mes bras, palpitante<br />

d’un mélange de terreur et de joie, jusqu’au fond de quelque vallée<br />

hospitalière, favorisée d’un ciel tempéré, rafraîchie par des<br />

sources pures et ombragée d’arbres fruitiers de toutes saisons !<br />

Mon père m’avait parlé de ces belles campagnes du Nouveau-<br />

Monde où il avait essayé ses armes, et mon sang bouillonnait<br />

quand je pensais que j’aurais pu y naître à côté d’elle, y vivre son<br />

frère, son ami, son amant, son époux, au milieu des biens que<br />

prodigue à leurs habitants une nature sauvage et libre, et que j’y<br />

aurais accompli sans trouble les années qui m’étaient réservées,<br />

exempt de tous les tributs imposés à l’homme civilisé par le caprice<br />

des bienséances, la routine des coutumes ou la tyrannie<br />

des lois. Que m’importait à moi, orphelin, désormais sans famille<br />

et sans nom, le sort futur des États, et les succès heureux<br />

ou malheureux de cette lutte convulsive qui épuisait en efforts<br />

sans doute impuissants les dernières facultés d’une génération<br />

vouée à tous les malheurs ? Elle m’était étrangère. Quelle nécessité<br />

si impérieuse me faisait courir de nouveau les hasards d’une<br />

guerre inutile et sanglante, et me forçait à rentrer dans une carrière<br />

où je ne pouvais imprimer un seul de mes pas sans<br />

m’éloigner plus irrévocablement du seul être vivant qui eût<br />

vraiment besoin de ma vie et qui m’eût consacré la sienne ? Savais-je<br />

seulement si le sacrifice incroyable de tous les intérêts,<br />

de tous les sentiments, de l’existence tout entière, si le sacrifice<br />

mille fois plus pénible de l’existence d’un ange dont le bonheur<br />

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