THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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occupée en différents moments ; tous ces contours de la montagne,<br />
ses pas les avaient suivis. Ces arbres l’avaient couverte de<br />
leur ombre, ces rochers avaient été effleurés de ses vêtements ;<br />
le ciel même, qui faisait le fond de ce tableau où elle m’avait apparu,<br />
était d’une pureté sans mélange. Il n’y avait pas un nuage,<br />
pas une vapeur qui se fût dissipée avec elle ; c’était le ciel, la lumière,<br />
l’air qu’elle avait touché…<br />
Ma vie est marquée de si peu d’époques heureuses, que<br />
celle-ci, dans son indicible tristesse, remplit encore mon cœur<br />
du sentiment d’une pure félicité ; j’espérais. Ma main venait de<br />
quitter sa main, je sentais à une douce tiédeur l’empreinte de<br />
ses doigts qui avaient été liés aux miens ; l’arc si régulier et si<br />
délié qui couronne ses yeux, le regard si doux qui s’en échappe,<br />
je voyais cela, et j’enflammais ce regard des feux d’un amour<br />
semblable à celui que j’éprouvais. J’avais dérobé un jour<br />
quelques-uns de ses cheveux ; mais, avare du plaisir de les presser<br />
contre mes lèvres, je les avais attachés dans les plis d’un ruban<br />
qui me venait d’elle, et que je portais près de mon cœur.<br />
Dans le mouvement que je fis pour chercher ce ruban, je vis<br />
tomber sur le sable où j’étais assis une feuille de rose déchirée ;<br />
je la regardai, je la reconnus, je ne m’y serais pas mépris mille<br />
ans après, mais je crus sentir qu’elle brûlait encore.<br />
À mesure que je m’éloignais de Sancy, je croyais éprouver<br />
que les liens de ma vie se relâchaient, se rompaient les uns<br />
après les autres, et qu’il n’y avait plus rien qui pût m’y rattacher<br />
; le monde que j’avais trouvé si étroit pour mon cœur,<br />
quelque temps auparavant, était devenu un désert sans bornes,<br />
dans lequel, à l’exception d’un seul point, je n’apercevais de<br />
toutes parts que la solitude et le néant ; et je m’étonnais que ce<br />
point vers lequel se réfugiaient tous mes vœux, toutes mes espérances,<br />
toutes les forces de mon âme, je fusse forcé de le quitter<br />
pour obéir à quelques malheureuses convenances établies à<br />
mon insu entre les hommes. J’y tournais mes regards, j’y fixais<br />
toutes mes pensées ; je maudissais les devoirs qui<br />
m’assujettissaient à la fatale obligation de m’en éloigner peut-<br />
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