THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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troublait toutes mes facultés, et dont l’effet le plus doux était<br />
d’en suspendre souvent l’usage. Accablé sous le poids de ces<br />
émotions de toutes les minutes qui se succédaient, qui se multipliaient<br />
sur mon cœur, je cédais quelquefois à un accablement<br />
qui n’était pas sans charmes, et que je me trouvais heureux<br />
d’entretenir. Cependant une idée pénible venait interrompre de<br />
moment en moment cette espèce de sommeil où j’aimais à me<br />
plonger. Thérèse et son généreux père étaient trompés. Je<br />
n’étais point ce que je paraissais être, et je nourrissais une passion<br />
qu’ils pouvaient un jour désavouer tous les deux. Cette idée<br />
me devint d’autant plus insupportable, il faut le dire, car la misère<br />
de nos sentiments se mêle à ce qu’ils ont de plus élevé, que<br />
je consentais avec peine à être aimé pour un autre, à dérober<br />
sous un habit de femme cette tendresse à laquelle il faudrait renoncer<br />
un jour, à tromper un cœur qui me donnait tout et auquel<br />
je n’offrais qu’un objet idéal, qu’un vain fantôme dont<br />
l’apparence allait s’évanouir et lui être ravie par une séparation<br />
pire que la mort ; car il est moins cruel de perdre par la mort un<br />
être qu’on aime que d’en être désabusé. J’étais donc décidé à<br />
tout dire à Thérèse, et cependant la faiblesse de mon âme<br />
m’arrêtait ; je craignais qu’en cessant d’aimer Antoinette, qui<br />
n’existerait plus pour elle, elle cessât d’aimer Adolphe, qu’elle<br />
n’avait point connu. Je me persuadais, je ne sais pourquoi, que<br />
ces caresses innocentes que je devais à mon travestissement seraient<br />
le dernier bonheur de ma vie, et qu’aussitôt que je lui aurais<br />
avoué mon secret, je la perdrais pour jamais. Balancé entre<br />
le besoin d’être aimé de Thérèse, et le besoin plus impérieux de<br />
ne tromper ni l’amitié de Thérèse, ni la confiance de son père, je<br />
n’avais cependant pas à hésiter. Je cherchais une occasion, ou<br />
plutôt je l’attendais en tremblant. Elle ne tarda pas à se présenter.<br />
Thérèse avait une amie qui demeurait à une demi-lieue de<br />
la ferme, dans un petit château agréablement situé, qu’on voyait<br />
depuis la montagne de la Croix, et dont les vergers en amphithéâtre<br />
étaient couronnés par une plate-forme plantée de cerisiers.<br />
Au bas s’étendait un joli jardin baigné par le ruisseau qui<br />
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