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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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Cette question et ce langage me rappelèrent que je passais pour<br />

une femme, et tout le prestige de mon bonheur s’évanouit. Ma<br />

vie auprès de Thérèse n’était plus qu’un rôle, et ce rôle était le<br />

seul qui me convînt chez la fille de mon bienfaiteur. Mon cœur<br />

profitait d’ailleurs un peu de sa méprise, et je jouissais de l’idée<br />

qu’elle pourrait garder de moi quelque tendre souvenir si je ne<br />

la détrompais pas. – Je m’appelle Antoinette, lui répondis-je en<br />

rougissant, et je cédai au mouvement qui m’entraînait vers elle.<br />

Nous marchâmes les bras enlacés jusqu’à la chambre de sa<br />

grand’mère, qui était assise au coin du feu dans une chaise<br />

longue à pupitre. Un livre d’Heures était ouvert devant elle et<br />

occupait toute son attention. Thérèse s’avançait à petits pas<br />

pour la surprendre ; et, quand elle fut auprès d’elle, elle lui sauta<br />

au cou en posant une de ses mains sur ses yeux : – Voilà une<br />

bonne malice, petite espiègle ! lui dit la vieille madame Aubert.<br />

Crois-tu que je ne te reconnaîtrais pas, même quand je serais<br />

aveugle, et je le serai bientôt, car mes yeux s’affaiblissent tous<br />

les jours, mais je ne confondrai jamais ta jolie petite main avec<br />

celle d’une autre. – En disant cela, elle l’embrassa ; Thérèse<br />

s’était retournée de mon côté avec un air soucieux. Je crus deviner<br />

qu’elle regrettait d’avoir fait naître dans l’esprit de sa<br />

grand’mère une pensée qui pouvait l’attrister, celle que l’âge affaiblissait<br />

ses yeux et qu’elle les perdrait bientôt. Dans tous les<br />

cas, cette impression avait été bien passagère. Madame Aubert<br />

venait de m’apercevoir ; Thérèse se rapprocha d’elle et lui parla<br />

à demi-voix avec beaucoup de chaleur. Pendant ce temps, madame<br />

Aubert levait les yeux au ciel, me regardait d’un air attendri,<br />

prenait la main de Thérèse, cherchait la mienne et pleurait.<br />

Je fléchis le genou, je me prosternai, je l’entendis me bénir, et sa<br />

bénédiction ne m’alarma point, car je me trouvai la force de<br />

m’en rendre digne.<br />

Je ne peindrai pas ma situation pendant les premières semaines<br />

que je passai près de Thérèse. Elle avait quelque chose<br />

de si embarrassant que je concevrais à peine que j’aie eu la force<br />

de m’y maintenir si longtemps, si je ne me rappelais combien<br />

j’avais à redouter qu’elle cessât. C’était une espèce d’ivresse qui<br />

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