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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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cœur d’un voyageur ami des hommes, à la vue d’un groupe de<br />

petites maisons blanches entourées d’arbres fruitiers ; spectacle<br />

consolateur qui lui fait oublier un moment la hideuse misère et<br />

la cruelle opulence des villes.<br />

Quand j’arrivai à Sancy, la saison était bien avancée, et<br />

quelques traits de ce tableau, altérés par les premières influences<br />

de l’hiver, manquaient à la perfection de son ensemble<br />

; mais je les ai rassemblés depuis autour de la première<br />

idée que je m’en étais faite, et qui m’avait causé une sorte<br />

d’extase. En effet, je n’avais jamais éprouvé jusqu’alors une profonde<br />

impression de plaisir à la vue de la nature ; elle m’avait<br />

quelquefois étonné, elle ne m’avait pas encore ravi. Mon cœur<br />

fortement dilaté ne s’était jamais senti comme emprisonné dans<br />

mon sein, comme tourmenté du besoin de s’élancer hors de moi<br />

pour embrasser la création ; et cependant cette jouissance si<br />

nouvelle pour lui ne comblait pas les désirs immenses qu’il venait<br />

de concevoir. Il prenait possession sans obstacle de tout cet<br />

infini qu’il commençait à découvrir ; mais, en se repliant sur luimême,<br />

il s’étonnait de se trouver si vide encore et de ne rapporter<br />

de ses conquêtes qu’une curiosité insatiable et des inquiétudes<br />

inconnues. Il se demandait si c’était là tout ce qui lui était<br />

donné, et il palpitait d’une impatience indéfinissable qui était<br />

pleine de soucis et de charmes. Ma gorge se serrait, mes paupières<br />

se mouillaient de larmes, je ne sais quel murmure bruissait<br />

à mes oreilles, quelle clarté mobile et décevante éblouissait<br />

mes yeux. Depuis plus d’un an, j’avais vécu au milieu des distractions<br />

de la guerre, occupé de soins continuels, entouré de<br />

périls toujours renaissants. J’attribuai l’état singulier où je me<br />

trouvais à l’effet de la solitude, mais je comprenais mal qu’elle<br />

pût produire ainsi dans mon imagination et dans mes organes<br />

des désordres qui approchaient du délire. Cette incertitude me<br />

suivit jusqu’à la ferme où elle devait cesser. Mon conducteur<br />

m’introduisit dans la chambre de Thérèse à qui je remis la lettre<br />

de son père. Au moment où elle me regarda, mon cœur se remplit,<br />

l’univers était complet.<br />

– 19 –

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