THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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fection pouvaient me rattacher à la vie ? J’entendis avec assez<br />
de calme l’homme qui me conduisait répéter le mensonge que je<br />
venais d’inventer, ou, plutôt, si j’éprouvais quelque émotion,<br />
elle ne provenait plus que de la honte d’avoir menti pour racheter<br />
des jours dont le souverain juge devait bientôt me demander<br />
compte. Le président Aubert avait repris les mêmes mots d’une<br />
voix émue et inquiète. Il se retourna brusquement de mon côté,<br />
et fixa sur moi un regard triste, dont je n’oublierai jamais<br />
l’expression. Cet état d’incertitude ne fut pas long. Sa physionomie,<br />
qui était noble et tendre, mais qui portait l’empreinte<br />
d’un souci habituel, s’éclaircit rapidement. Il sourit avec douceur,<br />
et me frappa la joue du revers de la main, en me disant affectueusement<br />
: – C’est donc toi, pauvre Antoinette ! Tu dois<br />
avoir eu grand’peur. – Cette main, avec quel transport de reconnaissance<br />
et de respect j’y aurais imprimé mes lèvres, si<br />
j’avais pu le faire sans perdre mon bienfaiteur ! Il dut lire dans<br />
mes regards une partie de ce que j’éprouvais. Quant à moi,<br />
j’acquérais au même instant des idées singulières et nouvelles.<br />
Je concevais, pour la première fois, qu’il n’y a point de nuance<br />
d’opinion si absolue qu’on puisse la supposer qui exclue entièrement<br />
l’humanité et la justice. Je me blâmais intérieurement<br />
de la sévérité trop générale de certains jugements que j’avais<br />
portés jusqu’alors sur la foi des préventions et des passions des<br />
autres. Je me promettais de consulter avant tout, dans ma conduite<br />
à venir, les règles générales de la bienveillance et de la pitié,<br />
avant de m’abandonner à l’injuste impression des haines de<br />
parti. Pendant que je faisais ces réflexions, M. Aubert avait écrit<br />
et scellé un petit billet. Il me le donna. – J’ai pensé, dit-il, que,<br />
puisque tu es disposée à prendre du service, il est plus convenable<br />
que tu entres auprès de ma fille que partout ailleurs. La<br />
mort de sa mère a laissé dans son cœur comme dans le mien un<br />
vide qu’une tendre intimité peut seule remplir. Sa grand’mère<br />
est infirme et malade. Trop d’isolement m’inquiète pour son<br />
bonheur, et je me proposais depuis longtemps de lui donner une<br />
compagne de son âge. Tu as de l’éducation, des mœurs, la recommandation<br />
d’un nom honnête. Ma Thérèse te recevra et<br />
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