THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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Il y a un nouveau roman dont le héros m’a touché ; soit que<br />
sa position ait avec la mienne quelques-uns de ces rapports qui<br />
nous identifient comme malgré nous avec un personnage inconnu,<br />
soit qu’il ressemble un peu à l’homme que j’aurais voulu<br />
être si j’avais composé ma vie. Ce n’est pas que j’approuve beaucoup<br />
les caractères romanesques, surtout dans les sociétés bien<br />
organisées, où ils sont presque toujours déplacés par leur folle<br />
exagération ou leur sotte ingénuité ; mais il y a des temps où le<br />
caprice de l’imagination la plus bizarre vaut mieux que tout ce<br />
qu’on est appelé à voir autour de soi, et dédommage de toutes<br />
les tristes réalités du monde. Pour en venir au fait, comme le jugement<br />
que je portais de ce héros imaginaire avait fourni à la<br />
brillante Eudoxie un sujet inépuisable de persiflages, le titre du<br />
roman excitait de plus en plus chaque jour la curiosité d’Adèle ;<br />
et, quoique bien convaincu qu’il n’y a rien de plus pernicieux<br />
pour une jeune personne dont la sensibilité commence à se développer<br />
que la lecture d’un ouvrage de cette espèce, quoique<br />
bien éloigné, tu le sais, de calculer l’effet qu’elle pouvait produire<br />
sur une âme neuve et tendre – combinaison lâche et<br />
odieuse, dont la seule idée me révolte ! je n’avais pu me refuser<br />
à lui laisser ce livre, tant le moindre de ses désirs a de pouvoir<br />
sur ma volonté ! Aujourd’hui, je m’étonnais qu’Adèle eût légèrement<br />
outrepassé l’heure de son petit voyage à travers le bois,<br />
et je marchais à grands pas et en différents sens dans le sentier<br />
de Valency, quand je l’ai vue s’avancer d’un air préoccupé, la<br />
tête penchée et le volume à la main. Aussitôt qu’elle m’a aperçu,<br />
elle me l’a rendu avec un sourire triste, et elle a marché près de<br />
moi sans parler. – Eh bien, lui ai-je dit, que pensez-vous de cet<br />
insensé, de ce furieux, dont le nom seul révolte mademoiselle<br />
Eudoxie ? Vous a-t-il paru si haïssable ? – Elle ne répondit<br />
point, mais quelques larmes roulaient encore dans ses yeux, et<br />
sa main tremblait dans la mienne. – Oh ! ma bonne Adèle, me<br />
suis-je écrié, heureux le cœur qui sera entendu de ton cœur !<br />
mille fois heureux l’homme que tu aimeras ! – Et cette main<br />
dont je m’étais emparé, mes lèvres l’ont pressée avec emportement.<br />
– Que faites-vous, Gaston ! monsieur Gaston, que faites-<br />
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