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forte" policière sous l'ancien régime - Université Toulouse 1 Capitole ...

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La municipalité toulousaine<br />

et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

par Jean-Luc LAFFONT<br />

Centre d'Etudes et de Recherches sur la Police, I.E.P. de <strong>Toulouse</strong><br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 77<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

La "main forte" était aux capitouls ce que la maréchaussée était au roi. De la même façon que cette<br />

dernière est l'ancêtre de la gendarmerie, la main forte peut être tenue comme la forme primitive de ce que<br />

nous appelons aujourd'hui la "police municipale". De fait, cette expression de "main forte" rend bien<br />

compte du caractère exécutif de cette incarnation de la puissance publique capitulaire. A <strong>Toulouse</strong>, elle se<br />

composait de deux organismes à la fois radicalement distincts quant à leur nature et à leur composition, et<br />

étroitement complémentaires quant aux missions de police qui leur étaient assignées. La compagnie (ou<br />

famille) du guet et la garde bourgeoise avaient le même objet, la même finalité, la même raison d'être : le<br />

maintien de l'ordre public. L'importance de leur rôle et fonctions était cependant loin d'être similaire.<br />

C'était, en effet, en grande partie sur l'activité de la seule compagnie du guet que reposait l'exercice de la<br />

police, la garde bourgeoise n'apparaissant que comme une force auxiliaire d'appoint. D'une façon plus générale,<br />

c'est autour et en fonction des attributions de la compagnie du guet que se structura l'encadrement<br />

policier de <strong>Toulouse</strong>. Son étude est ainsi la clef qui permet de comprendre comment fonctionnait l'encadrement<br />

policier de la ville et d'appréhender son évolution <strong>sous</strong> l'Ancien Régime 1.<br />

Les grandes lignes de l'histoire de la compagnie du guet (de même que celle de la garde bourgeoise)<br />

sont connues 2. D'une façon générale, l'on peut la subdiviser en trois grandes et inégales périodes.<br />

Jusqu'en 1748, le guet fut soumis à la seule autorité des capitouls. En 1748, à l'instigation des<br />

autorités provinciales, afin de remédier à l'incapacité et à l'indiscipline du guet de <strong>Toulouse</strong>, il fut<br />

donné un règlement strict à la compagnie qui semble bien avoir été le premier du genre qu'elle ait<br />

connu 3. Le 9 juin 1778, la compagnie du guet réprima dans un bain de sang un attroupement, événement<br />

qui motiva sa complète réorganisation en 1780. Les années 1748 et surtout 1780 constituent<br />

donc deux dates clefs autours desquelles s'articule l'évolution de cette institution. Sans remettre en<br />

question l'acquis sur lequel on peut s'appuyer pour appréhender la compagnie du guet toulousaine,<br />

il est possible de nuancer quelque peu le tableau chargé qu'on en a brossé et, surtout, de lui donner<br />

un sens. Il apparaît, en effet, que l'évolution du guet, dictée en grande partie par les représentants<br />

provinciaux de l'autorité royale (intendant et commandant militaire), pesa sur les rapports entre les<br />

capitouls et leur main forte et, par voie de conséquence, conditionna l'évolution des autres composantes<br />

de l'encadrement policier de la cité, au premier rang desquelles la garde bourgeoise. C'est <strong>sous</strong><br />

1 Cette étude a été développée dans le cadre de notre thèse : Policer la ville. <strong>Toulouse</strong>, capitale provinciale au siècle<br />

des Lumières. Thèse d'Histoire nouveau <strong>régime</strong>, <strong>Université</strong> de <strong>Toulouse</strong>-II Le Mirail, 1997, 3 vol.<br />

2 LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet et de la garde bourgeoise de <strong>Toulouse</strong><br />

au XVIIe et au XVIIIe siècle. Paris, Tulle, 1906. Ce livre reste le travail le plus achevé de l'auteur qui s'est essentiellement<br />

fondé sur les divers textes réglementaires produits au XVIIIe siècle. Depuis sa publication, cet ouvrage<br />

a servi de base aux historiens toulousains qui ont repris les informations ainsi mises à leur disposition. A<br />

compléter, pour le XVIe siècle, avec : LETOURNEUX F., Les itinéraires des rondes du guet à <strong>Toulouse</strong> au XVIe siècle.<br />

D.E.S. de Lettres, Faculté de <strong>Toulouse</strong>, 1973, 2 vol. ; UGHETTO-DEBS M., La vie sociale du guet de <strong>Toulouse</strong>. Mémoire<br />

de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1972 (étude portant sur les années 1539 à 1562) ; et : SOUQUET B., Le sentiment<br />

d'insécurité à <strong>Toulouse</strong> <strong>sous</strong> le règne d'Henri IV (1589-1610). Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1987.<br />

3 Archives départementales de la Haute-Garonne [A.D.H.-G.], C 314. 13 décembre 1748. Ordonnance du roi contenant<br />

réglement pour la compagnie du guet de <strong>Toulouse</strong> ; publiée par LAMOUZELE E. (cf. Essai sur l'organisation et les<br />

fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., pp. 118-122). Voir aussi : Archives municipales de <strong>Toulouse</strong> [A.M.T.], 5<br />

S 125. XVIIIe siècle. Liasse de documents concernant le guet (il s'agit de pièces originales réunies par<br />

LAMOUZELE E. pour la rédaction de son ouvrage).


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

cet angle et dans cette perspective que nous nous attacherons au guet et, à travers lui, à la garde<br />

bourgeoise de la capitale languedocienne 4.<br />

I — Fonctions et organisation de la compagnie du guet<br />

Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, comme à Bordeaux 5, l'on ne sait que peu de choses de la compagnie du<br />

guet de <strong>Toulouse</strong> dont l'origine demeure inconnue 6 ou, plus exactement, est sujette à caution. Son existence<br />

est attestée dans le dernier tiers du XVe siècle. C'est à l'occasion d'un conflit opposant les capitouls au Parlement<br />

à propos de la nomination du capitaine du guet que l'on apprend que les magistrats municipaux<br />

avaient eu de tout temps le droit d'élire chaque année cet officier chargé de la garde de la ville dont ils<br />

payaient les gages et qui était responsable devant eux 7. En 1482, un nommé Pierre de Villemur "homme<br />

mal renommé", déjà poursuivi pour plusieurs crimes, delitz et maléfices, soubz umbre et coleur d'une requeste qu'il<br />

bailla en la cour de Parlement (...) s'est ingeré et ingère tous les jours soy nommer et pourter pour capitaine du guet.<br />

Les capitouls tentèrent d'évincer l'usurpateur. En vain. Pierre de Villemur et son fils étaient "serviteurs et<br />

conducteurs" des affaires de Bernard Lauret, premier président du Parlement, qui les protégeait. Le conflit<br />

s'envenima. Les magistrats municipaux furent contraints d'en appeler à Louis XI qui trancha en leur faveur,<br />

en 1483, confirmant leurs prérogatives. Toutefois, il semble que le droit de regard du Parlement sur la<br />

nomination du capitaine du guet perdura. En 1646, le capitaine du guet, révolté contre les capitouls et retranché<br />

dans l'Hôtel de ville, répondit à l'huissier royal venu l'arrêter qu'il n'avait d'autre maître que le Parlement<br />

qui l'avait mis dans la maison de ville comme capitaine du guet 8.<br />

A — Fonctions de la compagnie du guet<br />

On retrouve à l'œuvre la compagnie du guet après l'ordonnance des capitouls du 9 juin 1539 qui prescrivait<br />

que chaque nuit l'un des quatre notaires criminels de la ville accompagnerait la ronde du guet en<br />

prenant note de toutes les infractions relevées 9. Il en fut ainsi jusqu'en 1639 10. Du peu que l'on sait de la<br />

compagnie du guet avant la période qui nous intéresse plus particulièrement, on retiendra surtout son apparition<br />

précoce (notamment par rapport à Paris) d'une part, et l'importance qu'elle prit très rapidement<br />

dans l'encadrement de la ville, d'autre part. Elle s'imposa, en effet, très tôt comme la principale force de police<br />

des capitouls au détriment d'une garde bourgeoise qui se caractérise dans le même temps par sa discrétion<br />

et alors que le personnel des employés municipaux (et plus particulièrement ceux affectés à des<br />

missions de police) était encore peu nombreux.<br />

Outre son rôle de garde d'honneur des capitouls lors des manifestations officielles, l'on ne saurait trop<br />

souligner l'importance des fonctions du guet qui assurait l'essentiel du maintien de l'ordre public et de la<br />

sécurité des habitants. Du service de maintien de l'ordre pendant les réjouissances publiques ou toute autre<br />

4 Nous renvoyons au travail de ROUX P. pour ce qui concerne l'approche sociologique des soldats et des officiers<br />

du guet (cf. Société militaire, société civile à <strong>Toulouse</strong> au XVIIIe siècle : de l'Ancien Régime à la Révolution (vers<br />

1740-1799). Thèse d'Histoire nouveau <strong>régime</strong>, U.T.M., 1998, 3 vol.).<br />

5 cf. LAFON C., La police municipale à Bordeaux au XVIIIe siècle (les commissaires de police, le guet à pied et le guet à<br />

cheval, les dizeniers). 1715-1789. T.E.R. d'Histoire, <strong>Université</strong> de Bordeaux III, 1996, 2 vol. ; t. I, p. 8.<br />

6 "On n'a trouvé ni arrêt, ni ordonnance concernant l'établissement de ladite compagnie du guet, à l'exception de<br />

l'ordonnance du roi du 13 décembre 1748 en dix-neuf articles, concernant la discipline de ladite compagnie",<br />

écrivaient les capitouls en 1780. D'après : Mémoire sur la compagnie du guet (s.d. [1780]) ; publié par LAMOUZELE<br />

E. (cf. Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 132). D'ALDEGUIER J.-B.-A. (cf.<br />

Histoire de la ville de <strong>Toulouse</strong>, depuis la conquête des Romains jusqu'à nos jours. <strong>Toulouse</strong>, 1833-1835, 4 vol., t. III, p.<br />

337) se fourvoyait lorsqu'il avançait (sans citer ses sources) que la compagnie du guet avait été instituée en 1519<br />

(cette idée est reprise, sans plus de référence par SCHNEIDER R.A. ; cf. Public life in <strong>Toulouse</strong>, 1463-1789. From<br />

municipal republic to cosmopolitan city. Ithaca, London, 1989, p. 64). Par contre, l'on ne peut exclure l'hypothèse<br />

qu'une modification réglementaire concernant le guet fut faite cette année-là.<br />

7 A.M.T., AA 5/163 et AA 39/29. Voir aussi : de LAFAILLE G., Annales de la ville de <strong>Toulouse</strong>, avec des additions et<br />

remarques de l'auteur sur ce traité. <strong>Toulouse</strong>, 1701, 2 vol., t. II, pp. 13-14.<br />

8 cf. LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., pp. 13-14.<br />

9 A.M.T., FF 616.<br />

10 Les registres de la ronde du guet sont conservés aux A.M.T. : FF 616 à 632. Ils ont donné lieu à une étude partielle<br />

à laquelle nous renvoyons pour plus de détails : LETOURNEUX F., Les itinéraires des rondes du guet à <strong>Toulouse</strong><br />

au XVIe siècle, op. cit.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 78


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 79<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

manifestation (comme les exécutions capitales), à la garde des ateliers de charité 11 et à la surveillance des<br />

étrangers, des cabarets, etc., les fonctions du guet étaient particulièrement étendues et singulièrement diverses.<br />

À l'exception de la police de la voirie, tout ce qui touchait -directement ou indirectement- la police<br />

de la ville entrait peu ou prou dans ses attributions, et ce tant de jour que de nuit. Cela étant, sa vocation<br />

première était de prévenir et, le cas échéant, réprimer toutes les formes de trouble sur la voie publique<br />

(qu'ils relèvent d'infractions aux ordres du roi, du Parlement ou des capitouls) et de lutter contre la criminalité<br />

et la délinquance.<br />

L'activité quotidienne de la compagnie du guet s'organisait principalement en fonction des tours de<br />

garde effectués, de jour comme de nuit, à partir des postes de garde, au nombre de sept. Le service de ces<br />

postes monopolisait l'essentiel de l'effectif de la compagnie du guet dont il rythmait la vie 12. L'importance<br />

du service des postes de garde était soulignée par les textes réglementaires relatifs au guet qui leur accordaient<br />

une attention particulière 13. A la première heure, les soldats de jour se présentaient à l'Hôtel de ville<br />

où les attendait un capitoul qui, après avoir pris connaissance du rapport de l'officier de nuit et donné à<br />

l'officier de jour les directives pour la journée, procédait à une brève revue de la garde montante. Celle-ci,<br />

après avoir adressé une courte prière à Dieu pour lui demander aide et protection, quittait le <strong>Capitole</strong> et se<br />

dirigeait vers les différents corps de garde où un détachement était laissé <strong>sous</strong> le commandement d'un bas<br />

officier. Chaque escouade de garde avait pour mission de veiller au maintien de l'ordre de son secteur où<br />

elle effectuait régulièrement des patrouilles selon des rotations diurnes et nocturnes strictement codifiées.<br />

Le rôle et l'importance de ces patrouilles furent soulignée par le syndic de la ville dans ses réquisitions<br />

données à l'occasion de l'ordonnance de police du 19 août 1754 portant règlement pour le maintien de l'ordre,<br />

la tranquillité et la sûreté des habitants :<br />

"Et comme la sûreté de la ville et des habitans dépend principalement de la vigilance et de l'exactitude des officiers<br />

du guet à faire la patrouille dans tous les quartiers de la ville, et principalement dans les endroits où les<br />

violences peuvent être commises avec plus de facilité, il nous requeroit qu'il nous plût enjoindre aux officiers<br />

de la compagnie du guet de faire la patrouille chaque nuit, et de se distribuer en plusieurs bandes, de maniere<br />

qu'on puisse parcourir chaque nuit les différens quartiers de la ville, de visiter les maisons où ils soupçonneront<br />

y avoir des gens sans aveu ni domicile fixe capables de troubler la tranquillité publique, et de les conduire<br />

au corps de garde, afin que, sur les renseignemens que nous prendrons, nous puissions pourvoir, selon<br />

les regles de la prudence, a la sûreté des habitans (...)" 14.<br />

Pendant ces patrouilles, une sentinelle faisait le planton au poste. Les infractions relevées donnaient lieu<br />

à des procès-verbaux. Quand survenait une arrestation, le suspect était alors conduit à l'Hôtel de ville pour<br />

être présenté aux capitouls.<br />

Des sept postes de garde de la compagnie du guet, celui de l'Hôtel de ville était le plus important car il<br />

tenait lieu de centre opérationnel de la compagnie du guet et de point de ralliement pour les escouades de<br />

garde montante et descendante. Il y a lieu de penser que les attributions de jour de l'escouade attachée au<br />

poste de garde de l'Hôtel de ville différaient quelque peu de celles des autres postes de garde. On peut se<br />

demander, en effet, si le détachement affecté au <strong>Capitole</strong> effectuait des patrouilles dans le quartier (comme<br />

11 "Sera envoyé tous les jours au chantier par MM. les capitouls un piquet de cinq soldats du guet qui se releveront<br />

matin et soir, à l'effet de contenir les ouvriers, qu'il n'arrive pas de querelle entr'eux, et qu'ils ne fassent aucun<br />

manquement aux commis et autres leurs préposés, auxquels les soldats seront tenus de donner secours et<br />

assistance, dans le cas que quelqu'un desdits ouvriers se comporteroit de façon à mériter d'être renvoyé ou<br />

même puni de prison. Il sera donné à chaque soldat trois <strong>sous</strong> d'haute (sic) paie par jour". A.M.T., 3 S 18, pièce<br />

100. 1783. Projet de formation de l'attelier des pauvres qui doit être placé au chemin à faire depuis le fonds de la rue de<br />

Montaudran, fauxbourg Saint-Michel jusqu'au port du Canal, appellé aussi de Montaudran, adopté et délibéré par déliberation<br />

de la commission economique du 30 janvier 1783 ; art. X, pp. 6-7.<br />

12 A.M.T., BB 159, f os 59-60v°. 7 avril 1731. Règlement pour les corps de garde.<br />

13 Il n'est pas vain d'observer que l'un des premiers textes réglementaires connus concernant le guet est une ordonnance<br />

de police du 6 mai 1604 "pour regler les corps de gardes". A.D.H.-G., C 314. Le 6 mai 1689, les capitouls<br />

rendirent une nouvelle ordonnance concernant les corps de garde (A.M.T., AA 28/113). L'analyse de ce<br />

document a été publiée par LAMOUZELE E. (cf. Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ...,<br />

op. cit., pp. 117-118) qui a rendu compte du détail du service de ces postes de garde à la lumière des ordonnances<br />

réglementaires de 1748 et 1780, lesquelles reprenaient les dispositions du règlement du 7 avril 1731 précité<br />

(ignoré de LAMOUZELE E.).<br />

14 A.M.T., BB 166, p. 117.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

c'était le cas ailleurs), ou s'il ne se bornait pas à la seule surveillance des alentours immédiats du <strong>Capitole</strong> et<br />

plus particulièrement de la place Royale, notamment les jours de marché. De fait, la seule surveillance du<br />

bâtiment monopolisait plusieurs hommes qui devaient veiller aux allées et venues dans la Maison commune<br />

où l'on ne pouvait pénétrer armé, mais aussi surveiller l'arsenal. C'est parmi les hommes de ce poste<br />

que les capitouls prélevaient les soldats qui les escortaient lorsqu'ils étaient amenés à sortir de l'Hôtel de<br />

ville. A l'escouade de garde s'ajoutaient d'autres soldats du guet avec mission d'assurer qui le service d'ordre<br />

des audiences de justice tenues par les magistrats municipaux 15, qui la police intérieure des spectacles.<br />

En ce qui concerne la garde des prisons en général, et celle de l'Hôtel de ville en particulier, l'article IV<br />

de l'ordonnance royale du 26 août 1780 soulignait qu'il s'agissait là de l'"un des objets principaux du service<br />

du guet", comme c'était le cas à Paris était-il précisé. Pourtant, les rares informations que l'on peut glaner<br />

sur ce point avant la réorganisation du guet tendent à infirmer cette opinion pour la capitale languedocienne<br />

où la surveillance des prisons parait n'avoir relevé que des seuls geôliers. Ces derniers ne manquèrent<br />

d'ailleurs pas de faire valoir auprès de qui de droit combien leur métier pouvait être dangereux et de<br />

solliciter l'aide du guet, en vain (avant 1780). Ainsi, en 1780, le geôlier de la Conciergerie demandait-il<br />

qu'on lui attribue une guérite pourvue d'une sentinelle dont la présence puisse en imposer aux prisonniers et les<br />

empécher de percer le mur des prisons 16. Ce n'est qu'exceptionnellement que des soldats du guet furent affectés<br />

à la surveillance des prisons. Le cas se présenta en 1758 à la prison de la Conciergerie. Certains prisonniers,<br />

usurpant l'identité du geôlier, profitèrent de l'occasion pour envoyer au contrôleur général une plainte<br />

concernant leurs conditions d'incarcération dans laquelle ils prêtaient au geôlier le désir d'être aidé de soldats<br />

du guet. L'intendant fut ainsi sollicité, lequel demanda à son subdélégué de tirer l'affaire au clair.<br />

Après une brève enquête, ce dernier pouvait écrire à son supérieur que le geôlier lui avait déclaré que :<br />

moyennant cette précaution (l'installation d'un tambour à une porte) il n'avoit pas besoin de soldats et en<br />

effet il n'en a jamais demandé. Il est vraÿ qu'il ÿ en a actuellement deux qui gardent a vue le gentilhomme<br />

condamné a avoir la tete tranchée pour rapt et enlevement par force et violence, qu'il ÿ en avoit egalement<br />

deux pour garder le curé de Cete [lire : Sète] avant l'execution de son arret et ce sont sans doute cés quatre<br />

dont on parle dans le dernier memoire adressé au ministre, mais dés qu'il ne sera pas question de cés gardes<br />

extraordinaires il est certain que le concierge n'a plus besoin du secours etranger d'autant mieux que cella<br />

diminuoit la garde de l'hotel de ville 17.<br />

On retrouve, dans la multiplicité et la diversité des tâches assignées au guet, dans l'imbrication des missions<br />

relevant de la police administrative et de la police judiciaire avant la lettre, toute l'ambiguïté de la notion<br />

de police et son caractère particulièrement diffus <strong>sous</strong> l'Ancien Régime. La quasi omnipotence dévolue<br />

à la main forte des capitouls en matière de sécurité et de maintien de l'ordre public traduisait dans les faits<br />

cette conception de l'ordre de la cité que l'on retrouve de la même façon à Dijon ou à Bordeaux 18.<br />

B — L'organisation et les effectifs de la compagnie du guet<br />

L'organisation et la hiérarchie du guet paraissent avoir été fixées de longue date et n'évoluèrent pour<br />

ainsi dire pas avant 1780 (cf. tableau 1). Jusqu'à sa réorganisation, le guet n'eut d'autres officiers supérieurs<br />

qu'un capitaine et un lieutenant qui le secondait. En 1748, "attendu que le nombre desdits officiers ne suffit<br />

pas, eu égard au service de ladite compagnie", il fut créé un poste de troisième officier <strong>sous</strong> le nom et qualité<br />

d'enseigne 19. L'encadrement subalterne des bas officiers est plus difficile à saisir. En toute logique, il<br />

évolua en fonction des effectifs de la troupe. Initialement, il se composait de 2 sergents, 4 caporaux et 4 lancepessades,<br />

lesquels se répartissaient selon les 4 brigades, elles-mêmes subdivisées en 7 escouades, qui<br />

composaient la compagnie du guet.<br />

15 LAMOUZELE Edmond a avancé que le guet agissait de même pour les autres tribunaux siégeant à <strong>Toulouse</strong><br />

(cf. Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 89), ce que nous n'avons pu vérifier.<br />

16 A.M.T., BB 125. 11 mai 1780. Délibération de la Commission des affaires économiques.<br />

17 A.D.H.-G., C 94. 22 septembre 1759. Lettre du subdélégué de <strong>Toulouse</strong> à l'intendant ; cf. f os 2-3.<br />

18 GIROUX H., "Le guet et la sécurité des habitants à Dijon au XVIIIe siècle", Mém. Acad. Sc., Arts et Belles-Lettres<br />

de Dijon, t. CXXIV, 1979-1980 [1981], pp. 65-79 ; LAFON C., La police municipale à Bordeaux au XVIIIe siècle ..., op.<br />

cit., t. I, pp. 46-53.<br />

19 13 décembre 1748. Ordonnance du roi contenant réglement pour la compagnie du guet de <strong>Toulouse</strong> ; art. I (cf.<br />

LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 119).<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 80


Début 1684 Fin 1741 1748 1780<br />

XVIIe s.<br />

XVIIe s.<br />

Capitaine 1 1 1 1 1 1<br />

Cap. En second 1<br />

Lieutenant 1 1 1 1 1 1<br />

Enseigne 1 [1]<br />

Commissaire 1<br />

Sergent major 1<br />

Sergent fourrier 1<br />

Sergent 2 [2] [2] [2] 2 2<br />

Caporal 4 [4] [4] [2] 2 15<br />

Anspessade 4 [2] [2] [2] 2<br />

Soldat 28 38 52 64 64 126<br />

Tambour 1 2 3<br />

Fifre 1 1 3<br />

TOTAL 42 50 62 74 76 156<br />

Tableau 1. L'encadrement et les effectifs de la compagnie du guet 20.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 81<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

Les effectifs des soldats du guet furent beaucoup moins stables que leur encadrement hiérarchique (cf.<br />

tableau 1). Contrairement à ce que l'on a pu avancer, ces variations n'étaient pas conditionnées par l'existence<br />

de troubles populaires dans la capitale languedocienne, mais répondaient à la volonté des capitouls<br />

d'œuvrer sur des points de police très particuliers. Jusqu'au milieu du XVIIe siècle, le nombre de soldats du<br />

guet semble n'avoir pas dépassé 30 hommes 21. A une date et pour des raisons qu'on ignore, 10 soldats supplémentaires<br />

vinrent grossir cet effectif qui s'élevait, en 1684, à 40 fusiliers 22. Dans l'exposé des motifs de<br />

l'ordonnance qu'il rendit le 8 mars 1706, dans laquelle il enjoignait aux capitouls de veiller plus rigoureusement<br />

au renfermement des pauvres mendiants valides dans l'hôpital général, Lamoignon de Basville<br />

rappelait qu'en 1688 on avait décidé d'augmenter à cette seule fin les effectifs de la compagnie du guet de<br />

20 soldats 23. Effectivement, en 1690, le guet passa de 40 à 60 hommes. L'intendant constatait que cette augmentation<br />

n'avait pas donné les résultats escomptés et reprochait surtout aux capitouls de ne pas avoir été<br />

exacts à faire observer cette mission à leur main forte. Il semble que les magistrats municipaux ne tinrent<br />

pas compte des injonctions de l'intendant, lequel en tira les conséquences qui s'imposaient : le règlement<br />

pour les dépenses de la ville de <strong>Toulouse</strong> qu'il rendit, le 9 mars 1709, réduisit les effectifs du guet à 40 soldats<br />

24.<br />

Les capitouls firent mine d'obéir à cette disposition et donnèrent le change en supprimant d'abord 10<br />

soldats, avant de se plier définitivement à la volonté de l'intendant. C'était chose faite lorsque se déclara<br />

l'épidémie de peste à Marseille. La mise en oeuvre de l'imposant dispositif de défense de la ville contre la<br />

menace de contagion engagea les magistrats municipaux à solliciter l'augmentation des effectifs de la<br />

troupe du guet qui furent à nouveau portés à 60 hommes 25. Une fois la menace définitivement écartée, 10<br />

soldats furent supprimés. Très rapidement cependant, l'on augmenta à nouveau le nombre de soldats du<br />

20 Entre crochets sont portés les bas officiers qui ne sont pas mentionnés explicitement mais compris dans l'expression<br />

générique : "compagnie du guet". Le nombre de soldats indiqué tient compte de cette pondération.<br />

21 FONS V., "L'organisation municipale à <strong>Toulouse</strong> du temps des capitouls", Rec. Acad. Législation de <strong>Toulouse</strong>, t.<br />

XXVI, 1878, p. 60. En 1651, il y aurait eu 30 soldats et 8 sergents selon UGHETTO-DEBS M. (cf. La vie sociale du<br />

guet de <strong>Toulouse</strong>, op. cit., p. 16). Lorsque les capitouls écrivaient, en 1780 : "la compagnie du guet n'était composée,<br />

en 1610, que de quarante hommes que la ville n'habillait pas. Elle lui donnait seulement des modiques appointements"<br />

(cf. Mémoire sur la compagnie du guet (s.d. [1780]), op. cit.), il y a lieu de penser qu'ils comprenaient<br />

les bas officiers dans le chiffre qu'ils avançaient.<br />

22 LAMOUZELE E., "Quelques fonctionnaires municipaux de <strong>Toulouse</strong> à la fin du XVIIe siècle", Bull. Soc. Archéo.<br />

Midi de la France, 1906, nos 32-36, pp. 43-44.<br />

23 A.M.T., AA 28/200.<br />

24 A.M.T., AA 27/128.<br />

25 SICARD R., <strong>Toulouse</strong> et ses capitouls <strong>sous</strong> la Régence, op. cit., p. 42 et p. 72.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

guet : 10 hommes furent engagés en 1730 26, et 10 autres encore en 1733 pour la surveillance du corps de<br />

garde du pont Neuf 27. Cette augmentation fut confirmée par la commission des Etats qui s'attacha aux dépenses<br />

ordinaires de la ville en 1741 28. L'ordonnance royale du 13 décembre 1748 prenait acte de cette composition<br />

qu'elle avalisa de fait. A la suite de cette dernière il fut simplement créé un poste supplémentaire<br />

de tambour 29.<br />

Amorcé dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le mouvement d'augmentation des effectifs de la troupe<br />

du guet s'est accéléré en 1688. Malgré quelques fluctuations, la tendance ne s'est pas infirmée jusqu'en 1748,<br />

de sorte que les effectifs de la compagnie du guet doublèrent en moins d'un siècle. Les capitouls profitèrent<br />

de toutes les opportunités qui se présentèrent pour accroître chaque fois qu'ils le purent leur main forte,<br />

manifestant par là même leur attachement à cette dernière et la confiance qu'ils avaient en elle. Pendant le<br />

même laps de temps, l'on sait que les effectifs du personnel municipal restèrent stables. L'ordonnance du<br />

roi du 13 décembre 1748 contenant règlement pour la compagnie du guet vint remettre en question cette<br />

évolution.<br />

C — La compagnie du guet entre 1748 et 1778<br />

Entre l'ordonnance royale de 1748 et les événements de juin 1778 (qui déterminèrent la création du<br />

"nouveau guet"), l'histoire de la compagnie du guet peut se lire, a posteriori, comme la chronique d'une déchéance<br />

annoncée. Malgré la tentative de reprise en main menée par l'autorité royale (1748), les capitouls<br />

furent incapables de tenir leur main forte qui finit par retomber dans ses excès. Sans être foncièrement erroné,<br />

ce confortable cadre d'analyse n'est pas pleinement satisfaisant dans la mesure où il tend à focaliser<br />

l'étude sur la seule relation entre les magistrats municipaux et leur main forte. Or, l'intelligence de cette<br />

dernière implique que l'on mette en perspective la situation du guet pendant cette période avec les autres<br />

forces de police.<br />

Les mesures prises en 1748 à l'encontre du guet furent la conséquence de l'incapacité dans laquelle les<br />

capitouls avaient été d'endiguer l'émeute frumentaire du 30 novembre-1 er décembre 1747 et le pillage des<br />

magasins de blé auquel des soldats du guet avaient pris part. "Il m'est revenu (...) que le guet de la ville de<br />

<strong>Toulouse</strong> fait très mal son devoir, et j'en ay jugé ainsy par le peu de service que l'on en a tiré dans les emeutes arrivées<br />

a l'occasion des bleds", écrivait le comte de Saint-Florentin à l'intendant 30 ; et le secrétaire d'Etat d'engager son<br />

correspondant à mettre bon ordre dans cette compagnie qu'il jugeait très durement, sans omettre les capitouls.<br />

L'année 1748 fut marquée par les séquelles de cette révolte que restituent bien les Heures perdues de<br />

Pierre Barthès. Dans le courant du mois de janvier, les principaux meneurs et quelques émeutiers payèrent<br />

de leur vie leur participation à cette sédition <strong>sous</strong> le regard attristé de la population. Cette dernière supportait<br />

par ailleurs très mal le logement des troupes dépêchées pour maintenir l'ordre et qui, chose inédite<br />

dans l'histoire de <strong>Toulouse</strong>, s'établirent durablement dans la ville. Alors que le prix du blé restait élevé (le<br />

prix du pain ne diminua qu'en août), rendant l'atmosphère pesante, la ville était de fait <strong>sous</strong> la tutelle des<br />

troupes du roi, les capitouls placés <strong>sous</strong> haute surveillance.<br />

Lorsque ces derniers eurent vent de ce qui se tramait à propos de leur guet, ils tentèrent immédiatement<br />

de prendre les devants avec une délibération visant à rétablir l'ordre et la discipline au sein de leur main<br />

forte 31. Ils destituèrent deux soldats, l'un soupçonné d'avoir participé aux pillages lors de la sédition, l'autre<br />

"comme ne faisant aucun service". Ils s'empressèrent de faire procéder à une revue de la compagnie et "découvrirent"<br />

que quatre autres soldats étaient hors d'état de remplir leur service, soit du fait de leur âge<br />

avancé, soit du fait de leur état de santé. Dans le même mouvement, ils rappelèrent au guet par voie ré-<br />

26 LAVIGNE L., La pauvreté et la mendicité à <strong>Toulouse</strong> entre 1650 et 1750. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M.,<br />

1991, p. 165.<br />

27 En vertu de la délibération du 28 août 1733 ; d'après : Mémoire sur la compagnie du guet. S.d. [1780], op. cit.<br />

28 A.M.T., AA 30/5.<br />

29 13 décembre 1748. Ordonnance du roi contenant règlement pour la compagnie du guet de <strong>Toulouse</strong> ; art. II (cf.<br />

LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 119). Il était simplement<br />

fait mention dans cet article de tambours qui "recevront chacun 60 livres de gages par an", ce qui revint à<br />

créer ce poste supplémentaire.<br />

30 A.D.H.-G., C 314. 17 juillet 1748. Lettre du comte de Saint-Florentin à M. Lenain, intendant de Languedoc.<br />

31 A.M.T., AA 30/63. 18 juillet 1748. Délibération du Conseil de ville.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 82


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 83<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

glementaire ses devoirs. Tardive et précipitée, l'entreprise des capitouls ne fit pas illusion auprès des autorités<br />

provinciales qui n'en tinrent pas compte.<br />

Plus qu'un camouflet, un de plus, l'ordonnance royale du 13 décembre 1748 tomba comme le couperet<br />

d'une sanction redoutée. Les 19 articles de ce texte réglementaire fixaient l'organisation et la composition de<br />

la compagnie (cf. art. I), les gages de chacun (cf. art. II), les modalités de recrutement des officiers (cf. art. III)<br />

et des soldats (cf. art. IV). L'essentiel de l'ordonnance était consacré à la discipline du guet dans l'exercice de<br />

ses fonctions (cf. art. V à XVII) dont elle fixait de façon très générale les modalités (cf. art. XVIII). Tous les<br />

manquements et les travers du guet de <strong>Toulouse</strong> se trouvaient ainsi dénoncés : absences injustifiées (cf. art.<br />

VII et XII), libertés dans le temps de service (cf. art. XVII), ivrognerie (cf. art. X et XI), rixes (cf. art. VIII),<br />

pratiques frauduleuses (cf. art. XV et XVI). Le tableau ainsi brossé n'était guère à l'avantage de cette compagnie<br />

et des capitouls qui en étaient responsables. Le 4 juin 1749, ils reprirent à leur compte cette ordonnance<br />

royale en s'attachant plus particulièrement à préciser les modalités du service des patrouilles nocturnes<br />

et du service des corps de garde 32. Jusqu'en 1780, ce furent ces textes réglementaires qui régirent le guet<br />

de <strong>Toulouse</strong>.<br />

Il faillit cependant en être autrement à la suite de la sévère altercation qui se produisit, dans la nuit du<br />

26 au 27 novembre 1750, entre la maréchaussée et le guet, à l'occasion de la nomination des nouveaux capitouls<br />

qui vit ces derniers se heurter violemment aux gens du sénéchal. Dès qu'il eut connaissance des<br />

faits, le duc de Richelieu chercha à les exploiter à son profit, y voyant une belle occasion (...) de reformer ce guet<br />

de l'Hôtel de ville qui vous savez qui coute si cher a la ville et qui sert si mal 33. Il suggéra à M. de Saint-Florentin de<br />

supprimer le guet et de le remplacer par une troupe réglée cantonnée à <strong>Toulouse</strong>. Le secrétaire d'Etat déclina<br />

la proposition : Il pretend qu'il y auroit des inconveniens a cause de la trop grande rigidité de l'observation des<br />

ordres qu'il faut savoir eluder en matiere de police. Argument tendancieux aux yeux du maréchal qui pensait<br />

que son interlocuteur ne voulait pas prendre le risque de voir la police de la capitale languedocienne passer<br />

<strong>sous</strong> la tutelle du ministère de la Guerre. Il eut alors l'idée de proposer la création d'une lieutenance de police,<br />

mais avant de la formuler, il chercha à sonder l'avis de l'intendant. On ignore qu'elle fut la réponse de<br />

ce dernier. Quoiqu'il en soit, les vues du duc de Richelieu, sans doute trop transparentes aux yeux de l'intendant,<br />

tombèrent dans les oubliettes et le guet ne fut pas réformé.<br />

Le droit de regard donné à l'intendant en 1748 sur les nominations des officiers et soldats du guet 34 était<br />

de mauvais augure pour l'avenir de la police municipale. La menace était réelle. En effet, ainsi que nous le<br />

verrons plus en détail ultérieurement, le guet se vit disputer certaines de ses fonctions par les troupes régulières<br />

stationnées dans la ville. Par le double biais des autorités provinciale et militaire, le pouvoir royal<br />

s'ingéra insidieusement dans la police de la ville au détriment des attributions du guet qui se voyait ainsi<br />

déconsidéré de fait. Ayant affaire à plus fortes parties qu'eux, les capitouls se résignèrent (en apparence du<br />

moins) à accepter la situation qui leur était imposée. Il eut été, en effet, vain de s'engager dans une partie de<br />

bras de fer dont l'issue était acquise. Dès lors, les magistrats municipaux qui avaient toujours supporté,<br />

voire couvert, leur main forte, adoptèrent à l'égard de cette dernière une attitude nouvelle non exempte<br />

d'ambiguïté. Fait significatif de ce changement d'attitude, les capitouls, rompant avec la politique qui avait<br />

été la leur, ne cherchèrent plus à faire augmenter les effectifs de la troupe du guet. Pour autant ils ne se résolurent<br />

pas à limiter là le personnel d'encadrement policier de la ville. Malgré la marge de manoeuvre réduite<br />

qui était la leur, ils finirent par trouver un moyen de contourner la difficulté. En instituant, en 1754,<br />

une "police des pauvres", ils réussirent de ce point de vue un coup de maître.<br />

Le 20 juillet 1754, une nouvelle ordonnance rendue par les capitouls (autorisée par une ordonnance de<br />

l'intendant du 1er juin courant) réitérait et réaffirmait de plus fort les anciennes dispositions relatives à la<br />

répression des mendiants étrangers qui persistaient à "infester la ville" 35. Reconnaissant que toutes leurs<br />

mesures n'avaient pas donné de résultats satisfaisants, "après avoir recherché les moyens les plus propres<br />

32 4 juin 1749. Ordonnance concernant la discipline de la compagnie du guet. Publiée par LAMOUZELE E. (cf. Essai sur<br />

l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., pp. 122-127).<br />

33 A.D.H.-G., C 314. 6 décembre 1750. Paris. Lettre du duc de Richelieu à l'intendant de Languedoc. Les citations données<br />

dans le passage qui suit sont tirées de ce même document.<br />

34 cf. art. III de l'ordonnance royale du 13 décembre 1748.<br />

35 A.M.T., BB 160, f° 148. Le chroniqueur des Annales manuscrites de l'année 1754 ne se priva pas de souligner<br />

l'importance de cette ordonnance et de cette création des archers des pauvres. A.M.T., BB 283, f os 599-600.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

pour y porter un remede, on a reconnu qu'il n'y avoit pas de plus efficace que celui d'établir des archers<br />

uniquement destinez pour l'arrestation des pauvres". Les archers des pauvres étaient ainsi institués : cet<br />

etablissement etant des plus necessaires pour la tranquilité publique, il ni a qu'a le soutenir, on sait assés que le bien<br />

qui en resulte est infini 36.<br />

Les archers des pauvres se composaient de deux brigadiers et six archers se divisant en deux escouades.<br />

Leur mission, très spécifique, tenait en ceci :<br />

"partir tous les jours du corps de garde de l'Hôtel de ville, l'été à six heures du matin, l'hiver à sept heures, et<br />

courir dans tous les quartiers, faubourgs et gardiage, arrêter sans distinction ni dissimulation tous les mendiants,<br />

les conduire à l'hôpital [général de la Grave] ou dans les prisons de l'Hôtel de ville en cas de rébellion"<br />

37.<br />

Les capitouls firent "défenses à toute sorte de personnes de troubler lesdits archers dans leurs fonctions lors de<br />

l'arrestation des pauvres" et ordonnèrent "aux officiers de la compagnie du guet de faire donner tout secours et<br />

main-forte ausdits archers dans l'instant qu'ils seront avertis du moindre trouble qui leur sera causé, d'y faire marcher<br />

sur le champ les soldats du guet qu'ils jugeront necessaires, pour arrêter et amener dans nos prisons les auteurs du<br />

trouble et de la rebellion, et de nous dénoncer tout de suite les coupables, pour être procédé contre eux en la forme ordinaire"<br />

38. Pierre Barthès releva que cette ordonnance fut "publiée dans toute la ville, dans une pompe telle<br />

qu'on n'avait jamais vue. Le premier huissier des capitouls, précédé du guet, a installé et fait connaître à<br />

tous ces huit archers des pauvres" 39. Comme tous les Toulousains, il découvrit l'uniforme seyant et les armes<br />

de cette nouvelle force de police. On leur a donné, écrivait-il, "des habits d'un beau drap blanc, avec<br />

parement bleus, et boutons faux argent. Les brigadiers ont des galons sur la manche avec un chapeau bordé<br />

en argent. Ces archers ont pour armes la carabine avec baïonnette et une poire à poudre pour le fourneau".<br />

On se souvient qu'à la fin du XVIIe siècle les effectifs de la troupe du guet furent augmentés précisément<br />

afin de remplir la même mission que celle assignée aux archers des pauvres. En optant pour une autre<br />

solution, les capitouls trahissaient leur volonté d'échapper au contrôle de l'intendant. Ce faisant, prévoyants,<br />

ils eurent soin de se garantir de toute tentative visant à fondre les brigades d'archers dans le corps<br />

du guet. Ils décidèrent d'incorporer (mais sans pour autant les fusionner) les premiers dans les cadres du<br />

second, "afin qu'ils fussent à portée de recevoir nos ordres et ce que nous donnerons aux officiers de ladite compagnie,<br />

qui, en cas de trouble, seroient en etat de leur donner tout le secours dont ils auroient besoin". En conférant aux archers<br />

le statut de force auxiliaire du guet, les magistrats municipaux établissaient une distinction minime,<br />

certes, mais qui avait son importance. De fait, ils eurent toujours soin de dissocier ces deux forces de police.<br />

Apprécions à sa juste mesure cette manœuvre des capitouls. En dotant <strong>Toulouse</strong> d'une police des pauvres,<br />

ils se singularisaient par rapport à la plupart des villes du royaume où des institutions comparables<br />

aux archers des pauvres étaient rares en cette seconde moitié du XVIIIe siècle 40. Ce faisant, ils affichaient,<br />

avec un art consommé de la mise en scène, sur une question éminemment sensible tant pour les autorités<br />

royales que pour la population, le souci de l'administration municipale de faire maintenir l'ordre public.<br />

Par là même, dans la sourde lutte qui l'opposait au Parlement, le capitoulat marquait des points, si l'on<br />

peut s'exprimer ainsi.<br />

La création des archers des pauvres constituait une atteinte aux fonctions de police diurne de la compagnie<br />

du guet qui se voyait ainsi désavouée par les capitouls. Ces derniers n'agirent pas autrement en développant,<br />

à la même époque, les attributions de police des dizeniers en matière de police des étrangers. Là<br />

encore, les magistrats municipaux s'en remettaient à des individus sur lesquels ils avaient toute autorité au<br />

36 A.M.T., BB 283, f° 600.<br />

37 A.M.T., BB 160, f° 148 ; art. IV. Repris par Pierre Barthès. Notons que la police des pauvres exercée par les archers<br />

est donc une police strictement diurne.<br />

38 A.M.T., BB 160, f° 148 ; art. V.<br />

39 LAMOUZELE E., <strong>Toulouse</strong> au XVIIIe siècle ..., op. cit., p. 159.<br />

40 C'est ce qui ressort nettement des travaux sur l'histoire des institutions urbaines. L'étude de GUTTON J.-P.<br />

consacrée à la mendicité dans la généralité de Lyon laisse à penser que les archers des pauvres se rencontrent<br />

surtout au XVIIe siècle et seulement à Lyon, Saint-Etienne, Montbrison et Villefranche. Au siècle suivant, les<br />

mentions de cette police des pauvres vont se raréfiant (cf. La société et les pauvres. L'exemple de la généralité de<br />

Lyon. 1534-1789. Paris, 1970, pp. 354-357 et surtout pp. 442-443). A <strong>Toulouse</strong>, les archers des pauvres ne doivent<br />

pas être confondus avec les archers de l'Ecuelle.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 84


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 85<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

détriment du guet. Il apparaît ainsi que l'ordonnance royale de 1748 eut pour effet indirect de provoquer<br />

une redistribution des fonctions et de l'organisation de la police diurne de la ville.<br />

Cette évolution tendait à cantonner de plus en plus l'action <strong>policière</strong> de la compagnie du guet à la surveillance<br />

de la ville pendant la nuit. De fait, c'est principalement sur cette dernière que se porta l'attention<br />

des autorités. A peine un mois après que furent institués les archers des pauvres, le syndic de la ville adressait<br />

aux capitouls la réquisition suivante :<br />

"Et comme la sûreté de la ville et des habitans dépend principalement de la vigilance et de l'exactitude des officiers<br />

du guet à faire la patroüille dans tous les quartiers de la ville, et principalement dans les endroits où les<br />

violences peuvent être commises avec plus de facilité, il nous requeroit qu'il nous plût enjoindre aux officiers<br />

de la compagnie du guet de faire la patroüille chaque nuit, et de se distribuer en plusieurs bandes, de maniere<br />

qu'on puisse parcourir chaque nuit les différens quartiers de la ville, de visiter les maisons où ils soupçonneront<br />

y avoir des gens sans aveu ni domicile fixes capables de troubler la tranquilité publique, et de les conduire<br />

au corps de garde, afin que, sur les renseignemens que nous prendrons, nous puissions pourvoir, selon<br />

les regles de la prudence à la sûreté des habitans, faire cesser les désordres qui se sont introduits, et décerner<br />

les peines selon l'exigence des cas" 41.<br />

Dans les années qui suivirent, les ordonnances de police ayant un caractère réglementaire général sur<br />

l'ordre public réitérèrent ce même rappel à l'ordre concernant l'exactitude des patrouilles nocturnes du<br />

guet. Ces injonctions qui se voulaient pressantes se justifiaient-elles par l'aggravation de l'insécurité dans<br />

les rues de <strong>Toulouse</strong> la nuit venue du fait de l'incompétence du guet ? Le problème posé ne peut trouver<br />

de réponse probante qu'en intégrant, à ce stade de l'étude, cette autre composante majeure de l'encadrement<br />

de la police urbaine qu'était la garde bourgeoise dont la mission de police était strictement nocturne.<br />

II — La garde bourgeoise : évolution, organisation et fonctions<br />

L'origine de la garde bourgeoise toulousaine est inconnue, mais l'on sait qu'elle existait déjà en 1202 et<br />

que, confirmée en 1222, elle joua un rôle important au début du XIIIe siècle 42. À l'instar de Paris, <strong>Toulouse</strong><br />

fournit ainsi une illustration supplémentaire à l'idée de Max Weber selon laquelle la compétence militaire<br />

des citoyens constitue l'un des fondements du développement urbain de l'Europe occidentale 43. En période<br />

de paix, la garde bourgeoise s'affirma comme une force auxiliaire de la compagnie du guet 44.<br />

A — Une histoire en dents de scie<br />

Les traces de la garde bourgeoise se brouillent jusqu'au début du XVIIe siècle. Les troubles qui agitèrent<br />

le royaume pendant la première moitié du XVIIe siècle n'eurent qu'un faible écho à <strong>Toulouse</strong> qui resta à<br />

l'écart des turbulences et manifesta sa fidélité envers le souverain 45. On sait aujourd'hui que, <strong>sous</strong> le calme<br />

41 A.M.T., BB 166, p. 117. 19 août 1754. Ordonnance portant règlement pour le maintien de l'ordre, la tranquilité et la<br />

sûreté des habitans de ladite ville.<br />

42 A.M.T., AA 1/79. 23 septembre 1222. Privilège de Raymond VII autorisant les consuls de <strong>Toulouse</strong> à tenir une garde<br />

armée pour la sécurité publique. LIMOUZIN-LAMOTHE R., La commune de <strong>Toulouse</strong> et les sources de son histoire<br />

(1120-1249). Etude historique et critique. <strong>Toulouse</strong>, Paris, 1931, pp. 208-211.<br />

43 DESCIMON R., "Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue", Annales E.S.C., 1993, n° 4,<br />

p. 889.<br />

44 Pour une approche générale de la question : CORVISIER A., "Quelques aspects sociaux des milices bourgeoises<br />

au XVIIIe siècle", Villes de l'Europe méditerranéenne et de l'Europe occidentale, du Moyen Age au XIXe siècle. Actes<br />

du colloque international d'histoire des villes, Nice, 1969. Nice, Annales de la Faculté des Lettres et Sciences<br />

Humaines de Nice, 1969, n os 9-10, pp. 241-277 ; repris Les hommes, la guerre et la mort. Paris, 1985, pp. 221-257.<br />

45 Cette période de l'histoire toulousaine est restée jusqu'à maintenant largement inexplorée, les travaux dont on<br />

dispose étant soit anciens (cf. Abbé DAUGE C., "Fidélité de <strong>Toulouse</strong> à Louis XIII pendant les troubles", Revue de<br />

Gascogne, t. XXXIII, 1938) soit d'un intérêt très relatif (cf. CAMMARTIN C., 1628-1632. Quatre ans de la vie sociale,<br />

économique et politique de <strong>Toulouse</strong>. D.E.S. de Lettres, <strong>Toulouse</strong>, 1973 ; et CATALA C., L'administration capitulaire à<br />

<strong>Toulouse</strong>, 1643-1661. L'institution et les hommes, op. cit.). Ces dernières années, les études se sont multipliées (cf.<br />

BONIN P., Pouvoir et municipalité à <strong>Toulouse</strong> de 1630 à 1660. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1994.<br />

DELFAU M., Le Parlement de <strong>Toulouse</strong> vu par un de ses membres : Etienne de Malenfant (1602-1647). Mémoire de<br />

maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1994. JANIK A., <strong>Toulouse</strong> dans la guerre. Organisation militaire et participation de <strong>Toulouse</strong><br />

aux guerres de Louis XIII contre les protestants. 1621-1622. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1994.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

qui caractérise la capitale languedocienne pendant cette période, l'inquiétude des autorités toulousaines fut<br />

réelle et les amena à prendre de vigoureuses dispositions afin de préserver la ville des menaces extérieures<br />

et d'y garantir l'ordre. A cette fin, les capitouls sollicitèrent la population.<br />

En 1615, les capitouls élaborèrent un projet de Règlement général en cas d'alarme dans l'éventualité où la<br />

ville viendrait à être menacée 46. Il visait essentiellement à déterminer des places d'armes, lieux de rendezvous<br />

pour la population en armes, et les sites stratégiques dont il fallait assurer prioritairement la défense.<br />

Ce faisant, il réglait l'organisation et les modalités de la mobilisation de la population et précisait quelles<br />

devaient être les mesures défensives à suivre ainsi que les moyens à adopter à cette fin. En cas d'alarme, les<br />

habitants devaient illuminer leurs fenêtres, baisser leurs auvents et se tenir prêt à jeter sur les assaillants les<br />

pierres qu'ils devaient avoir stocké chez eux. Tous les moyens devaient être mis en œuvre pour ralentir la<br />

progression des ennemis dans la ville : des barricades devaient être dressées dans les rues où des chaînes<br />

n'avaient pas été tendues. L'organisation de la défense civile s'établissait comme suit. Les capitouls commandaient<br />

les capitoulats qu'ils représentaient ; pour pallier leur absence, huit capitaines de capitoulats<br />

devaient être élus. Des capitaines de quartier commandant trois ou quatre dizaines et ayant pour mission<br />

d'assurer la défense de cet espace devaient être choisis. Sous les ordres de ces capitaines, les dizeniers demeuraient<br />

responsables de leur dizaine mais leur rôle se limitait à sélectionner les hommes les mieux à<br />

même de porter les armes et à veiller à ce qu'ils se rendent aux places d'armes convenues. La défense de la<br />

ville reposait donc essentiellement sur sa population. Par bonheur, <strong>Toulouse</strong> n'eut pas à mettre en œuvre<br />

ce plan de défense. Par contre, la garde bourgeoise fut mobilisée à plusieurs reprises.<br />

La première mobilisation de la garde bourgeoise dont il est fait état dans nos sources date de 1621. L'on<br />

ignore quelle fut son organisation et les modalités de son service. Toutefois, il semble qu'elle n'ait pas donné<br />

pleine satisfaction aux capitouls qui préférèrent s'en remettre l'année suivante à une troupe gagée 47. Le 4<br />

juillet 1635, la garde bourgeoise, composée de 8 compagnies de 100 hommes dont le commandement fut<br />

confié à des militaires, fut temporairement rétablie 48. Elle fut à nouveau mobilisée peu de temps après, en<br />

1637. Le 28 janvier 1652, afin de prévenir l'épidémie de peste qui s'annonçait, les capitouls rendirent une<br />

ordonnance portant règlement pour leur garde bourgeoise qui affectait cette dernière à la garde des portes<br />

de la ville 49. Contrairement à ce que pensait Edmond Lamouzèle 50, il ne s'agissait pas là d'une nouvelle réorganisation<br />

de cette milice mais d'une mesure de circonstance pour faire face à la gravité de la situation 51.<br />

Les cinq articles composant ce texte réglementaire nous apprennent que tous les bourgeois de garde devaient<br />

faire respecter les heures d'ouverture et de fermeture des portes, et plus particulièrement veiller à :<br />

ne laisser sortir aucune arme et munition de guerre ; refuser l'entrée aux vagabonds et gens sans aveu ; apporter<br />

la plus grande attention aux étrangers en s'informant de leur origine et de la raison de leur venue à<br />

<strong>Toulouse</strong>, enfin les inscrire sur un registre puis leur donner un billet pour leur logement dans la ville. Passée<br />

cette épidémie, l'on perd à nouveau la trace de la garde bourgeoise jusqu'à la dernière décennie du siècle.<br />

En 1690, l'on créa en Languedoc des compagnies bourgeoises pour aider au maintien de l'ordre dans le<br />

contexte de la révocation de l'Edit de Nantes. C'est au début de l'année 1691 qu'elles furent mises en place<br />

TACHE J.-N., Les Toulousains et l'argent public. 1630-1660. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1995) qui<br />

permettent de jeter un regard neuf sur ce premier XVIIe siècle toulousain.<br />

46 A.M.T., AA 22/71. Ce document a fait l'objet d'une analyse détaillée par ROSCHACH E. (cf. Inventaire des archives<br />

communales antérieures à 1790. <strong>Toulouse</strong>, 1891, pp. 335-336) reproduite par JANIK A. (cf. <strong>Toulouse</strong> dans la<br />

guerre ..., op. cit., pp. 55-59). Ce projet de règlement trahit l'inquiétude qui était alors celle des capitouls. Dans les<br />

additions aux mémoires des députés de la ville de <strong>Toulouse</strong> aux Etats de Languedoc pour l'année 1615, on<br />

trouve la demande suivante : solliciter l'établissement d'une compagnie de 100 carabiniers à <strong>Toulouse</strong> pour la<br />

défense de la ville et de sa banlieue (il ne semble pas que cette demande ait été suivie d'effet). A.M.T., AA 22/68.<br />

47 Informations tirées de l'étude de JANIK A. (cf. <strong>Toulouse</strong> dans la guerre ..., op. cit., pp. 111-125).<br />

48 BONIN P., Pouvoir et municipalité à <strong>Toulouse</strong> de 1630 à 1660, op. cit., p. 139.<br />

49 A.M.T., AA 25/37. 28 janvier 1652. Règlement pour la garde bourgeoise.<br />

50 LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 68.<br />

51 On sait que cette épidémie, qui toucha malgré tout la ville, fut l'une des plus meurtrière de son histoire.<br />

SOULA A., La peste dans l'Ouest du Haut-Languedoc de 1620 à 1660. D.E.S. de Lettres, Faculté de Lettres de <strong>Toulouse</strong>,<br />

1969, 2 vol. ; cf. t. I.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 86


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 87<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

dans la province 52. Le 17 mars 1691, le comte de Broglie, commandant de la province, transmit en conséquence<br />

ses ordres aux capitouls 53. Il pensait qu'une ville telle que <strong>Toulouse</strong> pouvait fournir 500 hommes en<br />

état de porter les armes composant 10 compagnies de 50 hommes chacune, y compris les deux sergents et<br />

le tambour. Il laissait le soin aux magistrats municipaux de trouver des officiers, leur recommandant de<br />

privilégier les personnes qui auront du service et les plus agréables aux habitans par leur mérite et leur crédit, et<br />

prenait soin de préciser que cette compagnie serait uniquement destinée à rester en ville. Les capitouls firent<br />

montre de tout leur zèle et constituèrent une garde bourgeoise de 1.500 hommes, ce dont ils furent félicités<br />

54. L'intendant Basville fut informé par le comte de Broglie que, pour epargner les bons bourgeois, on a<br />

nommé tout ce qu'il y a de gueux et de miserables (...) ce qui ne convient pas au service du roi, et que certains abus<br />

s'étaient (déjà) glissés dans la tenue des revues des compagnies bourgeoises. L'intendant manifesta immédiatement<br />

aux capitouls son mécontentement et leur fit part de l'avis du commandant de la province qui<br />

réduisait la garde bourgeoise à 1.000 hommes en espérant qu'ils seraient de meilleure qualité 55. Quelques<br />

temps plus tard, le comte de Broglie écrivit aux magistrats municipaux pour les rappeler à l'ordre et leur<br />

donner quelques indications sur les modalités de remplacement possibles pour les notaires, procureurs et<br />

marchands de la ville 56. Vertement tancés, les capitouls se devaient d'appliquer à la lettre le règlement<br />

promulgué, le 9 septembre 1691, par de M. de Broglie qui prescrivait à la garde bourgeoise d'être tous les<br />

dimanches <strong>sous</strong> les armes pendant une heure afin de faire des exercices militaires 57.<br />

La garde bourgeoise se composait alors de deux troupes subdivisées en 10 compagnies (comprenant<br />

chacune 100 hommes). Pour parvenir à constituer une telle troupe, les capitouls ne lésinèrent pas : ils<br />

n'exemptèrent du service de la garde bourgeoise ni les marchands, ni les notaires, ni même les procureurs<br />

58. A la tête des compagnies bourgeoises étaient placés 10 capitaines et 2 aide-majors. La liste de ces<br />

"cadres des compagnies bourgeoises de <strong>Toulouse</strong>" montre que les capitaines étaient recrutés parmi les capitouls<br />

en exercice (au nombre de 2) et d'anciens capitouls (au nombre de 8) 59. L'édit de mars 1694, qui<br />

créait en titre d'office des charges d'officiers supérieurs des milices bourgeoises dans chaque ville et bourg<br />

fermé du royaume (là où il existait un archevêché, évêché ou un bureau des finances), n'eut aucun succès<br />

dans la capitale languedocienne et n'influença guère l'organisation de sa garde bourgeoise. En cette année<br />

1694, les capitouls, constatant que la ville s'est remplie d'une sy grande quantité de pauvres des diocezes estrangers,<br />

ordonnèrent à la garde bourgeoise de renforcer sa vigilance aux portes de la ville 60. L'on ignore jusqu'à<br />

quand cette organisation fut maintenue, mais il y a lieu de penser qu'elle fut dissoute au tout début du<br />

XVIIIe siècle 61.<br />

Dès lors, l'idée même de la convocation de la garde bourgeoise tomba, semble-t-il, peu à peu en désuétude.<br />

Elle n'était plus, au début du XVIIIe siècle, qu'une troupe de parade exceptionnellement recrutée<br />

pour des cérémonies publiques, ne servant plus qu'à augmenter le cérémonial des entrées solennelles 62.<br />

52 Sur cette mise en place dans une communauté languedocienne : PELAQUIER E., "Une communauté rurale<br />

face à l'armée : Saint-Victor-de-la-Coste (1670-1750)", Forces armées et société, actes du colloque de Montpellier,<br />

1985. Paris, 1987, pp. 399-417.<br />

53 A.M.T., AA 48/64. 17 mars 1691. Lettre du comte de Broglie aux capitouls. On rectifiera à la lumière du développement<br />

qui suit les informations données par LAMOUZELE E. (cf. Essai sur l'organisation et les fonctions de la<br />

compagnie du guet ..., op. cit., pp. 68-69).<br />

54 A.M.T., AA 48/65. 14 avril 1691. Lettre de M. le comte de Broglie aux capitouls.<br />

55 A.M.T., AA 48/68. 28 juillet 1691. Lettre de l'intendant aux capitouls.<br />

56 A.M.T., AA 48/70. 18 août 1691. Lettre de M. le comte de Broglie aux capitouls.<br />

57 A.M.T., AA 28/125. 9 septembre 1691. Montpellier. Règlement pour les compagnies bourgeoises. Voir aussi : 17<br />

mars 1691. Lettre de l'intendant aux capitouls. Document publié par Dom DEVIC C. et Dom VAISSETE J. (cf. Histoire<br />

générale du Languedoc. <strong>Toulouse</strong>, 2 e éd., 1872-1892, 15 vol., cf. t. XIII, pièce n° DXXII, p. 1411).<br />

58 Ce principe fut réaffirmé par l'ordonnance de police du 14 mars 1692 relative à la garde bourgeoise. A.M.T., FF<br />

471.<br />

59 A.M.T., AA 25/125. Document publié par Dom DEVIC C. et Dom VAISSETE J. (cf. Histoire générale du Languedoc,<br />

op. cit., t. XIII, pièce n° DXXVIII).<br />

60 A.M.T., FF 471. 30 avril 1694. Ordonnance relative à la garde bourgeoise.<br />

61 Le 26 janvier 1704, le Conseil de Bourgeoisie délibéra qu'il n'y a pas lieu de remettre sur pied les gardes bourgeoises.<br />

A.M.T., BB 44, f° 231.<br />

62 Jean-Pierre SOULA (cf. L'administration capitulaire à <strong>Toulouse</strong> de 1700 à 1715. Thèse de Droit, Faculté de Droit de<br />

<strong>Toulouse</strong>, 1949, p. 121) a pu vérifier cette idée de LAMOUZELE E. à la lumière d'une délibération du Conseil de


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

Toutefois, dans le cadre de la prévention contre l'épidémie de peste qui sévissait à Marseille en 1720, les<br />

capitouls furent amenés à réactiver leur milice qui fut à nouveau affectée à la garde des portes de la ville.<br />

Le prolongement de la quarantaine de Marseille et la crainte de voir l'épidémie se répandre au delà du<br />

cordon sanitaire mis en place par la Province engagea la municipalité à innover en la matière :<br />

A l'entrée de nos charges nous trouvames ces dits establissements faits nous nous y conformames volontiers,<br />

mais peu apres nous apercevant que le commandement de la garde ne roulloit que sur la noblesse et sur un<br />

petit nombre d'autres personnes qui toutes se plaignoient avec raison d'estre obligez de supporter seuls le<br />

poids du fardeau, il falut en venir au remede pour cet effet suivant la pratique des autres villes de la province<br />

nous invitames a monter la garde tous les corps toutes les compagnies de cette ville et le clerge meme a son<br />

tour, nous en fismes une honnesteté a M. le premier président pour qu'il luy pleut vouloir exhorter sa compagnie<br />

a donner le premier exemple (...) 63.<br />

Toutes les forces vives de la cité furent donc impliquées dans la garde bourgeoise, ce qui ne fut pas du<br />

goût de tous, et notamment des parlementaires qui cherchèrent querelle aux magistrats municipaux à ce<br />

propos.<br />

Le retour à la normale sonna le glas de cette organisation qui n'avait plus lieu d'être. Doit-on persister à<br />

penser, à la suite d'Edmond Lamouzèle, que la garde bourgeoise n'existait plus dès lors que "comme<br />

troupe de parade dans les cérémonies publiques ne prenant plus une part bien active à la police de la<br />

ville" 64? Une réponse nuancée s'impose. Le rôle d'apparat de la garde bourgeoise est bien attesté par Pierre<br />

Barthès, qui livre de précieuses indications, à l'occasion de l'entrée du duc de Richelieu, le 20 mai 1741 :<br />

"suivaient les huit compagnies de la garde bourgeoise, chacune composée de cent hommes, commandées par<br />

des bourgeois de la ville, gens d'une belle figure et d'une propreté magnifique, chacune marchant <strong>sous</strong> son<br />

drapeau déployé, tambour battant, et habillé de rouge, aux armes du duc attachées au surtout" 65.<br />

On constate que les effectifs de la garde bourgeoise avaient été réduits et qu'une modification avait été<br />

apportée à son commandement, les capitouls s'en étant déchargés sur les seuls bourgeois 66. L'on peut cependant<br />

douter que la garde bourgeoise ait cessé toute activité de police, ou plus exactement que cette cessation<br />

d'activité ait été durable.<br />

La présence de troupes régulières qui assuraient une surveillance nocturne dans la ville rendait inutile<br />

le maintien de la garde bourgeoise (alors même que la compagnie du guet continuait son service nocturne).<br />

Elle fut donc réduite à sa plus simple expression. On sait qu'à la fin de l'année 1749 et au début de l'année<br />

suivante, cinq bourgeois nommés par les capitouls étaient affectés chaque soir aux postes de garde tenus<br />

par les militaires, vraisemblablement pour leur servir de guide dans les rues de <strong>Toulouse</strong> 67. La présence régulière<br />

et quasi continue de troupes à <strong>Toulouse</strong> jusqu'à la fin de l'année 1757 68 explique vraisemblablement<br />

le silence des sources sur la garde bourgeoise dont il y a lieu de penser qu'elle ne fut pas mobilisée pendant<br />

cette période. En 1758 et 1759, l'on ne relève aucune présence de troupe cantonnée à <strong>Toulouse</strong>. De fait, le<br />

guet se retrouvait seul pour assurer la surveillance nocturne de la ville, ce qui semble avoir incité les capitouls<br />

à faire à nouveau appel à la milice populaire. Un document trouvé dans les archives de la Bourse des<br />

marchands de <strong>Toulouse</strong> datant de 1760 atteste que la garde bourgeoise fut alors rétablie. Dans une lettre<br />

adressée à l'intendant, les marchands se plaignaient, à leur habitude, "du pouvoir despotique dont les capitouls<br />

voulaient jouir envers leur corps" et leur faisaient grief de ne pas avoir respecté leurs privilèges concernant<br />

le service de la garde bourgeoise :<br />

ville du 11 juillet 1710 faisant suite à la requête adressée au Consistoire par deux capitouls nommés capitaines<br />

pour l'entrée du Premier Président de Bertier qui demandaient à être dispensés de cette coûteuse corvée.<br />

63 A.M.T., GG 1010. S.d. [1721]. Memoire pour les capitouls de Toulouze [adressé au roi], f os 3-4.<br />

64 LAMOUZELE E., Essai sur l'organisation et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., p. 68.<br />

65 LAMOUZELE E., <strong>Toulouse</strong> au XVIIIe siècle ..., op. cit., p. 61.<br />

66 Notons ici qu'il n'y a pas d'objection à suivre LAMOUZELE E. (cf. Essai sur l'organisation et les fonctions de la<br />

compagnie du guet ..., op. cit., p. 73) lorsqu'il déduit du nombre de compagnies que leur recrutement se faisait en<br />

fonction des capitoulats.<br />

67 LAMOUZELE E., <strong>Toulouse</strong> au XVIIIe siècle ..., op. cit., p. 122.<br />

68 LAFFONT J.-L., "La présence militaire à <strong>Toulouse</strong> dans la seconde moitié du XVIIIe siècle", A.M., t. CXII, 2000,<br />

n° 229, pp. 41-64.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 88


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 89<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

Ces magistrats abusant de leur autorité sans avoir égard a nos représentations ont confondus plusieurs bons<br />

et loyaux marchands avec ceux du petit corps ou artisans pour conduire des patrouilles nocturnes, ce qui est<br />

contre tout usage et hors d'exemple 69.<br />

Ce rétablissement paraît avoir été éphémère, ce qui peut s'expliquer par le retour de troupes dans la capitale<br />

languedocienne (1760-1764). Par la suite (jusqu'en 1772), les capitouls se dispensèrent de faire à nouveau<br />

appel à la population.<br />

Entre suppressions et rétablissements, l'histoire de la garde bourgeoise toulousaine s'est déroulée en<br />

dents de scie, au gré des impératifs et des urgences du moment. Episodique force d'appoint supplétive,<br />

cette milice populaire ne s'imposa pas durablement dans l'organisation de l'encadrement de la ville par les<br />

capitouls. De fait, tout porte à penser que son efficacité était relativement limitée. Au XVIIIe siècle, la garde<br />

bourgeoise tendit à s'éclipser, évolution qui parait liée à celle du statut militaire de la ville de <strong>Toulouse</strong>.<br />

B — L'ultime rétablissement de la garde bourgeoise<br />

Entre 1760 et 1772, la garde bourgeoise ne fut vraisemblablement pas mobilisée. Cette situation finit par<br />

devenir pesante pour le guet et les capitouls. En 1766, ces derniers proposèrent à l'intendant d'augmenter<br />

de trente hommes la compagnie du guet 70. En vain. Le 27 mars 1771, ils répétèrent leur démarche en lançant<br />

un appel pressant à l'intendant :<br />

Nous ne pouvons cesser de solliciter vos bontés pour un objet qui devient tous les jours plus intéressant pour<br />

l'ordre public et la sureté dans notre ville. Les voleurs s'y multiplient de toutes parts et tous les jours on nous<br />

denonce de nouveaux larcins ; dans la semaine qui vient de s'ecouler, il en a eté fait deux avec effraction, l'un<br />

a eté commis pendant le jour. Nos prisons se remplissent et nous ne pouvons jamais tarir la source du mal.<br />

Les reglemens se multiplient, nous prenons les mesures qui nous paraissent les plus propres a arreter ce desordre,<br />

mais l'insuffisance de notre main forte est un obstacle absolu que nous ne saurions vaincre 71.<br />

Les capitouls n'eurent désormais de cesse que d'obtenir un renforcement des effectifs de leurs forces de<br />

police, multipliant les déclarations alarmistes. Ainsi, dans une lettre qu'ils adressèrent à l'intendant, le 5 juin<br />

1771, ils accumulaient les exemples d'agressions et d'assassinats dont on relèvera que, dans la plupart des<br />

cas (et ce n'était pas un effet du hasard), il s'agissait d'attaques nocturnes 72. En apparence, les capitouls proclamaient<br />

leur volonté de renforcer leur main forte en l'améliorant : Un double objet a fixé l'attention des administrateurs.<br />

Ils ont voulu rendre la troupe plus respectable et par le nombre et par sa discipline 73. Ils délibérèrent<br />

d'augmenter les effectifs qui étaient de 53 hommes et de porter la totalité de la troupe a cent vingt trois, dont un<br />

tiers tous les jours de garde, un autre tiers de piquet et le troisieme tiers de repos. Cette augmentation devait s'accompagner<br />

d'une réforme du service du guet agrémentée de la création de corps de gardes dans divers<br />

quartiers de la ville afin de renforcer les patrouilles diurnes et nocturnes en élargissant leur aire d'intervention.<br />

Cette réforme de la compagnie du guet, auquel les capitouls rendaient un vibrant hommage, se révéla<br />

en fait être un leurre à l'intention des autorités provinciales 74.<br />

Les magistrats municipaux n'eurent pas de mal à convaincre les représentants de l'autorité royale, et au<br />

premier chef le comte de Périgord, de "l'insuffisance de la compagnie du guet pour la sûreté de cette<br />

grande ville" 75. Ce dernier se proposa en conséquence de solliciter aupres du Roy une augmentation dans cette<br />

compagnie 76. Les capitouls s'empressèrent de faire valoir qu'une augmentation des effectifs de la compagnie<br />

69 BROUSSY F., La Bourse commune des marchands de <strong>Toulouse</strong>, 1715-1789. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M.,<br />

1990, p. 154. Ce document est précieux car il établit que les marchands (dont les bijoutiers et les orfèvres lésés à<br />

cette occasion) étaient dispensés du service de la garde bourgeoise.<br />

70 A.M.T., BB 284, f° 37v°. Annales manuscrites de l'année 1766.<br />

71 A.D.H.-G., C 314. 27 mars 1771. Lettre des capitouls à l'intendant.<br />

72 A.D.H.-G., C 314.<br />

73 A.M.T., BB 284, f° 73v°. Annales manuscrites de l'année 1771.<br />

74 Contrairement à ce que soutient SCHNEIDER R.A. (cf. Public life in <strong>Toulouse</strong> ..., op. cit., p. 319), cette réforme ne<br />

se concrétisa pas.<br />

75 A.D.H.-G., C 314. 13 décembre 1772. Ordonnance du comte de Talleyrand Périgord, gouverneur du Languedoc, établissant<br />

une garde bourgeoise pour le service des patrouilles ; publiée par LAMOUZELE E. (cf. Essai sur l'organisation<br />

et les fonctions de la compagnie du guet ..., op. cit., pp. 127-131).<br />

76 A.M.T., BB 161, f os 205-210. 22 décembre 1772. Reglement pour l'etablissement d'une patrouille bourgeoise dans la<br />

ville de <strong>Toulouse</strong>. Une version imprimée de cette transcription se trouve <strong>sous</strong> la cote AA 304. Aujourd'hui comme<br />

hier, ce document constitue, avec celui précédemment cité, la base de nos informations sur la garde bourgeoise.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

du guet pour la proportionner aux besoins de la ville lui occasionneroit une depense qu'il luy etoit impossible de supporter<br />

dans ce moment-ci 77. L'argument, non dénué de fondement, était imparable d'autant que les capitouls<br />

proposaient une solution qui ne coûtait pour ainsi dire rien : le rétablissement de la garde bourgeoise.<br />

Le 13 décembre 1772, le comte de Périgord rendait à Montpellier une ordonnance qui établissait cette<br />

nouvelle garde bourgeoise et en fixait l'organisation ainsi que les attributions. Cette ordonnance fut immédiatement<br />

publiée et affichée dans tous les carrefours releva Pierre Barthès. Le 22 décembre, les capitouls<br />

faisaient un règlement pour déterminer les modalités de recrutement et de service de cet organisme. Le 11<br />

janvier 1773, la première patrouille bourgeoise prenait son service. La rapidité avec laquelle ce projet de<br />

rétablissement aboutit et se concrétisa rend compte d'un réel sentiment d'urgence. Or l'on sait, grâce aux<br />

travaux fondés sur l'exploitation des sources de la juridiction criminelle des capitouls, que la fin des années<br />

1760 et le début de la décennie suivante ne furent pas marquées par une poussée significative de la criminalité<br />

et de la délinquance à <strong>Toulouse</strong>. L'argumentation sécuritaire et le discours alarmiste des capitouls<br />

apparaît ainsi, sinon sans fondement, du moins exagéré par rapport à ce que l'on peut percevoir de la situation.<br />

Si urgence il y avait, elle était sans doute ailleurs. Les motivations des magistrats municipaux<br />

s'éclairent lorsqu'on les replace dans le contexte difficile dans lequel se trouvait alors le <strong>Capitole</strong>. Depuis<br />

1765, l'Hôtel de ville faisait face à des attaques incessantes émanant du Parlement touchant presque tous les<br />

domaines de l'administration municipale 78, mais qui avaient relativement épargné la police de la ville. On a<br />

tout lieu de penser que les capitouls ont cherché à prendre les devants à propos d'un sujet aussi sensible<br />

que pouvait l'être la sûreté publique. Par une mesure spectaculaire, ils démentaient par des actes les critiques<br />

qu'on leur adressait et, en outre, gagnaient les faveurs du commandant militaire. La coïncidence entre<br />

les premières démarches des capitouls et la parution du projet d'administration municipale pour les villes<br />

de la province, établi par les Etats de Languedoc qui demandèrent au roi de l'étendre à la ville de <strong>Toulouse</strong>,<br />

n'était certainement pas fortuite.<br />

L'organisation et les fonctions de la garde bourgeoise rétablie en 1772 sont connues 79, aussi nous bornerons-nous<br />

à en rappeler les principales caractéristiques. Elle était organisée sur le modèle militaire, avec 30<br />

compagnies subdivisées chacune en 6 détachements qui servaient à tour de rôle. Chaque compagnie se<br />

composait de : 6 commandants, 6 sergents, 12 caporaux et 72 hommes de troupe armés de fusils (appartenant<br />

à la ville). Cette milice de 2.880 hommes était placée <strong>sous</strong> la direction d'un commissaire de la garde<br />

bourgeoise nommé et rétribué par la ville. Ce dernier devait veiller tous les jours à la présence effective et<br />

complète de tous les détachements auxquels il transmettait, avant le début de leur service, les ordres des<br />

capitouls en même temps que leurs armes. Tous les matins il s'informait du service effectué la veille et s'assurait<br />

du bon état de chaque corps de garde.<br />

Six corps de garde étaient affectés à la garde bourgeoise (un pour chaque détachement). Ils se situaient<br />

sur les mêmes sites et à proximité de ceux du guet quand les deux forces de maintien de l'ordre ne partageaient<br />

pas un même poste 80. Pareille juxtaposition laisse perplexe et prête à des conjectures quant aux motivations<br />

qui déterminèrent le choix de ces emplacements, lequel semblait aller de soi pour les capitouls.<br />

Force est donc de constater que le rétablissement de la garde bourgeoise répondait à la seule volonté de<br />

renforcer le guet sans chercher à étendre la surveillance de l'espace urbain, de sorte que l'on ne saurait le<br />

considérer comme un réel développement de l'emprise <strong>policière</strong> sur la ville. Ce constat vérifie que le discours<br />

alarmiste tenu par les capitouls n'était pas exempt d'arrière-pensées qui n'entretenaient que de lointains<br />

rapports avec la situation réelle de la sécurité de la ville.<br />

Le service de la garde bourgeoise était strictement nocturne, s'effectuant de 17 heures à 7 heures du<br />

matin en hiver et de 20 heures à 4 heures du matin en été. Selon la saison toujours, 3 ou 2 patrouilles devaient<br />

arpenter le secteur dépendant de leur corps de garde, alors qu'une sentinelle restait en faction dans<br />

la guérite placée devant ce dernier. Un système avait été conçu pour s'assurer que les rondes avaient bien<br />

été effectuées selon l'itinéraire convenu : des boîtes étaient placées à chaque carrefour dans lesquelles le<br />

<strong>sous</strong>-officier de la patrouille devait placer un marron à chaque passage. La boite était examinée le matin<br />

77 Ibid., f os 205-206.<br />

78 DUTIL L., "La réforme du capitoulat toulousain au XVIIIe siècle", A.M, t. XIX, 1907, p. 312.<br />

79 LAMOUZELE E., Essai ..., op. cit., pp. 66-77.<br />

80 A.M.T., 3 H 2. 7 décembre 1772. Estat des dépenses a faire pour l'etablissement d'une garde bourgeoise.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 90


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 91<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

suivant par le commissaire de la garde bourgeoise et des punitions sévères étaient prévues s'il s'avérait que<br />

la patrouille n'avait pas été régulière.<br />

La mission de police assignée à la garde bourgeoise ne différait en rien de celle de la compagnie du guet<br />

: chargée de relever toutes les infractions et de lutter contre toutes les formes d'atteintes à l'ordre et à la<br />

tranquillité publiques, elle pouvait procéder à l'arrestation de personnes suspectes et des délinquants qui<br />

étaient remis le lendemain à l'Hôtel de ville où les capitouls statuaient sur leur sort. Par ailleurs, elle avait<br />

toujours son rôle de parade lors des cérémonies officielles où elle fournissait une escorte d'honneur aux capitouls<br />

81.<br />

Par leur règlement du 22 décembre 1772, les capitouls mirent la dernière main au fonctionnement et au<br />

système de recrutement de la garde bourgeoise en suivant les prescriptions données par le comte de Périgord.<br />

La population de <strong>Toulouse</strong> fut divisée en deux classes d'habitants, l'une pour commander la patrouille<br />

bourgeoise, l'autre pour fournir au service des soldats de ladite patrouille (cf. art. I). La première était composée<br />

des principaux habitans de la ville et fauxbourgs (cf. art. II), c'est-à-dire essentiellement les bourgeois (outre les<br />

nobles, les anciens officiers, les avocats, les notaires, les procureurs, les médecins et directeurs des hôpitaux<br />

étaient dispensés de ce service). La seconde classe était composée des habitans du second ordre et de ceux qui<br />

exercent des arts et metiers et generalement de ceux qui ne seront point compris dans la premiere classe a l'exception<br />

des travailleurs de terre residans hors de la ville et du fauxbourg (cf. art. III) 82. Gratuit, le service de la garde bourgeoise<br />

était rigoureusement obligatoire et personnel. Toute absence qui n'était pas dûment justifiée par un<br />

legitime empechement était sanctionnée, les remplacements proscrits.<br />

Telle qu'elle nous apparaît, cette milice bourgeoise toulousaine de 1772 présentait certaines singularités<br />

par rapport, d'une part, à la première forme de garde bourgeoise qui exista à <strong>Toulouse</strong>, et d'autre part, à ce<br />

que l'on peut savoir d'autres milices du même type ayant existé dans d'autres villes à la même époque 83.<br />

Ces singularités tenaient moins à la mission de police (identique en tous lieux et époques) qu'à l'organisation<br />

et au recrutement de la garde bourgeoise. Ce faisant, on observe que la garde bourgeoise toulousaine<br />

différait radicalement de la garde parisienne du même nom en ceci qu'elle ne fut jamais assujettie à des<br />

charges vénales 84. Le premier constat qui s'impose est la très nette augmentation des effectifs de la garde<br />

bourgeoise en 1772 (on est passé de 1.000 à 2.880 hommes) 85. Cette augmentation répondait tant à la volonté<br />

des magistrats municipaux d'accroître l'encadrement policier de la cité qu'à leur souci de mieux répartir<br />

le fardeau que représentait cette milice et, ce faisant, de l'adoucir en l'étalant dans le temps. L'organisation<br />

même de la patrouille bourgeoise rendait compte de cette préoccupation : compte tenu de la parité<br />

de la composition de chaque compagnie 86 et du système de rotation quotidien des trente compagnies, un<br />

individu n'était sollicité qu'une fois par mois pour la patrouille.<br />

La faiblesse du nombre de dispenses était la condition sine qua non de viabilité de cette organisation.<br />

Forts de la caution du commandant de la province qui avait lui-même fixé les cas de dispenses, les capitouls<br />

n'hésitèrent pas à comprendre dans leur milice les marchands et négociants de la Bourse, au mépris<br />

du privilège que ces derniers avaient obtenu de longue date, ce qui ne manqua pas de provoquer leur colère.<br />

Cette innovation semble avoir répondu à celle qui exemptait la noblesse du service de cette milice. On<br />

81 A.M.T., EE 14. 19 juin 1777. Ordonnance militaire de Messieurs les capitouls, gouverneurs de la ville de <strong>Toulouse</strong>,<br />

fixant rendez-vous à la patrouille bourgeoise le 20 juin à la place Royale pour y prendre ses ordres dans la perspective de<br />

l'arrivée de Monsieur.<br />

82 Seuls les hommes de 60 ans et plus étaient dispensés de ce service ; précision donnée par l'ordonnance du<br />

comte de Périgord (art. IX), non reprise explicitement par les capitouls.<br />

83 Sur la question, l'étude de référence demeure celle de CORVISIER A. citée note 44.<br />

84 Sur cette institution, voir les travaux de DESCIMON R. (cf. "Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au<br />

temps de la Ligue", op. cit. ; et : "Solidarité communautaire et sociabilité armée : les compagnies de la milice<br />

bourgeoise à Paris (XVIe-XVIIe siècles)", Sociabilité, pouvoirs et société. Rouen, 1987, pp. 599-609) et les mises au<br />

point de CHAGNIOT J. (cf. "Le guet et la garde bourgeoise de Paris à la fin de l'Ancien Régime", R.H.M.C., t. XX,<br />

1973, n° 1, pp. 58-71 ; et : Paris et l'armée au XVIIIe siècle. Etude politique et sociale. Paris, 1985, pp. 85-94) qui insiste<br />

sur l'originalité que constitue le cas parisien.<br />

85 L'on était encore loin des 6.000 miliciens bordelais. STURGILL C.C., "Une source de l'histoire sociale urbaine :<br />

le rôle des miliciens de Bordeaux de 1722", A.M., t. LXXXVI, 1974, n° 117, pp. 165-180.<br />

86 Ici la garde bourgeoise toulousaine se distingue notablement de son équivalente bordelaise (Ibid., p. 167).


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

observe ainsi que, contrairement à ce qui était le cas à la fin du XVIIe siècle, les capitouls n'avaient plus directement<br />

une part active dans le fonctionnement de leur milice.<br />

Même élargi, le service de la garde bourgeoise n'en demeurait pas moins inégalitaire. La division de la<br />

population en deux classes d'habitants répondant à des fonctions n'ayant aucune commune mesure (tant<br />

en ce qui concerne le grade que le nombre d'individus soumis à la patrouille) trahissait la perduration de la<br />

composition traditionnelle de cette institution. Le poids de la garde bourgeoise reposait donc surtout sur la<br />

seconde classe des habitants, soit essentiellement les artisans (petite bourgeoisie des maîtres de métiers et<br />

petit peuple), comme c'était d'ailleurs le cas dans la plupart des villes du royaume 87. L'on ignore cependant<br />

sur quelles bases géographique (capitoulats, paroisses ou quartiers?) et socio-professionnelles s'établissait<br />

le recrutement de cette milice, les rôles de celle-ci ayant été volés, le 2 décembre 1773 88, et n'ayant pas été,<br />

semble-t-il, remplacés (du moins n'ont-ils pas été conservés).<br />

Dans les premiers temps de son installation, la garde bourgeoise donna pleine satisfaction aux autorités.<br />

Elle n'hésitait pas faire montre de zèle comme lors de cette nuit du 23 mars 1773 où elle interpella cinq<br />

commis des Fermes qui ne respectaient pas l'ordonnance des capitouls du 18 janvier 1772 enjoignant aux<br />

habitants de la ville qui se trouveraient dans la rue durant la nuit de porter de la lumière 89. Le fait ne fut<br />

guère apprécié par les fermiers généraux qui intentèrent immédiatement une action auprès de l'intendant<br />

et du commandant militaire 90. Quelques temps plus tard, le procureur du roi constatait avec plaisir que<br />

l'ordre a été rétabli au point qu'il ne s'est commis depuis le 3 janvier dernier jusqu'à présent aucun délit nocturne public<br />

ou particulier 91. La population était loin de partager cet enthousiasme.<br />

III - La création du nouveau guet et l'extinction de la garde bourgeoise<br />

Le rétablissement de la garde bourgeoise se révéla rapidement comme un échec. La mauvaise volonté<br />

des uns à remplir leur service de patrouille, la franche hostilité de la bourse des marchands, les tensions<br />

entre le guet et la garde bourgeoise, grevèrent l'efficacité de cet organe de police dont les capitouls attendaient<br />

apparemment beaucoup. Ces dysfonctionnements devinrent chaque jour plus évidents. Les magistrats<br />

municipaux furent incapables d'y remédier. En effet, le capitoulat connaissait dans le même temps<br />

une crise qui s'aggrava notablement en 1775, et qui voyait les attaques fuser de toutes parts contre lui. La<br />

police de la ville en général, la compagnie du guet en particulier et, dans une moindre mesure, la garde<br />

bourgeoise, furent des cibles privilégiées des mémoires dénonçant l'administration de la ville. Ces derniers<br />

se plaisaient à brosser un tableau particulièrement noir de la situation de la ville, mettant en avant l'insécurité<br />

qui y régnait et qui n'avait jamais été, à les en croire, aussi prononcée, notamment, et ce n'était pas un<br />

trait innocent, la nuit. Très représentatif de cette production, l'extrait de cette Note sur <strong>Toulouse</strong> d'une main<br />

anonyme qui s'épancha sur le sujet :<br />

La négligence et l'incapacité des capitouls, magistrats municipaux de ladite ville, seuls chargés de l'administration<br />

de la police et de la justice en premiere instance, le peu de soin qu'ils prennent d'etre informés et de<br />

connaitre les etrangers qui y viennent s'etablir, ou qui n'y restent que momentanement en fait continuellement<br />

l'asile et le refuge de fripons, de filous, de libertins, de gens sans aveu qui parcourent le royaume pour<br />

exercer leurs brigandages et leurs coquineries, et ils se fixent plus volontiers a <strong>Toulouse</strong> parce qu'ils y vivent<br />

87 CORVISIER A., "Quelques aspects sociaux des milices bourgeoises au XVIIIe siècle", op. cit., pp. 243-253.<br />

SAUTEL G., Une juridiction municipale de police <strong>sous</strong> l'Ancien Régime : le bureau de police d'Aix-en-Provence. Paris,<br />

1946, p. 47.<br />

88 A.D.H.-G., 101 B 315. Plainte de Claude Deschet, commissaire de la garde bourgeoise.<br />

89 A.M.T., BB 161, p. 168.<br />

90 A.D.H.-G., C 319. 9 juin 1773. Lettre de M. Raynal à l'intendant. Voir les correspondances conservées aux Archives<br />

départementales de l'Hérault [A.D.H.] dans la liasse C 6914. Le comte de Périgord parvint à ramener la paix<br />

entre les deux institutions. Dans la lettre qu'il écrivit aux capitouls, le 7 juillet 1773, il les informait qu'il regardait<br />

cette affaire comme terminée et les engageait à faire montre à l'avenir de plus d'égards envers les commis de la<br />

Ferme. Pour éviter que le problème ne se pose à nouveau, il suggérait aux magistrats municipaux de faire un reglement<br />

pour fixer ceux qui peuvent être exempts de porter du feu la nuit et en attendant que vous recommandiez aux patrouilles<br />

d'eviter le plus qu'il sera possible toute espece de dispute.<br />

91 A.D.H.-G., 101 B 313, n° 449. (?) mai 1773. Requête du procureur du roi ; cité par ABRAMI J. (cf. La vie urbaine à<br />

<strong>Toulouse</strong> à travers les procédures criminelles des capitouls, 1773-1774-1775. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M.,<br />

1991, p. 23).<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 92


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 93<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

ignorés, qu'ils n'y sont point connus ni recherchés (...). On peut même dire pour prouver ces verités (...) que<br />

dès qu'il est nuit, a moins d'etre plusieurs personnes ensembles de compagnie dans les rues, il n'est pas possible<br />

aux honnêtes gens et surtout aux femmes et aux filles de sortir de leur maison sans courir les risques<br />

d'etre insultées, poursuivies, attaquées, volées et maltraitées, surtout aux promenades publiques et sur le pavé<br />

même de leur porte. Tous les jours, de nuit, des attroupemens de libertins courent et rôdent dans toutes les<br />

rues et les endroits de ladite ville cassant, brisant les lanternes publiques, les fenêtres et les portes des citoyens,<br />

chantant des chansons infâmes, faisant des tapages et des vacarmes affreux pour troubler le repos public.<br />

S'ils rencontrent quelqu'un sur leur chemin, il est heureux pour lui de leur échapper sans etre poursuivi<br />

ou battu. Ces événemens arrivent tous les jours parce qu'ils demeurent impunis 92.<br />

La dernière époque de l'histoire de la main forte des capitouls est donc indissociable de cet arrière plan<br />

qui lui donne tout son sens.<br />

A — Les événements de la Pentecôte 1778 et leurs conséquences<br />

En 1778, l'autorité royale était décidée à mettre un terme à cette agitation toulousaine. La réorganisation<br />

de l'administration municipale, longtemps repoussée, était désormais à l'ordre du jour. A <strong>Toulouse</strong>, le<br />

grain commençait à manquer et l'inquiétude grandissait devant les rumeurs persistantes de la population.<br />

C'est dans ce contexte d'effervescence que se produisit, en juin, un événement décisif qui détermina l'avenir<br />

du guet et de la garde bourgeoise.<br />

Les événements de la Pentecôte 1778 ont laissé de nombreuses traces dans les archives de sorte qu'ils<br />

nous sont bien connus 93. La situation commença à se dégrader dans la soirée du 8 juin :<br />

Des garçons, et des manoeuvres (...) mandés le lundi 8 pour la patrouille, refuserent tout haut de marcher,<br />

n'en ayant pas la force, disoient-ils, Pijon capitoul 94, qui n'est pas d'une grande prudence, les menaça de faire<br />

feu sur eux (il a eu la maladresse de coucher cela dans son proces verbal), comme il s'en trouva un qui lui repliqua<br />

qu'il n'oseroit, il le fit arreter, on ne doit pas s'etonner de cette apostrophe au sieur Pijon, il semble fait<br />

pour cela, il en tant remués ; cependant la patrouille se forma, et comme elle partoit, quelques uns de ceux qui<br />

n'avoient pas voulu marcher, en attaquerent un detachement a la rue de la Porterie, pour l'obliger a suivre<br />

leur exemple, il y eut quelques coups de main donnés, un assaillant arreté, les autres dissipés, et la patrouille<br />

alla son train 95.<br />

Après ce tapage rapidement dissipé, les choses rentrèrent donc rapidement dans l'ordre, mais les esprits<br />

n'étaient pas pour autant apaisés. Le lendemain, le bruit courut dans la ville qu'il y avait <strong>sous</strong> differens quartiers,<br />

et surtout parmi les tanneurs, et les etudians des grandes dispositions, pour former la nuit suivante une grande<br />

revolte, et empecher la marche de la patrouille bourgeoise 96. Les capitouls s'alarmèrent et demandèrent au Parlement<br />

(qui s'exécuta) de publier un arrêt défendant tout attroupement <strong>sous</strong> peine de la vie 97. Le soir venu,<br />

"les patrouilles étant arrivées, à l'heure marquée, sur la place Royale pour prendre les armes, et se rendre<br />

aux postes désignés, et un monde infini de tout état se promenant sans craindre sur cette place pour pren-<br />

92 A.M.T., BB 250.<br />

93 Notamment grâce à la lettre qu'adressa, le 25 juin 1778, M. de Lagane, procureur du roi, à l'intendant : A.D.H.-<br />

G., C 316, 19 f os . Précisons que c'est dans cette liasse que se trouve l'essentiel des documents conservés à <strong>Toulouse</strong><br />

relatifs à cette question. Les troubles de juin 1778 ont été abordés dans les études de COMBREDET D. (cf.<br />

Aspects de l'insécurité à <strong>Toulouse</strong> à la fin du XVIIIe siècle. Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1989, pp. 88-100)<br />

et de BAUMGARTNER P. (cf. Les émeutes et les troubles collectifs de l'ordre public à <strong>Toulouse</strong>. 1750-1800. Mémoire<br />

de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1995, pp. 64-71) qui ignore le mémoire précité. Ces deux auteurs n'ont vu dans<br />

cette émeute qu'une révolte frumentaire, analyse à laquelle nous ne saurions <strong>sous</strong>crire. Pour les contemporains,<br />

il ne faisait guère de doute que la raison de cette émeute était à chercher dans le problème de la garde bourgeoise,<br />

ce qu'atteste l'auteur anonyme d'un Mémoire. A.D.H.-G., C 314. S.d. [juillet 1778] ; cf. f° 3.<br />

94 Jean, Arnaud, Honoré, Marie, Bernard Pijon [parfois orthographié : Pigeon], avocat en Parlement, seul imprimeur<br />

du roi dans la ville de <strong>Toulouse</strong>. Capitoul de 1775 à la fin du mois de juin 1778, chargé des réparations.<br />

95 A.D.H.-G., C 316. 25 juin 1778. Lettre de M. de Lagane à l'intendant ; cf. f os 6-7. L'on arrêta en fait deux individus :<br />

Jean Lafforgue, maçon âgé de 52 ans, et Louis Bigorre, artisan cordonnier âgé de 34 ans, lequel semble avoir été,<br />

selon Pierre Barthès, le meneur de cette fronde contre la garde bourgeoise.<br />

96 A.D.H.-G., C 316. 25 juin 1778. Lettre de M. de Lagane à l'intendant ; cf. f° 8.<br />

97 A.M.T., AA 31/209. 9 juin 1778. Arrêt du Parlement ordonnant de plus fort l'exécution des édits, déclarations et arrêts<br />

rendus au sujet des attroupements. D'après M. de Lagane, cet arrêt, trop fort et déplacé (...) fut une des principales causes<br />

de la catastrophe qui s'ensuivit (...).


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

dre le frais (...) et qui me parurent des curieux" 98. Tout bascula très vite. En fait de badauds, les capitouls eurent<br />

affaire à une foule très houleuse qui menaçait d'envahir l'Hôtel de ville (tous les témoins s'accordaient<br />

pour souligner l'importance de la population présente qu'ils évaluaient, selon les cas, entre 2 et 6.000 personnes).<br />

Après avoir tenté vainement de calmer les esprits, les magistrats municipaux firent sortir de la<br />

cour de l'Hôtel de ville la maréchaussée à cheval qui se plaça devant le <strong>Capitole</strong>. Aidée par la patrouille<br />

bourgeoise, elle fit reculer la foule <strong>sous</strong> les huées. L'excitation atteint alors son comble. Les pierres commencèrent<br />

à voler. On fit donner le guet pour repousser le peuple. Pour des raisons qui demeurent obscures,<br />

les soldats chargèrent la foule qui fut prise d'un mouvement de panique générale :<br />

"Lorsque sur le moment, la troupe effrénée des soldats du guet, ayant à leur tête leurs officiers, fondirent sur<br />

le peuple sans distinction ni retenue, bourrèrent tous ceux qui étaient sur la place, qui, pour être plus<br />

prompts à la fuite, perdirent quantité de chapeaux, de cannes, et de perruques en gagnant à grands pas les<br />

rues qui aboutissaient à la place. Ces rues se trouvèrent bientôt engorgées par la confusion ; pendant ce temps<br />

les fuyards sentirent malheureusement qu'on les chassait toujours, non à bourrades, comme au début, mais à<br />

coups de fusils chargés à balles qui tuèrent quantité de monde" 99.<br />

Le décompte des tués demeure incertain : selon les sources, les chiffres varient entre 2 et 7 ou 8, sans<br />

compter les blessés.<br />

La répression de l'émeute de juin traumatisa la population qui n'en avait jamais connu de semblable.<br />

Pierre Barthès n'eut pas de mots assez durs pour stigmatiser "cette affreuse boucherie, qui tenait du despotisme<br />

le plus marqué (...) dont les auteurs barbares et inhumains ne se contentaient pas de tirer sans cesse<br />

sur ceux qui fuyaient (...) mais encore sur les gens qui paraissaient aux fenêtres pour s'informer de cette<br />

rumeur". L'unanimité se fit pour rejeter la faute de cette répression sur les capitouls et la compagnie du<br />

guet. Personne n'entendait en rester là de crainte que pareil événement ne se reproduise. "On envoya à la<br />

Cour le détail tragique de cette fatale soirée qui a mis toute la ville en rumeur, et en mouvement toute la<br />

noblesse, qui a mandé au roi l'histoire étonnante de cette horrible scène". Il s'agit sans doute du mémoire<br />

manuscrit intitulé Le massacre de la Pentecôte ou le carnage et la mort triomphante dans <strong>Toulouse</strong>, que nous avons<br />

eu le bonheur de retrouver 100. Dans un style grandiloquent, l'auteur anonyme narrait d'une plume partiale<br />

le récit des événements. L'envoi du texte donne le ton de son contenu : Tuer, ravager, porter la desolation dans<br />

une ville, c'est y porter la paix suivant les capitouls en place. Sa conclusion en dit long sur l'état d'esprit qui animait<br />

la population :<br />

Jusques a quand Grand Dieu laisseré vous impuni le crime de ces capitouls sanguinaires! et toy terre rougie<br />

de tant de sang, freimis de n'avoir pas englouti ces monstres dans tes gouffres brulants.<br />

Et toy Grand Roy, toi que le peuple adore, toi par qui nos malheurs peuvent finir, jusques a quand laisseras<br />

tu ton autorité entre des mains parricides qui par la plus grande attrocité viennent de verser le sang d'un<br />

peuple innocent qui t'aime jusqu'a l'idolatrie! Etant justes tu ne souffriras pas nos malheurs. Tu es le sort de<br />

la France et le bras qui doit rompre nos fers. C'est par toy que nous esperons revivre et c'est toy seul que nous<br />

cherchons pour te demander justice de ces attentats. Ce peuple sanglant et couvert de blessures te sollicite de<br />

luy tendre une main secourable ; viens le venger par ta puissance!<br />

Et vous magistrats homicides que l'enfer en courroux fit naitre pour notre destruction et le malheur du genre<br />

humain! Monstres qu'une tigresse a porté dans ses flancs putrides de l'Affrique brulante ; puisse le juste Ciel<br />

vous ecraser de sa foudre, et vous priver a jamais de la sepulture. Puissent vos enfants s'elever contre vous<br />

avant votre mort et vous faire repentir de leur avoir donné le jour. Puisse la colere celeste verser dans vos os<br />

un feu lent qui les consume. Puissent tous les membres de vos corps tomber en pourriture et nager dans les<br />

flots de votre sang infecté. Puisse votre mort ramener la joye et devenir un jour de fête dans <strong>Toulouse</strong>, en exécration<br />

de vos noms.<br />

La répression de cette émeute et la faiblesse dont avaient fait montre les capitouls dans ces circonstances<br />

venaient à propos justifier et illustrer de façon éclatante le bien-fondé des mémoires qui n'avaient cessé de<br />

dénoncer les travers de l'administration capitulaire. L'événement fut donc amplement exploité par les partisans<br />

de la réorganisation de la municipalité qui obtinrent rapidement gain de cause. Il y a lieu de penser<br />

98 LAMOUZELE (E.), <strong>Toulouse</strong> au XVIIIe siècle ..., op. cit., p. 398. Relevons la mauvaise foi de Pierre Barthès qui<br />

donne sa version des faits, laquelle ne corrobore pas exactement celle de M. de Lagane.<br />

99 Ibid., p. 398 ; de même que pour les citations non référencées.<br />

100 A.N., H 1 748 291 , pièce n° 10, 11 f os . S.d. [1778]. Le texte est signé du nom de Cecini. Il s'agit très vraisemblable-<br />

ment d'un pseudonyme.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 94


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 95<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

que la répression de cette révolte et le tollé qu'elle souleva accélérèrent la décision de l'autorité royale de<br />

mettre un terme aux dissensions qui travaillaient <strong>Toulouse</strong>. L'arrêt du Conseil du roi du 26 juin 1778 concernant<br />

l'administration de la ville de <strong>Toulouse</strong> vint ainsi pacifier les esprits 101. De fait, il ne "s'agissait de<br />

rien moins que d'une réorganisation totale de l'administration toulousaine" 102.<br />

Cette réorganisation du capitoulat n'affecta cependant pas l'encadrement policier de la ville : le guet,<br />

dont les soldats ne furent pas inquiétés, fut maintenu de même que la garde bourgeoise. Ce statu quo ne satisfaisait<br />

personne, notamment les adversaires de la garde bourgeoise. Dans le même temps, il s'avéra très<br />

vite que l'application de l'arrêt de juin 1778 posait de nombreuses difficultés tant juridiques que pratiques<br />

qui freinaient la mise en place de la nouvelle administration. Les hostilités, un moment apaisées, ne tardèrent<br />

donc pas à reprendre de plus belles par voie de mémoires en tout genre. Plus que jamais le guet et la<br />

garde bourgeoise furent dans le collimateur des mémorialistes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser,<br />

ce n'était pas tant le guet que la garde bourgeoise qui était la cible réelle de ces auteurs qui cherchaient<br />

à obtenir sa suppression. Pour parvenir à cette fin, il ne suffisait pas aux adversaires de cette milice de<br />

peindre le fardeau qu'elle représentait pour ceux qui y étaient soumis et d'en démontrer la faible efficacité,<br />

donc l'inutilité. Encore fallait-il proposer une solution de substitution. Plusieurs projets (anonymes) fleurirent<br />

alors. Le premier identifié fut l'œuvre d'un citoyen zélé attaché par son etat d'y veiller et d'y contribuer de<br />

son mieux (au maintien de l'ordre public), pour remplir les fonctions qui luy sont ordonnées, pour sa partie, dans la<br />

ville de <strong>Toulouse</strong> 103. Il proposait d'établir à <strong>Toulouse</strong>, en lieux et places du guet et de la garde bourgeoise, une<br />

compagnie d'invalides dont il exposait quelle pourrait être l'organisation et qui serait rétribuée grâce à une<br />

taxe perçue équitablement sur la population. On avança aussi l'idée de l'établissement d'une lieutenance de<br />

police à <strong>Toulouse</strong> puis celle d'une garnison à demeure dans la ville 104. Ces solutions tendaient de fait à remettre<br />

en question la situation du guet, laquelle était pour le moins inconfortable depuis juin 1778. Bref, on<br />

ne visait la compagnie du guet que pour mieux toucher la garde bourgeoise.<br />

Le tir ne tarda pas à faire mouche. Plutôt que de se voir imposer une lieutenance de police ou une garnison,<br />

menaces qu'ils semblent avoir pris très au sérieux 105, les capitouls, déjà en position délicate et qui subissaient<br />

des pressions de plus en plus fortes de la part des adversaires de la garde bourgeoise et de leur<br />

administration en général 106, préférèrent transiger sur la base d'une réorganisation du guet.<br />

B — La création du nouveau guet et la suppression de la garde bourgeoise<br />

Dans la foulée de l'arrêt du Conseil du roi du 8 janvier 1780 qui modifiait notablement les dispositions<br />

de celui du 26 juin 1778 concernant l'organisation du capitoulat, l'affaire du guet fut rondement menée<br />

mais, ce faisant, avec le plus grand soin dont attestent les nombreux documents relatifs à cette question qui<br />

nous sont parvenus 107. Elle fut essentiellement l'oeuvre de messieurs Amelot, de Saint-Priest et du comte de<br />

Périgord. Observons que les deux représentants provinciaux de l'autorité royale développèrent à cet égard<br />

une totale collaboration qui explique la rapidité avec laquelle elle fut menée. Les capitouls, qui avaient manifesté<br />

leurs bonnes intentions en doublant le nombre des commis au fait de la police, furent tenus à l'écart.<br />

Soumettant le résultat de ces travaux à Necker, M. Amelot rendait compte de la nature du projet, de ses<br />

motivations et de la façon dont il avait été mené :<br />

101 A.M.T., AA 29/106. 26 juin 1778. Arrêt du Conseil du roi concernant l'administration de la ville de <strong>Toulouse</strong>.<br />

102 DUTIL L., "La réforme du capitoulat toulousain au XVIIIe siècle", op. cit., p. 328.<br />

103 A.D.H.-G., C 314. ANONYME, Memoire. S.d. [juillet 1778], f° 1.<br />

104 Respectivement : A.M.T., 1 I 2. S.d. Réponse a un mémoire qui réclamait l'etablissement d'un lieutenant de police et<br />

d'une garnison dans la ville de <strong>Toulouse</strong> ; et : A.N., H 1 1017, pièce 85. 21 juin 1780. Mémoire presenté a son excellence,<br />

Monseigneur de Necker, ministre d'Etat, Directeur general des finances, par la noblesse et la bourgeoisie de <strong>Toulouse</strong>.<br />

105 Comme l'atteste la Réponse a un mémoire qui réclamait l'etablissement d'un lieutenant de police et d'une garnison<br />

dans la ville de <strong>Toulouse</strong>, qu'un capitoul anonyme a cru devoir rédiger afin de parer à toute éventualité. A.M.T., 1 I<br />

2.<br />

106 A.D.H.-G., C 314. 31 mars 1780. Pétition adressée aux capitouls par les commandants de la patrouille bourgeoise (de-<br />

mandant sa suppression).<br />

107 L'essentiel de la documentation concernant la réorganisation de la compagnie du guet se trouve dans les deux<br />

liasses des A.D.H.-G. : C 314 et 315, aux A.D.H. en C 6914 et aux A.M.T. en 5 S 125. Précisons que nous n'entrerons<br />

pas dans le présent développement dans tous les détails, secondaires pour nous, donnés par ces archives<br />

sur cette réorganisation et que LAMOUZELE E. n'a pas épuisé.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

L'on se plaint (...) depuis longtems des desordres qui régnent dans la ville de <strong>Toulouse</strong> et de l'insuffisance du<br />

guet actuel pour les reprimer. L'on avoit tâché d'y suppléer depuis quelques années par une patrouille bourgeoise.<br />

Mais l'on n'a retiré presque aucun secours de cet établissement, il s'y est même glissé des abus qui<br />

l'ont rendû plus onéreux qu'avantageux aux habitans. Je me suis concerté avec M. le comte de Périgord et<br />

M. l'intendant sur le moyen de remédier au mal et de pourvoir a la sureté et a la tranquillité de la ville. Nous<br />

n'en avons point trouvé de plus convenable que de supprimer le guet actuel ainsi que le service de la patrouille,<br />

et d'y substituer un nouveau guet plus nombreux et mieux discipliné. M. le comte de Périgord s'en<br />

est occupé et vous trouverez ci-joint un projet d'ordonnance qu'il a dressé pour la formation de la nouvelle<br />

troupe. J'ai mis ce projet <strong>sous</strong> les yeux du Roi qui en a également approuvé les motifs et les dispositions (...) 108.<br />

Le projet de réforme du guet aboutit avec l'ordonnance royale du 28 juillet 1780 109. Le préambule synthétisait<br />

la teneur des onze articles de ce texte :<br />

"Sa Majesté étant informée que la compagnie du guet de <strong>Toulouse</strong> est insuffisante pour assurer le bon ordre<br />

et la tranquilité publique dans cette ville, a jugé digne de son attention d'y pourvoir en substituant au guet<br />

actuel un guet plus nombreux dont les fonctions fussent singulièrement affectées à la sûreté des citoyens de<br />

ladite ville, et de soulager par ce nouvel établissement les habitants sujets au guet et garde de tout service personnel,<br />

qui sera réservé pour les cas d'une nécessité absolue".<br />

L'ancien guet était donc révoqué à compter du 1er septembre de la même année (cf. art. I), la garde<br />

bourgeoise supprimée (cf. art. II). Le traitement de chaque homme selon son grade était reconsidéré, lequel<br />

était toujours à la charge de la ville. Pour bien marquer la différence entre <strong>l'ancien</strong> et le nouveau guet, on<br />

veilla à ce que ce dernier soit pourvu d'un nouvel uniforme "composé d'un habit de drap bleu, parements,<br />

revers et petit collet jaune foncé, doublure de serge ou cadis blanc, retroussis jaunes, veste et culotte de tricot<br />

blanc, chapeau bordé de laine noire, les boutons de l'habit, veste, culotte et chapeau seront de métal<br />

jaune timbré des armes de la ville (...)" (cf. art. VIII) 110. Ce détail vestimentaire est révélateur du souci que le<br />

nouveau guet ne rappelle en rien <strong>l'ancien</strong> 111. L'ordonnance fixait les modalités du recrutement de la nouvelle<br />

compagnie qui relevait désormais de la compétence du roi ou de l'intendant (cf. art. V), et redéfinissait<br />

sa composition et ses effectifs qui étaient (officiers et bas-officiers compris) notablement augmentés. De fait,<br />

les effectifs de la compagnie du guet doublèrent : de 76 individus en 1748, ils passèrent à 156 en 1780 (cf.<br />

tableau 1). Jamais la troupe du guet n'avait été aussi imposante. Mais, surtout, jamais le taux d'encadrement<br />

de la population toulousaine par la main forte des capitouls n'avait été aussi élevé. Le fait est d'autant<br />

plus remarquable reconsidéré à la lumière de l'évolution générale de la population toulousaine (cf. tableau<br />

2).<br />

Périodes Population toulou- Rapport : soldats du<br />

saine<br />

guet/habitants<br />

fin 43.000 hab. 1/ 693,5 hab.<br />

XVIIe siècle 46.000 hab. 1/ 741,9 hab.<br />

vers milieu 51.000 hab. 1/ 671 hab.<br />

XVIIIe siècle 53.000 hab. 1/ 697,3 hab.<br />

fin 60.000 hab. 1/ 384,6 hab.<br />

Ancien Régime 64.000 hab. 1/ 410,2 hab.<br />

Tableau 2. Evolution du taux d'encadrement de la population toulousaine par la troupe du guet112. 108 A.N., H 1 1014, pièce 40, f os 1-2. 8 juillet 1780. Lettre de M. Amelot à M. de Necker.<br />

109 A.M.T., AA 32/28. 28 juillet 1780. Ordonnance du roi portant réorganisation de la compagnie du guet de <strong>Toulouse</strong> ;<br />

publiée par LAMOUZELE E. (cf. Essai ..., op. cit., pp. 133-137).<br />

110 Sur l'uniforme de <strong>l'ancien</strong> guet : LAMOUZELE E., Essai ..., op. cit., pp. 36-37.<br />

111 Ce souci transparaît notamment dans une note intitulée : Observations sur le projet d'ordonnance pour l'établissement<br />

d'un nouveau guet à <strong>Toulouse</strong>. A.M.T., 5 S 125, pièce 10. S.d.<br />

112 Pour la population toulousaine, nous indiquons les estimations hautes et basses de l'importance de la population<br />

pour chaque période sur la base de notre relecture de l'évolution de cette population. LAFFONT J.-L., "Relecture<br />

critique de l'évolution de la population toulousaine <strong>sous</strong> l'Ancien Régime", Histoire, Economie, Sociétés, t.<br />

XVII, 1998, n° 3, pp. 455-478.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 96


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 97<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

L'ordonnance royale renvoyait à la promulgation d'un règlement ultérieur pour le détail du service et<br />

des attributions de ce nouveau guet (cf. art. XI). Ce fut chose faite dès le 26 août suivant 113. D'une façon générale,<br />

la mission de police assignée à ce nouveau guet ne différait guère de celle dévolue à <strong>l'ancien</strong>. Une<br />

attention particulière fut cependant portée dans ce règlement au rôle du guet en matière de surveillance<br />

des prisons (cf. art. IV) et de la salle de spectacle qu'on s'attacha à bien préciser. Ainsi, la garde de la Comédie<br />

devait-elle être composée de 20 hommes, "non compris le tambour, et toujours commandée par un officier,<br />

lequel fera exécuter les ordonnances et consignes des capitouls, concernant la police du spectacle. Afin<br />

d'éviter toute confusion dans le service, l'officier de garde sera seul personnellement chargé de l'exécution<br />

desdites ordonnances et consignes, et pourra, en conséquence, faire arrêter et conduire ceux qui y contreviendront<br />

au corps de garde de l'Hôtel de ville, où ils resteront jusqu'à la fin du spectacle pour être jugés,<br />

lorsqu'il y aura lieu, conformément aux dites ordonnances et consignes. Il fera donner main-forte et assistance<br />

aux receveurs et commis de l'entrepreneur et au portier de la Comédie, pour empêcher que qui que<br />

ce soit n'entre sans payer, excepté les privilégiés et autres maintenus en franchises, compris dans l'état des<br />

gratis, qui est entre les mains dudit entrepreneur ; voulons qu'un double dudit état soit envoyé au secrétaire<br />

d'Etat de la province, pour nous être rendu compte des motifs desdites franchises et exceptions" (cf.<br />

art. VIII).<br />

Observons que le service des postes de garde ne fut en rien modifié par ces textes. Il importe ici de relever<br />

que l'augmentation des effectifs de la troupe du guet ne s'accompagna pas d'une augmentation du<br />

nombre de postes de garde et donc d'une redistribution de ces derniers dans l'espace toulousain. Ainsi,<br />

contrairement à ce que l'on aurait pu croire, il n'y eut pas d'extension spatiale de l'ère de surveillance de la<br />

police (notamment dans les faubourgs). Tout au plus est-on fondé à penser que les patrouilles hors les<br />

murs de la cité furent plus nombreuses, sinon plus régulières. D'autre part, on relève que la réforme du<br />

guet ne fut pas prétexte, comme ce fut le cas à Bordeaux (en 1759) 114, à la création de compagnies du guet à<br />

cheval.<br />

On fit en sorte qu'aucune entrave ne vint perturber ou ralentir la mise en place du nouveau guet. Le<br />

comte de Périgord se montrait, en effet, soucieux de faire commencer le service de la nouvelle troupe aussitôt<br />

qu'elle sera portée a 75 hommes 115. Aussi donna-t-on droit à la requête présentée à l'intendant par les soldats<br />

de <strong>l'ancien</strong> guet qui réclamaient une indemnité pour leur licenciement qu'ils jugeaient injustement sévère à<br />

leur encontre, non sans raison. Le 8 septembre 1781, un arrêt du Conseil d'Etat fixa les pensions allouées<br />

aux officiers, bas officiers et soldats de <strong>l'ancien</strong> guet 116.Monsieur de Ginisty fut chargé de superviser l'installation<br />

du nouveau guet, en qualité de commissaire aux revues (du guet), ce qui ne fut pas du goût des<br />

capitouls que le subdélégué trouva au moment de son serment de fidélité fort élevé contre l'établissement de<br />

cette commission, malgré le serment auquel j'ai été admis 117.<br />

Les préparatifs de la mise en place de la nouvelle compagnie du guet survenaient alors que la nouvelle<br />

administration municipale était en proie à des déchirement internes qui furent encore avivés à cette occasion.<br />

Ainsi, les capitouls gentilshommes prétendaient-il prendre le pas sur les capitouls de robe longue lors<br />

de la cérémonie d'installation du guet, lesquels ne l'entendaient pas de cette oreille 118. Chacun des partis<br />

chercha à gagner à sa cause le comte de Périgord ; en vain. Soucieux de la bonne marche des affaires publiques<br />

et, surtout, de la prompte installation du nouveau guet, il invita fermement les capitouls à rétablir la<br />

concorde entre eux 119. Ce ne fut pas le cas, au contraire 120. C'est dans ce contexte tendu que, le 19 janvier<br />

courant, les capitouls dressaient le procès-verbal d'installation des officiers du guet et, le 22, le subdélégué<br />

113 A.M.T., AA 310. 26 août 1780. Réglement fait par le roi pour la compagnie du guet de la ville de <strong>Toulouse</strong> ; publié par<br />

LAMOUZELE E. (cf. Essai ..., op. cit., pp. 137-142).<br />

114 LAFON C., La police municipale à Bordeaux au XVIIIe siècle ..., op. cit., t. I, pp. 20-23 et pp. 51-52.<br />

115 A.D.H., C 6914. 7 août 1780. Lettre de M. de Périgord à M. de Saint-Priest.<br />

116 A.M.T., AA 33/3.<br />

117 A.D.H.-G., C 314. 17 janvier 1781. Lettre du subdélégué à l'intendant.<br />

118 A.M.T., 5 S 125. 24 janvier 1781. Lettre de M. de Périgord à M. Amelot.<br />

119 A.D.H., C 6914. 18 janvier 1781. Lettre de M. le comte de Périgord aux capitouls.<br />

120 Les capitouls gentilshommes n'étant pas parvenus à prendre le pas sur les capitouls de robe courte, le procureur<br />

général bouda la cérémonie d'installation du nouveau guet pour manifester sa solidarité avec les gentilshommes,<br />

ce que lui reprocha sèchement le comte de Périgord. A.D.H., C 6914. 23 janvier 1781. Lettre de M. le<br />

comte de Périgord à M. Le Comte, procureur général.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

celui de la formation de compagnie du nouveau guet 121. Les magistrats municipaux adressèrent leur procès-verbal<br />

au comte de Périgord en soulignant que l'affluance des citoyens qui sont venus a l'hotel de ville, des<br />

qu'ils ont été informés de l'installation du nouveau guet nous a annoncé que cette trouppe lui est tres agreable et on ne<br />

peut point se dissimuler qu'elle ne fasse tres bon effet <strong>sous</strong> les armes (...) 122.<br />

L'installation du nouveau guet signifiait l'extinction de fait du service de la garde bourgeoise, en vertu<br />

de l'article II de l'ordonnance royale du 28 juillet 1780 qui précisait cependant que "lorsque les capitouls se<br />

croiront forcés par quelques circonstances à y avoir recours" ils pourraient la convoquer mais seulement<br />

avec l'autorisation du commandant militaire. La garde bourgeoise fut effectivement supprimée peu de<br />

temps après que le nouveau guet ait pris ses fonctions. Elle ne fut convoquée qu'une seule fois, en juillet<br />

1789, dans le cadre de ce qui devait être la "seule journée révolutionnaire toulousaine (...) qui était aussi une<br />

classique émeute de subsistance" 123. Le 24 juillet, pour faire face à la menace d'émeute qui se précisait du fait<br />

de l'augmentation du prix du blé, dans une atmosphère de fermentation générale qui voyait toute la ville<br />

prendre la cocarde tricolore, les capitouls convoquèrent les corps de métiers. Il s'agissait de se concerter sur<br />

"les moyens à prendre pour arrêter les désordres que des gens sans aveu et mal intentionnés" risquaient de<br />

provoquer. En fait, il n'était question que du rétablissement de la garde bourgeoise. Le corps des cordonniers<br />

savetiers refusa catégoriquement d'y participer, "vu le besoin que chacun des membres a de travailler<br />

a sa subsistance". Dans les jours qui suivirent, la situation dégénéra. L'émeute éclata le 27. Un témoin rapporte<br />

que ce jour là les capitouls ordonnèrent<br />

"aux dizeniers ou commissaires de quartier de convoquer, chacun dans son district, tous les habitants, pour<br />

se rendre à l'Hôtel de ville et aviser aux moyens à prendre. Je fus nommé commissaire pour notre quartier ;<br />

nous fûmes priés de former un corps de garde, chacun dans notre quartier, ce qui fut exécuté. On fit, pendant<br />

la nuit, des patrouilles continuelles et il n'arriva rien. M. le chevalier de Cambon, maréchal de camp, fut élu<br />

commandant des troupes bourgeoises. Tout le monde sans distinction, depuis le premier président, jusqu'au<br />

dernier artisan, ont monté la garde et patrouillé" 124.<br />

Pour armer cette milice, tous les fusils que les armuriers avaient dans leurs magasins furent réquisitionnés.<br />

L'activité de la garde bourgeoise ne se relâcha pas. Le 29 juillet, "jour de marché, on prit les précautions<br />

convenables pour bien les approvisionner. Et, pour empêcher le pillage, les avenues furent gardées avec<br />

soin par les troupes bourgeoises".<br />

Devant l'adversité, les réflexes ancestraux de protection de la ville par ses habitants jouèrent donc pleinement<br />

une fois encore. Lorsque, le 3 août suivant, la "Grande peur" gagna <strong>Toulouse</strong>, l'on n'eut pas de mal<br />

à trouver une troupe de volontaires pour aller à la rencontre des brigands qui étaient supposés être à une<br />

heure et demie de la ville.<br />

C — Les dissensions entre les capitouls et le nouveau guet (1780-1790)<br />

Nouveau guet, nouvelle administration capitulaire ...il s'en faut cependant de beaucoup que ces deux<br />

nouveaux organismes se soient entendus. La dernière décennie de l'Ancien Régime, qui vit la disparition<br />

de l'un et de l'autre, fut marquée par une très nette dégradation des relations entre l'Hôtel de ville et sa<br />

main forte.<br />

Si les capitouls ne purent pas s'opposer à la création du nouveau guet, ils cherchèrent à influencer la réorganisation<br />

annoncée. Comme de bons élèves qui, redoutant une sanction prévisible, tentent de la prévenir<br />

en faisant assaut de bonne volonté, ils s'empressèrent de doubler les effectifs de leurs commis au fait de<br />

la police auxquels ils assignèrent de nouvelles missions. Ayant sans doute pu éprouver que ces gestes tangibles<br />

ne suffisaient pas, ils tentèrent d'intervenir dans les travaux préparatoires de l'organisation de cette<br />

compagnie. En vain. A la veille de l'installation de la nouvelle troupe (12 janvier 1781), ils adressèrent directement<br />

au roi un long mémoire en forme de Représentations au sujet de la réorganisation de la compagnie du<br />

guet 125. Reprenant les articles de l'ordonnance du 28 juillet et ceux du règlement du 26 août 1780, ils formulaient<br />

nombre d'observations sur l'organisation et les fonctions du nouveau guet, s'attachant à mettre en<br />

121 Respectivement : A.M.T., AA 32/30 et A.D.H.-G., C 314.<br />

122 A.M.T., EE 26. 20 janvier 1781. Lettre des capitouls au comte de Périgord.<br />

123 FOURNIER G., Journées révolutionnaires à <strong>Toulouse</strong>. Marseille, 1989, p. 16.<br />

124 PASQUIER F., Notes et réflexions d'un bourgeois de <strong>Toulouse</strong> au début de la Révolution d'après ses lettres intimes.<br />

<strong>Toulouse</strong>, 1917, p. 27. Les citations non référencées qui suivent renvoient à ce témoignage.<br />

125 A.M.T., EE 28.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 98


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 99<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

évidence les imprécisions (voire ce qu'ils tenaient pour des imperfections) des textes réglementaires et les<br />

difficultés d'application qu'ils pourraient soulever. La critique tatillonne qu'ils développaient tournait en<br />

fait essentiellement autour des inconvénients qui pourraient résulter du fait qu'ils n'avaient plus pouvoir et<br />

compétence pour recruter et révoquer les officiers du guet et, par voie de conséquence, les soldats et bas<br />

officiers. Les capitouls espéraient-ils sérieusement que ces représentations seraient prises en compte? Ne<br />

cherchèrent-ils pas plutôt, par une ultime manoeuvre, à retarder in extremis l'installation du nouveau guet?<br />

Quoiqu'il en soit, ce document établit que, dès avant son installation, le nouveau guet qui leur avait été imposé<br />

n'était pas accepté par le capitoulat et annonçait quelles allaient être les relations entre ces deux institutions.<br />

D'emblée, une totale incompatibilité d'humeur opposa le capitaine commandant du guet, le sieur Auger<br />

126, aux magistrats municipaux 127. Le comte de Périgord dut intervenir, cherchant à rétablir une certaine<br />

harmonie 128. Rien n'y fit. Ce que les capitouls semblaient avoir craint après 1748, ce qu'il avaient dénoncé<br />

dans leurs représentations du mois de janvier 1781, ne manqua pas, en effet, de se réaliser : ils ne maîtrisaient<br />

plus le guet. N'étant pas recrutés par les capitouls, hommes et officiers du guet ne se sentaient plus<br />

directement liés à l'Hôtel de ville (dont ils dépendaient pourtant pour leur traitement), malgré les prescriptions<br />

pourtant très claires de l'ordonnance du 28 juillet et du règlement du 26 août 1780. Les capitouls ne<br />

tardèrent pas à tirer les conséquences de cette situation par une mesure spectaculaire : d'auxiliaires de<br />

l'administration municipale, les dizeniers furent promus, en cette année 1781, commissaires de quartier,<br />

acquérant des pouvoirs et compétences comparables à celles des commis au fait de la police. Du même<br />

coup, les capitouls se dotaient d'une force de maintien de l'ordre capable de suppléer, voire de se substituer<br />

au guet... en théorie du moins. Le ton était donné.<br />

Dès son installation, le guet posa des problèmes aux autorités toulousaines. Très vite, en effet, une petite<br />

fermentation s'est élevée parmi la troupe 129, laquelle ne tarda pas à dégénérer. Le 31 janvier 1781, M. de Lagane,<br />

procureur du roi, dressé un procès-verbal contre le guet pour avoir refusé de se prêter à l'exécution d'un<br />

arrêt 130. Le 3 février, M. de Ginisty écrivait à l'intendant pour l'informer que la veille les soldats de la nouvelle<br />

troupe du guet avaient refusé d'escorter le bourreau pour procéder à une exécution capitale 131. Prétextant<br />

qu'on ne les avait pas informés de cet aspect de leur travail qui les répugnait au dernier degré, ils<br />

opposèrent une fin de non recevoir catégorique aux ordres réitérés qui leur furent donnés, forçant le Parlement<br />

à suspendre l'exécution. Dans le même temps, ils refusèrent d'assurer la surveillance des prisons et<br />

semblent même avoir refusé de faire les patrouilles nocturnes. Si le Parlement se montrait très préoccupé<br />

de la situation, les capitouls quant à eux, trop contents de voir l'instrument du pouvoir central manquer à<br />

ses devoirs, jetaient de l'huile sur le feu. Averti immédiatement de la situation, le comte de Périgord s'employa<br />

à ramener le calme. S'il condamnait fermement la désobéissance des soldats, il hésitait cependant à<br />

les blâmer s'il était vrai qu'on ne les avait pas informés de la teneur des règlements. Il prit le parti de faire<br />

montre de mansuétude et engagea son subdélégué et les capitouls à rappeler aux soldats quels étaient les<br />

devoirs de leurs fonctions 132. Ce faisant, il prit toutes les mesures pour faire assurer à la maréchaussée la<br />

garde des prisons 133. Cette attitude conciliante s'expliquait par la crainte d'une démission massive des soldats<br />

du nouveau guet. La menace était considérée très sérieusement, d'autant que l'on savait que quelques<br />

particuliers [des capitouls?] militaient en ce sens 134. On envisageait déjà, pour parer au plus pressé, le rétablissement<br />

de <strong>l'ancien</strong> guet, ou du moins de réintégrer nombre de soldats de cette troupe (on avançait le<br />

chiffre de 50 soldats) 135. Soucieux d'éviter cette solution à tout prix, le commandant militaire n'hésita pas à<br />

126 Le sieur Auger (ou Augé), chevalier de Saint Louis, avait été capitaine d'infanterie. A.M.T., 5 S 125. S.d. Etat<br />

des propositions aux employs d'officiers a nommer dans le nouveau guet.<br />

127 A.M.T., AA 32/37. 13 février 1781. Lettre de M. le comte de Périgord aux capitouls.<br />

128 A.M.T., AA 32/38. 10 mars 1781. Lettre de M. le comte de Périgord aux capitouls.<br />

129 Pour reprendre les termes de M. de Périgord dans sa lettre du 30 janvier 1781 à M. de Bélesta, capitoul, dans<br />

laquelle il lui demandait de le tenir informé de l'évolution de la situation. A.D.H., C 6914.<br />

130 D'après : A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

131 A.D.H.-G., C 315.<br />

132 Les deux lettres, datées du 5 février 1781, se trouvent aux A.D.H., C 6914.<br />

133A.D.H., C 6914. 5 février 1781. Lettre de M. le comte de Périgord à M. Martin, commandant de la maréchaussée.<br />

134 Ainsi que le comte de Périgord le disait à M. Amelot dans sa lettre du 12 février 1781. A.D.H., C 6914.<br />

135 A.D.H., C 6914. 7 février 1781. Lettre de M. le comte de Périgord à M. Amelot.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

dégarnir la lieutenance de la maréchaussée de <strong>Toulouse</strong> en faisant venir dans la capitale provinciale tous<br />

les cavaliers disponibles.<br />

A la mi-février, les choses semblèrent un temps rentrer dans l'ordre 136. Le subdélégué put alors rendre<br />

compte à l'intendant des motifs réels de la fronde. Le mécontentement des soldats n'était pas tant dicté par<br />

l'ignorance dans laquelle on les aurait tenus de leur service que par le comportement de leur commandant :<br />

J'ai apperçu beaucoup de mecontentement dans la troupe contre le capitaine commandant. Par ce que j'en ai<br />

vu moi-même, je n'ai pas de la peine a croire qu'il met de l'honneur dans l'exercice de sa place ; qu'il y emploi<br />

de la rudesse ; en un mot qu'il ne traite point ses soldats et les bas officiers avec une affabilité et une douceur<br />

propre a les retenir. C'est au point que je crois que le service des executions n'a eté jusqu'ici qu'un pretexte,<br />

et que le trouble auquel il a fallu remedier, n'est provenu en tres grande partie que de la cause que je viens de<br />

vous expose (...) 137.<br />

Et M. de Ginisty, avant de faire l'éloge de M. Auger, de préciser qui était très attaché au capitaine du<br />

guet auquel il avait tres souvent parlé sur cet objet, et sur l'interet qu'il avait de se concilier l'amitié et la confiance<br />

de tous ceux avec qui il etait obligé de correspondre. L'attitude du commandant du guet n'était donc pas<br />

exempte de tout reproche, ce que les capitouls ne se privèrent pas de faire valoir auprès du comte de Périgord<br />

138. Ces récriminations ne parvinrent cependant pas à entamer la confiance que le commandant militaire<br />

avait en M. Auger. Ce dernier, avec l'aide du subdélégué, s'employa efficacement à compléter au plus<br />

vite les effectifs de sa troupe, n'hésitant pas à embaucher quelques soldats de <strong>l'ancien</strong> guet, ce que déplora<br />

le commandant militaire 139. Ce faisant, ils prirent soin d'informer les nouvelles recrues de leurs devoirs. Les<br />

capitouls, quant à eux, affectaient de se désintéresser de la question. A la fin du mois, les tensions réapparurent.<br />

Le 30 février, tous les soldats sans exception ont menacé de quitter leurs habits et offert leur démission. C'est<br />

toujours la même cause, écrivait M. de Ginisty qui précisait que le fond du problème n'était toujours pas réglé<br />

140. Sans que l'on sache comment, le conflit s'acheva peu de temps après, mais l'alerte avait été chaude.<br />

Cette situation ne faisait pas l'affaire des capitouls qui s'employèrent à raviver le feu qui couvait. Dans<br />

le courant du mois d'août, ils firent imprimer de leur propre autorité, sans en aviser le commandant militaire,<br />

une Instruction particulière pour l'exécution des ordonnances et réglement concernant l'établissement du nouveau<br />

guet à <strong>Toulouse</strong> 141. Il s'agissait d'une note que leur avait adressé le comte de Périgord, le 6 janvier précédent,<br />

contenant des éclaircissements sur certains articles (soit les articles : II, V, VII, VIII et X) du règlement<br />

du 26 août 1780, dont il ressortait que les magistrats municipaux avaient toujours toute autorité sur leur<br />

main forte. A la suite de cette note, était publié une "Observation particulière pour Messieurs les capitouls,<br />

sur l'article II de l'ordonnance du 28 juillet 1780" qui portait sur la garde bourgeoise. Il y était précisé que les<br />

capitouls gardaient tout liberté de la convoquer en cas de nécessité, mais qu'ils ne pouvaient "ordonner ce<br />

service extraordinaire" qu'après "en avoir pris l'aveu de M. le Premier président du Parlement et de M. le<br />

procureur général du roi, ou de ceux qui en remplissent les fonctions en leur absence (...)". Il était, en outre,<br />

spécifié que "Sa Majesté n'a pas entendu non plus comprendre dans cet article, les compagnies bourgeoises<br />

qui se forment pour des fêtes ou réjouissances, mais seulement celles qui seront assemblées pour un service<br />

public" 142. Par cette publication, les capitouls entendaient donc réaffirmer leurs prérogatives et leur autorité<br />

sur le guet et la garde bourgeoise. Narguant publiquement et malicieusement le commandant militaire, ce<br />

geste ne pouvait qu'irriter le sieur Auger, premier visé. Dans un souci d'apaisement, la provocation ne fut<br />

pas relevée et les choses restèrent en l'état, un temps du moins.<br />

Pendant plus d'un an les passions s'apaisèrent et un modus vivendi s'instaura entre l'administration municipale<br />

et la troupe du guet. Mais le contentieux était trop lourd. Il ne tarda pas à resurgir. Le 11 décembre<br />

136 A.D.H.-G., C 315. 12 février 1781. Lettre de M. de Ginisty à l'intendant. Voir aussi : A.D.H., C 6914. 19 février<br />

1781. Lettre de M. le comte de Périgord à M. Amelot.<br />

137 A.D.H.-G., C 315. 12 février 1781. Lettre du subdélégué à l'intendant.<br />

138 A.D.H., C 6914. 13 février 1781. Lettre de M. le comte de Périgord aux capitouls.<br />

139 Voir les correspondances échangées par MM. de Ginisty et Auger avec le comte de Périgord. A.D.H., C 6914.<br />

140 A.D.H.-G., C 315. 31 février 1781. Lettre du subdélégué à l'intendant.<br />

141 A.M.T., AA 32/30. 6 janvier 1781. Instruction particulière pour l'exécution des ordonnances et réglement concernant<br />

l'établissement du nouveau guet à <strong>Toulouse</strong>. <strong>Toulouse</strong>, s.d. [1781], 6 p. Un autre exemplaire est conservé aux A.D.H.<br />

: C 6914, sur lequel le comte de Périgord nota que les capitouls avaient fait imprimer cette Instruction particulière<br />

sans son autorisation.<br />

142 Ibid., p. 6.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 100


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 101<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

1782, les capitouls écrivaient à l'intendant pour se plaindre du guet "qui ne rend pas des services en proportion<br />

de ce qu'il coûte", et l'informer "qu'il ne gagne pas dans l'opinion publique" 143. De fait, durant l'année<br />

écoulée, ils avaient eu à déplorer un cas d'abandon de poste de garde et une arrestation arbitraire 144. Les<br />

relations entre le capitoulat et le guet s'envenimèrent. Le 5 avril 1783, le comte de Bournazel qui désirait<br />

entrer dans le Consistoire s'en vit interdire l'accès par la sentinelle. Le comte chercha à la faire plier. Le<br />

planton lui répondit vertement : Je me fous de vous et des capitouls 145. Le lendemain, le capitoul Louis Sancené,<br />

accompagné de valets et de commis de police, faisant sa tournée de police lors des fêtes du Fenêtra, constata<br />

que le lieutenant du guet n'était pas avec ses hommes en faction au piquet de garde 146. L'ayant fait demander<br />

à plusieurs reprises en vain, c'est au hasard de la tournée qu'il effectuait qu'il eut la surprise de le<br />

rencontrer prés le pont des Minimes, sans hausse col, guettre ny giberne, qui promenoit tenant une badine a la main.<br />

Requis d'accompagner le capitoul et sa troupe, le lieutenant répondit<br />

qu'il n'y etoit pas tems, et que si nous voulions qu'il marchat avec nous, il faloit le faire inserer dans l'ordonnance<br />

du Roi, que n'y etant pas, il n'y etoit nullement obligé, qu'ils avoient un commandant duquel ils<br />

devoient recevoir les ordres et des capitouls gentilhommes auxquels seuls ils doivent repondre (...) que s'ils<br />

avoient crû etre obligés a ces corvées ils n'auroient pas accepté leurs places, qu'ils meritoient des distinctions<br />

et ne pouvoient faire rien de bas, n'etant point a l'instar des officiers de <strong>l'ancien</strong> guet, mais que lorsque<br />

dans une deliberation de MM. les capitouls nous lui aurions fait connoitre la consigne, il verroit ce<br />

qu'il auroit a faire (...).<br />

Vindicatif, le capitoul se plaignit au sieur Auger de l'attitude de son subordonné. L'officier prit fait et<br />

cause pour son lieutenant et n'en démordit pas, au grand dam du capitoul ulcéré.<br />

La mésentente entre les capitouls et le guet était de notoriété publique. Les magistrats municipaux ne<br />

cachaient pas leur défiance envers leur main forte et ne perdaient pas une occasion de le faire savoir. Ainsi,<br />

lorsqu'il s'agit, en 1784, de pourvoir à la surveillance de la promenade de l'Esplanade, les magistrats municipaux<br />

intervinrent auprès de l'intendant pour que cette dernière soit assurée par un garde (municipal) 147.<br />

Logé sur place et doté du pouvoir de dresser des procès-verbaux, ce dernier serait, de l'avis des capitouls,<br />

plus efficace qu'un poste de garde composé de cinq soldats. Non sans malice, les capitouls justifiaient leur<br />

proposition par le fait que pour surveiller la promenade et y faire des patrouilles ainsi qu'aux faubourgs St Michel<br />

et St Etienne qui y aboutissent et qui sont les repaires des malfaiteurs, (...) il ne falloit pas degarnir des corps de garde<br />

ou il sont plus necessaires, ce qui revenait à dire que le guet ne faisait pas son travail, ou du moins le faisait<br />

mal. Personne ne pouvait ignorer à quel point de délabrement en étaient les relations entre l'Hôtel de ville<br />

et la compagnie du guet 148.<br />

Un nouvel incident, survenu au soir du 15 septembre 1784, vint encore illustrer le bien fondé de cette<br />

remarque 149. Avertis qu'un incendie s'était déclaré à la première maison du faubourg Montaudran, les capitouls<br />

s'y rendirent à la hâte et demandèrent expressément au sieur Merville, sergent du guet qui etoit a la tete<br />

d'un piquet de soldats, de leur faire mettre bas les armes dont ils n'avoient pas besoin et de mettre la main a l'oeuvre<br />

jusqu'a ce qu'il fut arrivé suffisament de monde. Ce dernier refusa catégoriquement de s'exécuter malgré les<br />

143 Cité par LAMOUZELE E. : Essai ..., op. cit., p. 86 n. 2.<br />

144 D'après : A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

145 A.M.T., BB 138. 6 avril 1783. Procès-verbal.<br />

146 A.M.T., FF 556. 6 avril 1783. Procès-verbal contre le sieur Lagrange, lieutenant du guet, pour insubordination. Jean<br />

Louis Sancené, écuyer, conseiller du roi ; juge garde de la Monnaie. Capitoul de 1782 à 1785, chargé des réparations.<br />

147 A.D.H.-G., C 315. 24 mai 1784. Lettre des capitouls à l'intendant.<br />

148 Dans un Mémoire sur quelques abus et inconvéniens de la nouvelle administration municipale de la ville de <strong>Toulouse</strong>,<br />

daté du 10 juillet 1784, on peut lire, au chapitre consacré au guet : Bien que par l'article V de l'ordonnance du 26<br />

août 1780 portant reglement sur le service de la compagnie du Guet les capitouls soient reconnus pour être le chef né, cependant<br />

les officiers qui la commandent ne veulent prendre l'ordre que du plus ancien capitoul gentilhomme et ne se croïent<br />

obligés que de se conformer aux délibérations prises a l'hotel de ville par les capitouls en corps ; et il faut convenir que les<br />

articles II et V de ladite ordonnance favorisent ces pretentions ; ainsi un capitoul exercant la police et dans les cas les plus<br />

pressants tels que ceux d'incendie et de tumulte ne peut appeler la main forte et se voit reduit a etre spectateur oisif du desordre<br />

qu'il ne sauroit empecher. C'est un abus si evident qu'il sufit de le proposer (...). A.N., H 1 1014, pièce n° 10, f os 17-<br />

18.<br />

149 A.M.T., FF 556. 18 septembre 1784. Procès-verbal contre le nommé Merville, sergent du guet, pour sa désobéissance<br />

lors d'un incendie d'une maison au fauxbourg Montaudran.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

injonctions pressantes des magistrats municipaux, argumentant qu'il etoit là par ordre de son commandant et<br />

qu'il devoit obeir qu'a lui. Scandalisés, les capitouls brisèrent là la discussion pour ne pas donner lieu aux spectateurs<br />

de s'entretenir devant nous sur cet acte de desobeissance et travaillèrent à lutter contre les flammes. Le lendemain,<br />

ils dressèrent un procès-verbal dans lequel ils rappelèrent les termes de l'ordonnance du roi du 26<br />

août 1780 (cf. art. V) qui plaçait le guet <strong>sous</strong> leur autorité. Ils demandèrent au sergent si ses supérieurs lui<br />

avaient donné connaissance de cette disposition, ce qu'il nia avec aplomb. En conséquence, ils enjoignirent<br />

au commandant de faire connaître à sa troupe cette obligation.<br />

Cet incident ne fut pas le dernier. Au début de l'année 1785, le sieur Auger s'illustra à nouveau. A la mijanvier,<br />

il refusa d'accorder à l'huissier de l'Hôtel de ville l'escorte qu'il demandait pour faire appliquer un<br />

décret de prise de corps contre un boucher 150. Un mois plus tard, il refusa de prêter main forte aux capitouls<br />

pour l'arrestation d'un voleur. Cet acte d'indiscipline caractérisé venait alourdir un lourd contentieux. Résolus<br />

à ne plus subir de tels outrages, les magistrats municipaux ne laissèrent pas passer l'occasion de traduire<br />

le commandant du guet devant leur tribunal 151. La mesure ne fut pas pour impressionner les soldats<br />

du guet qui affectèrent d'agir à leur guise. Le 15 mars, ils arrêtèrent un comédien sans ordre des capitouls<br />

152. Cinq jours plus tard, alors qu'ils étaient sur le point de procéder à une interpellation au marché de<br />

la Pierre et qu'ils avaient demandé l'appui de la garde affectée à cette halle, les capitouls eurent le désagrément<br />

d'apprendre que cet appui ne pouvait leur être donné car plusieurs soldats avaient déserté leur poste<br />

pour aller assister à la répétition de la Comédie 153. Quelque jours plus tard (29 mars), la sentinelle du poste<br />

de garde de Saint-Etienne, non contente de quitter son piquet, trouva le moyen de se quereller avec un<br />

particulier en le menaçant, ce dont il se plaignit aux capitouls 154. Cette accumulation d'incidents inquiéta le<br />

Parlement. Le 22 avril, M. de Resseguier, avocat général, demanda aux capitouls un état des procèsverbaux<br />

qu'ils avaient dressé contre les hommes de la compagnie du guet. Piqués de cette ingérence, les<br />

magistrats municipaux s'exécutèrent, trouvant là un moyen de faire connaître leurs légitimes griefs contre<br />

le guet 155. On ignore les suites de cette affaire, mais il y a lieu de croire que le Parlement, de concert avec le<br />

commandant en chef, s'employa à apaiser les tensions entre l'Hôtel de ville et sa main forte. De fait, jusqu'en<br />

1787, aucun incident n'est à signaler. Cette année là, les soldats du guet refusèrent d'accompagner la<br />

chaîne des forçats à Bordeaux, prétextant que l'indemnité qu'ils percevaient à cet effet (soit un écu par jour)<br />

n'était pas suffisante. On assista alors à une véritable mutinerie. L'officier qui commandoit ayant voulû faire<br />

conduire en prison l'un des plus mutinés, celuy ci fut entouré par de ses camarades qui sortirent de leur rang en protestant<br />

qu'il ne subiroit point cette punition 156. Le comte de Périgord décida en conséquence qu'à l'avenir les<br />

soldats du guet n'escorteraient plus la chaîne, mais sans proposer de solution de remplacement. Monsieur<br />

Manen s'en inquiéta auprès de l'intendant en soulignant que seule la maréchaussée pourrait désormais assurer<br />

ce service, or les deux brigades de <strong>Toulouse</strong> étaient déjà notoirement insuffisantes pour le service<br />

journalier 157.<br />

On ne trouve pas trace de nouvel acte d'insubordination jusqu'à la Révolution. Un modus vivendi, fait de<br />

défiance et de mépris réciproque, semble s'être instauré entre le capitoulat et sa main forte pendant les dernières<br />

années de l'Ancien Régime. Les sources ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure ces<br />

relations exécrables se répercutèrent sur la qualité du service du nouveau guet. On ne prend cependant pas<br />

trop de risque en avançant que, dans de telles circonstances, l'efficacité du nouveau guet fut pas à la hauteur<br />

de ce que pouvait laisser escompter ses effectifs et la qualité de son encadrement.<br />

CONCLUSION<br />

Il se dégage de l'étude de la main forte des capitouls sur la longue durée un mouvement d'ensemble caractérisé<br />

par une double évolution, à la fois quantitative et qualitative, qui s'affirme tout au long du XVIIIe<br />

siècle pour aboutir, en 1780, avec la constitution d'un nouveau guet. L'augmentation, limitée et incertaine<br />

150 D'après : A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

151 A.D.H.-G., 101 B 358. 20 février 1785. Procédure contre le sieur Augé, capitaine du guet.<br />

152 D'après : A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

153 A.M.T., FF 556.<br />

154 D'après : A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

155 A.M.T., AA 32/81. 25 avril 1785. Délibération des capitouls.<br />

156 A.D.H.-G., C 315. 27 juin 1787. Lettre de M. Manen à l'intendant.<br />

157 A.D.H.-G., C 315. 20 juillet 1787. Lettre du subdélégué à l'intendant.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 102


Droit Ecrit n°1 – mars 2001 103<br />

Jean-Luc LAFFONT<br />

dans un premier temps, puis massive, des effectifs de la compagnie du guet fut l'aspect le plus visible de<br />

l'évolution de l'encadrement policier de la capitale languedocienne. Dans la continuité et le prolongement<br />

de la politique soutenue par les capitouls jusqu'en 1748, d'une part, de la réforme de 1748, d'autre part, elle<br />

déboucha sur la création du nouveau guet notablement renforcé en 1780. Jamais, en effet, la main forte des<br />

capitouls ne fut aussi nombreuse et aussi bien structurée.<br />

Ce faisant, <strong>Toulouse</strong> était au diapason de l'évolution des forces de police du siècle des Lumières. Par<br />

delà les motivations locales qui la déterminèrent, la création du nouveau guet semble bien avoir participé<br />

d'une évolution générale. En effet, les bribes d'informations dont on dispose sur les compagnies d'autres<br />

villes du royaume concordent sur le fait que, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, il y eut de nombreuses<br />

réformes des guets municipaux caractérisées par une augmentation des effectifs et une militarisation<br />

de leurs organisation et fonctionnement. Marseille apparaît comme la première ville de province touchée<br />

par le phénomène puisque, dès 1749, une troupe du guet y était créée (composée de quatre brigadiers<br />

et vingt gardes) 158. La cité phocéenne voyait ainsi l'organisation traditionnelle de sa police reposant sur les<br />

capitaines et lieutenants de quartiers commandant la garde bourgeoise doublée d'une force de police permanente<br />

et professionnelle. A Bordeaux, en 1759, le guet était réorganisé et agrémenté d'une compagnie à<br />

cheval (cas unique dans une ville de province connu à ce jour) 159. A Dijon, le commandant en chef de la<br />

province réforma le guet par une ordonnance du 29 septembre 1765 160. A Paris, le guet fut supprimé en<br />

étant absorbé par la garde de la ville en 1771 161. Le 1er novembre 1761, les consuls d'Auch décidaient<br />

d'augmenter les effectifs de leur guet ainsi que leurs rétributions (pour compenser cette nouvelle dépense,<br />

ils se proposaient de supprimer leurs valets de ville) afin de pouvoir supprimer leur milice bourgeoise 162.<br />

L'extinction des gardes bourgeoises semble bien être aussi à l'origine de la création de compagnies du guet<br />

dans certaines villes comme Nantes, en 1786 163. A la fin de l'Ancien Régime, plusieurs villes qui n'en avaient<br />

pas se dotèrent d'un guet à pied comme Angers, en 1773 164, Limoges, en 1776 165, ou Villefranche-de-<br />

Rouergue, en 1780 166. Le plus souvent, ce furent les représentants provinciaux de l'autorité royale (intendants<br />

ou commandants militaires) qui initièrent ces réformes lesquelles paraissent avoir rencontré l'assentiment<br />

des autorités municipales concernées qui les sollicitèrent parfois. Observons que si le mouvement fit<br />

tâche d'huile dans les dernières décennies de l'Ancien Régime, il ne fut pas toujours couronné de succès<br />

comme l'illustre le cas d'Angoulême. "En 1772, la municipalité organise un guet de 13 hommes, bientôt<br />

supprimé par manque d'argent. En 1779, le maire reconnaissant qu'il n'y a plus de sûreté dans la ville, surtout<br />

le soir, organise un nouveau guet de 18 hommes et fait installer des lanternes à certains carrefours ; le manque<br />

d'argent fait encore échouer l'entreprise en 1784" 167. Réformes ou créations de compagnie du guet dans<br />

les villes de province témoignent d'une volonté des pouvoirs publics de professionnaliser l'encadrement<br />

policier urbain comme c'était le cas avec la lieutenance de police, mais à défaut de lieutenance, on privilégia<br />

le modèle militaire qui était aussi celui de la maréchaussée qui incarnait la force publique dans les campagnes.<br />

C'est assurément là un trait majeur de la modernité de la police du XVIIIe siècle. Ce faisant, le déve-<br />

158 BOLLET C., La lieutenance générale de police à Marseille. Thèse de Droit, Faculté de Droit de Marseille, 1946. Aixen-Provence,<br />

1946, pp. 43-44.<br />

159 LAFON C., La police municipale à Bordeaux au XVIIIe siècle ..., op. cit., t. I, pp. 20-23 et pp. 51-52.<br />

160 GIROUX H., "Le guet et la sécurité des habitants à Dijon au XVIIIe siècle", op. cit., pp. 72-76.<br />

161 CHAGNIOT J., "Le guet et la garde de Paris à la fin de l'Ancien Régime", R.H.M.C., t. XX, 1973, n° 1, pp. 58-71<br />

; et, du même : Paris et l'armée au XVIIIe siècle ..., op. cit.<br />

162 BORDES M., "Les institutions municipales d'Auch au XVIIIe siècle", B.S.A.H.L.S. Gers, t. LXIV, 1963, n° 4, pp.<br />

459-483, cf. p. 470.<br />

163 DUPUY A., Etudes sur l'administration municipale en Bretagne au XVIIIe siècle. Municipalités, impôts, finances, travaux<br />

publics, police. Paris, Rennes, 1891, p. 87.<br />

164 MAILLARD J., Le pouvoir municipal à Angers, de 1657 à 1789. Angers, 1984, 2 vol., t. II, p. 89.<br />

165 Abbé LEGROS M., Continuation de l'abrégé des Annales du Limousin (années 1770 à 1790). Limoges, 1778 ; rééd.<br />

Limoges, 1995, p. 72. Pour plus de détails : DAUDET R., L'urbanisme à Limoges au XVIIIe siècle. Limoges, 1939,<br />

pp. 172-173.<br />

166 TESTORY M.-C., Organisation municipale et vie économique à Villefranche-de-Rouergue au dernier siècle de l'Ancien<br />

Régime (1675-1789). Mémoire de maîtrise d'Histoire, U.T.M., 1972, pp. 70-71.<br />

167 BONHOURS C.-A., "La vie quotidienne <strong>sous</strong> l'Ancien Régime", Histoire d'Angoulême et de ses alentours. Tou-<br />

louse, 1990, p. 171.


La municipalité toulousaine et sa "main forte" <strong>policière</strong> <strong>sous</strong> <strong>l'ancien</strong> <strong>régime</strong><br />

loppement des compagnies de guet peut se lire comme un marqueur de la progression d'une réelle aspiration<br />

sécuritaire dans les villes du royaume.<br />

A <strong>Toulouse</strong>, le recours à la garde bourgeoisie, notablement élargie, participait d'une réelle volonté de<br />

disposer d'une force de police capable de compléter, voire suppléer, le guet quand ses effectifs étaient encore<br />

jugés insuffisants. Les efforts pour assainir la troupe du guet en la dotant d'un personnel d'encadrement<br />

à la fois plus nombreux et plus hiérarchisé d'une part, et pour réglementer plus précisément ses fonctions<br />

et ses devoirs, d'autre part, traduisaient le souci des autorités de disposer de moyens de maintien de<br />

l'ordre plus performants. C'est ce même souci qui apparaît dans les velléités de mieux répartir le poids du<br />

service de la garde bourgeoise et de mieux la structurer. Sa suppression même peut être interprétée comme<br />

un progrès de l'encadrement policier de la ville confié à une seule troupe de professionnels du maintien de<br />

l'ordre triés sur le volet. Cette évolution ne remit fondamentalement en cause ni l'organisation, ni les fonctions<br />

de la compagnie du guet tant il est vrai que l'accroissement de ses effectifs ne fut pas prétexte à une<br />

redéfinition de ses missions ni même à une augmentation du nombre de postes de garde dont l'implantation<br />

resta identique à ce qu'elle avait toujours été. Par contre, elle affecta puis annihila les pouvoirs et compétences<br />

des capitouls en matière de nomination des personnels de leur main forte. En ce sens, la réorganisation<br />

du guet de 1780 constitua une rupture dans l'histoire de cette institution. Dans le même temps, cette<br />

évolution consacra la disparition de la garde bourgeoise dont le sort est apparu étroitement lié à celui de la<br />

compagnie du guet. Ainsi a-t-on pu constater que la réactivation, de même que l'extinction, de cette milice<br />

répondaient moins à des impératifs de police qu'à des manœuvres politiques du capitoulat visant à contrecarrer<br />

l'attitude des représentants provinciaux de l'autorité royale à l'égard du guet. Il n'en demeure pas<br />

moins que la suppression de la garde bourgeoise marqua le déclin de cet élément important de la conception<br />

de l'organisation de la police urbaine héritée de l'époque médiévale : la participation active de la population<br />

à la surveillance de la ville.<br />

Les ressorts <strong>sous</strong>-jacents de cette évolution de la main forte des capitouls qui ont pu être dégagés rendent<br />

compte d'enjeux qui dépassaient le cadre de la seule organisation de la police toulousaine. Il apparaît,<br />

en effet, qu'une sourde lutte de pouvoir entre le capitoulat et le pouvoir monarchique s'est déroulée autour<br />

du guet. Entre la réforme de 1748 et la réorganisation de 1780, des traits de permanence dans l'attitude des<br />

uns et des autres s'imposent à l'analyse. Ces deux réformes puisaient leur origine dans des révoltes populaires<br />

au cours desquelles la compagnie du guet n'avait pas été à la hauteur de sa tâche de maintien de l'ordre<br />

alors que les capitouls avaient fait montre d'une coupable incapacité à maîtriser les événements. Dans<br />

un cas comme dans l'autre, les réformes du guet apparaissaient comme autant de sanctions visant les capitouls<br />

atteints dans leur autorité et leurs privilèges. Le pouvoir central fit ainsi montre d'un certain opportunisme<br />

pour s'ingérer toujours plus avant dans les affaires intérieures de la cité : on a franchi en 1780 le<br />

pas que l'on n'avait sans doute pas osé faire en 1748 (en profitant de l'affaiblissement et des difficultés dans<br />

lesquelles se débattait le capitoulat). Sous la tutelle de fait des représentants de l'autorité royale, manifestant<br />

des velléités d'autonomie par rapport à l'autorité municipale, le nouveau guet peut apparaître comme<br />

l'aboutissement de la tentative de mainmise de l'autorité royale sur la police municipale dont l'origine remonte<br />

à l'échec de la création de la lieutenance de police. Dans un cas comme dans l'autre enfin, on relève<br />

la permanence de l'attitude des capitouls qui semble faire pièce à celle de la Monarchie. N'ayant pu faire<br />

autrement que de subir les ordonnances royales, ils adoptèrent une attitude de défiance à l'égard de leur<br />

main forte qui ne se démentit pas. Il n'est pas vain de souligner ici que ce trait de permanence transcende<br />

même la réorganisation du capitoulat. Ne contrôlant plus totalement la compagnie du guet, supervisée par<br />

l'intendant et le commandant militaire de la province, les capitouls cherchèrent d'autres solutions pour<br />

maintenir leur suprématie sur la ville par le biais d'autres personnels de police. Ce faisant, ils exprimaient<br />

une conception de l'administration municipale fondée sur les privilèges de la ville et l'attachement au caractère<br />

endogène de la police qui apparaît étonnamment vivace au regard de la décadence de l'autonomie<br />

municipale qui caractérise l'Ancien Régime.<br />

Droit Ecrit n°1 – mars 2001 104

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