Boudin - exhibitions international
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musée jacquemart-andré<br />
institut de france<br />
Eugène<br />
<strong>Boudin</strong><br />
Ouvrage publié à l’occasion de<br />
l’exposition au Musée Jacquemart-André,<br />
du 22 mars au 22 juillet 2013
Colophon<br />
Sommaire
Préface<br />
Bruno Monnier<br />
Président-directeur Général de culturespaces<br />
7 Préface
Avant-propos<br />
Jean-Pierre Babelon<br />
membre de l’institut, président de la fondation jacquemart-andré<br />
La carrière d’Eugène <strong>Boudin</strong> est une lumineuse illustration de l’influence du paysage sur la<br />
vocation d’un artiste. Toute la Normandie veille sur la naissance du grand peintre, né à Honfleur,<br />
mort à Deauville. Papetier encadreur au Havre, il fait tout naturellement la connaissance<br />
des peintres de passage, d’Isabey à Millet ; puis l’art flamand l’attire, il séjourne en<br />
Belgique et, après des activités de copiste au Louvre, il retourne au Havre, à Honfleur et<br />
donne des leçons de peinture au jeune Monet. Son premier envoi au Salon, en 1859, c’est Le<br />
Pardon de Sainte-Anne-la-Palud. À Honfleur, il s’essaye à des études de ciel, comme le dit<br />
Baudelaire « d’après ce qu’il y a de plus inconsistant et de plus insaisissable dans la forme<br />
et dans la couleur ».<br />
Ce précurseur des impressionnistes mène sa carrière en toute indépendance, mais les<br />
vapeurs de la côte normande ne sont pas les seules à l’inspirer, et ses voyages le mènent<br />
à Venise en 1895. L’exposition qui lui est consacrée ici succède à celle qui a été dédiée<br />
à Canaletto et à Guardi, où le passage de la vision lumineuse portée sur la cité des eaux<br />
évolue lentement de l’un à l’autre. <strong>Boudin</strong> en est bien conscient. Au sortir du Louvre, il notait<br />
brièvement ses impressions les plus fortes : « Habileté prodigieuse des Guardi. Légèreté<br />
de leur exécution. Esprit de la touche jusque dans les moindres détails… » et sur Joseph<br />
Vernet : « Les admirables figures si nettes et si justes avec leur caractère si bien étudié.<br />
Fermeté des fonds, des eaux… ».<br />
L’art ancien ne lui fournit pas seulement des exemples, il lui inspire les matériaux de<br />
sa technique : « Sujets à préparer. Grandes plages avec de nombreuses figures éparses /… /<br />
Le souvenir du Guardi avec un accent plus nature ». Et quand on lui reproche la silhouette<br />
des personnages qui arpentent le bord de l’eau, « le monsieur en paletot et la dame en<br />
waterproof », il sait répliquer : « Cette tentative n’est pourtant pas neuve, puisque les Italiens<br />
et les Flamands n’ont pas fait autre chose que de peindre les gens de leur temps, soit dans<br />
des intérieurs, soit dans leurs vastes architectures ».<br />
Cette référence aux maîtres anciens lui est bien familière. Il a fait de nombreuses copies<br />
dans sa jeunesse, et l’art de Watteau l’a profondément touché. Le thème de la conversation<br />
galante lui inspire une touche alerte et le goût des sujets heureux, et il est bien conscient<br />
de la sensibilité personnelle qui anime son œuvre. À la fin de sa vie, lorsque le galeriste<br />
Durand-Ruel lui propose d’organiser une exposition de ses œuvres, <strong>Boudin</strong> répond avec<br />
philosophie : « Il me semble que si ma réputation devait y gagner, ce serait d’en montrer très<br />
peu… et seulement des meilleurs ». C’est le parti que Laurent Manœuvre et Nicolas Sainte<br />
Fare Garnot ont souhaité prendre ici, dans les salons du couple Jacquemart-André, pour<br />
notre plus grand plaisir.<br />
9 Avant-propos
Mécène ??<br />
xxxx<br />
xxxxxxxxxx<br />
11 Mécène
Remerciement<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
12 13 Remrciements
Chronologie<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
14 15<br />
Honfleur, Les premières années
Biographie<br />
La vie de <strong>Boudin</strong> nous est connue de manière extrêmement détaillée,<br />
grâce à sa correspondance et à ses journaux intimes.<br />
Seules les principales étapes de sa carrière sont mentionnées ici.<br />
1824<br />
Naissance d’Eugène <strong>Boudin</strong><br />
à Honfleur, le 12 juillet.<br />
1835<br />
La famille <strong>Boudin</strong> s’installe au<br />
51 Grand Quai, au Havre. Eugène<br />
devient commis, puis papetier.<br />
1846<br />
<strong>Boudin</strong> décide de se consacrer<br />
à la peinture.<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
1851<br />
Le conseil municipal du Havre<br />
lui accorde une bourse afin qu’il<br />
aille étudier la peinture à Paris<br />
pendant trois ans.<br />
1854<br />
Il s’installe à la ferme Saint-<br />
Siméon, à Honfleur. Début des<br />
années de doute et de misère.<br />
1858<br />
<strong>Boudin</strong> convainc Monet, de<br />
seize ans son cadet, de venir<br />
travailler avec lui sur nature,<br />
aux environs du Havre.<br />
1859<br />
Il expose pour la première fois<br />
au Salon. Il rencontre Baudelaire<br />
au début de l’année, et Courbet<br />
en juin.<br />
1862<br />
Au cours de l’été, il peint<br />
ses premières scènes de<br />
plages. À l’automne, il fait la<br />
connaissance de Jongkind.<br />
1863<br />
Il épouse au Havre Marie-Anne<br />
Guédès. <strong>Boudin</strong> inaugure une<br />
organisation à laquelle il restera<br />
fidèle toute sa vie : il passe l’hiver<br />
à Paris et, aux beaux jours, il se<br />
rend sur le littoral (en Normandie<br />
d’abord).<br />
1869<br />
Il commence à recevoir des<br />
commandes de peintures<br />
de marines, ce qui l’amène<br />
à délaisser les scènes de plages.<br />
1870<br />
En décembre, il est appelé<br />
à Bruxelles par le marchand<br />
Gauchez.<br />
1871<br />
Il travaille à Bruxelles et Anvers ;<br />
désormais, il voyagera pour<br />
« varier ses produits ». Au cours<br />
des années suivantes, il se rendra<br />
en Bretagne, à Bordeaux, à Berck<br />
et aux Pays-Bas.<br />
1874<br />
Il présente 2 peintures, 6 pastels<br />
et 2 aquarelles à l’exposition de la<br />
« Société Anonyme Coopérative<br />
des Artistes Peintres, Sculpteurs,<br />
Graveurs, etc. » (couramment<br />
appelée exposition des<br />
Impressionnistes), chez Nadar,<br />
35 bd des Capucines à Paris.<br />
1875<br />
Début de la crise du marché de<br />
l’art, qui se poursuivra jusqu’au<br />
début des années 1880. <strong>Boudin</strong><br />
ne vend pratiquement plus. Par<br />
économie, il limite ses voyages à<br />
des séjours en Normandie.<br />
1881<br />
Durand-Ruel lui achète son stock.<br />
Il reçoit la médaille de 3 e classe<br />
pour son tableau exposé au Salon,<br />
La Meuse, à Rotterdam. Reprise<br />
des déplacements fréquents.<br />
1883<br />
Inauguration des nouveaux<br />
locaux de Durand-Ruel avec<br />
une importante exposition<br />
d’œuvres de <strong>Boudin</strong> ; les<br />
critiques favorables à l’avantgarde<br />
se montrent élogieux.<br />
Succès croissant et début de<br />
reconnaissance. Il reçoit la<br />
médaille de 2 e classe pour ses<br />
deux tableaux exposés au Salon,<br />
L’Entrée et La Sortie.<br />
1884<br />
L’État achète Marée basse, l’un<br />
des deux tableaux du Salon, et<br />
le dépose au musée de Saint-<br />
Lô. <strong>Boudin</strong> prend possession<br />
de la maison qu’il vient de se<br />
faire construire, rue Oliffe,<br />
à Deauville.<br />
1886<br />
L’État achète Un grain, l’un des<br />
deux tableaux du Salon, et le<br />
dépose au musée de Morlaix.<br />
1888<br />
L’État achète Une corvette Russe<br />
dans le bassin de l’Eure ; – Le<br />
Havre, l’un des deux tableaux<br />
exposés au Salon.<br />
1889<br />
Mort de Marie-Anne <strong>Boudin</strong> ;<br />
le peintre est désemparé. Invité<br />
par Antonin Proust à participer<br />
à l’exposition universelle, il<br />
recevra une médaille d’or.<br />
16 17 Biographie<br />
1890<br />
Il délaisse le Salon des artistes<br />
français, où il exposait chaque<br />
année depuis 1861, pour<br />
rejoindre la Société nationale<br />
des beaux-arts, dissidente.<br />
1892<br />
<strong>Boudin</strong> découvre la Côte d’Azur.<br />
Par décret rendu sur le rapport<br />
du ministre de l’Instruction<br />
publique, il est nommé chevalier<br />
de la Légion d’honneur.<br />
1895<br />
Il se rend à Venise en passant<br />
par Turin, Gênes et Florence.<br />
Il en reviendra par la Suisse,<br />
où il compte rester « trois ou<br />
quatre semaines ».<br />
1897<br />
Il expose pour la dernière fois au<br />
Salon de la Société nationale des<br />
beaux-arts. Périple en Bretagne.<br />
Il travaille également pour la<br />
dernière fois à Honfleur.<br />
1898<br />
Il passe le printemps dans le Midi.<br />
Très affaibli – il ne se sustente<br />
plus que de lait –, il parvient à se<br />
rendre à Deauville où il meurt le<br />
8 août. Il est inhumé le 12 août<br />
au cimetière Saint-Vincent de<br />
Montmartre.
Introductions
A2<br />
A2<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Argenteuil<br />
48 x 64,5 cm, huile sur toile<br />
Honfleur, musée <strong>Boudin</strong><br />
A1<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Copie d’après le Pèlerinage<br />
à l’île de Cythère de Watteau<br />
48 x 64,5 cm, huile sur toile<br />
Honfleur, musée <strong>Boudin</strong><br />
Propos général de l’exposition<br />
Laurent Manœuvre<br />
fonction ????<br />
Né à Honfleur, en 1824, <strong>Boudin</strong> meurt à<br />
Deauville, en 1898. L’année suivante, une exposition<br />
rétrospective de son œuvre est organisée<br />
à l’école des beaux-arts, à Paris. Parmi<br />
les membres du comité d’organisation figurent<br />
Monet, Fantin-Latour, Carolus-Duran,<br />
Blanche, Gervex, Helleu, Tissot, des collectionneurs,<br />
tels le docteur Abadie, Charles<br />
de Bériot, Georges Viau, Désiré Louveau,<br />
l’acteur Coquelin ou Georges Feydeau, ainsi<br />
que la plupart des critiques défenseurs de<br />
l’avant-garde picturale, notamment Arsène<br />
Alexandre, Gustave Geffroy, Roger Marx et<br />
Thiébault-Sisson.<br />
Depuis cette rétrospective, aucune<br />
exposition n’a été consacrée à la peinture<br />
d’Eugène <strong>Boudin</strong> par un musée parisien.<br />
L’absence d’exposition parisienne n’implique<br />
pas que <strong>Boudin</strong> ait été ignoré. Deux<br />
biographies très bien documentées lui ont<br />
été consacrées, celle de Gustave Cahen, publiée<br />
en 1900, puis celle de G. Jean-Aubry,<br />
publiée en 1922. Ces deux ouvrages restent<br />
fondamentaux pour qui s’intéresse à l’artiste,<br />
mais aussi aux mouvements artistiques<br />
dont il fut le contemporain. Dans les années<br />
1970, Robert Schmit a dressé le catalogue de<br />
l’œuvre peint de <strong>Boudin</strong> et Gilbert de Knyff<br />
a publié une nouvelle biographie, s’appuyant<br />
sur des sources jusqu’alors ignorées. Puis, au<br />
21<br />
cours des années 1990, le musée d’Honfleur<br />
a consacré au peintre deux expositions monographiques.<br />
Enfin, récemment, la publication<br />
systématique de la correspondance de<br />
<strong>Boudin</strong> avec son ami Ferdinand Martin vient<br />
d’être entreprise, également par le musée<br />
Eugène <strong>Boudin</strong>.<br />
Cette abondance de publications<br />
semblerait indiquer que tout a été dit sur<br />
ce « petit maître ». Dans ces conditions,<br />
devait-on lui consacrer une exposition ?<br />
D’autant que, depuis plus d’un siècle, <strong>Boudin</strong><br />
ne trouve pas grâce aux yeux des historiens<br />
A1<br />
Propos général de l’exposition
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
de l’impressionnisme. Signac, qui possèdera<br />
pourtant une peinture de <strong>Boudin</strong> (RS 3300),<br />
inaugure cette tradition. Dans son essai doctrinal,<br />
D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme<br />
(1898), il passe le nom de <strong>Boudin</strong><br />
sous silence. Mais cet ouvrage contient<br />
d’autres incohérences historiques. L’année<br />
suivante, Pissarro visite l’exposition rétrospective<br />
de l’école des beaux-arts. Il rapporte :<br />
« Nous avons en ce moment une exposition<br />
de <strong>Boudin</strong> mort dernièrement. C’est gentil,<br />
adroit, d’une jolie tenue dans les anciennes<br />
petites toiles, plus de gentillesse que de<br />
force » (à Lucien, 22 janvier 1899, Bailly-<br />
Herzberg 1991). La constatation de Pissarro<br />
relève de l’évidence. Peintre du ciel et de la<br />
mer, soucieux de traduire les subtilités atmosphériques,<br />
<strong>Boudin</strong> n’a jamais recherché<br />
la force. Pissarro n’a pas vu que <strong>Boudin</strong> s’inscrit<br />
dans une tradition de peinture héritée<br />
du xviii e siècle [A1], et que sa touche procède<br />
de l’écriture nerveuse de Guardi. Dans<br />
son histoire du mouvement impressionniste<br />
(1946), Rewald, qui fut le premier biographe<br />
de Pissarro, présente <strong>Boudin</strong> comme un<br />
« homme tout simple qui s‘était humblement<br />
consacré à la nature et à l‘art, connaissait<br />
parfaitement ses propres limites et n‘avait<br />
d‘autre ambition que de s‘exprimer en artisan<br />
consciencieux ». Cette appréciation réductrice<br />
trahit une méconnaissance de l’homme<br />
et de l‘artiste. La correspondance et les journaux<br />
de <strong>Boudin</strong> dévoilent une personnalité<br />
beaucoup plus complexe que l’apparente modestie<br />
de leur auteur ne le laisserait penser.<br />
Ces sources révèlent également une permanente<br />
insatisfaction, au plan artistique : « les<br />
progrès qu’on rêve, hélas, toute sa vie sans<br />
jamais les atteindre – ombre qui s’évade aussitôt<br />
qu’on veut la saisir !… Néanmoins c’est<br />
peut-être toute l’espérance du peintre de<br />
courir après cette chose fugitive qui lui fait<br />
recommencer constamment la même course<br />
sans jamais se décourager » (à van der Velde,<br />
17 novembre 1889). Récemment, Vincent<br />
Pomarède s’étonnait d’un « Claude Monet, fasciné<br />
jusqu’au pastiche par les marines répétitives<br />
d’Eugène <strong>Boudin</strong> » (Lyon 2002–2003).<br />
Monet écrira effectivement à son biographe<br />
Geffroy : « J’en étais arrivé à être fasciné par<br />
ses pochades, filles de ce que j’appelle l’instantanéité<br />
» (à Geffroy, Giverny, 8 mai 1920,<br />
Wildenstein 1985). Dans la même lettre, le<br />
maître de Giverny affirme : « je crois vous<br />
l’avoir déjà dit, je considère Eugène <strong>Boudin</strong><br />
comme mon maître […] J’ai dit et je le répète<br />
: je dois tout à <strong>Boudin</strong> et je lui suis reconnaissant<br />
de ma réussite. » (Ibidem). Peut-on<br />
honnêtement négliger une telle affirmation ?<br />
D’autant qu’elle est faite par un Monet parvenu<br />
à l’apogée de son art, et alors que <strong>Boudin</strong><br />
est mort depuis vingt-deux ans.<br />
On ne peut pas oublier non plus que<br />
les critiques d’avant-garde, Castagnary,<br />
Burty, Duranty, Zola, Hoschedé, Geffroy,<br />
Huysmans… ont tous défendu <strong>Boudin</strong>. En<br />
outre, la plupart des collections privées de<br />
la fin du xix e siècle et du début du xx e , où se<br />
trouvent d’importantes œuvres impressionnistes,<br />
recèlent également des peintures de<br />
<strong>Boudin</strong> (ventes Georges Feydeau, 11 février<br />
1901, 14 juin 1902 et 4 avril 1903 ; Charles de<br />
Bériot, 11 mars 1901 et 18 mai 1911 ; Arsène<br />
Alexandre, 18-19 mai 1903 ; Georges Viau, 4,<br />
21 et 22 mars 1907…). Durand-Ruel, connu<br />
comme le marchand des impressionnistes,<br />
fut aussi le principal marchand de <strong>Boudin</strong>.<br />
Enfin, Degas, amateur exigeant de dessin s’il<br />
en fut, avait acquis deux pastels à la vente<br />
après décès de <strong>Boudin</strong>. Tous ces gens extrêmement<br />
avisés auraient-ils accordé un intérêt<br />
indu à <strong>Boudin</strong> ?<br />
<strong>Boudin</strong> produisit beaucoup, souvent<br />
de manière inégale, et il ne fut pas le peintre<br />
A2<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
L’appareillage<br />
1885, 23,1 x 31 cm, crayon noir<br />
angers, mba<br />
d’une seule manière. Certaines œuvres atypiques<br />
verraient leur authenticité mise en<br />
doute si leur histoire n’était pas documentée<br />
depuis le moment où elles sortirent de l’atelier.<br />
Difficulté supplémentaire, <strong>Boudin</strong> a sans<br />
doute assez souvent retouché ultérieurement<br />
des peintures anciennes, sans en modifier la<br />
date. Une lettre au collectionneur van der<br />
Velde atteste cette pratique : « j’ai perlé votre<br />
petite vue de Rotterdam – sans en altérer le<br />
touche et le brio car cette petite peinture<br />
avait été faite avec verve en son temps… ».<br />
Cette lettre est écrite en 1888 et la peinture<br />
porte encore aujourd’hui la date de 1876<br />
(RS 555). Pour compliquer le tout, des faux<br />
ont commencé à circuler du vivant même de<br />
<strong>Boudin</strong>. Certains de ceux-ci s’avéraient assez<br />
convaincants pour tromper le plus ancien<br />
marchand du peintre : « il [Firmin Martin]<br />
venait d’acheter pour 300 Francs deux faux<br />
<strong>Boudin</strong> et il était vexé pour six cents francs<br />
d’avoir été refait et exploité de la sorte lui qui<br />
est mon introducteur premier dans le monde<br />
des amateurs… » (à Ferdinand Martin, 17 décembre<br />
1882).<br />
22 23<br />
A2<br />
Confronté à l’abondance et à la complexité<br />
de cette production, Robert Schmit<br />
n’a pas explicité l’analyse critique dans son<br />
catalogue de l’œuvre peint de l’artiste. Des<br />
zones d’ombre subsistent quant à la genèse<br />
de beaucoup de ces œuvres. Les sources<br />
existent, parfois en abondance, mais elles<br />
n’ont pas toujours été exploitées de manière<br />
systématique. La correspondance de l’artiste,<br />
judicieusement utilisée par ses biographes,<br />
recèle encore nombre d’informations<br />
inédites. Enfin, les dessins du fonds<br />
d’atelier, conservés au Louvre, n’ont pas fait<br />
l’objet d’un catalogue raisonné, alors qu’ils<br />
s’avèrent liés à la création des peintures.<br />
Le nom de <strong>Boudin</strong> est systématiquement<br />
associé à l’impressionnisme. Pourtant,<br />
comparée à celle de Monet ou de Sisley, sa<br />
peinture se révèle imparfaitement impressionniste.<br />
Et pour cause ! <strong>Boudin</strong> n’appartient<br />
pas à la génération impressionniste.<br />
Il est de cinq ans le cadet de Courbet et de<br />
seize ans l’aîné de Monet. Ses contemporains<br />
s’appellent Puvis de Chavannes, Gérôme,<br />
Bouguereau, Cabanel, Henner, Baudry…<br />
Propos général de l’exposition
A3 A4<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
C’est donc en regard de la production de ces<br />
artistes, mais aussi de la peinture de marines<br />
officielle, que son œuvre devrait être étudié<br />
si l’on voulait en mesurer la dimension novatrice.<br />
<strong>Boudin</strong> va lutter contre les effusions<br />
d’un romantisme à son apogée, et ce combat<br />
commence près de vingt ans avant la naissance<br />
de l’impressionnisme. Certes, <strong>Boudin</strong><br />
participe à la première exposition impressionniste,<br />
en 1874. Mais, comme le remarquait<br />
Daniel Wildenstein, c’est à la demande<br />
instante de Monet (Wildenstein 1974), et il<br />
se dissociera aussitôt du mouvement. Le 20<br />
mars 1882, il écrit : « Durand-Ruel est très<br />
occupé de ses impressionnistes dont l’exposition<br />
a lieu en ce moment » (à Ferdinand<br />
Martin). Lui continue d’exposer au Salon ;<br />
de son point de vue, « c’est l’arène où l’on<br />
combat sous les yeux d’un vrai public » (à<br />
Ferdinand Martin, 12 février 1865) [A2].<br />
Sa carrière s‘achève au moment où<br />
l‘impressionnisme commence à être reconnu.<br />
<strong>Boudin</strong> est un trait d’union entre deux<br />
générations. Depuis plusieurs années, le<br />
musée d’Honfleur s’est employé à le montrer<br />
au travers de diverses expositions. Les<br />
biographes de <strong>Boudin</strong> ont intentionnellement<br />
souligné ses relations avec les avantgardes<br />
: Corot, Daubigny [A3 + A4], Troyon,<br />
Courbet, Baudelaire, Jongkind, Monet, Zola.<br />
Mais la correspondance révèle des liens avec<br />
des personnalités plus modestes : Couveley,<br />
Hamelin, Berthoud, Gustave Mathieu, Ribot,<br />
Vollon, Amand Gautier, van Thoren ou<br />
Cazin. Outre leur fidèle amitié, ces artistes<br />
apportèrent à <strong>Boudin</strong> des exemples, des<br />
conseils ou un soutien, utiles au développement<br />
de son art.<br />
<strong>Boudin</strong> se voulait « indépendant, c’està-dire<br />
ne relevant pas des écoles consacrées…<br />
et sacrées… » (à Ricada, 31 juillet<br />
1888). Cet esprit d’indépendance ne l’incite<br />
pas pour autant à ignorer la peinture de<br />
ses confrères. Rarement peintre a été plus<br />
attentif à la création contemporaine. C’est<br />
pour lui une nécessité économique. À partir<br />
de 1870, la demande des marchands<br />
l’oriente vers la peinture de marines. L’offre,<br />
y compris <strong>international</strong>e, se développe très<br />
rapidement dans ce domaine. <strong>Boudin</strong> doit<br />
rester attentif à la production d’un nombre<br />
croissant de concurrents : Clays, Mesdag<br />
[A5], Lepic, Lansyer, puis Appian, Bellet du<br />
Poisat, Besnus, Berthélemy, Boggs, Courant,<br />
Flameng, Guillemet, Grimelund, Olive,<br />
Lapostolet, Lavillette, Le Sénéchal, Masure,<br />
Mols, Ravanne, Sauvaige, Vernier, Weber.<br />
Selon <strong>Boudin</strong>, cette inflation se trouve à<br />
l’origine des difficultés rencontrées par les<br />
artistes : « Cette crise est sans doute le résultat<br />
de la prostration commerciale mais<br />
plus encore peut-être le fait de l’encombrement<br />
général. On a gavé le bon public qui<br />
24 25<br />
aime tant la peinture. On lui en a donné<br />
tant, moi comme les autres, qu’il demande<br />
un moment de répit afin de digérer ce qu’il a<br />
absorbé. » (à Ferdinand Martin, 23 décembre<br />
75). Quoi qu’il en soit, <strong>Boudin</strong> est beaucoup<br />
trop nuancé pour faire preuve de sectarisme.<br />
Quelques semaines avant sa mort, il écrit au<br />
peintre Braquaval : « Du reste vous avez tort<br />
de croire qu’il y a deux sortes de peinture<br />
et que ça diffère d’une école à l’autre… Pour<br />
moi je me désintéresse de ces vétilles là qui<br />
me paraissent puériles. Le temps efface ces<br />
A3<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Le Foins<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur<br />
papier<br />
allen memorial art museum,<br />
Oberlin college, 87 north main<br />
street | Oberlin OH 44074<br />
Propos général de l’exposition<br />
A4<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Le Foins<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur<br />
papier<br />
allen memorial art museum,<br />
Oberlin college, 87 north main<br />
street | Oberlin OH 44074
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
A5<br />
distinctions et il ne reste que ce qui est de<br />
bon aloi » (à Braquaval, 24 avril 1898).<br />
<strong>Boudin</strong> fut un peintre de la variation,<br />
par goût, mais aussi par la force des choses.<br />
Les exigences des amateurs le maintiennent<br />
dans un périmètre restreint de sujets. On attend<br />
du peintre qu’il reste fidèle à un genre,<br />
tout en y apportant une certaine variété.<br />
En réponse à cette difficulté, <strong>Boudin</strong> met<br />
en œuvre le principe de la « série ». Certains<br />
collectionneurs ne mesurent pas la subtilité<br />
de l’approche de <strong>Boudin</strong>, qu’ils accusent de<br />
se plagier. Cette accusation n’est pas totalement<br />
injustifiée. <strong>Boudin</strong> reprend certaines<br />
compositions, à la demande de collectionneurs<br />
: « A mon retour j’avais croqué quelques<br />
sorties de ce port, j’ai eu idée d’y mettre du<br />
soleil au fond. Le tableau a plu à ce point que<br />
j’ai dû le recommencer dix fois toujours avec<br />
son trois mâts & son soleil… j’en ai une indigestion<br />
sérieuse » (à Ferdinand Martin, 17<br />
26 27<br />
Propos général de l’exposition<br />
A5<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Le Foins<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur<br />
papier<br />
allen memorial art museum,<br />
Oberlin college, 87 north main<br />
street | Oberlin OH 44074<br />
février 1882) [A6 + A7]. <strong>Boudin</strong> refusera de<br />
se plier au désir de Durand-Ruel : « Je sais<br />
que vous avez toujours eu la pensée de raréfier<br />
ou plutôt de restreindre ma production,<br />
et de faire ce que vous avez fait pour Monet<br />
et quelques autres, mais nos tempéraments<br />
sont bien différents. Ma production est trop
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
grande et d’ailleurs j’en ai trop semé dans<br />
le passé et sûrement de très médiocres. » (à<br />
Durand-Ruel, 29 septembre 1895, Venturi<br />
1939). Il ne veut pas augmenter ses prix, partant<br />
du principe que « l’amateur qui offre son<br />
billet de cents francs mérite déjà notre estime<br />
pour son offre si maigre qu’elle soit. » (à<br />
Ferdinand Martin, 20 octobre 1887). Il doit<br />
donc produire beaucoup pour avoir quelques<br />
revenus. Lui-même a des besoins modestes<br />
mais, après avoir fait vivre sa mère, il fera<br />
vivre ses deux frères et sa sœur, ainsi qu’une<br />
partie de sa belle-famille. Quelques jours<br />
après le décès de sa femme, il écrit : « c’est<br />
que je vais en avoir des pensions à faire !!<br />
Déjà la Bretagne réclame ! Il faut encore<br />
travailler… pour eux tous. » (à Ferdinand<br />
Martin, 28 mars 1889). Résultat : « Je me<br />
suis émietté dans un grand nombre de petits<br />
bouts de toiles ou de papier auxquels je<br />
me suis contenté de confier mes impressions<br />
très informes, j’en suis convaincu (à Ricada,<br />
A6<br />
16 février 1888). Conscient de ses faiblesses,<br />
<strong>Boudin</strong>, peu avant sa mort, écrivait à<br />
Durand-Ruel : « Il me semble que si ma réputation<br />
devait y gagner, ce serait d’en montrer<br />
très peu… et seulement des meilleurs. Car<br />
à la fin je pourrais lasser l’attention de mon<br />
public » (à Durand-Ruel, 29 septembre 1895,<br />
Venturi 1939).<br />
C’est le parti pris par la présente exposition.<br />
Les grandes étapes de la carrière<br />
de <strong>Boudin</strong> y sont évoquées au travers des<br />
différentes facettes de son œuvre : peintures<br />
libres, tableaux « finis » destinés à la vente,<br />
ambitieux tableaux de Salon, et dans leur<br />
chronologie la plus précise possible.<br />
Cette exposition ne prétend aucunement<br />
donner une réponse définitive aux différentes<br />
questions évoquées précédemment.<br />
Beaucoup reste encore à découvrir. Puisse<br />
cette exposition susciter un regain d’intérêt<br />
pour un artiste héritier d’une tradition<br />
de peinture française issue du xviii e siècle,<br />
A6<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Le Foins<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur<br />
papier<br />
allen memorial art museum,<br />
Oberlin college, 87 north main<br />
street | Oberlin OH 44074<br />
28 29<br />
A7<br />
et qui rend possible l’impressionnisme : « Si<br />
plusieurs de ceux que j’ai eu l’honneur d’introduire<br />
dans la voie, comme Claude Monet,<br />
sont emportés plus loin par leur tempérament<br />
personnel, ils ne m’en devront pas moins<br />
quelque reconnaissance, comme j’en ai dû,<br />
moi-même, à ceux qui m’ont conseillé et offert<br />
des modèles à suivre » (lettre d’Eugène<br />
<strong>Boudin</strong> publiée dans L’Art, compte rendu du<br />
Salon de 1887, t. XLIII, Cahen 1900).<br />
A7<br />
Eugène <strong>Boudin</strong><br />
Le Foins<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur<br />
papier<br />
allen memorial art museum,<br />
Oberlin college, 87 north main<br />
street | Oberlin OH 44074<br />
Propos général de l’exposition
A8<br />
ébauche de portrait<br />
Laurent Manœuvre<br />
fonction ????<br />
La physionomie de <strong>Boudin</strong> est connue grâce<br />
à quelques photographies et à des comptes<br />
rendus de témoins (Arsène Alexandre dans<br />
la préface de Cahen ; Eugène Tardieu, interview<br />
d’Eugène <strong>Boudin</strong> publiée dans L’Écho<br />
de Paris à l’automne 1895, Cahen 1900 ;<br />
L’Art dans les deux mondes, Cahen 1900 ;<br />
Claude Monet, « Mon histoire », recueillie par<br />
Thiébault-Sisson, Le Temps, 26 novembre<br />
1900). Son apparence est celle d’un « loup<br />
de mer » hâlé, la « face énergique », les yeux<br />
« vifs, purs, d’un bleu de faïence », la « voix<br />
douce » et « le parler très lent ».<br />
La personnalité de <strong>Boudin</strong> affleure<br />
sous la plume de ces témoins. L’un parle de<br />
« rides malicieuses », l’autre de « finesse ».<br />
À juste titre. <strong>Boudin</strong> compte parmi les très<br />
rares personnes à avoir deviné Degas : « C’est<br />
un esprit quinteux et qui ne dit jamais sa façon<br />
de penser… Il fait semblant de vider son<br />
sac, mais c’est un charmant farceur plein de<br />
controverses ». (à Braquaval, 15 octobre 1896,<br />
de Knyff 1976). Ses visiteurs remarquent<br />
A8<br />
Gustave Courbet<br />
Rivage près de Honfleur<br />
1856, 48 x 64,5 cm, huile sur papier<br />
Honfleur, musée <strong>Boudin</strong><br />
31<br />
également, chez cet homme âgé de plus de<br />
soixante ans, « une conviction ardente, un<br />
enthousiasme juvénile ». Très vite émerge<br />
ce qui fut l’une des grandes préoccupations<br />
de l’artiste : « Il mêle la compréhension nette<br />
des nécessités mercantiles à un entêtement<br />
imperturbable dans ses convictions artistiques<br />
». Toute la démarche de <strong>Boudin</strong> est<br />
sous-tendue par cette recherche d’équilibre<br />
entre deux exigences apparemment incompatibles.<br />
Son œuvre ne saurait être correctement<br />
appréhendé si l’on ignore cette réalité.<br />
Les visiteurs de <strong>Boudin</strong> se sont laissé<br />
duper par l’apparence « placide » de<br />
l’homme, sous laquelle ils croient déceler la<br />
« joie de vivre et de peindre ». Rien de plus<br />
faux. Journaux et correspondance révèlent<br />
un homme inquiet, porté à l’introspection.<br />
Sa propension au découragement – le mot<br />
revient souvent sous sa plume – le plonge<br />
régulièrement dans des périodes d’abattement.<br />
Cependant, quand il est en confiance,<br />
<strong>Boudin</strong> manie volontiers l’humour : « il est<br />
grand temps que nous allions au milieu<br />
des gens civilisés […] Ici nous sommes réduits<br />
à nous regarder tous deux comme ces<br />
chiens de faïence que les pécheux [sic] affectionnent<br />
si fort & qu’ils placent à chaque coin<br />
de leur cheminée. Nous nous faïençons en<br />
un mot… » (à Ferdinand Martin, Trouville, 9<br />
novembre 1879).<br />
Propos général de l’exposition