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Sous le Haut Patronage du Ministère de la Santé - SFAP

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ACTES <strong>SFAP</strong>.qxd 09/01/03 17:36 Page 9<br />

LE MALADE À LA FIN DE SA VIE : REGARDS CROISÉS<br />

Martine NECTOUX, Infirmière Clinicienne - EMSP CHU D'ARGENTEUIL<br />

II y a quelques semaines, un patient m'accueil<strong>la</strong>it dans sa chambre d'hôpital par ces mots : " lorsqu'on vous annonce que vous avez un cancer,<br />

que l'on ne va pas vous guérir, vous<br />

savez qu'il va falloir y al<strong>le</strong>r... mais vous ne savez pas quand ni comment ....<br />

Et ça, c'est <strong>du</strong>r…"<br />

Ces paro<strong>le</strong>s résonnent encore en moi et m'ont longtemps bloquée dans ma capacité à intervenir aujourd'hui pour apporter <strong>le</strong> regard d'une<br />

infirmière sur <strong>la</strong> personne en fin <strong>de</strong> vie.<br />

Que dire <strong>de</strong> lui, que dire sur lui, alors que <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, proche <strong>de</strong> sa mort, s'engage dans un univers inconnu, parfois terrifiant et toujours unique et<br />

mystérieux, nous <strong>la</strong>issant un jour sur <strong>le</strong> bord <strong>de</strong> sa route.<br />

Comment témoigner <strong>de</strong> cette preuve dont on ignore encore tant <strong>de</strong> choses ?<br />

Comment ne pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon ? Cet homme et tous ceux que nous côtoyons au quotidien d'oser par<strong>le</strong>r en <strong>le</strong>ur nom alors qu'ils <strong>de</strong>vraient,<br />

comme nous <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> comité scientifique <strong>de</strong> ce congrès, occuper une p<strong>la</strong>ce centra<strong>le</strong> et bien visib<strong>le</strong>.<br />

Ne sommes-nous pas déjà, en train d'alimenter une forme d'utopie en choisissant d'ouvrir ce congrès sur ce thème alors que <strong>le</strong> principal intéressé<br />

ne peut lui-même s'exprimer ?<br />

Néanmoins, nous avons tous accepté <strong>de</strong> participer à cet échange entre bien portants, si je puis me permettre, accompagnés pour chacun d'entre<br />

nous <strong>de</strong> nos convictions, <strong>de</strong> nos va<strong>le</strong>urs, riches d'un savoir professionnel, nourri <strong>de</strong> compétences soit disant complémentaires.<br />

En effet, c'est bien en croisant mon regard avec celui <strong>du</strong> mé<strong>de</strong>cin, <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychologue, <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> soignante, <strong>du</strong> kinésithérapeute ou bien encore <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> bénévo<strong>le</strong> que je peux me reconnaître comme un <strong>de</strong>s maillons <strong>de</strong> cette chaîne <strong>de</strong> soins et apprendre tous <strong>le</strong>s jours à pouvoir soutenir <strong>le</strong> regard<br />

<strong>de</strong> celui qui va mourir.<br />

Mais pouvons-nous prétendre aujourd'hui, transmettre p<strong>le</strong>inement au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluridisciplinarité d'une équipe, ce que <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> nous montre à<br />

voir ?<br />

Ce travail en équipe, ce partenariat est à <strong>la</strong> fois une richesse incontestab<strong>le</strong> et une nécessité absolue. Mais l'énergie que nous investissons pour oeuvrer ensemb<strong>le</strong> au<br />

service <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>de</strong> ses proches ne nous éloigne-t-el<strong>le</strong> pas parfois <strong>de</strong> <strong>la</strong> préoccupation majeure <strong>de</strong> celui que l'on soigne ?<br />

Nos va<strong>le</strong>urs professionnel<strong>le</strong>s, nos concepts <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort peuvent avoir une base commune mais sont aussi révé<strong>la</strong>teurs <strong>de</strong> notre<br />

rô<strong>le</strong>, <strong>de</strong> notre statut au sein <strong>de</strong> l'équipe.<br />

Nous sommes donc sollicités dans notre subjectivité personnel<strong>le</strong>. Nous allons <strong>de</strong> ce fait interpréter <strong>le</strong> message <strong>du</strong> patient selon notre champ <strong>de</strong><br />

compétences, notre cadre <strong>de</strong> référence et notre autonomie d'action afin <strong>de</strong> lui donner un sens et adopter un comportement adéquat.<br />

Autant <strong>de</strong> regards croisés sur <strong>le</strong> patient, me direz-vous, qui sont censés enrichir <strong>la</strong> connaissance et <strong>la</strong> compréhension que nous avons <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong><br />

ce qu'il vit, <strong>de</strong> ce qu'il attend <strong>de</strong> nous.<br />

Mais tous ces regards croisés ne risquent-ils pas <strong>de</strong> détourner notre attention <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> en nous berçant d'une douée illusion <strong>de</strong> maîtriser <strong>la</strong><br />

situation ?<br />

La pluridisciplinarité pourrait-el<strong>le</strong> ainsi être au détriment <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ? Il nous faut en effet reconnaître qu'il est parfois diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r<br />

ensemb<strong>le</strong> et avec <strong>le</strong> poids <strong>du</strong> regard <strong>de</strong> l'autre sur nos gestes, nos actes et notre comportement quotidien.<br />

Quel regard en effet, porte <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin sur cette infirmière qui à ses yeux prend trop <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce ?<br />

Quel<strong>le</strong> inci<strong>de</strong>nce peut avoir <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> l'infirmière sur un mé<strong>de</strong>cin qui reste à son goût trop centré sur <strong>le</strong> symptôme ?<br />

Quel regard <strong>la</strong> psychologue peut avoir sur l'infirmière qui a acquis <strong>de</strong>s compétences re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong>s certaines ?<br />

Quel regard, entre autre, est posé sur ce kinésithérapeute qui fait tant <strong>de</strong> bien à travers ses massages tout en douceur ?<br />

Quel regard, par ail<strong>le</strong>urs, est offert à l'ai<strong>de</strong> soignante qui s'ingénue pourtant à trouver <strong>de</strong>s réponses au confort <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> en déployant ce que l'on<br />

nomme, <strong>de</strong>s petits moyens ?<br />

Nos regards croisés <strong>de</strong>vraient tra<strong>du</strong>ire ce que vit <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> mais ils analysent aussi, sans cesse, <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> l'autre dans l'équipe, nous éloignant<br />

parfois <strong>de</strong> <strong>la</strong> préoccupation majeure <strong>du</strong> patient : sa mort à venir...<br />

Ce constat fait partie <strong>de</strong> notre réalité professionnel<strong>le</strong> et ne se veut en aucun cas accusateur, bien au contraire. Il est en effet <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />

repérer <strong>le</strong>s limites humaines que sont <strong>le</strong>s nôtres et nous protéger ainsi d'une image idyllique <strong>du</strong> soin palliatif.<br />

En effet, nous savons bien qu'à vouloir atteindre l'inaccessib<strong>le</strong> étoi<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'idéal <strong>du</strong> soin palliatif, on peut se brû<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s ai<strong>le</strong>s, emportés par <strong>le</strong><br />

tourbillon <strong>de</strong> nos va<strong>le</strong>urs pour ne plus entendre <strong>le</strong> patient, et trop naïfs pour croire en une équipe sans conflits, travail<strong>la</strong>nt dans une tota<strong>le</strong><br />

harmonie… !<br />

Que faisons-nous néanmoins <strong>de</strong> tous ces regards croisés ? Osons-nous <strong>le</strong>s nommer ?<br />

Pouvons-nous sentir suffisamment <strong>de</strong> confiance dans l'équipe pour réussir à <strong>le</strong>s abor<strong>de</strong>r ?<br />

N'y a-t-il pas dans ce partage authentique <strong>de</strong>s regards, <strong>la</strong> seu<strong>le</strong> et unique manière <strong>de</strong> nous REUNIR autour <strong>de</strong>s soins offerts au ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ?<br />

Nos divergences <strong>de</strong> perception <strong>de</strong>viennent dans ce cas extrêmement bénéfiques pour <strong>le</strong> patient si nous recentrons <strong>le</strong> débat sur lui et avec lui.<br />

Est-ce donc alors si utopique <strong>de</strong> croire en cette dynamique professionnel<strong>le</strong> où <strong>la</strong> volonté indivi<strong>du</strong>el<strong>le</strong> et col<strong>le</strong>ctive permet d'affiner nos réponses<br />

aux besoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne soignée ?<br />

Libérés ainsi <strong>du</strong> poids <strong>du</strong> regard <strong>de</strong>s autres, nous pouvons nous ouvrir et recevoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> tout ce qu'il y a <strong>de</strong> plus inatten<strong>du</strong>.<br />

La force d'une équipe ne repose-t-el<strong>le</strong> pas sur notre capacité à nous <strong>la</strong>isser surprendre par cet être en souffrance ? Et cet homme, cette femme qui<br />

souvent disent s'en remettre entre nos mains, trouvent-ils suffisamment <strong>de</strong> confiance et <strong>de</strong> respect dans notre regard pour se sentir exister jusqu'au<br />

bout ?<br />

Si l'engagement et <strong>la</strong> reconnaissance <strong>de</strong> chaque membre <strong>de</strong> l'équipe ne se fait pas au détriment <strong>de</strong>s autres, cette synergie <strong>de</strong> regards peut rep<strong>la</strong>cer<br />

alors <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> manière centra<strong>le</strong> et enrichit considérab<strong>le</strong>ment, par <strong>de</strong>s interactions harmonieuses, <strong>le</strong> contrat <strong>de</strong> soins qui nous lie à lui.<br />

En débutant cette intervention, je vous disais combien il me semb<strong>la</strong>it délicat <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> au nom <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et en quoi ce<strong>la</strong> m'avait<br />

longtemps bloquée.<br />

Aujourd'hui et après <strong>de</strong> longues journées d'interrogations et <strong>de</strong> vi<strong>de</strong> total, je pense avoir compris d'où venaient mes réticences.<br />

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