Sous le Haut Patronage du Ministère de la Santé - SFAP

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ACTES SFAP.qxd 09/01/03 17:36 Page 8 QU'EST-CE QUE L'AUTONOMIE ? QU'EST-CE QUE LA DIGNITE ? Jacques RICOT - Philosophe, Nantes Une dissymétrie originaire structure la relation entre soignant et soigné : le premier accueille et s'efforce de soulager la plainte et la souffrance exprimée par le second. Le soignant prend souci du soigné, non l'inverse : celui-ci s'expose dans sa faiblesse et donc fait preuve d'une certaine passivité, celui-là apporte sa compétence et s'efforce d'agir au mieux des intérêts de quiconque se confie à lui. On reconnaît ici le schéma ancestral de la relation médicale, schéma qualifié de " paternaliste " et qui souligne la dissymétrie inévitable du rapport entre ledecin et son patient : à la confiance du malade répond la conscience du praticien. Or la rencontre humaine entre le soignant et le soigné laisse désormais la place à une meilleure prise en compte de la parole du sujet. S'invente sous nos yeux une nouvelle modalité du pacte de confiance : la faiblesse de l'un ne le livre pas à la seule toute-puissance de l'autre, le soignant ne doit pas substituer sa volonté à celle du soigné, sa compétence et sa bienveillance rencontrent ici une limite, celle de l'autonomie du soigné désireux de maîtriser son destin et de définir les critères de sa propre dignité. Ce nouveau schéma qui s'installe irréversiblement et recherche encore son point d'équilibre, complique singulièrement la relation soignant-soigné, guettée maintenant par une perversion inverse de celle contre laquelle on s'insurge : désormais le soignant pourrait devenir l'instrument passif d'une volonté toute-puissante, celle du malade, qui viendrait le transformer en prestataire de services. Ce n'est certes pas ce que l'expérience quotidienne des soins palliatifs indique, mais le discours social devient perméable à l'idée d'une maîtrise de soi qui passerait par la maîtrise de la mort et à l'instrumentalisation du soignant, réduisant le pacte de confiance à néant. Il me semble possible d'abandonner le " paternalisme " médical sans réduire le soin à une prestation, condamnant le soignant à n'être qu'un exécutant. Mais cela requiert certainement une reprise philosophique des mots employés. Deux d'entre eux me paraissent frappés d'une lourde ambivalence : l'autonomie et la dignité. Or je crois qu'en les restaurant dans leur rigueur native, on évite le ruineux face à face du principe de bienveillance et du principe d'autonomie. En effet, ceux-ci loin de s'opposer, s'articulent si l'on se souvient que l'autonomie n'est pas la libre disposition de soi, mais le fait de se donner une loi qui soit universalisable, et que la dignité n'est pas une convenance personnelle, mais le principe constitutif de l'humanité de chacun. Ainsi la rencontre humaine, dont la relation médicale est une modalité, redevient possible, le pacte de confiance peut, à nouveau s'installer. Car l'autonomie ainsi définie n'est plus l'indépendance autarcique, mais le moyen de tisser une relation entre individus authentiquement libres, et la dignité, soustraite à l'appréciation subjective, devient l'englobant par où se reconnaissent soignants et soignés en leur commune humanité. 14

ACTES SFAP.qxd 09/01/03 17:36 Page 9 LE MALADE À LA FIN DE SA VIE : REGARDS CROISÉS Martine NECTOUX, Infirmière Clinicienne - EMSP CHU D'ARGENTEUIL II y a quelques semaines, un patient m'accueillait dans sa chambre d'hôpital par ces mots : " lorsqu'on vous annonce que vous avez un cancer, que l'on ne va pas vous guérir, vous savez qu'il va falloir y aller... mais vous ne savez pas quand ni comment .... Et ça, c'est dur…" Ces paroles résonnent encore en moi et m'ont longtemps bloquée dans ma capacité à intervenir aujourd'hui pour apporter le regard d'une infirmière sur la personne en fin de vie. Que dire de lui, que dire sur lui, alors que le malade, proche de sa mort, s'engage dans un univers inconnu, parfois terrifiant et toujours unique et mystérieux, nous laissant un jour sur le bord de sa route. Comment témoigner de cette preuve dont on ignore encore tant de choses ? Comment ne pas demander pardon ? Cet homme et tous ceux que nous côtoyons au quotidien d'oser parler en leur nom alors qu'ils devraient, comme nous le rappelle le comité scientifique de ce congrès, occuper une place centrale et bien visible. Ne sommes-nous pas déjà, en train d'alimenter une forme d'utopie en choisissant d'ouvrir ce congrès sur ce thème alors que le principal intéressé ne peut lui-même s'exprimer ? Néanmoins, nous avons tous accepté de participer à cet échange entre bien portants, si je puis me permettre, accompagnés pour chacun d'entre nous de nos convictions, de nos valeurs, riches d'un savoir professionnel, nourri de compétences soit disant complémentaires. En effet, c'est bien en croisant mon regard avec celui dudecin, de la psychologue, de l'aide soignante, du kinésithérapeute ou bien encore de la bénévole que je peux me reconnaître comme un des maillons de cette chaîne de soins et apprendre tous les jours à pouvoir soutenir le regard de celui qui va mourir. Mais pouvons-nous prétendre aujourd'hui, transmettre pleinement au nom de la pluridisciplinarité d'une équipe, ce que le malade nous montre à voir ? Ce travail en équipe, ce partenariat est à la fois une richesse incontestable et une nécessité absolue. Mais l'énergie que nous investissons pour oeuvrer ensemble au service du malade et de ses proches ne nous éloigne-t-elle pas parfois de la préoccupation majeure de celui que l'on soigne ? Nos valeurs professionnelles, nos concepts de la santé, de la vie, de la mort peuvent avoir une base commune mais sont aussi révélateurs de notre rôle, de notre statut au sein de l'équipe. Nous sommes donc sollicités dans notre subjectivité personnelle. Nous allons de ce fait interpréter le message du patient selon notre champ de compétences, notre cadre de référence et notre autonomie d'action afin de lui donner un sens et adopter un comportement adéquat. Autant de regards croisés sur le patient, me direz-vous, qui sont censés enrichir la connaissance et la compréhension que nous avons de lui, de ce qu'il vit, de ce qu'il attend de nous. Mais tous ces regards croisés ne risquent-ils pas de détourner notre attention du malade en nous berçant d'une douée illusion de maîtriser la situation ? La pluridisciplinarité pourrait-elle ainsi être au détriment du malade ? Il nous faut en effet reconnaître qu'il est parfois difficile de travailler ensemble et avec le poids du regard de l'autre sur nos gestes, nos actes et notre comportement quotidien. Quel regard en effet, porte ledecin sur cette infirmière qui à ses yeux prend trop de place ? Quelle incidence peut avoir le regard de l'infirmière sur un médecin qui reste à son goût trop centré sur le symptôme ? Quel regard la psychologue peut avoir sur l'infirmière qui a acquis des compétences relationnelles certaines ? Quel regard, entre autre, est posé sur ce kinésithérapeute qui fait tant de bien à travers ses massages tout en douceur ? Quel regard, par ailleurs, est offert à l'aide soignante qui s'ingénue pourtant à trouver des réponses au confort du malade en déployant ce que l'on nomme, des petits moyens ? Nos regards croisés devraient traduire ce que vit le malade mais ils analysent aussi, sans cesse, le regard de l'autre dans l'équipe, nous éloignant parfois de la préoccupation majeure du patient : sa mort à venir... Ce constat fait partie de notre réalité professionnelle et ne se veut en aucun cas accusateur, bien au contraire. Il est en effet de notre devoir de repérer les limites humaines que sont les nôtres et nous protéger ainsi d'une image idyllique du soin palliatif. En effet, nous savons bien qu'à vouloir atteindre l'inaccessible étoile de l'idéal du soin palliatif, on peut se brûler les ailes, emportés par le tourbillon de nos valeurs pour ne plus entendre le patient, et trop naïfs pour croire en une équipe sans conflits, travaillant dans une totale harmonie… ! Que faisons-nous néanmoins de tous ces regards croisés ? Osons-nous les nommer ? Pouvons-nous sentir suffisamment de confiance dans l'équipe pour réussir à les aborder ? N'y a-t-il pas dans ce partage authentique des regards, la seule et unique manière de nous REUNIR autour des soins offerts au malade ? Nos divergences de perception deviennent dans ce cas extrêmement bénéfiques pour le patient si nous recentrons le débat sur lui et avec lui. Est-ce donc alors si utopique de croire en cette dynamique professionnellela volonté individuelle et collective permet d'affiner nos réponses aux besoins de la personne soignée ? Libérés ainsi du poids du regard des autres, nous pouvons nous ouvrir et recevoir de la part du malade tout ce qu'il y a de plus inattendu. La force d'une équipe ne repose-t-elle pas sur notre capacité à nous laisser surprendre par cet être en souffrance ? Et cet homme, cette femme qui souvent disent s'en remettre entre nos mains, trouvent-ils suffisamment de confiance et de respect dans notre regard pour se sentir exister jusqu'au bout ? Si l'engagement et la reconnaissance de chaque membre de l'équipe ne se fait pas au détriment des autres, cette synergie de regards peut replacer alors le malade de manière centrale et enrichit considérablement, par des interactions harmonieuses, le contrat de soins qui nous lie à lui. En débutant cette intervention, je vous disais combien il me semblait délicat de prendre la parole au nom du malade et en quoi cela m'avait longtemps bloquée. Aujourd'hui et après de longues journées d'interrogations et de vide total, je pense avoir compris d'où venaient mes réticences. 15

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QU'EST-CE QUE L'AUTONOMIE ? QU'EST-CE QUE LA DIGNITE ?<br />

Jacques RICOT - Philosophe, Nantes<br />

Une dissymétrie originaire structure <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion entre soignant et soigné : <strong>le</strong> premier accueil<strong>le</strong> et s'efforce <strong>de</strong> sou<strong>la</strong>ger <strong>la</strong> p<strong>la</strong>inte et <strong>la</strong> souffrance<br />

exprimée par <strong>le</strong> second. Le soignant prend souci <strong>du</strong> soigné, non l'inverse : celui-ci s'expose dans sa faib<strong>le</strong>sse et donc fait preuve d'une certaine<br />

passivité, celui-là apporte sa compétence et s'efforce d'agir au mieux <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> quiconque se confie à lui. On reconnaît ici <strong>le</strong> schéma ancestral<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion médica<strong>le</strong>, schéma qualifié <strong>de</strong> " paternaliste " et qui souligne <strong>la</strong> dissymétrie inévitab<strong>le</strong> <strong>du</strong> rapport entre <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin et son patient : à<br />

<strong>la</strong> confiance <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> répond <strong>la</strong> conscience <strong>du</strong> praticien.<br />

Or <strong>la</strong> rencontre humaine entre <strong>le</strong> soignant et <strong>le</strong> soigné <strong>la</strong>isse désormais <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à une meil<strong>le</strong>ure prise en compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> <strong>du</strong> sujet. S'invente<br />

sous nos yeux une nouvel<strong>le</strong> modalité <strong>du</strong> pacte <strong>de</strong> confiance : <strong>la</strong> faib<strong>le</strong>sse <strong>de</strong> l'un ne <strong>le</strong> livre pas à <strong>la</strong> seu<strong>le</strong> toute-puissance <strong>de</strong> l'autre, <strong>le</strong> soignant<br />

ne doit pas substituer sa volonté à cel<strong>le</strong> <strong>du</strong> soigné, sa compétence et sa bienveil<strong>la</strong>nce rencontrent ici une limite, cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'autonomie <strong>du</strong> soigné<br />

désireux <strong>de</strong> maîtriser son <strong>de</strong>stin et <strong>de</strong> définir <strong>le</strong>s critères <strong>de</strong> sa propre dignité.<br />

Ce nouveau schéma qui s'instal<strong>le</strong> irréversib<strong>le</strong>ment et recherche encore son point d'équilibre, complique singulièrement <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion soignant-soigné,<br />

guettée maintenant par une perversion inverse <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> contre <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> on s'insurge : désormais <strong>le</strong> soignant pourrait <strong>de</strong>venir l'instrument passif<br />

d'une volonté toute-puissante, cel<strong>le</strong> <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, qui viendrait <strong>le</strong> transformer en prestataire <strong>de</strong> services. Ce n'est certes pas ce que l'expérience<br />

quotidienne <strong>de</strong>s soins palliatifs indique, mais <strong>le</strong> discours social <strong>de</strong>vient perméab<strong>le</strong> à l'idée d'une maîtrise <strong>de</strong> soi qui passerait par <strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mort et à l'instrumentalisation <strong>du</strong> soignant, ré<strong>du</strong>isant <strong>le</strong> pacte <strong>de</strong> confiance à néant.<br />

Il me semb<strong>le</strong> possib<strong>le</strong> d'abandonner <strong>le</strong> " paternalisme " médical sans ré<strong>du</strong>ire <strong>le</strong> soin à une prestation, condamnant <strong>le</strong> soignant à n'être qu'un<br />

exécutant. Mais ce<strong>la</strong> requiert certainement une reprise philosophique <strong>de</strong>s mots employés. Deux d'entre eux me paraissent frappés d'une lour<strong>de</strong><br />

ambiva<strong>le</strong>nce : l'autonomie et <strong>la</strong> dignité. Or je crois qu'en <strong>le</strong>s restaurant dans <strong>le</strong>ur rigueur native, on évite <strong>le</strong> ruineux face à face <strong>du</strong> principe <strong>de</strong><br />

bienveil<strong>la</strong>nce et <strong>du</strong> principe d'autonomie. En effet, ceux-ci loin <strong>de</strong> s'opposer, s'articu<strong>le</strong>nt si l'on se souvient que l'autonomie n'est pas <strong>la</strong> libre<br />

disposition <strong>de</strong> soi, mais <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> se donner une loi qui soit universalisab<strong>le</strong>, et que <strong>la</strong> dignité n'est pas une convenance personnel<strong>le</strong>, mais <strong>le</strong> principe<br />

constitutif <strong>de</strong> l'humanité <strong>de</strong> chacun. Ainsi <strong>la</strong> rencontre humaine, dont <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion médica<strong>le</strong> est une modalité, re<strong>de</strong>vient possib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> pacte <strong>de</strong><br />

confiance peut, à nouveau s'instal<strong>le</strong>r. Car l'autonomie ainsi définie n'est plus l'indépendance autarcique, mais <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> tisser une re<strong>la</strong>tion entre<br />

indivi<strong>du</strong>s authentiquement libres, et <strong>la</strong> dignité, soustraite à l'appréciation subjective, <strong>de</strong>vient l'englobant par où se reconnaissent soignants et<br />

soignés en <strong>le</strong>ur commune humanité.<br />

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