Sous le Haut Patronage du Ministère de la Santé - SFAP
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ACTES <strong>SFAP</strong>.qxd 09/01/03 17:36 Page 17<br />
VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DU SOIN<br />
Marie-Sylvie Richard<br />
La loi <strong>du</strong> 4 mars 2002 re<strong>la</strong>tive aux droits <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s suppose, pour son application, une révolution <strong>de</strong>s pratiques médica<strong>le</strong>s soignantes et<br />
hospitalières. Le ma<strong>la</strong><strong>de</strong> quitte <strong>le</strong> statut <strong>de</strong> patient plutôt passif pour <strong>de</strong>venir un véritab<strong>le</strong> acteur, partenaire <strong>de</strong>s décisions qui concernent sa santé<br />
et sa vie. Nous ne pouvons que nous réjouir <strong>de</strong> cette évolution à <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> nous sommes déjà ouverts en soins palliatifs. En effet, <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>,<br />
considéré comme une personne quel que soit son état et jusqu'à sa mort, est bien notre premier interlocuteur, même s'il ne peut s'exprimer que<br />
par un battement <strong>de</strong> paupière. Après avoir hésité à commenter cette nouvel<strong>le</strong> loi dans <strong>le</strong> contexte <strong>de</strong>s soins palliatifs, j'ai choisi <strong>de</strong> prolonger <strong>la</strong><br />
réf<strong>le</strong>xion d'hier, c'est-à-dire d'envisager plus fondamenta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> soin et <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion qui lui est intimement liée. Cette approche nous disposera à<br />
entrer dans <strong>le</strong>s perspectives <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi.<br />
Mon exposé se dérou<strong>le</strong>ra en trois parties. La première concernera <strong>le</strong> nécessaire surcroît d'attention à <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion d'accompagnement<br />
et <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième <strong>le</strong>s difficultés et <strong>le</strong>s chances <strong>de</strong> l'interdisciplinarité. Dans <strong>la</strong> troisième, j'envisagerai <strong>le</strong> dialogue comme une expérience créatrice.<br />
A. La p<strong>la</strong>ce prépondérante <strong>de</strong> <strong>la</strong> technique exige un surcroît d'attention à <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion d'accompagnement.<br />
Loin <strong>de</strong> mépriser <strong>le</strong>s progrès techniques médicaux dont ils bénéficient éga<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s acteurs <strong>de</strong>s soins palliatifs affirment que <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur et <strong>la</strong><br />
qualité <strong>de</strong>s soins ne dépen<strong>de</strong>nt pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'efficacité ni <strong>de</strong>s prouesses techniques. La re<strong>la</strong>tion fait partie intégrante <strong>du</strong> soin. Re<strong>la</strong>tion avec<br />
<strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> mais aussi ses proches dont <strong>la</strong> souffrance spécifique est souvent sous estimée. L'une <strong>de</strong>s priorités en soins palliatifs est d'établir un<br />
climat <strong>de</strong> confiance, <strong>de</strong> dialogue entre tous. Ce<strong>la</strong> se tra<strong>du</strong>it par une constante négociation avec tous et entre nous, soignants, pour <strong>le</strong>s petites choses<br />
comme pour <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s décisions. Pour ce<strong>la</strong> une information sincère, délicate, respectueuse <strong>de</strong> chacun s'avère indispensab<strong>le</strong>.<br />
Informer <strong>le</strong> patient ne consiste pas à lui dire une fois pour toutes <strong>de</strong>s choses diffici<strong>le</strong>s, mais à entretenir avec lui une communication attentionnée,<br />
tout au long <strong>de</strong> sa ma<strong>la</strong>die. Ce<strong>la</strong> est rappelé dans <strong>la</strong> loi <strong>du</strong> 4 mars 2002 à <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> je faisais allusion. Si l'information <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s est nécessaire,<br />
el<strong>le</strong> ne doit pas nous dispenser d'informer <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ni être à son détriment.<br />
S'il n'est pas suffisamment informé, <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ne peut pas participer aux décisions qui <strong>le</strong> concernent comme l'exige <strong>la</strong> loi. Le ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, toutefois,<br />
peut interrompre, avec ou sans raison compréhensib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> dialogue que nous tentons d'établir avec lui. Situation inconfortab<strong>le</strong>, douloureuse, pour<br />
nous soignants, ressentie parfois comme un échec mais qui nous provoque à consentir, avec pru<strong>de</strong>nce certes, au refus <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l'autre à l'égard<br />
<strong>de</strong> nos propositions.<br />
Impuissance radica<strong>le</strong> qui nous rappel<strong>le</strong> que nous n'avons pas tout pouvoir sur l'autre, même si nous lui voulons <strong>du</strong> bien. Ce<strong>la</strong> ne nous dispense<br />
pas, pour autant, <strong>de</strong> rester vigi<strong>la</strong>nts à toute fluctuation <strong>de</strong>s souhaits <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ou <strong>de</strong> ses proches. Attitu<strong>de</strong> ouverte qui refuse d'enfermer l'autre<br />
dans <strong>la</strong> décision d'un moment. Le respect d'autrui est à ce prix.<br />
La p<strong>la</strong>ce prépondérante <strong>de</strong> <strong>la</strong> technique en mé<strong>de</strong>cine peut retenir notre attention et nous faire oublier <strong>la</strong> personne ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui est pourtant <strong>de</strong>vant<br />
nous. Pour souligner l'importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à établir avec <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et ses proches, je vous propose <strong>de</strong> réfléchir à trois <strong>de</strong> ses enjeux.<br />
1. La re<strong>la</strong>tion rompt l'iso<strong>le</strong>ment <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>de</strong> ses proches<br />
Si <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die grave iso<strong>le</strong> progressivement <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et ses proches, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion rompt cet iso<strong>le</strong>ment; el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur permet <strong>de</strong> trouver à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s mots<br />
pour dire <strong>le</strong>ur souffrance et quelqu'un capab<strong>le</strong> d'écouter. Partagée à d'autres, <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong>vient moins accab<strong>la</strong>nte.<br />
Les difficultés <strong>de</strong> communication entre <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, ses proches et <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin accentuent <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, l'iso<strong>le</strong>nt et peut même provoquer<br />
<strong>de</strong>s troub<strong>le</strong>s <strong>du</strong> comportement. Quand l'épreuve est trop lour<strong>de</strong>, <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> n'a plus <strong>la</strong> force nécessaire <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> lui-même. Il s'iso<strong>le</strong>, se livre à<br />
l'introspection, adopte parfois un comportement agressif à l'égard <strong>de</strong>s soignants ou <strong>de</strong> ses proches, manifestant ainsi son mal-être. Nous en faisons<br />
tous l'expérience. Si nous ne pouvons diminuer <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong>, nous pouvons tenter d'agir contre cet iso<strong>le</strong>ment, c'est bien l'un <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong><br />
l'accompagnement dont personne ne peut assurer un total succès.<br />
Tout comme <strong>le</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s ont <strong>le</strong> sentiment d'être isolées. Chacun hésite à faire peser sur l'autre son angoisse et ses inquiétu<strong>de</strong>s et<br />
s'estime fina<strong>le</strong>ment seul à porter son épreuve. De plus, même <strong>de</strong>s amis s'éloignent quand <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die se prolonge, ne sachant plus ni que dire, ni<br />
que faire.<br />
Or, nous rencontrons chaque jour <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s étonnées <strong>de</strong> l'accueil qu'el<strong>le</strong>s reçoivent dans notre structure.<br />
Il faut évoquer là, mais je <strong>le</strong> ferai plus loin, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> très spécifique et bénéfique <strong>de</strong>s bénévo<strong>le</strong>s à l'égard <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s et parfois <strong>de</strong>s<br />
soignants eux-mêmes.<br />
Nos échanges avec <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s ne doivent pas se ré<strong>du</strong>ire aux informations concernant l'état <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. Ils sont l'occasion <strong>de</strong> désamorcer <strong>de</strong>s peurs<br />
et <strong>de</strong>s craintes. Mais, en cas <strong>de</strong> conflits familiaux, nous n'avons pas à tout savoir, ni à tout comprendre. Nous ne pouvons que favoriser <strong>de</strong>s<br />
ouvertures et assumer un rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> tiers, voire <strong>de</strong> médiateur, faisant circu<strong>le</strong>r <strong>la</strong> paro<strong>le</strong>, tout en prenant gar<strong>de</strong> à ne pas projeter nos propres modè<strong>le</strong>s<br />
familiaux.<br />
Les soignants s'enferment parfois eux aussi, trop touchés par <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ou tel membre <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>. Ils <strong>de</strong>vront prendre conscience <strong>de</strong>s<br />
i<strong>de</strong>ntifications et <strong>de</strong>s projections inconscientes. Le groupe <strong>de</strong> paro<strong>le</strong> peut <strong>le</strong>s y ai<strong>de</strong>r. Il est en effet un lieu privilégié pour par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> cette re<strong>la</strong>tion<br />
existante ou défail<strong>la</strong>nte entre <strong>le</strong>s trois pô<strong>le</strong>s <strong>du</strong> triang<strong>le</strong> "soignants-ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s-famil<strong>le</strong>s", et <strong>la</strong> régu<strong>le</strong>r parfois.<br />
La qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie d'équipe n'enlève rien à <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chacun, mais évite que l'un ou l'autre membre ne s'iso<strong>le</strong> ou ne soit dé<strong>la</strong>issé.<br />
2. La re<strong>la</strong>tion contribue à réunifier et pacifier <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et ses proches.<br />
La ma<strong>la</strong>die et <strong>la</strong> proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort font craindre <strong>le</strong> morcel<strong>le</strong>ment <strong>du</strong> corps et l'effondrement <strong>de</strong> soi; <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion, à l'inverse, prend en compte <strong>la</strong><br />
personne dans son ensemb<strong>le</strong> et respecte sa singu<strong>la</strong>rité. El<strong>le</strong> restaure alors l'unité <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> apaise.<br />
La mé<strong>de</strong>cine, <strong>de</strong> plus en plus spécialisée, donne l'impression au ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qu'il est rarement pris en compte dans <strong>la</strong> globalité <strong>de</strong> son être. .Les<br />
investigations complémentaires et <strong>le</strong>s traitements sont effectués par <strong>de</strong>s équipes différentes, chacune étant compétente dans un domaine<br />
particulier. Le ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ignore parfois qui l'a pris en charge, tant il voit <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins sans vraiment <strong>le</strong>s rencontrer.<br />
Serait-il ré<strong>du</strong>it à un objet qu'étudie et soigne <strong>la</strong> science médica<strong>le</strong> ?<br />
Les progrès médicaux, tant au niveau <strong>de</strong>s connaissances que <strong>de</strong>s capacités techniques, sont obtenus au prix d'une objectivation <strong>du</strong> corps humain,<br />
<strong>la</strong> rigueur scientifique l'exige. L'objectivation et l'abstraction sont donc indispensab<strong>le</strong>s à <strong>la</strong> science médica<strong>le</strong> ; mais, si <strong>le</strong> chercheur doit faire<br />
abstraction <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne singulière pour étudier l'être humain, <strong>le</strong> clinicien doit passer <strong>de</strong> cette abstraction à <strong>la</strong> personne singulière. En soins<br />
palliatifs tout particulièrement, <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins sont amenés à considérer davantage <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> comme sujet. Ils ont <strong>le</strong> souci <strong>de</strong> <strong>la</strong> globalité <strong>de</strong> sa<br />
personne.<br />
Définir <strong>le</strong> sujet serait une entreprise trop ambitieuse ; contentons-nous d'en mentionner quelques traits. Le sujet n'est pas seu<strong>le</strong>ment un indivi<strong>du</strong>,<br />
ni un acteur qui tient son rô<strong>le</strong> social, ni même un "soi" bien affirmé, il se constitue dans <strong>la</strong> vérité <strong>du</strong> désir qui circu<strong>le</strong> entre un "je" et un "tu" La<br />
définition <strong>du</strong> sujet n'est pas statique, mais dynamique : <strong>le</strong> sujet advient.<br />
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