Allocution du Président d'Irlande Monsieur Michael D. Higgins

permettant de partager ces récits qui constituent nos vies, et se refuse à la
réduire à celle de l’homo economicus.
Ma conviction, c’est que ce sont les institutions politiques qui doivent définir
le cadre et la responsabilité des autres institutions dont nous avons besoin
pour faire fonctionner l’Etat ou l’économie. Vivre en citoyen conscient,
comme l’aurait dit Raymond Williams, c’est être comme sa propre flèche,
plutôt que de servir de cible au marché et aux agents de la marchandisation.
C’est la tâche de la politique démocratique de s’assurer que les institutions
sont transparentes et responsables. C’est la tâche de la politique de définir
quels sont les objectifs de la justice. C’est sur cette base que la politique
recherche la légitimité et l’assentiment de tous. En revanche, elle risque de
perdre sa légitimité auprès des citoyens, si elle cherche à déplacer les
responsabilités qui doivent être celles des représentants élus, vers une
technocratie ne rendant pas compte de ses actes ou vers les lois
mystérieuses du marché. Pour développer une véritable conscience
citoyenne, les états membres de l’Union européenne ont besoin d’un
système éducatif qui donne sa place à l’esprit critique, qui autorise la
démocratie à éduquer afin, en retour, de démocratiser l’éducation.
D’où pourraient venir les idées et les discours dont nous avons besoin, si ce
n’est des institutions éducatives, et du débat libre et ouvert des
intellectuels ? Quel est l’avenir d’un tel débat ? Comment va-t-il pouvoir se
poursuivre, alors que les médias sont de plus en plus aux mains de
monopoles commerciaux, et que notre époque voit décliner, voire
disparaître, le service public audiovisuel, dans tellement de pays ? Face à
toutes ces questions, il serait tentant de sombrer dans un pessimisme à la
Adorno. Mais nous devons nous créer un espace, comme d’autres l’ont fait
avant nous, et commencer, pleins de confiance et de joie, à forger notre
propre discours. Notre époque exige des intellectuels qu’ils fassent preuve de
force morale, qu’ils rompent le silence et rejettent l’illusion que le monde ne
peut être changé.
Dans l’Europe d’aujourd’hui, les liens entre discours démocratique et pensée
émancipatrice s’affaiblissent plus qu’ils ne se renforcent. Toutefois, nous
devons être encouragés par le fait que, déjà, ailleurs dans le monde, sur
d’autres continents, ces liens ont permis de donner naissance à une variété
de modèles féconds pour l’avenir. Accueillons avec bienveillance cette
pensée innovante et dialoguons avec elle comme le firent au cours des