spirit n°17

modes de transmission, introduire une
approche multiple du texte.
François Mauget : En créant des spectacles
vivants, qui placent la parole au centre de
l’événement, “Demandez l’impossible” tente
de casser la représentation d’une lecture solitaire.
À la fin des spectacles, la rencontre avec les
poètes, venus d’ici, d’ailleurs, “désacralise” la
figure de l’artiste, qui incarne un témoin du
monde.
“ Fondamentalement inutile,
la poésie résiste
à toute possibilité
de récupération. ”
Quel sens donnez-vous au thème :
“Le Chant des villes” ?
J-P S. : Nos vies sont essentiellement
urbaines. Le choix de ce thème exprime la
volonté, toujours renouvelée, d’affirmer que
le poète est un acteur, un témoin du présent,
et non pas l’être “maudit” ou emphatique,
que la plupart des gens imaginent. La littérature
nous est souvent enseignée sous la contrainte
d’une exégèse, d’un historicisme rébarbatifs,
qui conditionnent une lecture rationnelle,
explicative, savante ; or la poésie est avant
tout une expérience de vie, une autre écoute
du monde. Il faut éviter de servir de la “guimauve”
aux enfants et voir, comme je l’ai moi-même
vu, leur énorme capacité de réception, leur
appropriation des textes complexes Ils ne saisissent
pas tout, mais cela leur parle, à la différence
des adultes qui se raidissent, quand la
compréhension n’est pas évidente.
Ainsi, “Le Chant des villes” nous apprend
une manière de “vivre ensemble”, d’abandonner
la peur de l’inconnu. “Comment vivre sans
inconnu devant soi” écrit René Char. La poésie
est une zone plus scrète, qui porte une
langue profonde et une représentation du
monde moins simpliste. Cela a des implications
politiques directes. Pour Aragon, la
poésie est “ce qui exige la révolte de
l’oreille”, c’est un espace où l’homme cesse
d’être passif pour devenir “acteur”.
F.M. : A titre d’exemple, “Demandez l’impossible”
organise des “attentats poétiques”, notamment
au cours de la journée du 14 mars où des
professeurs stagiaires, qui investissent différents
lieux de l’IUFM, font des improvisations de
“slam”, afin de casser la “routine”, de sortir
des habitudes.
Tous ces événements constituent l’aboutissement
d’une recherche constante, qui transmet la
“parole d’aujourdhui”. Nous ne sommes plus
dupes de ce monde de communication mais
avides de paroles. Fondamentalement inutile,
la poésie résiste à toute possibilité de
récupération.
Votre demande d’impossible en 2006 ?
J-P S. : Habiter poétiquement le monde :
“la poésie sauvera le monde” écrit Yves
Bonnefoy. Elle fait obstacle au refus de
l’autre, de l’étrange, de l’étranger.
Plus localement ?
F.M. : Nous souhaitons avoir les moyens
d’investir toute la ville, les trams, les bus, les
maisons, les bureaux. Côté institutions, nous
aimerions avoir des interlocuteurs qui
accepte de se “lâcher”. À la différence d’un
Novart, superbe proposition “contemporaine”
de consommation, les institutions ne doivent
pas seulement être là pour structurer, mais
aussi pour appeler à l’émergence.
[propos recueillis par Sandy Pecastaing et José Darroquy]
“Demandez l’impossible”, Printemps des
Poètes à Bordeaux, du mercredi 14 au
dimanche 19 mars, Halle des
Chartrons, Librairie Olympique, Glob
Théâtre, Capc, Porte 2a…
Une vingtaine de rendez-vous, de la
lecture au spectacle, et 9 auteurs
invités en provenance d’Afrique, du
Kurdistan, de Montréal ou de Bordeaux.
Renseignements 05 56 50 43 47
www.demandezlimpossible.com