spirit n°17

Des nouvelles du bois
Depuis 2003, L’Arbre Vengeur, maison d’édition bordelaise indépendante,
cultive l’art de (re)découvrir des textes, sans aucune stratégie commerciale.
Collaboration amicale de deux aficionados du livre, qui composent un
catalogue de “coups de cœur” avec un véritable sens esthétique, cette
jeune association révèle des auteurs contemporains, ressuscite la
mémoire des écrivains “fin de siècle” avec une prédilection pour la nouvelle,
genre qui “concentre” - selon nos éditeurs - la quintessence du génie.
Parmi les dernières publications, La Nuit du
sorcier de Marc Petit, dont l’action se
déroule aux “derniers jours de l’année
1415”, propose une variation moderne de la
nouvelle florentine, une apologie du conte,
du (ra)conter, où tout commence avec le
verbe. Anecdote historique, la rencontre des
personnages cristallise la multitude du langage,
“la meilleure et la pire chose”. Wango,
sorcier-conteur, incarne la puissance
magique d’une parole salvatrice, la beauté
miraculeuse d’une histoire “à laquelle nul
vivant ne pourrait croire, [sauf] ceux qui
sont morts plusieurs fois, morts au monde,
et qui ne savent même plus pleurer”.
Dans Vertiges de l’amour, Edmondo de
Amicis représente la dualité de l’amour :
un poison, un remède, une folie ravageuse,
injurieuse, qui (se) guérit d’elle-même.
Aménagements successifs d’un jardin, à C.,
en Bourgogne de Jean-Marc Aubert décrit
une “passion de la minutie”, une adoration
religieuse des “formes imaginaires”, conduisant
le héros à se retrancher du monde, à
construire -avec une “inefficacité névrotique”un
modèle de la perfection, dont l’échec
accentue l’horreur de la vie, le désordre
anarchique de la nature.
Amusante collection de rêves pathétiques,
de drames ridicules, Les Morts bizarres de
Jean Richepin raille la recherche d’un idéal :
l’absolu, l’imprévisible, la modernité, dont la
mort devient une conclusion lamentable.
En éclairant la vaine résistance de l’homme
contre les forces du destin, Le Conquérant
du dernier jour de Louis Chadourne dénonce
l’illusion d’une liberté, qui consiste à se laisser
porter. Où le hasard mène “vers les profondeurs
de la nuit”.
Dans Le Professeur Bouc, théories d’un irascible,
Jean-Luc Coudray présente une vision désabusée
de la pensée rationnelle, s’étiolant devant
les élucubrations fantaisistes d’un savant
“génial”, dont la subjectivité est un “outil
d’investigation”, étudiant l’infiniment
grand, l’infiniment petit. Éloge du paradoxe,
de l’intuition, qui marque la force universelle
de la littérature, où tout est possible.
Avec une multitude de projets (Jacques
Audiberti, Gabriele D’Annunzio, Juan Emar,
José de la Cuadra), L’Arbre Vengeur poursuit
le rêve d’une bibliothèque idéale, où chaque
livre explore un nouveau recoin du langage.
Dans un proche avenir, une amélioration
de la distribution, bientôt assurée par
Les Belles Lettres, devrait augmenter le
nombre des rêveurs, qui attendent, avec
impatience, d’assurer la vengeance des livres
“introuvables”, des œuvres marginales.
[Sandy Pecastaing]
Éditions de l’Arbre vengeur
15, rue Berthomé à Talence
Tél. 05 56 84 03 93
http://arbre.vengeur.free.fr