En attendant l'ouverture ! - familievereniging van outryve d'ydewalle
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[estaminet de la place Simon Stévin à Bruges]. Depuis de très longues années, Emmanuel, Stanislas et<br />
André d'Ydewalle s'y rencontraient tous les samedis. Ils y venaient par habitude, moins pour leur agrément<br />
que pour entendre, debout dans un coin de cette paisible hôtellerie, les doléances et les requêtes de leurs<br />
locataires. Quel que fut d'ailleurs l'objet de ces propos, on n'a jamais su qu'un des visiteurs venus là s'en soit<br />
allé mécontent.<br />
Revenons à nos préparatifs de battue. Sur un signe on voyait surgir de derrière une petite table le<br />
vieux garde Louis Pijpers, dit Piffer, fidèle gardien des gibiers du Moere [terre des Polders]. Cet homme<br />
rustique venait lui aussi au Cornet d'Or tous les samedis. Ses bons maîtres devaient entendre d'une oreille<br />
indulgente d'interminables histoires de braconniers, qui toutes servaient plus ou moins directement le bon<br />
renom du garde-chasse. Après quoi, sui<strong>van</strong>t une vieille habitude, Pijper allait passer l'après-midi à jouer aux<br />
cartes dans un petit estaminet de la rue d'Ostende. Il ne regagnait, un peu titubant, son gîte meetkerkois<br />
qu'à la tombée du jour. Dans ses moments de bonne humeur, il racontait comment il lui arrivait de n'avoir<br />
plus une vision très nette du chemin à suivre, ce qui lui valait parfois de pirouetter avec sa bécane dans le<br />
canal. Son grand chagrin alors était la perte du cigare qu'il avait gagné aux cartes et qu'il tenait en réserve<br />
pour le dimanche après-midi. Le beau cigare gonflé d'eau n'était plus bon, hélas, qu'à être débité en chiques.<br />
Le plus beau jour de l'année était pour Pijpers celui de la première battue d'automne. Réunis dès<br />
l'aube par ses soins, les rabatteurs, munis de longues perches, attendaient sur la berge du canal d'Ostende.<br />
Sitôt immobilisée après quelques soubresauts la petite Ford cahotante d'André d'Ydewalle, on en retirait<br />
d'immenses paquets de victuailles. Un kilo de roastbeef par homme pour le repas de midi, c'était la ration<br />
normale voulue par l'usage ! Puis, c'était encore du jambon, des tartes et tout ce qu'il fallait pour préparer<br />
un repas aussi frugal qu'abondant. Les boissons étaient apportées par Emmanuel d'Ydewalle qui savait en<br />
régler la qualité et la mesure de manière qu'elles fussent du goût de tous, sans nuire à l'efficience<br />
cynégétique de personne.<br />
Les battues avaient chacune leur caractère propre. Mais c'était partout le même accueil cordial, la<br />
même simplicité, la même atmosphère de bon aloi, dépouillée de toute affectation. Les invités à l'une de ces<br />
chasses se retrouvaient généralement aux autres, si bien qu'on y voyait défiler tout ce que Bruges comptait<br />
de chasseurs, outre les amis venus de plus loin. Mais bien des figures rencontrées naguère nous ont quittés<br />
pour un monde meilleur.<br />
Amédée de Man, le juge intègre à la barbe fleurie ! On l'avait surnommé le roi du Moere. Mieux<br />
qu'un sobriquet, c'était le titre d'une véritable royauté. Il jouissait de l'estime incontestée de ses pairs et des<br />
gens du terroir. Quand il remontait dans les plaines à la tête de ses fusils et de sa cohorte de rabatteurs,<br />
c'était un peu comme le cortège d'un petit féodal partant à la conquête d'une principauté. Bénédict Gillès :<br />
son territoire s'étendait entre plusieurs clochers et il aurait pu dire à la manière de Charles-Quint que le<br />
soleil ne se couchait jamais sur sa chasse. Il savait marcher des heures sans souci de nourriture ou de repos,<br />
parfois un peu surpris d'apprendre que ses invités n'avaient pas tous la même endurance.<br />
Ernest <strong>van</strong> Caloen que les plaisirs espacés de la chasse n'empêchèrent jamais d'être a<strong>van</strong>t tout au<br />
service de son prochain. Son désintéressement s'alliait à la plus souriante bonhomie. Comme on s'étonnait<br />
un jour de le voir arriver à pied à un rendez-vous : "Eh oui, répondit-il, mon fermier devait conduire un<br />
veau au marché, je lui ai prêté ma voiture." Albert <strong>van</strong> Caloen au beau visage biblique ! On souriait parfois<br />
de le voir s'abriter sous un parapluie les jours de soleil. Par temps pluvieux, il revêtait une petite pèlerine<br />
vert-olive restée légendaire elle aussi. Louable détachement des préjugés mondains. Albert était de ces<br />
hommes, devenus rares, qui peuvent rester indifférents aux caprices et aux manies du monde parce que la<br />
naissance autant que leurs vertus les mettent au premier rang de ceux qui forment la véritable élite sociale.<br />
André d'Ydewalle fut après Amédée de Man un autre roi du Moere. Il y venait très souvent, moins<br />
toutefois qu'il ne l'eut aimé, car il consacra toute sa vie aux plus ingrates besognes d'intérêt public. Exemple<br />
de charité et d'effacement, sa grande bonté fit qu'on abusait de lui parfois ; il avait l'esprit trop fin pour ne<br />
pas s'en rendre compte, mais assez d'indulgence pour n'en rien laisser voir. Puissions-nous mériter un jour<br />
ne fut-ce qu'une part infime de l'éloge qu'on peut aujourd'hui faire à bon droit de nos aînés ! Mais cet éloge<br />
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