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En attendant l'ouverture ! - familievereniging van outryve d'ydewalle

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<strong>En</strong> <strong>attendant</strong> <strong>l'ouverture</strong> !<br />

<strong>En</strong> 1942, Hubert d'Ydewalle publie de savoureuses anecdotes sur les chasseurs du plat pays de Bruges, condamnés à<br />

l'inaction cynégétique par suite de la guerre. Hommage soit rendu à ceux qui ont rejoint le<br />

terrain des chasses éternelles, sous la bienveillante protection de Saint Hubert et de Marie de Bourgogne.<br />

Nos ancêtres morins et ménapiens vêtus de peaux de bête chassaient l'auroch avec l'épieu. Le goût<br />

de l'aventure nous en est un peu resté : nous aimons la chasse pour la saine joie de retrouver la nature, d'en<br />

goûter à la source même toutes les saveurs et tous les enchantements. La chasse nous assure un contact<br />

réconfortant avec notre sol, avec tout ce qui est bien de chez nous et ce à quoi nous sommes attachés de<br />

toute notre âme.<br />

Pour comprendre cela, il faut avoir vu un Amédée de Man, un Ernest <strong>van</strong> Caloen, un André<br />

d'Ydewalle se mettre en chasse dès l'aube avec une ou deux tartines pour la journée. Ils s'enfonçaient dans la<br />

brume matinale comme des êtres irréels partant pour un autre univers. Pendant de longues heures, on<br />

n'entendait plus d'eux que quelques coups de feu tirés au loin dans la plaine. Ils allaient, marcheurs<br />

solitaires au visage serein. Leur bonheur n'était pas tant de remplir une gibecière que d'aller librement à<br />

travers champs, très loin du monde comme s'il n'y avait plus ni temps, ni obstacles, ni frontières. Et le<br />

crépuscule les voyait revenir souriants tels qu'ils s'en étaient allés.<br />

Sans doute avaient-ils bien d'autres soucis que la chasse, ces grands chasseurs disparus. Dans leur<br />

existence vouée au bien sans ostentation, ils ont accordé peu d'heures au délassement. C'est précisément<br />

parce qu'ils surent si bien mériter la détente par l'effort qu'ils furent grands. Puisse l'exemple de ces terriens<br />

très simples qui étaient de vrais aristocrates n'être pas perdu pour notre génération !<br />

Le bon chroniqueur des chasses qu'est Louis Ryelandt a évoqué dans un charmant opuscule les<br />

battues du temps jadis, celui des années précédant la Grande Guerre. Mais que de changements depuis.<br />

Pour la deuxième fois en un quart de siècle, les chasseurs sont condamnés à l'inaction. Nous en sommes<br />

réduits à contempler mélancoliquement l'attestation officielle reçue en échange de nos armes au mois de<br />

mai 1940. Les plus malins se sont arrangés pour n'avoir pas droit à ce petit papier, mais ils sont discrets.<br />

Tous cependant nous attendons avec confiance la paix que nous donnera tôt ou tard la Providence. Les<br />

optimistes attendent déjà <strong>l'ouverture</strong>.<br />

Nos chiens se morfondent dans leur chenil et ils risquent d'y prendre des habitudes bourgeoises. A<br />

moins qu'à l'instigation de leur maître ils n'adoptent des mœurs de braconnier. C'est que la guerre ne nous<br />

a pas fait perdre le goût du râble de lièvre à la crème. Nous ne rougissons plus aujourd'hui de voir notre<br />

chien tuer le gibier au gîte ou à la course. Si les lièvres de Meetkerke pouvaient parler, on connaîtrait mieux<br />

l'histoire du lévrier qui a fait de ce côté-là de fructueux ravages au cours de ces hivers de rationnement.<br />

Meetkerke ! Ce nom sonne dans les annales de la chasse locale comme les Thermopyles, Lépante ou<br />

Waterloo dans l'histoire des peuples. Depuis qu'en 1525 le bourgeois de Bruges Martin Lem y reçut en fief<br />

la swaenerye [élevage de cygnes], devenue depuis la canardière, tous les chasseurs de la contrée sont passés<br />

par Meetkerke. L'abbé de Saint-André y fut même surpris un jour en flagrant délit de braconnage, mais<br />

c'était a<strong>van</strong>t la Révolution française.<br />

Vastes plaines du Nord où se déroulent depuis plusieurs décades les grandes battues traditionnelles<br />

d'arrière-saison. Louis Ryelandt en est un témoin qualifié puisqu'il a connu le temps des diligences, où un<br />

omnibus à chevaux attendait les chasseurs de bonne heure place du Théâtre à Bruges pour les conduire au<br />

rendez-vous de la journée. Plus récemment, les chasseurs rejoignaient en auto, quitte à trouver le soir un<br />

radiateur gelé ou à devoir atteler une paisible jument de<strong>van</strong>t leur Chevrolet pour la tirer de l'ornière. Seul<br />

Louis Ryelandt, insensible aux séductions du progrès, continuait de venir à pied. Cela ne l'a jamais effrayé<br />

non plus, étant échevin de l'état-civil à Bruges, d'aller à pied jusque Zeebruges pour y faire un mariage et<br />

d'en revenir de même !<br />

A la manière des grandes entreprises stratégiques, les battues sont décidées plusieurs semaines à<br />

l'a<strong>van</strong>ce. Les d'Ydewalle par exemple en discutaient dans leurs conciliabules hebdomadaires du Cornet d'Or<br />

1


[estaminet de la place Simon Stévin à Bruges]. Depuis de très longues années, Emmanuel, Stanislas et<br />

André d'Ydewalle s'y rencontraient tous les samedis. Ils y venaient par habitude, moins pour leur agrément<br />

que pour entendre, debout dans un coin de cette paisible hôtellerie, les doléances et les requêtes de leurs<br />

locataires. Quel que fut d'ailleurs l'objet de ces propos, on n'a jamais su qu'un des visiteurs venus là s'en soit<br />

allé mécontent.<br />

Revenons à nos préparatifs de battue. Sur un signe on voyait surgir de derrière une petite table le<br />

vieux garde Louis Pijpers, dit Piffer, fidèle gardien des gibiers du Moere [terre des Polders]. Cet homme<br />

rustique venait lui aussi au Cornet d'Or tous les samedis. Ses bons maîtres devaient entendre d'une oreille<br />

indulgente d'interminables histoires de braconniers, qui toutes servaient plus ou moins directement le bon<br />

renom du garde-chasse. Après quoi, sui<strong>van</strong>t une vieille habitude, Pijper allait passer l'après-midi à jouer aux<br />

cartes dans un petit estaminet de la rue d'Ostende. Il ne regagnait, un peu titubant, son gîte meetkerkois<br />

qu'à la tombée du jour. Dans ses moments de bonne humeur, il racontait comment il lui arrivait de n'avoir<br />

plus une vision très nette du chemin à suivre, ce qui lui valait parfois de pirouetter avec sa bécane dans le<br />

canal. Son grand chagrin alors était la perte du cigare qu'il avait gagné aux cartes et qu'il tenait en réserve<br />

pour le dimanche après-midi. Le beau cigare gonflé d'eau n'était plus bon, hélas, qu'à être débité en chiques.<br />

Le plus beau jour de l'année était pour Pijpers celui de la première battue d'automne. Réunis dès<br />

l'aube par ses soins, les rabatteurs, munis de longues perches, attendaient sur la berge du canal d'Ostende.<br />

Sitôt immobilisée après quelques soubresauts la petite Ford cahotante d'André d'Ydewalle, on en retirait<br />

d'immenses paquets de victuailles. Un kilo de roastbeef par homme pour le repas de midi, c'était la ration<br />

normale voulue par l'usage ! Puis, c'était encore du jambon, des tartes et tout ce qu'il fallait pour préparer<br />

un repas aussi frugal qu'abondant. Les boissons étaient apportées par Emmanuel d'Ydewalle qui savait en<br />

régler la qualité et la mesure de manière qu'elles fussent du goût de tous, sans nuire à l'efficience<br />

cynégétique de personne.<br />

Les battues avaient chacune leur caractère propre. Mais c'était partout le même accueil cordial, la<br />

même simplicité, la même atmosphère de bon aloi, dépouillée de toute affectation. Les invités à l'une de ces<br />

chasses se retrouvaient généralement aux autres, si bien qu'on y voyait défiler tout ce que Bruges comptait<br />

de chasseurs, outre les amis venus de plus loin. Mais bien des figures rencontrées naguère nous ont quittés<br />

pour un monde meilleur.<br />

Amédée de Man, le juge intègre à la barbe fleurie ! On l'avait surnommé le roi du Moere. Mieux<br />

qu'un sobriquet, c'était le titre d'une véritable royauté. Il jouissait de l'estime incontestée de ses pairs et des<br />

gens du terroir. Quand il remontait dans les plaines à la tête de ses fusils et de sa cohorte de rabatteurs,<br />

c'était un peu comme le cortège d'un petit féodal partant à la conquête d'une principauté. Bénédict Gillès :<br />

son territoire s'étendait entre plusieurs clochers et il aurait pu dire à la manière de Charles-Quint que le<br />

soleil ne se couchait jamais sur sa chasse. Il savait marcher des heures sans souci de nourriture ou de repos,<br />

parfois un peu surpris d'apprendre que ses invités n'avaient pas tous la même endurance.<br />

Ernest <strong>van</strong> Caloen que les plaisirs espacés de la chasse n'empêchèrent jamais d'être a<strong>van</strong>t tout au<br />

service de son prochain. Son désintéressement s'alliait à la plus souriante bonhomie. Comme on s'étonnait<br />

un jour de le voir arriver à pied à un rendez-vous : "Eh oui, répondit-il, mon fermier devait conduire un<br />

veau au marché, je lui ai prêté ma voiture." Albert <strong>van</strong> Caloen au beau visage biblique ! On souriait parfois<br />

de le voir s'abriter sous un parapluie les jours de soleil. Par temps pluvieux, il revêtait une petite pèlerine<br />

vert-olive restée légendaire elle aussi. Louable détachement des préjugés mondains. Albert était de ces<br />

hommes, devenus rares, qui peuvent rester indifférents aux caprices et aux manies du monde parce que la<br />

naissance autant que leurs vertus les mettent au premier rang de ceux qui forment la véritable élite sociale.<br />

André d'Ydewalle fut après Amédée de Man un autre roi du Moere. Il y venait très souvent, moins<br />

toutefois qu'il ne l'eut aimé, car il consacra toute sa vie aux plus ingrates besognes d'intérêt public. Exemple<br />

de charité et d'effacement, sa grande bonté fit qu'on abusait de lui parfois ; il avait l'esprit trop fin pour ne<br />

pas s'en rendre compte, mais assez d'indulgence pour n'en rien laisser voir. Puissions-nous mériter un jour<br />

ne fut-ce qu'une part infime de l'éloge qu'on peut aujourd'hui faire à bon droit de nos aînés ! Mais cet éloge<br />

2


posthume, ils ne l'ont même pas souhaité. Ils avaient une conception trop élevée de la vie pour attacher<br />

quelque prix aux satisfactions d'amour-propre.<br />

Louis Pijpers, lui aussi, a rendu à Dieu il y a quelques années son âme simple de garde-chasse. Vers<br />

la fin, il ne suivait plus les battues que d'assez loin en clopinant sur un bâton mais en jurant sur chaque<br />

lièvre manqué avec une énergie restée jeune. Hors les jours de chasse, il ne sortait plus guère. On lui faisait<br />

parfois visite dans sa bicoque enfumée. Il remuait volontiers les vieux souvenirs et ne manquait jamais de<br />

soulever une dalle de son arrière-cuisine pour faire voir son joyau. C'était une grosse chaîne de montre<br />

sertie de pépites d'or, il le croyait de bonne foi, que lui avait envoyée un jour son neveu parti pour les<br />

Amériques.<br />

La tradition des grands ancêtres n'est heureusement pas perdue. A la veille de cette guerre, les<br />

chasseurs du pays de Bruges se retrouvaient encore comme ceux d'il y a vingt ou quarante ans.<br />

Georges de Lophem remonte toujours volontiers la traque avec les hommes. Il porte invariablement<br />

le même vieux fusil à chiens mais la sûreté de son tir est un défi aux hamerless pourvus d'éjecteurs<br />

automatiques. Aucun gibier ne rebrousse impunément à portée de ses coups. Il cloue net au sol tout ce qui<br />

s'aventure dans le champ visuel de son minuscule pince-nez. Jacques d'Ydewalle est un autre spécialiste de<br />

ces combats d'arrière-garde. Peu prodigue de cartouches, il ne tire qu'après un moment de réflexion, jamais<br />

trop tard toutefois. Jacques se trouverait de<strong>van</strong>t dix lièvres à la fois que ses gestes n'en deviendraient pas<br />

plus agités, mais il aurait bientôt dix lièvres morts à ses pieds.<br />

A l'abri d'une barrière ou d'un fossé, les autres tireurs attendent leur proie. Les coups de feu sont<br />

d'abord assez espacés, mais sitôt que la battue est bien en train, ils crépitent d'un peu partout. Un habitué<br />

saurait d'après le son et la cadence des coups de fusil identifier les chasseurs sans les voir.<br />

Une bécassine se lève. Elle est saluée d'une rafale de cinq coups qu'on dirait jetés au hasard. C'est<br />

Thierry d'Ydewalle qui vide sa pompe. Avec lui il y a grande chance que la bécassine soit touchée du premier<br />

coup, mais c'est une habitude qu'il a de faire à ses victimes l'hommage d'une salve complémentaire. Voici<br />

un coup discret qu'on dirait tiré avec une carabine d'enfant. Le perdreau choit raide mort à une distance<br />

énorme du tireur. Cette fois, sans hésiter, tout le monde pense : "Bravo Max !" <strong>En</strong> effet, c'est Max de<br />

Lalaing qui fait des résultats étonnants avec un calibre minuscule. Seul ce prince des tireurs peut atteindre<br />

pareil degré de raffinement. Mais aussi, la chasse en Belgique ne compte qu'un Max de Lalaing !<br />

<strong>En</strong>tendez ces coups de feu tirés posément. Leur rythme régulier, presque grave, révèle l'assurance et<br />

la précision avec lesquelles Rodolphe <strong>van</strong> der Stegen remplit sa mission sacrée. Car pour lui la chasse est<br />

plus qu'un sport, c'est un sacerdoce. Aussi ce bon fusil fait-il toujours honneur à son poste. Mais si le gibier<br />

vient aussi volontiers de son côté, c'est peut-être parce qu'il n'a jamais donné à aucune bête l'occasion d'aller<br />

dire aux autres qu'il fallait se méfier de lui.<br />

Pan ! Pan ! Deux coups un peu trop précipités, et le lièvre continue son chemin d'un petit galop<br />

tranquille. Cela pourrait bien être signé Hubert d'Ydewalle ... Voici enfin d'autres coups de feu tirés à<br />

intervalles réguliers. Mais cette fois de longs silences viennent parfois en interrompre la cadence. Ces fusils<br />

là sont évidemment Carl <strong>van</strong> Caloen et Philippe Powis. Ils abattent avec brio tout ce qui passe à portée.<br />

Mais quand ils occupent deux postes voisins, l'envie les prend parfois d'échanger des propos d'affaires. Ils<br />

commentent les dernières nouvelles de la Bourse par-dessus un champ de luzerne. Le premier à profiter de<br />

ces bons tuyaux, c'est le gibier. Quand le garde crie : "Haas-e voorut !" [lièvre de<strong>van</strong>t], Carl répond :<br />

"Katanga", Philippe riposte : "Electrobel", et le lièvre f … le camp. La chasse n'est pas une spéculation à<br />

terme !<br />

Zzzt, pan ! Vous enlevez votre chapeau pour voir s'il n'est pas percé de plombs. A quelque distance,<br />

Manu d'Ydewalle vous observe du coin de l'œil en souriant dans sa moustache mérovingienne. Il a raison :<br />

avec lui rien à craindre ; on en est quitte pour l'émotion la première fois. Après, on s'habitue et c'est même<br />

un plaisir d'être placé non loin de ce tireur d'élite pour l'agrément spectaculaire des coups difficiles.<br />

La battue finie, les tireurs interpellent les hommes pour faire ramasser le gibier. Celui qui a<br />

beaucoup manqué fait un peu chercher quand même, comme si le nombre de ses victimes l'accablait au<br />

3


point de ne pouvoir plus les repérer. Le chasseur plus heureux désigne d'un geste dégagé le champ de ses<br />

exploits. Les gardes connaissent d'ailleurs les fusils, ils savent de quel côté il faut aller d'abord.<br />

Il s'agit maintenant pour les fusils de gagner une autre enceinte en sautant un large fossé à l'aide<br />

d'une perche. Les moins audacieux préfèrent à ce risque l'inconvénient d'un long détour et il y a parmi<br />

ceux-ci plus de novices que de vétérans. Les jeunes appréhendent le ridicule du plongeon de<strong>van</strong>t les<br />

anciens. André d'Ydewalle franchissait les plus larges fossés avec une aisance restée légendaire. Il expliquait<br />

volontiers comment tout l'art de sauter était dans la manière de prendre l'élan et de balancer la perche. Ses<br />

conseils ont permis à des nouveaux-venus de s'en tirer honorablement dès la première tentative.<br />

Georges de Lophem et Louis Ryelandt passaient l'obstacle avec non moins de grâce. On les a même<br />

vu opérer un va-et-vient lors de certains passages périlleux pour la seule joie d'en affronter les risques et<br />

d'initier les autres. Au surplus, la taille du sauteur entre pour peu dans la réussite puisque Joseph<br />

d'Ydewalle, moins grand que ses cousins, les battait tous aisément à ce jeu difficile. Il dirige ses battues avec<br />

la sagesse d'un vieux stratège jointe à l'impétueuse ardeur d'un jeune sergent. D'un mot, il arrête un garde<br />

qui n'en veut faire qu'à sa tête, il invite au silence un chasseur trop bavard, il réconforte un malchanceux.<br />

Les traqueurs l'écoutent avec respect. Il sait les admonester vertement, tout en leur offrant des cigarettes.<br />

Une traque a pris fin. Les tireurs quittent leur poste. Cette longue chose qui se déplie, c'est encore<br />

un d'Ydewalle à n'en plus finir surgissant de son fossé. Comme c'est l'heure de déjeuner, chacun a bientôt<br />

fait de rejoindre le groupe qui s'achemine vers le lieu du réconfort mérité. Louis Ryelandt approche de son<br />

pas toujours leste. Hélas ! Les amis dont il parlait il y a trente ans n'y sont plus tous. Heureusement, les<br />

familles continuent. Elles délèguent de nouveaux représentants, recrutés dans la jeune génération et qui se<br />

mêlent aux anciens.<br />

Si des devoirs politiques empêchaient le sénateur Charles Gillès d'être là aussi souvent qu'on l'eut<br />

souhaité, son frère Raphaël, infatigable chasseur doué d'une vieille expérience, restait fidèle aux rendezvous.<br />

Lorsque Bénédict Gillès vivait encore, les trois frères formaient une trinité partout volontiers<br />

accueillie. Il est vrai que leurs battues valaient bien celles qu'on leur offrait. C'en serait fait de la chasse le<br />

jour où il n'y aurait plus de Gillès chasseurs ! Heureusement Léon, Raymond et Baudouin ont repris le<br />

flambeau. A vingt ans, ce dernier invitait déjà sur ses terres en seigneur de vieille race. Son frère Jean en<br />

était encore. Depuis, il s'est fait bénédictin. Peut-être lui arrive-t-il d'occire des antilopes dans les forêts du<br />

Katanga en souvenir des chasses de naguère ?<br />

Le cloître en a enlevé d'autres aux battues du Nord. Elles comptèrent aussi parmi leurs fervents<br />

d'autrefois Jean et Antoine de Meester, devenus les Pères Emmanuel et Jean-Baptiste, O.S.B. [Ordre de<br />

Saint Benoît]. Ils en ont d'ailleurs un peu gardé la nostalgie. Le moine Jean-Baptiste revient encore à<br />

Meetkerke où le vieux moulin de la wateringue [service des Eaux] lui sert d'ermitage, et il n'y a pas si<br />

longtemps qu'on l'a vu, sous la robe bénédictine, sonnant du cor à une réunion de chasseurs. Son frère, le<br />

P. Emmanuel, faisait à la même occasion le panégyrique de saint Hubert, suivi d'un commentaire sur les<br />

devoirs du chasseur quand il ne chasse pas, c'est-à-dire sur les devoirs du bon chrétien que tout chasseur<br />

doit être a<strong>van</strong>t tout.<br />

A Albert <strong>van</strong> Caloen ont succédé ses fils Joseph et Carl, deux bons fusils qui sont aussi d'aimables et<br />

courtois gentilshommes. Tout le monde connaît leurs traits hispaniques qu'on dirait modelés d'après un<br />

tableau de Vélasquez ou de Goya. Ils portent bien la marque des vertus traditionnelles de leur maison. Le<br />

jour où un écrivain fera un livre sur la Flandre où il sera question d'autre chose que de béguines et<br />

d'estaminets, le jour où il écrira l'histoire d'un fils du terroir, issu de bonne lignée, grandi avec les bois, aimé<br />

des gens, épris de son sol, il prendra pour modèle Roger <strong>van</strong> Caloen.<br />

Et puis, il y a les Basseghem ! Robert <strong>van</strong> Caloen préside aux destinées d'une commune qui dépasse<br />

le canal d'Ostende. Le Varssenaarhoek lui permet de chasser dans le Nord sans sortir de ses Etats. Mais s'il est<br />

un passionné de la chasse, sa sollicitude n'en va pas moins d'abord aux administrés qui estiment<br />

unanimement ce bourgmestre robuste, jovial et toujours de bon conseil. Il est vrai que le gibier, lui, n'a<br />

guère de répit pendant ces heures qu'en temps d'ouverture Robert <strong>van</strong> Caloen consacre encore à<br />

4


l'administration, car son fils Christian, toujours prêt à l'offensive, n'est pas pour le poil et la plume un<br />

moins redoutable adversaire.<br />

Pierre <strong>van</strong> der Plancke, toujours à cheval sur deux passions, la chasse et l'équitation. Ce n'est pas par<br />

hasard que ses châteaux voisins s'appellent Les Selles et Les Cerfs, deux noms qui révèlent les goûts du maître<br />

et qui sont en même temps synonymes d'accueil cordial et généreux. Raymond Pecsteen, autre exemple<br />

d'une vie mise tout entière au service de la bonne cause, ou l'art d'allier une simplicité de bon aloi au savoirvivre<br />

parfait de l'honnête homme. Adrien de Lophem, chasseur, cavalier, patineur, cynophile et élégant<br />

châtelain de Ten Torre. La guerre ayant mis en veilleuse les sports équestre et cynégétique, il n'a pas renoncé<br />

pour autant à donner asile aux chiens de Rallye-Waereghem et aux poneys sa<strong>van</strong>ts d'un cirque en détresse.<br />

Le président <strong>van</strong> de Walle, protecteur des arts et ami autant des arbres que des bêtes de sa belle forêt<br />

de Groenhove. Tout chasseur se devrait d'être à son exemple un fervent connaisseur des bois. Raymond<br />

Lippens, grand chasseur et aussi sylviculteur très averti, dont les avis font autorité chez tous ceux<br />

qu'intéressent la Chasse, les Eaux et les Forêts. Albéric de Formanoir qui possède une chasse très giboyeuse<br />

à moins de deux kilomètres de la Grand'Place de Bruges. Albert Joos qui quitte, trop rarement, Bruges où il<br />

préside aux destinées d'une grande banque, pour aller chasser.<br />

Et beaucoup d'autres qui sont autant d'étoiles montantes ou déjà brillantes au firmament de la<br />

chasse : Xavier della Faille, Guy et José de Lophem, Philippe et Léon Lippens, Didier de Pierpont, Antoine<br />

Rotsaert, Jacques Pecsteen, Paul Halleux, les Rapaert, les <strong>van</strong> der Plancke, les Ruzette, les Peers, les Kervyn,<br />

les Coppieters ... A ceux dont je pourrais avoir, bien involontairement, passé le nom sous silence, je<br />

présente ici les excuses d'un chroniqueur improvisé qui ne les tient pas du fait de cette omission dans une<br />

moins grande estime.<br />

Mais j'aurais certes à répondre d'un oubli impardonnable si je n'ajoutais cette dernière perle à la<br />

couronne : le nom de Mademoiselle Marguerite Arents de Beerteghem. Sans Mlle Arents il faudrait<br />

convenir que les femmes au pays de Bruges font peu honneur à l'exemple de Diane. Ce n'est pas qu'elles<br />

manquent d'endurance ou d'esprit sportif, mais un vieil usage voulait qu'elles s'abstiennent de participer<br />

aux plaisirs de la chasse. Mais pourquoi une tradition devenue un peu désuète leur défendrait-elle plus<br />

longtemps de prendre part aux aimables battues où la poésie tient autant de place que l'effort ? Leur<br />

apparition y serait saluée comme le retour de cette grande dame de chez nous, Marie de Bourgogne, la<br />

chasseresse aux chevauchées légendaires, dont le gracieux souvenir hante encore les bois de Bruges et de<br />

Torhout.<br />

Heureusement, il y a Marguerite Arents ! Elle n'a jamais cessé de porter à la chasse un culte fidèle,<br />

offrant dans ses bois d'agréables battues où elle-même prenait rang parmi les chasseurs. Je souhaite que cet<br />

exemple fasse école. Nous ignorons quels seront les soucis de l'après-guerre, mais soyons assez optimistes<br />

pour penser qu'ils laisseront encore un peu de place dans notre vie au plaisir honnête de la chasse. Les<br />

femmes pourront par leur grâce et leur sourire ajouter à l'agrément de chasser. Que saint Hubert leur fasse<br />

accueillir avec bienveillance l'expression de ce vœu !<br />

Saint Hubert ! Ces pages ne peuvent s'achever autrement que par une pensée fervente adressée au<br />

patron des chasseurs. La chasse a cessé d'être une manifestation de l'instinct barbare. Elle reste peut-être<br />

pour quelques-uns un passe-temps d'oisifs, tandis qu'elle donne à d'autres l'occasion de fouler aux pieds<br />

certaines règles de savoir-vivre. Mais sa véritable justification est aujourd'hui d'être une source de réconfort<br />

physique et moral qui rende ceux qui la pratiquent humainement meilleurs. C'est bien parce que la chasse<br />

est ainsi comprise dans notre coin de Flandre que nous sont assurées les bénédictions tutélaires du Patron<br />

des chasseurs.<br />

Hubert reste a<strong>van</strong>t tout le Saint auquel doivent aller nos prières. C'est le profaner que mêler son<br />

nom, sans plus, comme un fétiche à nos yeux. Tandis qu'en l'invoquant, chasseurs, dans un esprit chrétien,<br />

nous l'honorons vraiment et faisons par là la chasse plus belle aux yeux de Dieu.<br />

5<br />

Hubert <strong>van</strong> Outryve d'Ydewalle


Note : le récit "<strong>En</strong> <strong>attendant</strong> l'Ouverture !" est reproduit ici avec de légères coupures afin de mieux répondre à la<br />

compréhension du lecteur d'aujourd'hui. Bourgmestre de Beernem, Hubert d'Ydewalle décéda en captivité la nuit du 4<br />

au 5 avril 1944.<br />

6<br />

Nicolas d'Ydewalle

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