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Autour de Constantinople IV (869-870)<br />

In: Revue des études byzantines, tome <strong>25</strong>, <strong>1967</strong>. pp. 155-188.<br />

Citer ce document / Cite this document :<br />

Daniel Stiernon<br />

Stiernon Daniel. Autour de Constantinople IV (869-870). In: Revue des études byzantines, tome <strong>25</strong>, <strong>1967</strong>. pp. 155-188.<br />

doi : 10.3406/rebyz.<strong>1967</strong>.1392<br />

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_<strong>1967</strong>_<strong>num</strong>_<strong>25</strong>_1_1392


AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV (869-870)<br />

Un des principaux mérites du R. P. Venance Grumel est d'avoir<br />

éclairé d'un jour nouveau, par de nombreux articles, l'histoire de la<br />

crise photienne (1). Au regard d'un certain plaidoyer où la critique<br />

discerna d'emblée des « pages quelque peu torrentueuses » (2), les<br />

mises au point de notre regretté confrère se signalent par un rare<br />

équilibre et un souci constant d'impartialité. Aussi espérait-on de lui<br />

le grand ouvrage d'ensemble, dégagé de toutes vues partisanes, qu'il<br />

était le seul à pouvoir nous donner et qui eût éclipsé les minuzie que<br />

voici, trop banales pour honorer la mémoire d'un des meilleurs histo<br />

riens-théologiens de l'Église byzantine.<br />

I. La date des ambassades de Basile 1er au pape Nicolas 1er<br />

Les Actes du IVe Concile de Constantinople (869-870) nous ont<br />

conservé, dans la traduction d'Anastase le Bibliothécaire (3), une<br />

lettre de l'empereur Basile Ier au pape Nicolas Ier lue au début de la<br />

3e session de ce Concile (4). Cette lettre est datée, sans plus, du<br />

11 décembre (5). Le cardinal A. Carafa, premier éditeur du document,<br />

n'a pas cherché à préciser l'année (6). Soucieux d'établir la chronologie<br />

des premiers rapports de Basile avec le Siège apostolique, laquelle<br />

est commandée par la date de la lettre en question, les historiens ont<br />

été moins réservés. Tout naturellement, Baronius a pensé à 867 et ne<br />

(1) Voir la bibliographie dans les Mélanges Venance Grumel I (RBB XXIV, 1966), n08 199,<br />

247, 248, 279, 280, 299, 395, 408, 420, 423, 469, 486, 512, 523, 551, 622, et les notices Ignace<br />

patriarche de Constantinople et Jean VIII, pape, dans Catholicisme, V, 1193-1195 ; VI, 477-480.<br />

(2) P. P(eeters), in Analecta Bollandiana, LU (1934), 407.<br />

(3) Nous possédons le manuscrit original d'Anastase. C'est le Vatic, lat. 4965; cf. G. Leonardï,<br />

Anaslasio Bibliotecario e Voltavo concilia ecumenico, in Studi Medievali VIII (<strong>1967</strong>),<br />

59-192. Je remercie cet aimable scriptor de la Bibliothèque valicane de m'avoir commun<br />

iqué à ce propos plusieurs renseignements dont certains sont utilisés ici.<br />

(4) Vatic, lat. 4965, f. 33vb-35 = Mansi, XVI, 46-47.<br />

(5) Mansi, XVI, 47 C.<br />

(6) Epistolarum decretalium Summorum Pontificum tomus tertius, Rome 1591, p. 271-272.<br />

L'édition a été achevée par Antoine d'Aquin.


156 REVUE DES ETUDES BYZANTINES<br />

distingue pas moins de trois ambassades envoyées par Basile à Rome<br />

tout au début de son règne : la première, aussitôt (statim) après<br />

Féloignement de Photius du trône patriarcal et le rétablissement<br />

d'Ignace (7); la deuxième, le 11 décembre 867 (8), toutes deux destinées<br />

à Nicolas Ier; la troisième enfin, dès que fut connue à Byzance l'élec<br />

tion d'Hadrien, successeur de Nicolas (f 13 novembre 867), amba-<br />

sade conduite, selon Baronius, par le spathaire Euthyme (9).<br />

Malheureusement le vieil annaliste n'élucide pas l'anomalie créée<br />

par sa chronologie : l'arrivée d'Euthyme à Rome avant l'ambassade<br />

de décembre 867. En outre, lorsqu'il motive le silence d'Ignace par<br />

les bruits répandus à Byzance au sujet d'une prétendue abolition<br />

par Hadrien des sentences de Nicolas Ier contre Photius (10), il ne<br />

soupçonne nullement qu'une telle hypothèse ruine sa reconstitution<br />

des événements, laquelle implique précisément l'envoi par Ignace,<br />

le 11 décembre 867, d'une missive destinée au pape.<br />

De plus, il date de juin 868 le synode romain qui condamna le<br />

« brigandage » photien de 867 et en brûla les actes d'une façon très<br />

spectaculaire (11). Enfin, constatant que les légats byzantins présents<br />

à ce synode de Saint-Pierre ne reprirent qu'en juin 869 la route de<br />

Constantinople, Baronius promet à ses lecteurs de leur fournir les<br />

raisons de ce séjour prolongé (12); mais il oublie ensuite sa promesse.<br />

La date de 868 pour le synode romain a été maintenue dans les<br />

grandes collections conciliaires (13), tandis que certains ont proposé<br />

de fixer au 11 décembre 868 la deuxième lettre de Basile à Nicolas (14).<br />

(7) Annales ecclesiastici, an. 867, t. X, Rome 1602, p. 381 A. Cette ambassade est évoquée<br />

par Basile au début de sa lettre du onze décembre suivant. En la passant sous silence,<br />

F. Dölger, Regesien, a été moins attentif que Baronius. Ce dernier ne précise pas la date<br />

de cette première mission, pas plus que celle (23 novembre 867) du rétablissement d'Ignace.<br />

(8) Ann. eccl., ibid. A la le lire de Basile Ignace avait joint la sienne (V. Grumei,, Re gestes<br />

n° 499) que Baronius date du « onze novembre, deux jours avant la mort de Nicolas »<br />

(Ibid., p. 384 A), lapsus corrigé par A. Pagi, Ann. eccl. auctore Caesare Baronio, éd. Lucques,<br />

t. XV, 1744, n. cvni, p. 122.<br />

(9) Ann. eccl. an. 868, t. X, Rome 1602, p. 407 E.<br />

(10) Ibid., p. 410 C.<br />

(11) Ibid., p. 409 B.<br />

(12) Ibid., p. 409 D; éd. Pagi, XV, n. xxxix, p. 150.<br />

(13) S. Bjnt, Concilia generalia et provincialia, Cologne 1606, t. II, p. 156; Των αγίων<br />

οικουμενικών Συνόδων της Καθολικής 'Εκκλησίας απαντά, I. Ill, Rome 1612, ρ. 344;<br />

Conciliorum omnium gcncraliu.m ei provincialium colleclio regia, t. V, Paris 1644, p. 732;<br />

Ph. Labbk et G. Cossart, Sacrosancta concilia ad regiam editionem exacia, t. VIII, Paris<br />

1671, p. 371 ; [J. Hardoii ι \"|, Ada conciliorum et Epislolae décrétâtes ac Conslilutiones Summo-<br />

rum Pontificum, t. V, Paris 1714, p. 618; N. Coleti, Sacrosancta concilia ad regiam editionem<br />

exacta, t. X, Venise 1730, col. 447-448 A; D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima<br />

collectio, XV, Venise 1770, col. 861-862 B.<br />

(14) J. F. Damberger, Synchronistische Geschichte der Kirche und der Welt im Mittelalter,<br />

t. III, Ratisbonne 1851, p. 237.


1). STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 157<br />

De Hergenröther à Dvornik.<br />

Depuis Hefele (15) et le cardinal Hergenröther (16), il est acquis<br />

que le Concile réuni à Saint-Pierre par le pape Hadrien II contre le<br />

patriarche Photius s'est tenu au début du mois de juin 869, et on<br />

admet généralement (17), pour les premières relations de Basile avec<br />

le Saint-Siège, la chronologie suivante :<br />

Aussitôt après le rétablissement solennel d'Ignace sur le trône<br />

patriarcal (23 novembre 867), envoi du spathaire Euthyme avec<br />

lettre impériale communiquant cette nouvelle au pape Nicolas.<br />

Le 11 décembre 867, Basile et Ignace signent un courrier destiné<br />

au même pontife et remis au spathaire Basile Pinakas que doivent<br />

accompagner à Rome les légats ignaciens Jean de Sylaion et Pierre<br />

de Troas et les photiens Pierre de Sardes et le moine Méthode.<br />

Printemps ou été 868 (avant le 1er août) : arrivée d'Euthyme à<br />

Rome.<br />

Le 1er août 868, le pape Hadrien II signe deux lettres, l'une destinée<br />

à l'empereur Basile, l'autre au patriarche Ignace, confiées à Euthyme<br />

qui se met bientôt en route pour Constantinople en compagnie de<br />

l'ignacien Théognoste réfugié à Rome depuis sept ans.<br />

Entre le 1er août 868 et le début de juin 869, arrivée à Rome de<br />

Basile Pinakas, des apocrisiaires ignaciens et de Méthode.<br />

10 juin 869 : Hadrien signe sa réponse à Basile et à Ignace, que<br />

ramènent aussitôt à Constantinople le spathaire Basile et les délégués<br />

ignaciens flanqués de trois légats pontificaux.<br />

(15) G. J. Hefele, Concilien geschickte nach den Quellen bearbeitet, t. IV, Fribourg-en-<br />

Br. 1860, p. 346-349, 357-359; Hefele-Delarc, Histoire des conciles, t. V, Paris 1870,<br />

p. 579-581; 592-600; Hefei.e-Leclerq, Histoire des conciles, t. IV1, Paris 1911, p. 451-454,<br />

465-474.<br />

(16) F. Hergenröther, Photius Patriarch con Constantino pel. Sein Leben, seine Schriften<br />

und das griechische Schism,a, t. II, Ratisbonne 1867, p, 21-32.<br />

(17) E. Dümmler, Geschichte des ostfränkischen Reiches, 2e éd., Leipzig 1887, p. 210;<br />

J. Gay, L'Italie méridionale et Vempire byzantin depuis l'avènement de Basile Ier jusqu'à<br />

la prise de Bari par les Normands (Έ67-1071,/, Paris 1904, p. 82; A. P. Lebedev, Istorija<br />

razdëlenija Cerkvej ν IX, X i XI vëkach, 2e éd. S. Pétersbourg 1905, p. 115; H. K. Mann,<br />

The Lives of the Popes in the Early Middle Ages, t. Ill (858-891), Londres 1906, p. 192-197;<br />

A. Vogt, Basile Ie1 empereur de Byzance f867-886j et la civilisation byzantine à la fin du<br />

IXe siècle, Paris 1908, p. 213-214; K. Brandi, Der byzantinische Kaiserbrief aus St. Denis<br />

und die Schrift der frühmittelalterlichen Kanzleien in Archiv für Urkundenforschung 1 (1908),<br />

n° 70; F. Dölger, Regesten der Kaiserurkunden des oströmischen Reiches vom 565-1453,<br />

t. I, Munich-Berlin, 1924, n° 474; E. Perels, Mo<strong>num</strong>,enta Germaniae Historica. Epistolae<br />

Karolini Aevi, t. IV (Epistolarum, t. VI), Berlin 19<strong>25</strong>, p. 758, n. 2 et 5; V. Grumel, Les<br />

Regestes des Actes du patriarcat de Constantinople. 1 Les Actes des patriarches. 2 Les Regestes<br />

de 715 à 1043, Kadiköy 1936, n° 499; E. Amann, L'époque carolingienne (A. Fliche-V. Mart<br />

in, Histoire de VÉglise, t. VI), Paris 1937, p. 483-485; M. Jugie, Le schisme byzantin,<br />

Paris 1941, p. 115-116.


158 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

<strong>25</strong> septembre 869, réception solennelle de l'ambassade pontificale<br />

à la Porte dorée de Constantinople.<br />

M. l'abbé Dvornik a cru bon de ne pas se conformer à cette<br />

chronologie. A l'aurore de sa brillante carrière, il affirmait sans hési<br />

tation que « l'ambassade solennelle » de Basile Ier « parvint à Rome<br />

en juin ou juillet 868 » (18). Distraction flagrante sur laquelle nous<br />

n'insisterons pas (19). Dans son magistral ouvrage sur Photius, il y<br />

a regardé de plus près. S'inspirant peut-être d'Aristarchis (20), il<br />

assure que, pour le départ de cette solennelle ambassade, la date du<br />

11 décembre 867 « ne peut en aucun cas être maintenue » (21). Il<br />

invoque deux arguments; le premier fait étaû du courrier antérieur<br />

de Basile; le second porte sur la durée du voyage de Constantinople<br />

à Rome. Examinons-les en détail.<br />

« Même si Basile, écrit M. Dvornik, avait envoyé Euthyme à Rome<br />

dès la fin de septembre 867, il n'aurait pu s'étonner de n'avoir pas<br />

reçu de réponse le 11 décembre de la même année » (22).<br />

Que vaut cette première objection? Peu de chose. Remarquons<br />

en effet que le basileus ne parle pas précisément d'une réponse attendue<br />

avec impatience. Voici ce qu'il écrit au pape : « Dans une précédente<br />

lettre... Nous vous avons fait connaître notre volonté concernant les<br />

affaires de notre Église. Mais, ignorant si cette lettre se trouve entre<br />

vos mains [...] — au cours d'un si long voyage bien des obstacles<br />

peuvent survenir — Nous estimons nécessaire tout d'abord d'en<br />

rappeler brièvement le contenu... » (23). On voit donc que ] 'empereur<br />

manifeste simplement une certaine appréhension au sujet de l'ach<br />

eminement de son courrier. Il aura sans doute appris que les conditions<br />

météorologiques étaient très mauvaises au moment où Euthyme<br />

aborda l'Adriatique ou que les incursions arabes avaient mis son<br />

messager en péril. Basile aurait probablement exhalé son inquiétude<br />

et son impatience d'une toute autre manière si, écrivant le 11 décembre<br />

868, il attendait une réponse depuis treize ou quinze mois.<br />

Mais cela ne constitue peut-être qu'un faux problème. Cette inquié<br />

tude ne serait-elle pas feinte? Basile ne visait-il pas plutôt à prévenir<br />

(18) F. Dvornik, Les Slaves, Byzance et Rome au IX1' siècle, Paris 192G, p. 174.<br />

(19) C'est évidemment l'ambassade d'Euthyrne (moins solennelle que celle dirigée par<br />

Basile Pinakas) qui parvint à Rome au plus tard à la date susdite.<br />

(20) S. AristARCHÈS, Τοΰ έν άγίοις πατρός ημών Φωτίου πατριάρχου Κωνσταντίνου πόλεως Λόγοι<br />

και όμιλίαι, t. I, Constantinople 1900, ρ. ξδ'.<br />

(21) F. Dvornik, Le schisme de Photius. Histoire et légende, (= Unam Sanclam 19).<br />

Paris 1951, p. 201.<br />

(22) Ibid., p. 206.<br />

(23) Mansi XVI, 46 AB.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 159<br />

ou à atténuer la surprise du pape assurément très étonné en voyant<br />

arriver une seconde ambassade byzantine, quelques jours après la<br />

première. Par là ne cherchait-il pas à camoufler l'importance qu'il<br />

attachait aux éléments nouveaux introduits dans ce deuxième<br />

courrier?<br />

L'autre objection de M. Dvornik mérite de retenir davantage l'atten<br />

tion. « II semble invraisemblable que le voyage de Byzance à Rome<br />

ait pu durer de décembre 867 jusqu'en décembre 868. Ce n'était<br />

tout de même pas une odyssée » (24).<br />

Notons entre parenthèses que le savant sociétaire de Dumbarton<br />

Oaks se montre ici bon prince. Car un peu plus loin il prolonge<br />

« l'odyssée » des ambassadeurs byzantins jusqu'à la limite extrême<br />

en les faisant parvenir à Rome « vers la fin de l'hiver 869, peut-être<br />

à la fin de février ou au début de mars » (<strong>25</strong>). Ce qui renforce év<br />

idemment son objection (26).<br />

Il est dommage que le byzantiniste tchèque néglige ici un élément<br />

de première importance, maintes fois relevé : la correspondance que<br />

Basile Pinakas devait remettre au pape était adressée, non pas à<br />

Hadrien, mais à Nicolas Ier (27). On invoque parfois une erreur de<br />

copiste dans l'adresse de la lettre (Nicolao pour Hadriano) (28) et on<br />

incrimine Anastase le Bibliothécaire (29). Mais, aussi bien d'après<br />

la réponse d'Hadrien à Basile (30) et la lettre-préface d'Anustase à<br />

Hadrien II (31) que selon les récits de la Vita Hadriani (32) et de<br />

(24) Dvornik, Le schisme, p. 207.<br />

(<strong>25</strong>) Ibid. Mais ici il suppose que leur départ a eu lieu le onze décembre 868.<br />

(26) Avec certitude on sait seulement que les légats n'étaient pas encore à Rome le<br />

1er août 868 et qu'ils y étaient depuis un certain temps le 10 juin de l'année suivante. De<br />

toute façon, même en conjecturant qu'ils sont arrivés en septembre, leur expédition aurait<br />

duré environ neuf mois; ce qui est considérable, surtout pour une ambassade impériale<br />

qui n'avait aucune raison de lanterner.<br />

(27) Selon la version latine des Actes de Constantinople IV, les légats romains ordon<br />

nèrent de donner lecture de la lettre envoyée par Basile « au très saint pape Hadrien » (Cod.<br />

Vatic, lat. 4965, f. 33vb). Il faut corriger ad fidem codicis le texte édité : ad sanctissimum<br />

papam Nicolaum (Mansi XVI, 45 E); cette leçon est d'ailleurs contredite par la note margi<br />

nale d'Anastase le Bibliothécaire (Ad H adria<strong>num</strong> missam dicunt quoniam hanc Hadrianus<br />

suscepit quae tarnen ad Nicolaum fuerat scripla) et par le parallélisme avec la lettre d'Ignace<br />

(quam ad sanctissimum papam Hadria<strong>num</strong> miserai, Mansi XVI, 47 C; la note marginale<br />

d'Anastase devrait ici subir une correction purement stylistique : Et ista quidem Nicolao.<br />

missa est, sed eo dejuncLo hanc Hadrianus suscepit; Vat. lat. 4965, f. 35ra). A noter que<br />

l'abbréviateur grec a conformé son texte à l'intitulé des deux lettres, sans aucune référence<br />

à Hadrien (Mansi XVI, 324 C-3<strong>25</strong> A) cité au contraire par Métrophane de Smyrne {ibid<br />

420 A).<br />

(28) Amann, Photius, DTC XII, 1578.<br />

(29) AristarchÈS,... Φωτίου... λόγοι, και όμ, ρ. ξδ', η. 5.<br />

(30) MGH Epist. VI, 754 17.18 (Mansi, XVI, 20 C) ; cf. la déclaration des légats, Mansi<br />

XVI, 20 A, 312 D.<br />

(31) MGH Epist. VII, 40820 (= Mansi XVI, 7 A).<br />

(32) Liber Ponlificalis, éd. L. Duchesne, II, Paris 1895 (rééd. 1955), p. 17812.


160 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

Nicétas David (33), il résulte que l'ambassade en question a bien été<br />

envoyée à saint Nicolas Ier.<br />

En dernière analyse, M. Dvornik ne conteste pas que tel soit le<br />

destinataire du fameux courrier de décembre. En conséquence, il ne<br />

se refuse pas à admettre qu'en décembre 868 Constantinople ignorait<br />

encore la mort de Nicolas survenue le 15 novembre de l'année précé<br />

dente. Il fait même observer que, si le Macédonien avait été au courant<br />

de cette nouvelle, il aurait eu soin de détruire les Actes du concile<br />

photien de 867, ou tout au moins il ne les aurait pas expédiés à Rome<br />

comme pièce à conviction, pour ne pas compromettre ses desseins<br />

conciliateurs (34).<br />

En somme, l'une ou l'autre option comporte une part d'invra<br />

isemblance. Le problème consiste à décider si le fait de relier le trajet<br />

Constantinople- Rome en un an constitue une performance plus<br />

invraisemblable que de parcourir, dans le môme temps, le trajet<br />

en sens inverse.<br />

Constantinople et la mort de Nicolas Ier.<br />

En d'autres termes, est-il pensable qu'on pût, encore en décembre<br />

868, ignorer à Byzance la nouvelle de la mort du pape Nicolas? Nous<br />

ne le croyons pas. Nous pensons même que Constantinople a été<br />

assez vite informée de cette nouvelle qui l'intéressait au plus haut<br />

point. Cela, en raison des fréquents contacts qui, à cette époque,<br />

mettaient en quelque sorte la Bulgarie aux portes de Rome.<br />

Il faut se rappeler ici que l'intention dernière de Nicolas Ier, en<br />

réponse à une deuxième initiative du roi Boris-Michel, avait été<br />

d'associer à Paul de Populonia, déjà sur place, deux nouveaux évêques,<br />

Grimoald de Bomarzo et Léopard d'Ancône (35), qui dirigeraient la<br />

jeune mission latine en Bulgarie, et d'affecter Dominique de Trivento<br />

(ou de Trevi) et Formose de Porto (celui-ci également déjà depuis<br />

un an chez Boris) à une nouvelle ambassade à Constantinople « pro<br />

schism ate ibi exorto », au terme de laquelle ces deux derniers évêques<br />

reviendraient à Rome, étant bien entendu que Formose devait renoncer<br />

(33) Vila fgnalii, Mansi XVI, 261 D (= PG 105, 544 C).<br />

(34) F. Dvorni κ, The Patriarch Pholius in the Light of Recent Research, in Berichte zum XI.<br />

internationalen Byzanlinislen-Kongress, München 1958, III, 2, Munich 1958, p. 32.<br />

(35) Pour I jeopard, of. J. Duhr, Humble vestige d'un grand espoir déçu. Épisode de la<br />

vie de Formose, in Recherches de science religieuse, XLII (1954), 379, n. 57. Ë. Caspar parle<br />

distraitement de Formose de Porto et de Dominique de Polimartiurn (MGH Epist. VII,<br />

301, n. 6; cf. 327, n. 2).


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 161<br />

aux espoirs que Boris-Michel avait mis en lui et réintégrer son<br />

diocèse (36).<br />

Or, Hadrien avait pris à cœur la réalisation des ultimes volontés<br />

de son « père ». C'est pourquoi, peu après sa consécration (14 décembre<br />

867), il envoya en Bulgarie le groupe de missionnaires et de légats<br />

désignés « in articulo mortis » par son prédécesseur; il se contenta<br />

d'inscrire à son nom la correspondance que Nicolas avait confiée à<br />

cette ambassade (37). On a prétendu que « le rétablissement d'Ignace<br />

à la suite de l'exil de Photius, rendait sans objet l'envoi de Dominique<br />

et de Formose dans la ville impériale » (38). Mais on n'a pas tenu<br />

compte qu'à la mi-décembre 867 on ignorait certainement à Rome<br />

ce rétablissement (23 novembre). Hadrien n'avait donc pas à modifier<br />

les plans de Nicolas (39). En tout cas, les raisons ne lui manquaient<br />

pas de profiter de cette mission bulgare pour se renseigner au sujet<br />

des affaires religieuses de Constantinople, notamment des possibil<br />

ités de réconciliation et de la procédure à suivre en vue d'y notifier<br />

son avènement d'une manière officielle.<br />

Nous ignorons si, au printemps de 868, Dominique et Formose<br />

ont réellement, de Bulgarie, poussé une pointe jusqu'au Bosphore.<br />

Qu'on ne vienne pas nous dire que la question n'a pas de sens, en<br />

arguant que Formose était de retour à Rome dès « la fin de 867 » (40). Car,<br />

ce qui est devenu aujourd'hui sentence commune dont la preuve<br />

aurait été administrée par Dümmler (41), repose sur la date de l'ordi<br />

nation, à Rome, par Formose et Gaudéric de Velletri, des disciples<br />

des apôtres slaves. Or cette date, que l'on fixe au 5 janvier 868 ou<br />

(36) Vita Nicolai, in Liber Ponlificalis, éd. Duchesne, II, p. 165.<br />

(37) Vita Hadriani, ibid., p. 17528-32.<br />

(38) Duiir, Humble vestige, p. 379; P. Duthilleul, U evangelisation des Slaves. Cyrille<br />

et Méthode, Tournai 1963, p. 89. A première vue, c'est ce que semble affirmer la Vita Nicolai.<br />

Mais il faut tenir compte des procédés du narrateur qui bloque, sans respecter la chronologie<br />

intermédiaire, divers épisodes se rapportant à une même histoire.<br />

(39) La Vita Hadriani paraît cependant insinuer qu'on était alors au courant, à Rome,<br />

du coup d'État de septembre 867, car elle précise que les directives bulgaro-byzan Lines de<br />

Nicolas furent exécutées « in quantum tempestas fluctuosi temporis permittebat » [Liber<br />

Pontificalis, II, p. 17530); de même elle nous apprend que furent emportées quelques-unes<br />

des lettres de Nicolas (quasdam epistularum, p. 17530), ce qui donnerait à penser que ne fut<br />

pas expédiée la lettre destinée à Michel III.<br />

(40) A. Lapôtre, Hadrien II et les Fausses décrétales, in Revue des questions historiques,<br />

XXVII (1880), 413; cf. L. Duchesne, Le Liber Pontificalis, II, p. 190, n. 56; Duhr, Humble<br />

vestige, p. 379, n. 58; 0. Bertolini, Adnano II, in Dizionario biografico degli Italiani I,<br />

Rome 1960, p. 324; Duthilleul, U evangelisation, p. 89. Certains ont même prétendu<br />

que Formose était déjà rentré « in the late summer of 867 » (M. Lacko, Saints Cyril and<br />

Methodius, Rome 1963, p. 132), sans tenir compte du fait qu'il n'était pas encore de retour<br />

pour la consécration d'Hadrien {Vita Hadriani, Liber Pont., II, p. 17512-13).<br />

(41) Geschichte des ostfränkischen Reiches, t. II, p. <strong>25</strong>6, n. 2.


162 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

peu après (42), est établie en fonction de celle de la fugue et de la mort<br />

de l'évêque Arsène d'Orte, autre protagoniste des ordinations romaines<br />

des apôtres slaves. On assure, en effet, qu'Arsène « mourut pendant<br />

le carême de 868 » (43) ou du moins qu'il s'enfuit de Rome à cette<br />

date (44). En vérité, cette chronologie a été élaborée en imaginant<br />

que le rapt de la fille du pape par Eleuthère, fils d'Arsène, survenu<br />

« quarta feria post initium Quadragesimae » (45), soit le 10 mars 868,<br />

a provoqué immédiatement la fuite et la mort de ce dernier, alors<br />

qu'un certain temps s'est écoulé entre les deux événements, Arsène<br />

étant décédé peu de temps après avoir quitté Rome pour se réfugier,<br />

à Acerenza (Pouille), auprès de Louis le Germanique. Or sa mort se<br />

place à la veille du 15 août 868 (46). Il a donc très bien pu rester à<br />

Rome jusqu'au début du mois d'août (47).<br />

Même si Formose n'a pas eu à se rendre à Constantinople, il reste<br />

que la mission romaine conduite par Grimoald et Dominique a informé,<br />

dès février 868, le roi Boris et la jeune chrétienté bulgare du change<br />

ment survenu sur le trône de Pierre. Or la Bulgarie était « la porte<br />

ouverte sur la terre des Grecs », comme l'avait écrit le pape Nicolas au<br />

soir de sa vie, et le chemin rêvé pour atteindre Constantinople à pied<br />

sec (48). Qu'une telle nouvelle n'ait franchi la frontière byzantine<br />

qu'après le 11 décembre 868 nous paraît souverainement invraisemb<br />

lable. D'autant plus que Byzance était loin de se désintéresser des<br />

terres du khan Boris-Michel.<br />

(42) F. Dvornik, Sts Cyril and Methodius in Rome, in St. Vladimir's Seminary Quarterly<br />

VII (1963), <strong>25</strong>-26; S. Sakac, / Santi Cirillo e Melodio a Roma, in Cirillo e Metodio, Santi<br />

Apostoli degli Slavi, Rome 1965, p. 85, reste dans le vague.<br />

(43) A. L apôtre, Hadrien II, p. 413.<br />

(44) E. Perels, Papst Nikolas I. und Anaslasius Bibliolherarius. Ein Beitrag zur Geschichte<br />

des Papsttums im neunten Jahrhundert, Berlin 1920, p. 232, n. 2; cf. P. Meyvaert et<br />

P. Devos, Trois énigmes cyrillo-méthodiennes de la « Légende italique » résolues grâce à un<br />

document inédit, in Analecta Bollandiana, LXXIII (1955), 375 (376), n. 2 ; F. Grivec-<br />

F. Tomsic, Constanlinus et Methodius Thessalonicenses. Fontes, Zagreb 1960, p. 209, n. 14;<br />

F. Grivec, Konstantin und Method, Lehrer der Slave η, Wiesbaden 1960, p. 81-82; Dutiiil-<br />

leul, V evangelisation, p. 126, η. 1 ; V. Vravrinek, in Byzanlinoslavica, XXIV (1963), 296.<br />

(45) Hincmar, Annales Bertiniani, an. 868 (Annales de Saint- Berlin, éd. G. Grat, J. Viel-<br />

liard; S. Gi.kmencet, Paris 1964, p. 144; cf. MGTT SS. I, 477; PL 1<strong>25</strong>, 1238 B).<br />

(46) De exemplis mortis Arsenn miserrimi episcopi, in Bibholhcca Casinensis, t. Ill,<br />

Monlecassino 1877, p. 140; cf. A. Petrucci, Arsenio, in Dizionario biografico degli Ilaliani,<br />

IV, 342.<br />

(47) C'est ce qu'a bien vu M. Tadin, Les ordinations romaines des premiers disciples<br />

slaves et la date de la consécration épiscopale de Méthode, frère de Constantin-Cyrille, in Akten<br />

des XI. internationalen Byzantinisten-Kongresses München 195S, Munich 1960, p. 617, qui<br />

pense pourtant que Formose était déjà de retour à Rome « au début de 868 » (p. 611).<br />

(48) Epist. Nicolai ad Hincmarum (23 oct. 867); MGH Epist., XVI, 6037-9; Vita Nicolai<br />

n Liber Pont., II, 16426-27.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 163<br />

De Constantinople à Γ Adriatique.<br />

Comment alors expliquer la lenteur considérable avec laquelle<br />

Basile Pinakas et ses compagnons de route ont accompli le voyage<br />

de Rome?<br />

Nicétas le Paphlagonien précise que les légats s'embarquèrent<br />

sur deux dromons (49). Le voyage aurait-il été tout entier maritime?<br />

La chose semble peu probable. L'insécurité de la mer après la ferme<br />

ture hivernale du trafic et en pleine euphorie navale des arabes et<br />

autres corsaires a dû conseiller de prendre la voie égnatienne qui, en<br />

754 milles, reliait Constantinople à Dyrrachium. En temps normal,<br />

c'était l'affaire d'une trentaine de jours (49 bis). D'aucuns pensent<br />

que le mauvais temps a bloqué l'ambassade à Constantinople même.<br />

On a suggéré l'éventualité d'ennuis créés en cours de route par les<br />

partisans de l'ancien régime (50). Nous croirions plutôt que, parvenus<br />

sans trop d'encombre à Dyrrachium, les ambassadeurs ont été<br />

contraints de différer la traversée en raison des opérations navales<br />

arabo-byzantines qui, justement à cette époque, intéressaient la mer<br />

Ionienne et le sud de l'Adriatique. C'est le moment de rappeler<br />

que Basile, tout au début de son règne, avait été amené à intervenir de<br />

ce côté. En septembre 867, Raguse assiégée depuis plusieurs mois<br />

par les Sarrasins qui avaient déjà occupé quelques villes de la côte<br />

dalmate aux environs des Bouches de Dekatera (Kottor), s'étaient<br />

adressés à Constantinople pour solliciter l'aide militaire de l'empereur.<br />

Michel ayant été assassiné pendant le voyage des ambassadeurs<br />

ragusains, ce fut Basile qui répondit à cet appel au secours en dir<br />

igeant cent navires, sous la conduite du drongaire Nicétas Oryphas,<br />

vers le port en détresse. Les Arabes levèrent alors le siège de Raguse<br />

et se replièrent sur Bari (51). Il est probable que les préparatifs de<br />

l'intervention byzantine ont eu lieu pendant l'automne et l'hiver de<br />

(49) Vita Ignatii; Mansi, XVI, 261. D. Pierre de Sardes s'en était choisi un tout neuf<br />

(Anastase le Bibliothécaire, LeUre- préface à Hadrien, MGH Epist. VII, 40815). Selon Aristar-<br />

chis, ce navire fut affrété par Photius désireux de contrer Ignace (Φωτίου λόγοι... ρ. ξς).<br />

Cependant, Basile, dans sa lettre à Nicolas, laisse entendre que, par souci d'équité, il a pris<br />

lui-même l'initiative de la double représentation ecclésiastique byzantine (Mansi, XVI,<br />

47 A).<br />

(49 bis) N. Kolev, Pèlerins et croisés d'Occident à travers la Bulgarie (XIe-XIIe siècles)<br />

[Thèse], Paris 1950, p. 56.<br />

(50) Hefele, Conciliengeschichte, t. 4, p. 358; trad. Delarc, t. 5, p. 592; trad. Leclercq,<br />

t. 41, p. 465; Hergenröther, Photius, II, p. 29.<br />

(51) Constantin Porphyrogénète, Vita Basilii in Théopiiane Cont., Chronogr., V,<br />

53; éd. Bonn, p. 289; De thematibus, éd. Prrtusi (= Studi e Testi 160), Cité du Vatican<br />

1952, p. 97 (1118-36); De administrando imperio, éd. Gy. Moravcsïk, trad. R. J. H. Jenkins,<br />

Budapest 1949, p. 126-128 (2988-103).


164 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

867-868 et que Raguse fut délivrée au printemps de 868 (51 bis).<br />

Là où elle aurait pu jouir d'une bonne escorte (et peut-être le basileus<br />

a-t-il envisagé cela lorsqu'il la fit partir au début de l'hiver), l'ambas<br />

sade se trouva en fait dans l'impossibilité de poursuivre prudemment<br />

sa route.<br />

L'ambassade d' Euthyme.<br />

A cette hypothèse on objectera sans doute le cas du spathaire<br />

Euthyme. Parti de Constantinople le 23 novembre 867 (ou peu après),<br />

il rencontra les mêmes difficultés, puisqu'il ne parvint à Rome qu'au<br />

début de l'été 868 (52). Comment se fait-il que, bloqué lui aussi devant<br />

l'Adriatique, il n'ait pas été rejoint par son collègue Basile Pinakas?<br />

Mais sur quoi repose la chronologie admise par certains pour l'arr<br />

ivée à Rome du premier messager de Basile le Macédonien? Sur le<br />

seul fait que le pape a répondu au basileus le 1er août. Il nous semble<br />

pourtant que n'est pas exclue l'hypothèse d'un séjour assez long<br />

d'Euthyme à la cour pontificale. D'après Hadrien II lui-même,<br />

Euthyme fut le premier à annoncer au pape le rétablissement d'Ignace<br />

(53). Or cette nouvelle est parvenue à Rome, croyons-nous, avant<br />

l'été 868, par le canal de la Bulgarie. En effet, Formose de Porto, qui<br />

ne pouvait l'ignorer, rentra au printemps de cette année-là. On ne<br />

voit pas, répétons-le, ce qui eût pu le décider à quitter la Bulgarie,<br />

sinon le courrier qu'Hadrien avait remis à la nouvelle équipe de mis<br />

sionnaires romains qui s'ébranla de Rome peu après le 14 décembre<br />

867 et dut atteindre Pliska au plus tard au début de février 868 (54).<br />

Évêque consécrateur, à Rome, des disciples slaves, il aurait pontifié<br />

aux Quatre-Temps de Carême, soit les 10, 12 et 13 mars 868 (55).<br />

Dans ce cas, son retour à Rome avec Paul de Populonia aurait été<br />

ultra-rapide (56). Mais l'argumentation de M. Tadin n'est pas incontes-<br />

(51 bis) Constant. Porphyroc, De adminislr. imperio, t. Il, Commentary (Jenkins),<br />

Londres 1962, p. 103 (20-91). B. Krekic place les quinze mois de siège en 866-867 (Dubrovnik<br />

Ftaguse et le Levant au Moyen Age, Paris-La Haye, 1961, p. 14), dale qui s'applique plutôt<br />

à Raguse en Sicile.<br />

(52) Hkr(;enroethkr, Pholius, II, p. 28. Pour ceux qui font partir Euthyme au prin<br />

temps de 868, celte dale ne pose évidemment aucun problème (Dvornik, Le schisme, p. 204).<br />

(53) MGH, Epist., VI, 734:i5-38.<br />

(54) Cf. ci-dessus, p. 162.<br />

(55) Ta dim, Les ordinations, p. 611.<br />

(56) De Rome à Pliska, capitale bulgare, le voyage durait en principe vingt à vingt-<br />

cinq jours; cf. 1. Snkgarof, La fondation de V Église orthodoxe bulgare, in Εις μνήμην<br />

CnrPIAYNOC ΛΑΜΠΡΟΥ, Athènes 1935, p. 280, n. 5. On sera étonné par la rapidité<br />

des communications entre Rome et la Bulgarie à l'époque même où les relations entre<br />

Contantinople et Rome enregistrent des retards invraisemblables. Or, la voie directe était


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 165<br />

table. Car rien n'oblige à maintenir en prison Gaudéric de Velletri<br />

jusqu'à Pâques 868. Ce prélat a donc très bien pu opérer en mars et<br />

Formose seulement en juin (57). Quoi qu'il en soit, rentré à Rome<br />

vers avril 868, ce dernier aurait été le premier à renseigner le pape<br />

au sujet du rétablissement d'Ignace, s'il n'avait été devancé par<br />

Euthyme. Le spathaire de Basile parvint donc à Rome avant juinjuillet.<br />

N'y était-il pas déjà le 20 février 868? Ce jour-là, Hadrien II<br />

invita au Latran, pour une agape, les Orientaux présents à Rome<br />

qui, depuis un certain temps, le boudaient quelque peu (58). Parmi<br />

ces famuli Domini de Jérusalem, d'Antioche, d'Alexandrie et de<br />

Constantinople, certains « legationibus mundi principum fungebantur »<br />

(59). Théognoste et les ignaciens réfugiés à Rome étaient tout le<br />

contraire d'ambassadeurs de Michel III. S'agit-il de moines melkites<br />

mandatés par quelque émir d'Egypte ou de Syrie? Dans ce cas,<br />

Hadrien n'aurait pas, devant eux, poussé l'indélicatesse au point de<br />

porter un toast à la victoire de Louis le Germanique sur les Sarra<br />

sins (60). A l'origine, ambassadeurs politiques, religieux et culturels<br />

de Michel III en Grande Moravie, Constantin et Méthode n'étaient<br />

pas, semble-t-il, porteurs de messages officiels adressés au pape par<br />

Rastislav de Moravie ou par Kocel de Pannonie (61). On a pensé plus<br />

justement à des « députés » de Constantinople ayant « mission de<br />

renouer les négociations avec Rome » (62). Or, à Euthyme le tout<br />

premier, une telle mission avait été confiée par l'empereur Basile (63).<br />

Son arrivée à Rome serait donc antérieure au 20 février. Elle a sans<br />

doute provoqué le banquet du Latran et rétabli l'entente, quelque<br />

temps compromise, entre les ignaciens et la papauté.<br />

en grande partie commune, puisque passant par les ports de l'Bpire. Mais c'est la voie de<br />

terre, assurément plus longue, qui semble avoir été suivie par les missionnaires en question.<br />

(57) Les ordinations, p. 612. Cet auteur, avant tout préoccupé d'établir son calendrier<br />

en fonction des prescriptions des Ordines romani, n'envisage pas l'inconvenance qu'il y a<br />

à mêler Arsène aux ordinations de Méthode après 10 mars 868. Nous répondrons nous-même<br />

à l'objection en supposant que le scandale n'éclata pas tout de suite après l'enlèvement<br />

de la fille du pape. Bien que très affligé par cette affaire, Hadrien II avait tout intérêt à<br />

ne rien divulguer. Il aurait donc continué à accorder sa confiance à Arsène et à Anastase<br />

jusqu'au début de mois d'août.<br />

(58) Vita Hadriani, in Liber Pontif., II, p. 176-177.<br />

(59) Vila Hadriani, in Liber Pontif., II, p. 176-177.<br />

(60) Ibid. p. 176<strong>25</strong>-27.<br />

(61) En quittant d'ailleurs ces pays, leur intention première avait été de se rendre à Cons<br />

tantinople. Cependant Mgr d'Herbigny les croyait visés par le texte du Liber Pontificalis<br />

(Quelques sujets d'études pour des byzanlinisles yougoslaves à Rome, in Deuxième Congrès intern,<br />

des études byzantines, Belgrade 1927, Belgrade 1929, p. 6). De même Sakac, / Santi, p. 80-82.<br />

(62) A. Lapôtre, Hadrien II..., p. 399.<br />

(63) L'expression famulus Domini désigne plutôt un moine, et Euthyme était un officier<br />

civil. Perdu au milieu du groupe monastique oriental, il aura tout simplement été assimilé<br />

par le narrateur latin à ses pieux compatriotes.


166 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

Euthyme ne traîna donc pas trop en route (64). Sa qualité d'esta<br />

fette le rendait du reste plus véloce qu'une ambassade solennelle.<br />

Il avait trois semaines d'avance. Cela peut suffire pour bénéficier<br />

de circonstances favorables qui feront défaut à Pinakas et son escorte.<br />

Mais alors, Hadrien aurait attendu plus de cinq mois avant de<br />

répondre au basileus? Quelles raisons avait le pape de « tant lambi<br />

ner » (65)? Peut-être voulait-il éclaircir le cas de l'empereur Basile<br />

accusé d'avoir trempé dans la forfaiture de Michel III, au temps où<br />

il était associé au gouvernement impérial (66). En outre, on devait<br />

soupçonner à Rome que la démarche de Basile était inspirée par le<br />

désir de se faire pardonner le double meurtre (Bardas et Michel)<br />

accompli par le Macédonien. Ne fallait-il pas non plus attendre un<br />

mot d'Ignace? Avant de renvoyer Euthyme et Théognoste, le pape<br />

a tenu à s'assurer, par une notification reçue de l'intéressé lui-même,<br />

que les heureux événements annoncés par Basile s'étaient réellement<br />

accomplis. A Hadrien qui avait quelques raisons de craindre les<br />

atermoiements d'Ignace (67), Théognoste, en parfait avocat, a dû<br />

faire comprendre que le patriarche byzantin ne tarderait pas à donner<br />

signe de vie. On préféra donc attendre jusqu'au milieu de l'été<br />

avant d'adresser à la victime de Photius, maintenant victorieuse, de<br />

paternels reproches.<br />

C'est le moment de se demander pourquoi Ignace n'a pas profité<br />

de l'ambassade d'Euthyme pour notifier à Rome son rétablissement.<br />

Car le silence du patriarche surprend un peu lorsque l'on considère<br />

qu'Euthyme a quitté Constantinople après le 23 novembre 867. Mais<br />

il étonne moins si l'on suppose que ce spathaire s'est rendu à Rome<br />

peu après de coup d'Etat du 23-24 septembre précédents (68). Euthyme<br />

a pu faire partie de l'estafette rapide lancée à la poursuite des mes<br />

sagers de Photius en route vers l'Italie. Et tandis que ses collègues<br />

ramenaient ceux-ci à Constantinople (69), il aurait poursuivi sa<br />

course jusqu'à Rome avec un mot de Basile qui anticipait sur les<br />

(64) Ilefele noie un peu le poisson quand il écrit qu'Euthyme était arrivé à Rome « zieml<br />

ich rechtzeitig » (Conciliengeschichte, IV, p. 357), traduit par Delarc » avec une assez grande<br />

célérité » (Hist, des conciles, Y , p. 592) et par Leclercq « assez rapidement » (Hist, des Conciles,<br />

IV1, p. 4 65), sans proposer la moindre date.<br />

(65) Hergenröttier n'en voit aucune (Photius, II, p. 28).<br />

(66) Nicolas, Epist. ad Hinemarum (23 oct. 867); MGH Epist., VI, 60116.<br />

(67) Hadrien n'ignorait pas qu'Ignace s'était fait tirer l'oreille par ses prédécesseurs à<br />

l'occasion du procès de Grégoire Asbestas (Dvornik, Le schisme, p. 62-68) et avait prêté<br />

le flanc aux calomnies répandues parles anti-ignaciens (MGH, Epist., VI, p. 43630-32, 75313-15).<br />

(68) C'est l'hypothèse que nous proposons dans notre Constantinople IV, Paris <strong>1967</strong>,<br />

p. 70-71.<br />

(69) Vita Ignatii, Mansi, XVI, <strong>25</strong>7 C.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 167<br />

décisions à prendre à l'égard de Photius et d'Ignace. Ce dernier n'avait<br />

donc pas encore à alerter le Saint-Siège. D'autre part, Euthyme<br />

n'aura pas été dans les mêmes conditions de voyage que l'ambassade<br />

dirigée par Basile Pinakas. Et surtout l'envoi de celle-ci se justifie<br />

plus facilement si elle fait suite, non pas à un courrier à peine<br />

embarqué, mais à une initiative prise en vitesse, deux mois et demi<br />

plus tôt, dans l'effervescence de la révolution de palais. En revanche,<br />

notre hypothèse a le désavantage de prolonger encore l'odyssée<br />

romaine du premier messager de Basile.<br />

De G Adriatique à Rome.<br />

Mais revenons à Pinakas et à ses acolytes que nous avons laissés<br />

à Dyrrachion bloqués par la bataille pour la délivrance de Raguse.<br />

Ce n'est peut-être qu'au milieu du printemps qu'ils purent s'embarq<br />

uer. Sans doute mirent-ils le cap sur Ancône (70). En tout cas, la<br />

traversée fut dramatique. Secoués par la tempête « dans le golfe de<br />

Dalmatie » (71), ils perdirent un de leurs dromons, pourtant tout<br />

neuf. Pierre de Sardes laissa la vie dans ce naufrage (72).<br />

On imagine aisément les naufragés revenus sur la terre ferme de<br />

Dalmatie pour panser leurs blessures et calmer leurs émotions.<br />

Il y aurait lieu de se demander si, parmi les victimes, ne figurait<br />

pas aussi Lazare le Khazar. En septembre 865, le pape Nicolas I<br />

avait demandé que cet ignacien lui fût envoyé, avec d'autres, pour<br />

résoudre la crise photienne (73). Or on sait que Lazare mourut au<br />

cours d'une mission romaine (74). Certes, Ignace ne le mentionne<br />

pas parmi ses ambassadeurs (75). Mais a-t-il nommé tout le monde?<br />

(70) Constantin Porphyrogénète affirme que, refluant de Raguse, les Sarrasins envahirent<br />

toute la Calabre et la Longobardie « jusqu'à Rome » (De administrando imperio, éd. Moravcsik-<br />

Jenkins, 29100-103, I, p. 128; de thematibus, éd. Pertusi, 1133, p. 98; cf. Louis II, Epist.ad Basilium,<br />

MGH Epist., VII, 39131-32; 39317-20). L'occupation arabe du littoral apulo-calabrais<br />

ne permettait donc pas d'utiliser les ports d'Otrante, de Brindisi ou de Bari. On a justement<br />

placer avant la fin de 867 l'embarquement à Bari du moine Bernard et de ses deux compa<br />

gnons (F. Avril et J.-R. Bagaborit, L' Itinerarium Bernardi Monacki et les pèlerinages<br />

d'Italie du Sud pendant le haut Moyen Age, in Mélanges d'Archéologie et d'Histoire, LXXIX<br />

[<strong>1967</strong>], 274, n. 1). Deux ans plus tard, les légats romains revenant du Concile de Constanti<br />

nople prendront d'ailleurs la route d'Ancône, sans éviter pour autant les mésaventures<br />

(Anastase le Bibl., Mansi, XVI, 29 E; cf. Vita Hadriani, in Liber Pontif. éd. Duchesne, II,<br />

18426-29).<br />

(71) Nicétas, Vita Ignatii, Mansi, XVI, 261 D.<br />

(72) Hadrien, Epist. ad Basilum, MGH Epist., VI, 75811-17; Anastase le Bibl., Epist. ad<br />

Hadria<strong>num</strong>; MGH Epist., VII, 40815-17; Mansi, XVI, 7 A; Vita Hadriani, in Lib. Pont.,<br />

II, p. 1787.<br />

(73) MGH Epist., VI, 487.<br />

(74) Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae (Acta SS. Propyl. Nov.) col. 2341-*.<br />

(75) Mansi, XVI, 48 DE.


168 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

Les autres sources ne donnent-elles pas à croire que seul Jean de<br />

Sylaion représenta Ignace (76)? L'omission de Lazare parmi les<br />

naufragés pourrait s'expliquer par le souci de ne pas priver l'incident<br />

de sa valeur de punition exemplaire, Pierre de Sardes étant le délégué<br />

photien (77).<br />

S'il est normal de penser que nos ambassadeurs ont laissé passer<br />

une partie de l'été avant de se remettre en route, on conçoit mal<br />

qu'ils aient attendu le retour de la mauvaise saison. A supposer<br />

qu'ils eussent perdu le goût de l'eau, la possibilité leur était offerte<br />

de poursuivre le voyage par voie de terre. Ce qui allongeait et compli<br />

quait notablement l'expédition. De toute façon, cet itinéraire<br />

terrestre fut semé d'autres aventures désagréables (78). On pense<br />

aux « pénibles circuits » et aux « nombreux détours » auxquels ils<br />

seront contraints à leur retour (79).<br />

Dans ces conditions, on trouvera presque naturel qu'ils ne soient<br />

pas encore arrivés à Rome, ni même en vue de la Ville éternelle (80),<br />

au moment où, le 1er août 868, Hadrien remettait sa correspondance<br />

orientale au spathaire Euthyme. Nous serions porté à croire qu'ils<br />

n'étaient pas encore parvenus à destination lorsque le pape, au synode<br />

romain du 12 octobre 868, déposa son bibliothécaire Anastase, accusé<br />

d'avoir trempé dans la sanglante histoire d'Eleuthère (81). La coll<br />

aboration de ce rare helléniste était trop précieuse pour que la Curie<br />

s'en passât au moment précis où lui parvenaient les actes du concile<br />

photien de 867.<br />

Le séjour à Rome.<br />

Finalement arrivés à destination, au cur de l'automne (82), les<br />

(76) Mansi, XVI, 6 E, 3<strong>25</strong> DE; PL 122, 1285 BC; 1290 A.<br />

(77) PL 122, 1290 BC; Mansi, XVI, 7 A; Liber Pont., Il, 178; MGH Epist., VI, 75813-17.<br />

Il n'est pas exclu que saint Lazare accompagna plutôt Euthyme. Le 17 novembre, jour de<br />

sa fête, indiquerait peut-être son dies natalis et serait un argument en faveur du départ<br />

d 'Euthyme à la fin de septembre 867.<br />

(78) Hadrien II, Epist. ad Basilium, MGH Epist., VI, 75333-34.<br />

(79) Vita Hadriani, in Lib. Pont., II, 1808. Mais alors le voyage ne durera que trois mois<br />

environ.<br />

(80) Les ambassades officielles se faisaient annoncer par des estafettes. Neuf ans plus<br />

tard, l'ambassade byzantine chargée d'une mission analogue sera signalée à Jean VIII<br />

dès son débarquement à Bari (Jean VIII, Epist. 176-177, 185; MGH Epist., VII, 141-142,<br />

148).<br />

(81) Hincmak, Annales Bertiniani, an. 868, Grat, Paris 1964, p. 144-146 (=- MGH SS.,<br />

I, 94-96).<br />

(82) Mgr Amann fait arriver à Rome les lettres de Basile Ier et d'Ignace au printemps<br />

de 869, postérieurement aux légats d'Ignace et de Photius (L'époque carolingienne, Fliche-<br />

Martin, Hist, de l'Église, VI, p. 484). Mais rien, dans les sources, ne permet de soupçonner<br />

que Basile Pinakas n'est point parvenu à Rome en compagnie de Jean de Sylaion et de<br />

Pierre de Troas.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 169<br />

apocrisiaires grecs auraient, dans cette hypothèse, séjourné à Rome<br />

plus de sept mois, puisqu'ils n'en partirent pas avant le 10 juin 869.<br />

Les sources insinuent-elles un si long séjour? Non, si l'on considère<br />

la Vita Hadriani. Au terme de la réception protocolaire à Sainte-<br />

Marie-Majeure, peu de temps après l'arrivée de l'ambassade, « le<br />

souverain pontife ordonna aux experts de l'une et de l'autre langue<br />

[grecque et latine] d'examiner le livre [des actes du synode photien]<br />

pendant quelques jours et d'en exposer le contenu devant le synode.<br />

Lorsque fut terminé ce diligent examen, le pape convoca le Concile<br />

à Saint-Pierre » (83). Or celui-ci a dû se tenir peu avant le 10 juin<br />

869 (84). Si donc le rapport des experts a pu être dressé « après quelques<br />

jours » (85), l'ambassade byzantine ne s'est pas attardée sur les bords<br />

du Tibre et son arrivée ne serait pas antérieure à avril-mai 869; en<br />

d'autres termes, elle n'aurait atteint son but que seize mois après<br />

son départ et aurait passé un second hiver entre Constantinople et<br />

Rome. Ce qui laisse rêveur!<br />

Cependant, Hadrien II révèle que les affaires byzantines n'ont pas<br />

été si vite expédiées par son tribunal. Dans sa lettre du 10 juin, il<br />

s'excuse auprès de Basile d'avoir retenu « pendant très longtemps »<br />

les ambassadeurs grecs. Les expressions « diutissime » « prolixus<br />

tempus », « aliqua tarditas » (86) concernent sans doute une période<br />

de plusieurs mois. En effet le pape déclare que le rebondissement<br />

de l'affaire photienne provoqué par l'arrivée des légats et la remise<br />

des actes du « brigandage » de 867 a incité le Siège apostolique à consul<br />

ter les évêques « qui longe sunt » (87). A cette consultation de l'épi<br />

scopat occidental (88) s'ajoutent les nombreuses affaires pressantes<br />

dont il a fallu s'occuper (89) et la préparation du retour en grâces<br />

(83) Vita Hadriani, in Lib. Pont., II, 178-179.<br />

(84) E. Amann place ce synode le 10 juin (L'époque carolingienne, p. 484). C'est en fait<br />

la date à laquelle Hadrien II signa ses lettres aux autorités byzantines. Un certain temps<br />

(deux ou trois jours vraisemblablement) a dû s'écouler entre la réunion du synode de Saint-<br />

Pierre et ce 10 juin.<br />

(85) Vita Hadr., Lib. Pont., ?, 17920. De même Anastase le Bibliothécaire insinue que<br />

le Concile romain s'est tenu bientôt (rnox) après l'arrivée des légats (Lettre-préface à Hadrien,<br />

MGH Epist., VII, 40826 = Mansi, XVI, 78). Cependant l'adverbe rnox, dans notre latin,<br />

n'implique pas nécessairement une succession immédiate. Chez Nicolas I, par ex., il couvre<br />

même une période de trois ans (Epist. ad Hincmarum, MGH Epist., VI, 60219).<br />

(86) MGH Epist., VI, 75818, 75826-27, 75831.<br />

(87) Ibid., 75828.<br />

(88) Au synode romain de juin 869 ne figurent que des évêques d'Italie centrale, le plus<br />

éloigné de Rome étant celui de Lucques (Mansi, XVI, 130 B). Un tel rassemblement pou<br />

vait s'effectuer en quelque semaines. Mais il est permis de penser, bien qu'aucune trace<br />

n'en soit restée dans les regestes pontificaux, à une consultation du lointain épiscopat trans<br />

alpin.<br />

(89) MGH Epist., VI, 75821-<strong>25</strong>; cf. Mansi, XVI, 128 B.


170 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

d'Anastase, ci-devant Bibliothécaire (90). Il y eut enfin les tracta<br />

tions relatives à la coalition franco-byzantine contre les Sarrasins.<br />

A ce sujet, Constantin Porphyrogénète raconte que l'empereur Basile,<br />

estimant insuffisantes pour déloger les Arabes de Bari les forces<br />

qui avaient libéré Raguse, s'adressa à Louis « roi de France » et au<br />

pape de Rome pour les prier de prêter leur concours (91). Cette double<br />

ambassade est datée par Dölger de juin 869 environ (92). Toutefois,<br />

des pourparlers furent engagés dès 868 (93). Non pas qu'il faille admett<br />

re pour autant que la flotte byzantine se trouvait, dès cette annéelà,<br />

devant Bari, prête à emmener à Constantinople la fille de Louis<br />

le Germanique (94), puisque cet événement est à placer en 869, proba<br />

blement à l'automne (95). Mais lorsque à cette date paraîtront<br />

les navires grecs, Louis le Germanique, las d'avoir trop attendu, ne<br />

les attendait plus (96); d'où la brouille que l'on sait. Un accord a<br />

donc dû intervenir au plus tard entre l'automne de 868 et le prin<br />

temps de 869, soit pendant le séjour romain de Basile Pinakas. Bien<br />

qu'il n'y soit pas fait allusion dans la correspondance papale<br />

d'août 868 et de juin 869, les problèmes d'alliance militaire et matri<br />

moniale agités entre la cour franque et celle du Bosphore se sont<br />

mêlés en quelque manière aux entretiens religieux qui aboutiront au<br />

concile cuménique de 869. A ce synode elles interféreront à nouveau<br />

et provoqueront sans doute l'intersession longue de trois mois<br />

(5 novembre 869-12 février 870) (97). Rien d'étonnant, dès lors, à<br />

(90) 11 serait étonnant qu'Anastase n'ait pas été invité à expertiser le « diabolique »<br />

dossier photien. En conséquence sa dernière disgrâce aurait duré moins longtemps qu'on<br />

ne l'a cru; cf. G. Arnaldî, Anastasio Bibliolecario, in Dizionario biografico degli Italiani,<br />

III, Rome 1961, p. 31. Encore lui a-t-il fallu un certain temps, après l'éclatant procès d'oc<br />

tobre 868, pour se refaire une virginité.<br />

(91) De themalibus, éd. Pertusi, 1138-37, p. 98; De adminislrando imperio, éd. Moravcsik,<br />

trad. Jenkins, 29103-108, p. 128; Vita Basilii, Theoph. Cont. V, 53; éd. Bonn, p. 290.<br />

(92) Regesten n°8 480-481. Cet érudit a pensé à l'ambassade à laquelle répondit, pendant<br />

l'hiver de 869-870, la mission dirigée par Anastase le bibliothécaire.<br />

(93) Hergenroether, Photius, III, p. 169; Gay, Basile Ier, p. 89-90; L. M. Hartmann,<br />

Geschichte Italiens im Mittelalter, III1, Gotha 1908, p. 283. C'est du reste à 868 que Jenkins<br />

rapporte l'ambassade évoquée par Constantin Porphyrogénète (De adminislrando imperio,<br />

II, Commentary, p. 104 [29/104]). Voir aussi G. Musca, L'emirato di Ban, 847-871, Bari<br />

1964, p. 87-93.<br />

(94) F. Doelger, Europas Gestaltung im Spiegel der fränkisch-byzantinischen Auseinanders<br />

etzung des 9. Jahrhunderts, in Byzanz und die Europäische Staatenwelt, Ettal, p. 229; W. Ohnsorgh,<br />

Das Zweikaiserproblem im früheren, Mittelalter, Hildesheim 1947, p. 41.<br />

(95) W. Oiinsorge, Die Entwicklung der Kaiseridee im 9. Jahrhundert und Süditalien,<br />

in Abendland und Byzanz, Weimar 1958, p. 220; Jenkins, Constantine Porphyrog. De adm.<br />

imp., Il, Commentary, p. 104 (29, 105-106).<br />

(96) Lettre de Louis II à Basile, MGH Epist., VII, 391<strong>25</strong>-27.<br />

(97) B. A. Mystakidis, Byzantinisch-deutsche Beziehungen zur Zeit der Ottonen, Stutt<br />

gart 1891, p. 72-73.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 171<br />

ce qu'elles aient contribué à retarder la liquidation, à Rome même,<br />

de la question photienne (98).<br />

La convocation des délégués orientaux.<br />

Toutes les suppositions que l'on pourrait encore faire pour différer<br />

jusqu'en 868 le courrier impérial et patriarcal qui nous occupe, comme<br />

d'imaginer, par exemple, que Basile et Ignace ont feint d'ignorer<br />

la mort de Nicolas pour éluder le reproche du Saint-Siège concernant<br />

la curieuse réserve du rival de Photius, ne serviraient qu'à créer<br />

des faux problèmes. Elles se heurteraient d'ailleurs à une dernière<br />

considération qui milite en faveur de 867 : les démarches entreprises<br />

par Constantinople auprès des autres patriarcats orientaux en vue<br />

d'une représentation au VIIIe Concile.<br />

A la cinquième session de ce Concile, Elie, syncelle du patriarche<br />

Théodose de Jérusalem, déclara avoir été, lui et son collègue Thomas<br />

de Tyr (représentant du patriarcat d'Antioche), convoqués par l'em<br />

pereur Basile et avoir ensuite attendu « quasi deux ans » (99) à Cons<br />

tantinople, les délégués du siège romain. Ceux-ci firent leur solen<br />

nelle entrée dans la ville le <strong>25</strong> septembre 869 (100). Les vicaires orien<br />

taux devaient donc y être depuis le printemps 868 au plus tard (101).<br />

Comme leur voyage a été également très pénible (102), l'invitation<br />

au concile leur a été adressée au plus tard vers décembre 867. Le<br />

patriarcat romain, dont la présence était plus nécessaire encore que<br />

celle des melchites pour régler synodalement la crise photienne,<br />

a dû être contacté par Constantinople à la même époque. De la réponse<br />

papale du 1er août 868 il résulte que cette convocation n'a pas été<br />

transmise par le spathaire Euthyme. C'est donc uniquement<br />

Basile Pinakas et ses compagnons de route qui ont été chargés d'une<br />

(98) Gay, L'Italie méridionale, p. 90-91.<br />

(99) « Per duos circiter annos » (Mansi, XVI, 79 A); « ?p? d?s?? s?ed?? etes? » (Ibid.,<br />

341 ?).<br />

(100) Vila Hadriani, in Liber Pont., II, p. 18015; cf. p. 188, n. 32.<br />

(101) Hergenröther pense ,que l'expression « ?p? d?s?? s?ed?? etes? » signifie un an et<br />

demi (Photius, II, p. 58, n. 86). M. Dvornik affirme, en renvoyant à Mansi, XVI, <strong>25</strong>, que les<br />

ambassadeurs byzantins, avant leur départ pour Rome (qu'il place, avons-nous dit, en<br />

décembre 868) avaient vu arriver à Constantinople les délégués orientaux (Le schisme,<br />

p. 208). Mais on ne lit rien de tel à l'endroit indiqué. Seul un texte d'Anastase le Bibliothéc<br />

aire, lu en dehors de la perspective historique de cet auteur, pourrait insinuer que le spa<br />

thaire Basile a quitté la capitale byzantine après qu'y furent arrivés les légats melchites<br />

(Lettre-préface à Hadrien, MGH Epist., VII, 4087-10).<br />

(102) Elie parle de « dena millia impedimenta » (Mansi, XVI, 79 A), pas tous sans doute<br />

de caractère diplomatique.


172 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

telle mission. Leur départ de Constantinople en décembre 868 est<br />

dès lors inconcevable.<br />

Certes, tout n'est pas clair dans l'histoire de la délégation orientale<br />

à Contantinople IV. Au Concile de 879-880, le métropolite Thomas<br />

de Tyr et le syncelle Élie de Jérusalem seront accusés de s'être trouvés<br />

à Byzance, dix ans plus tôt, sans aucun mandat ecclésiastique, un<br />

iquement en vue de négocier, pour le compte des autorités musul<br />

manes, l'élargissement des prisonniers arabes (103). Cette accusation<br />

précise, remarquons-le bien, n'est pas portée par les patriarches<br />

orientaux eux-mêmes, lesquels se contentent de blâmer d'une manière<br />

générale l'imposture de ces pseudo-légats (104). Du reste, l'eût-elle<br />

été, qu'on n'aurait pas pu en tirer argument contre la légitimité de<br />

la deputation orientale à Constantinople IV. Assez habile pour manuv<br />

rer à son gré les légats romains, Photius ne devait éprouver aucune<br />

peine à circonvenir les délégués melchites, eux aussi d'ailleurs si<br />

intéressés aux problèmes économiques et aux rapports de coexis<br />

tence pacifique avec les musulmans (105), qu'ils auraient pu passer<br />

pour de vulgaires « apocrisiaires des Sarrasins ».<br />

Contre la convocation, dès 867, des patriarches orientaux offre<br />

une certaine prise l'objection tirée de la lettre du patriarche<br />

Michel d'Alexandrie, lue à la neuvième session de Constantinople IV<br />

(12 février 870) et transmise au Concile par l'archidiacre Joseph,<br />

récemment débarqué à Constantinople. Michel exprime sa joie de<br />

l'occasion qui vient de lui être procurée de correspondre avec Byzance.<br />

En effet, le gouverneur de la Palestine lui a signifié « his diebus »<br />

avoir reçu un message impérial qui sollicitait l'envoi à Constanti<br />

nople, par le patriarche d'Alexandrie, d'un délégué muni de lettres<br />

par lesquelles Michel exprimerait son avis sur la controverse agitant<br />

l'Église byzantine (106). Au premier abord, on éprouve une certaine<br />

difficulté à admettre que le courrier impérial auquel il est fait allusion<br />

ici ait été expédié vers la fin de 867, date à laquelle aurait été envoyée<br />

la lettre de Basile à F« émir de Syrie » évoquée par Nicétas le Paphlagonien<br />

(107). Le problème de l'identité des correspondants arabes<br />

(103) Mansi, XYll, 464 D, 465 A; cf. 472 B; 476 E-477 A; 492 B. De même, au Concile<br />

de 869-870, les individus qui avaient représenté les patriarcats orientaux au synode pho<br />

tien de 867 furent reconnus n'être que de simples marchands venus à Constantinople pour<br />

affaires (Mansi, XVI, 137 C).<br />

(104) Mansi, XVII, 432 AB, 436 E, 437 E-440 AB, 445 AB, 448 ??, 465 ?, 481 ?.<br />

(105) Mansi, XVII, 477 D, 484 DE.<br />

(106) Mansi, XVI, 145 C, 392 C.<br />

(107) Dölger, Begesten, n. 473. Ce savant n'a pas pris en considération «t?? t?? desp?t????<br />

?a? t?µ??t?t?? ??aµµ?t?? [ de Basile Ier] p??? a?t?? [= l'exousiastès de Palestine]


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 173<br />

mentionnés par ces sources ne relève pas de notre propos (108). Il<br />

nous suffit de constater qu'il est plus facile de supposer un retard<br />

dans la transmission à Alexandrie par le gouverneur de Palestine,<br />

de l'ordre impérial en question que de considérer comme une pure<br />

comédie l'impatient séjour de deux ans, à Constantinople, de Thomas<br />

de Tyr et d'Elie de Jérusalem (109).<br />

Basile Ier et Ignace avaient donc, dès la fin de 867, pris les mesures<br />

nécessaires pour réunir dans la capitale impériale les représentants<br />

des autres patriarcats et apporter à la longue tragédie byzantine<br />

une solution cuménique. L'état actuel des sources (110) nous oblige<br />

à placer en décembre 867 plutôt qu'en décembre 868 la solennelle<br />

ambassade grecque chargée de préparer, à Rome, la réunion d'un<br />

grand concile que l'historiographie latine traditionnelle considère<br />

comme le VIIIe concile cuménique.<br />

af???? » de la lettre de Michel d'Alexandrie à l'empereur macédonien (Mansi, XVI, 392 C;<br />

cf. 145 C), non plus que les litterae impériales remises par Basile à ses apocrisiaires chy<br />

priotes Isaïe et Spyridon à l'adresse du patriarche Théodose de Jérusalem et auxquelles<br />

fait allusion le légat Élie à la 4e session du IVe Concile de Constantinople (Mansi, XVI,<br />

37 C; cf. Hergenröther, Photius, II, p. 57).<br />

On identifie généralement cette archonte de Syrie avec Ahmed ibn Tülün (Dölger,<br />

Begesten, n. 473, qui suit Hefele-Leclercq, Hist, des Conciles, IV, p. 489, 516; Vogt,<br />

Basile IeT, p. <strong>25</strong>4, lesquels dépendent peut-être de [C]. Fleury, Histoire ecclésiastique,<br />

nouv. éd. t. VII, Nîmes 1779, p. 503, 577). Mais ce Turc, dont la carrière débuta en Egypte<br />

en 868, ne partit à la conquête de la Palestine et de la Syrie qu'en 877 (A. A. Vasiliev-<br />

M. Canard, Byzance et les Arabes, II2, Bruxelles 1950, p. 44-45, 200-201). Ne faudrait-il pas<br />

plutôt penser à 'Isa b. al-Shaikh, préfet de Ramla en 866 et gouverneur de Damas en 870<br />

ou à Abu'1-Sädj, gouverneur d'Alep en 868?<br />

(108) Au nom également de son collègue de Jérusalem, Thomas de Tyr parle de « l'émir<br />

qui est chez nous » (Mansi, XVI, 26 D, 313 E), qualifié plus loin de « prince des Sarrasins »<br />

(Mansi, XVI, 26 E). Le personnage qui mit en branle Michel d'Alexandrie est présenté<br />

par ce dernier comme « 6 e???s?ast?? t?? t?? ?a?a?st???? ???a? ?a? ??3e???d?? ?a? ????? »,<br />

(Mansi, XVI, 392 C), c'est-à-dire le gouverneur dont relevait aussi bien Thomas<br />

de Tyr qu'Élie de Jérusalem. Doit-on le distinguer de G? t?? S???a? ????? de Nicétas<br />

(Mansi, XVI, 261 E). Oui, sans doute (cf. Hergenröther, Photius, II, p. 57), surtout à<br />

cette époque où les émirats du Proche-Orient s'émancipaient du califat de Bagdad.<br />

(109) Dans un de ses discours qui préludèrent au Concile antiphotien (fin sept. -début<br />

oct. 869), l'empereur Basile évoque vraisemblablement cette attente de deux ans, lorsqu'il<br />

déclare avoir, de concert avec tous les patriarcats orientaux, attendu « per biennium » la<br />

sentence romaine (Vila Hadriani, dans Lib. Pont., II, p. 1812-3).<br />

(110) La formule « ?? p???? ??? ?? t? µ?s? ?????? » que Nicétas inserre entre l'arrivée<br />

à Rome de l'ambassade conduite par Basile Pinakas et l'arrivée à Constantinople des légats<br />

romains (Vita Ignatii, Mansi, XVI, 261 E) ne doit pas être prise à la lettre, étant donné<br />

la valeur toute relative que Phagiographe accorde aux précisions chronologiques.


174 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

Jean VIII.<br />

II. L'annulation de Constantinople IV.<br />

Au registre de Jean VIII, la lettre Inter cloras adressée aux<br />

empereurs Basile, Constantin et Alexandre contient, à un endroit<br />

crucial, une lacune assez embarrassante. Après avoir loué les souverains<br />

pour leur foi, leur piété et leur dévotion au Siège apostolique, le<br />

pape en vient au fait : la supplique impériale relative à la réadmission<br />

de Photius à la communion romaine. Jean VIII dit agréer cette<br />

requête, car Ignace est mort et les canons des saints Pères autorisent<br />

une semblable indulgence à laquelle d'ailleurs tout le clergé oriental<br />

se montre favorable. Aussi bien, Photius et ses partisans sont-ils<br />

absous par l'évêque de Rome en vertu du pouvoir des clés conféré<br />

par le Christ à saint Pierre. Ce pouvoir étant universel, tout, abso<br />

lument tout peut être délié par le successeur du prince des apôtres,<br />

en particulier lorsque par une telle absolution le pape offre à tous<br />

l'exemple de la miséricorde apostolique. « Nam et legati sedis apostolice<br />

ab antecessore nostro, Hadriano videlicet almifico presule,<br />

Constantinopolim directi synodo ibidem peracte 'usque ad voluntatem<br />

sui pontificis' vigilanti studio subscripserunt, nee ab apostolico<br />

manere, quia sedes beati Petri celestis regni clavigeri potestatem<br />

habet ligata quelibet pontificum congrua estimatione absolvere » (111).<br />

Dans la marge, en face de la phrase « Nee ab apostolico manere »<br />

le réviseur de l'apographe a campé un - R pour indiquer que le<br />

texte est déficient (112). Le cardinal Carafa, premier éditeur de la<br />

lettre, a mis une -\- après subscripserunt pour renvoyer à la note<br />

marginale : « desunt nonnulla » (113). Au même endroit, Baronius<br />

aligne douze points (114) que Labbe réduit à dix (115), Mansi et<br />

Migne à huit (116). E. Caspar, suivi par Tàutu propose, après apostilico,<br />

de suppléer « voluerunt divisi » ou quelque chose de semblab<br />

le (117). Dvornik a accepté cet essai de reconstitution du texte<br />

(111) Begistrum loannis VIII (Registra Vaticana, I), f. 82v (= M GII Epist., VII,<br />

ép. 207, p. 171<strong>25</strong>-38). Ce manuscrit est une copie apographe datant du xie siècle (Ibid., p. xni).<br />

(112) f. 82 , ligne 22. R = require; cf. MGH Epist., VII, p. 36 n**.<br />

(113) Epislolarum decretclium, Summarum Pontificum lomus tertius, Rome 1591, p. 434 C.<br />

Cette édition a été faite sur une copie (xvie s.) de l'apographe (MGH Epist., VII, p. xxvn).<br />

(114) Annales eccl. (éd. Pagi) ; t. XV, Lucques 1744, ad an. 879, n. XII, p. 345.<br />

(1.15) Conciliorum et epislolae décrétâtes, t. VI1, Paris 1714, col. 65 B.<br />

(116) Saer. conc. nova, el ampl. coll., XYll A, col. 138 C; PL., 126, col. 855 B.<br />

(117) MGH Epist. ,VII, 17120 et apparat critique (e); Acta Rom,a.norum, Pontificum a<br />

S. Clémente I (an. c. 90) ad Coelesti<strong>num</strong> III (+ 1198), Cité du Vatican 1943, p. 724.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 175<br />

original. D'où sa traduction : « Et ils (les légats) n'avaient aucun<br />

désir de rester séparés du centre apostolique » (118).<br />

Plus récemment, l'abbé Joannou (119) a prétendu que les points<br />

de suspension mis après apostolico (120) devaient être remplacés par<br />

le capitule 4 du concile de 879-880 qu'il reproduit en ces termes :<br />

« Synodum Romae factam contra Photium sanctissimum patri-<br />

archam, sub Hadriano beatissimo papa et sanctam (sic!) Constant<br />

inopoli synodum contra eumdem sanctissimum Photium, definimus<br />

omnino damnatam et abrogatam esse neque synodum omnino appel-<br />

landam aut vocandam esse. Absit. » (121). Dès lors, selon cet auteur,<br />

la falsification par Photius de la lettre de Jean VIII est une pure<br />

légende.<br />

Que penser de cette interprétation? Nous concédons que n'est<br />

pas exclue l'hypothèse d'une intervention romaine postérieure à<br />

Jean VIII, visant à supprimer, dans le registre de ce pape, l'éven<br />

tuelle annulation des conciles antiphotiens. Ainsi s'expliquerait la<br />

disparition du commonitorium remis au cardinal Pierre. Les For-<br />

mosiens, dont l'intransigeance était notoire (122) et qui pratiquèrent,<br />

dans ce même registre, des coupures considérables (123) pourraient<br />

être incriminés.<br />

Toutefois, il y a des difficultés à admettre l'opinion de M. Joannou.<br />

Et d'abord, on peut se demander pourquoi Photius n'a pas laissé<br />

ce passage dans le texte de la lettre remanié par sa chancellerie, au<br />

lieu d'insérer plus loin, sans référence à l'attitude des légats romains<br />

au concile de 869-870, la péricope affirmant que Nicolas et Hadrien II<br />

n'ont jamais approuvé les décisions prises contre lui (124).<br />

(118) Le schisme de Photius, p. <strong>25</strong>3.<br />

(119) Conciliorum cumenicorum décréta, Bàle-Barcelone 1962, p. 133-134; Les canons<br />

des synodes particuliers, Grottaferrata 1962, p. 480.<br />

(120) Signalons que dans le registre de Jean VIII il n'y a pas de points de suspension.<br />

(121) Conciliorum cumenicorum décréta, p. 133. L'auteur renvoie à Mansi, XVII, 490<br />

qui a factam et non sanctam et, en outre, la phrase : « neque earn Sanctis synodis ad<strong>num</strong>erandam<br />

esse aut recensendam ». Il aurait peut-être mieux fait de citer l'art. 10 du commonito<br />

rium (l'original latin est perdu) dont ce capilulum s'inspire (MGH Epist., VII, p. 18926-29<br />

= Mansi, XVII, 362 B), l'incise ?p? t?? pa???t?? ayant une grande importance aux yeux<br />

de tous ceux qui admettent l'authenticité de cet article 10 (Dvornik, Le schisme, p. <strong>25</strong>2-<strong>25</strong>3 ;<br />

The Patriarch Photius, p. 36, n. 1<strong>25</strong>).<br />

(122) Cf. l'attitude de Formose dans l'affaire de Günther de Cologne et de Zacharie<br />

d'Anagni (Mansi, XV, 889-896; A. Lapotre, Hadrien II et les Fausses décrétâtes in Rev.<br />

des questions historiques, XXVII, 1880, p. 378-431, surtout p. 411-420).<br />

(123) A. Lapotre, Le pape Jean VIII, Paris 1895, p. <strong>25</strong>-29. L'auteur n'envisage pas<br />

l'hypothèse d'une lacération par les Formosiens du passage qui nous intéresse.<br />

(124) Mansi, XVII, 401 BC. La lettre parallèle à Photius ne contient pas l'annulation<br />

de Constantinople IV motivée, entre autres, par la non-approbation d'Hadrien IL Cette<br />

annulation et cette motivation figurent par contre dans le texte conciliaire de la lettre<br />

(MGH, Epist., VII, 1863-8). On pourrait en tirer argument contre l'hypothèse de M. Joannou


176 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

Ensuite, il y a les passages de la correspondance de Jean VIII qui<br />

montrent que l'intention de ce pape n'était pas d'abolir purement<br />

et simplement les deux grands Conciles antiphotiens de son prédé<br />

cesseur. En effet, Jean VIII rappelle à Photius, à propos de la nonpromotion<br />

subite des laïcs à l'épiscopat, le capitulum promulgué<br />

congruentissime par le « vénérable synode » tenu à Constantinople<br />

sous Hadrien II (1<strong>25</strong>). Dans sa lettre aux empereurs, parmi les témoi<br />

gnages historiques en faveur de dispenses motivées par les circons<br />

tances, Jean VIII cite « le canon XXXV » du concile « apud Africain<br />

gestum » (126) : la décision y est prise de notifier aux évêques d'outre<br />

mer et principalement au Siège apostolique la nécessité où se trou<br />

vait l'Église africaine, dans l'intérêt de la paix, d'accueillir les clercs<br />

donatistes qui se convertiraient, en les maintenant « dans leurs hon<br />

neurs », c'est-à-dire dans leur dignité cléricale, malgré les dispositions<br />

contraires prises en Italie. Mais les Pères de Carthage, dûment cités<br />

par Jean VIII, précisent que leur intention n'est pas d'abolir ce<br />

Concile antérieur. « Non ut concilium quod in transmarinis partibus<br />

de hac re factum est dissolvatur » (127). Photius a si bien vu que<br />

cette citation du Concile africain ne cadrait pas avec son plan d'abol<br />

ition de Constantinople IV qu'il la résume à sa manière et lui fait<br />

dire, sur ce point précis, tout juste le contraire : « En vue de l'unité<br />

et de la paix, synodus synodum solvit » (128).<br />

si on était sûr que le registre de Jean VIII n'a pas été mutilé à cet endroit. Selon nous<br />

ce n'est pas le cas. Arguant du fait que l'auteur du registre s'est servi de la minute de la<br />

lettre, E. Caspar (Studien zum Register Johans VIII, in Neues Archiv, XXXVI [1910],<br />

p. 112, n. 1. 113) rejette à la fin, après annexas (MGH Epist. VU, 1862), la péricope Reliquo...<br />

corrigant (Ibid., lignes 8-18) qui, dans le registre, se trouve après promulgatum (Ibid., 18515-16;<br />

cf. 186, n. f.). Ce remaniement ne nous semble pas nécessaire. Le texte original a très bien<br />

pu se terminer par le paragraphe sur la Bulgarie (Ibid., 18526-1862), omis dans la version<br />

photienne de la lettre. Dans ce cas, s'il faut absolument exclure du texte original<br />

la péricope sur l'annulation de Constantinople IV, nous paraît acceptable l'hypothèse<br />

d'une allusion de Jean VIII à la miséricordieuse dérogation consentie par le Siège aposto<br />

lique aux décrets du vénérable concile de 869-870, également dans sa lettre à Photius,<br />

entre le rappel du canon 5 de Constantinople IV et le renvoi aux dispositions du commoni-<br />

lorium. Il faudrait alors supposer que cette allusion a été éliminée par l'enregistreur lui-<br />

même.<br />

(1<strong>25</strong>) MGH Epist., VII, 18513-16. Carafa a noté, en marge de son édition : « Octava synodus<br />

sub Iladriano II a p probata » (Epistolae, III, p. 439).<br />

(126) Il s'agit en fait du canon 2 du Concile de Carlhage de 401 présenté comme le canon 68<br />

dans la collection des canons de l'Église d'Afrique de Denys le Petit (PL, 67, col. 204).<br />

Caspar ne voit pas « quid sibi velit <strong>num</strong>erus XXXV » (MGH, Epist., VII, 169, n. 6).<br />

C'est pourtant la <strong>num</strong>érotation connue des anciens recueils canoniques (Mansi, III, 771 E;<br />

PL, XI, 1.198 BC). Comparer aussi MGH, Epist., VII, 138« et Mansi, III, 828 B).<br />

(127) Mansi, III, 771 E; PL, XI, 1198 CD.<br />

(128) « ?a? s???d?? ??ata? s???d?? ????sa d?a t?? e??s?? ?a'? ?µ????a? t?? '?????s?a?<br />

(MGH, Epist., VII, 1706-8; cf. l'ancienne traduction utilisée par Yves de Chartres, PL,<br />

161, 57 B.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 177<br />

On dira peut-être que le savant patriarche a simplement voulu<br />

harmoniser ladite citation avec l'intention générale de Rome à l'en<br />

droit du Concile ignacien et a rendu par là même service à la papauté<br />

en lui épargnant la maladresse de se contredire. L'inverse n'est pas<br />

moins probable, surtout si l'on considère que Jean VIII<br />

ne cite pas entièrement le canon carthaginois, mais seulement les<br />

passages qui lui paraissent plus importants. Il a donc pesé la valeur<br />

des mots « non ut concilium... solvatur », en référence certaine au<br />

Concile de 869-870.<br />

Revenons au passage discuté. Après avoir affirmé que le pontife<br />

romain peut tout absoudre, Jean VIII rappelle avec quelle précaution<br />

et quel soin (vigilanti studio), les légats d'Hadrien II ont souscrit<br />

au synode de Constantinople; en effet, ils signèrent les actes avec<br />

la clause : « usque ad voluntatem [sui] pontificis ». A ce propos, l'au<br />

teur de la Vita Hadriani révèle qu'on utilisa cette formule parce<br />

que les légats avaient remarqué les suppressions, opérées par les<br />

Grecs, des compliments à l'adresse de l'empereur d'Occident, que<br />

Je pape Hadrien, sous la pression d'Arsène, avait ajoutés à une lettre<br />

de Nicolas I (129). Cependant le vrai motif de la clause doit être<br />

recherché dans les instructions que les légats avaient reçues<br />

d'Hadrien II et dont parle également la Vita Hadriani. Il avait<br />

été stipulé que les délégués du Saint-Siège auraient à différer, à l'en<br />

droit des évêques ordonnés par Photius, l'exécution de la sentence<br />

du Concile « usque ad recidivam Sedis apostolicae sententiam » (130).<br />

Dans sa lettre à Basile, Hadrien avait d'ailleurs laissé entendre qu'il<br />

ne maintenait impitoyablement les décisions de son prédécesseur<br />

Nicolas que jusqu'au retour de ses légats; après audition de leur<br />

rapport, il envisagerait les dispenses opportunes (131).<br />

Superviseur du Concile byzantin, le pape entendait donc, tout<br />

(129) Liber Pontificalis, éd. Duchesne, II, p. 18126-1821-2.<br />

(130) Ibid., p. 180e. En vérité, le texte n'est pas très clair : « Photianis vero sub eadem<br />

ac districtiori satisfactione communicarent quidem, sed sacerdotum usque recidivam sedis<br />

apostolicae sententiam, manente sanctissimi papae Nicolai iudicio protelarent ». Les légats<br />

devront admettre les photiens (= les clercs ordonnés par Photius) à la communion, à condi<br />

tion qu'ils signent le libellus satisfactionis, et, sans abolir le verdict de Nicolas, ils devront<br />

« sacerdotum protelarent jusqu'à la sentence définitive du Siège apostolique ». Il faut sous-<br />

entendre iudicium et voir dans les sacerdotes les évêques du Concile de 869-870. Cf. Hefele-<br />

Leclercq, Histoire des conciles, IV1, p. 470, qui escamotent cependant le communicarent<br />

quidem.<br />

(131) MGH, Epist., VI, 75616-20. Voir aussi ce qu'Hadrien décide « interim », c'est-à-<br />

dire en attendant le retour de ses légats, au sujet de Paul de Césarée (MGH., Epist., VI,<br />

7526-7).


178 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

comme lors de la première intervention pontificale, en 860, dans<br />

l'affaire photienne (132), prononcer lui-même le verdict final. En<br />

conséquence, les légats signèrent les actes de 869-870, sous réserve<br />

du placet papal et la clause prudemment utilisée par Donat, Etienne<br />

et Marin doit se traduire : « jusqu'à ce que le pontife ait exprimé sa<br />

volonté », ou « pour autant que le pontife y consente ». Or, Hadrien<br />

a si bien approuvé le synode anti-photien que les suppliques d'Ignace<br />

et de Théognoste ne réussirent pas à lui arracher des induits en faveur<br />

des photiens convertis. (133).<br />

Jean VIII a-t-il pu croire que ses prédécesseurs n'avaient jamais<br />

ratifié les décisions conciliaires prises contre Photius? Ce dernier<br />

a eu l'audace de prêter au pape cette conviction (134). Il lui a fait<br />

même écrire que les synodes de Rome et de Constantinople avaient<br />

été injustes (135). Or, Jean VIII avait appelé Constantinople IV<br />

« sancta synodus octava » (136). Même lorsqu'il insinue qu'Ignace, en<br />

870, a été réintégré sous condition (renonciation à la Bulgarie), il<br />

n'en maintient pas moins la condamnation de Photius et l'invalidité<br />

des ordinations photiennes (137).<br />

Qu' Anastase le Bibliothécaire et le diacre Marin aient été, dans<br />

une certaine mesure, les mauvais génies de Nicolas et d'Hadrien<br />

ou que ces pontifes aient été imparfaitement informés de la situation<br />

réelle de l'Église byzantine (138), enfin que le patriarche Ignace<br />

(132) Cf. les formules usque ad notiliam nostrum, usque ad audienliam, usque ad, praesen-<br />

tiam eiusdem Apostolicae Sedis de Nicolas Ier (MGH., Epist., VI, 49112, 5143, 52729, 52810,<br />

55434; cf. ibid., 436M-37, 44119-20, 4432i-28).<br />

(133) MGH, Epist., VII, 76021-76124.<br />

(134) Mansi, XVII, 401 B (= PL, 126, col. 860 D); 416 E; MGH, Epist., VII, 1866-8.<br />

(135) Mansi, XVII, 401 B. L'ancienne version latine citée par le cardinal Deusdedit<br />

et Yves de Chartres a laissé tomber le mot « injustes ».<br />

(136) MGH, Epist., VII, 30713.<br />

(137) Ibid., p. 294-295.<br />

(138) Au lieu de faire dire à Jean VIII (revu et corrigé par Photius) que Nicolas et<br />

Hadrien n'ont jamais accepté ce qui s'est fait contre Photius, l'antique rétroversion latine<br />

de la lettre de ce pape aux chefs ignaciens affirme : « de ipso (Photio) subreptum est illis »<br />

(Mansi, XVII, 530) que le P. Jugie a traduit, en sous-entendant sententiis : « Car on y a<br />

dérogé » (aux décisions de Constantinople IV) (Le schisme byzantin, Paris 1941, p. 98).<br />

Bien qu'il ne respecte pas à la perfection la traduction du savant assomptioniste (abroger<br />

n'est pas synonyme de déroger), M. l'abbé Dvornik a raison de la critiquer. ? propose de<br />

traduire : « Puisque ce qu'ils (Nicolas et Hadrien) disent de lui [Photius] a été obtenu d'eux<br />

par surprise » (Le schisme de Photius, p. 265). Nous ajouterons une remarque. Il est possible<br />

que l'ancien traducteur ait pensé au cas de Pholinus, évoqué d'ailleurs par Jean VIII dans<br />

cette même lettre aux ignaciens (MGH, Epist., VII, 180). Mais, chose curieuse : en citant<br />

le passage de l'épître d'Innocent I à l'épiscopat de Macédoine, où il est question du rétabli<br />

ssement de l'hérétique Photinus, Jean VIII laisse tomber les mots subreptum huic Sedi<br />

(P.L. 20, col. 536 A; 67, col. 262 A) qui indiquaient la raison principale invoquée en faveur<br />

de l'absolution de l'hérésiarque (à son propos « quelque chose a échappé au siège romain »),<br />

tandis qu'ils se trouvent cités, toutefois sans référence explicite à Innocent I, dans la lettre


?). STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 179<br />

ait compromis son rétablissement en « envahissant » la Bulgarie (139),<br />

n'enlève rien au fait que les papes eux-mêmes provoquèrent et approu<br />

vèrent les décisions du VIIIe Concile. Encore une fois, Jean VIII. ne<br />

pouvait l'ignorer. En citant la clause en question, il n'a certainement<br />

pas voulu insinuer que ses prédécesseurs n'avaient jamais entériné<br />

le verdict du procès intenté à Photius. Mais il a compris Y usque ad<br />

voluntatem au sens le plus obvie, à savoir « aussi longtemps que le<br />

pontife le veut », le Siège de Rome n'étant pas irrévocablement lié<br />

par les décisions disciplinaires d'un Concile cuménique (140).<br />

Dans ce contexte, comment compléter la phrase : nee ab apostolico<br />

manere? Faut-il la rapporter à la conduite des légats (comme on<br />

l'admet généralement) ou y voir, avec l'abbé Joannou, les épaves<br />

d'une formule où, il est dit que, par décision du Siège apostolique,<br />

plus rien ne reste de Constantinople IV? Stylistiquement, l'essai<br />

de reconstitution du texte tentée par Caspar (Nee ab Apostolico<br />

manere voluerunt divisi) est loin d'être satisfaisant. De plus, jamais<br />

Jean VIII n'appelle le pape V Apostolicus, substantif étranger au<br />

vocabulaire de la chancellerie pontificale (141). Très fréquent au<br />

féminin (142), l'adjectif apostolicus est utilisé plus rarement, par<br />

le même pontife, au masculin (143) ou au neutre (144). A la rigueur,<br />

de Nicolas à Michel III (28 sept. 865) pour signifier à l'empereur byzantin que la sentence<br />

du pape, tout en n'étant pas rétractable, peut cependant être améliorée « cum sibi subreptum<br />

aliquid fuerit » (MGH, Epist., VI, 4819). Cette remarque nous incline à croire que même<br />

le subreptum est Ulis n'appartient pas à la rédaction originelle de la correspondance de<br />

Jean VIII et n'exprime pas la conviction personnelle de ce pape.<br />

Sur le sens de surripere (voler, ravir, dérober, s'emparer subrepticement) dans cette<br />

correspondance (mot non relevé dans l'index des MGH), cf. MGH, Ep., VII, 479, 4732,<br />

6024, 637, 276<strong>25</strong>, 32840; pour subripi cf. ibid., Ep. VI, 508<strong>25</strong> (à l'empereur Michel III « subreptum<br />

est, ut lalia [injures contre Rome] scribere mandaretur ») ; 5451 (Tristesse de Nicolas, en 861,<br />

au retour de ses légats, car il constate que tout le monde s'est laissé berner : subreptum<br />

est atque persuasum est omnibus) au sujet du consentement que le pape aurait donné à la<br />

promotion de Photius); 5541 (Nicolas I informe les Orientaux au sujet de l'affaire photienne<br />

ne... aliter quod egimus vobis subripiatur).<br />

(139) MGH, Ep. VII, 637 (Ignace subripiens le diocèse bulgare illicita pervasione).<br />

(140) En demandant avec insistance à Photius de réparer et de solliciter, devant le<br />

synode, le pardon de l'Église (MGH, Ep. VII, 17021-23, 179«, 1842-5, 18441-42), il entendait<br />

lui-même sauvegarder le bien-fondé des sentences portées en 869-970, à Rome et à Cons<br />

tantinople contre le rival d'Ignace et n'était pas d'humeur à traiter d'injustes de tels synodes<br />

(Mansi, XVII, 401 B).<br />

(141) Gomme ses prédécesseurs, Jean VIII se désigne fréquemment par Apostolatus<br />

nosler. Sur le titre d! Apostolicus donné substantivement au pape à cette époque cf.<br />

M J. Wilks, The Apostolicus and the Bishops of Bome, dans The Journal of Theological Studies<br />

NS, XIII (1962), 290-317; XIV (1963), 311-354.<br />

(142) Surtout avec Sedes, audoritas, litterae, epistolae ; quelquefois avec benignitas,<br />

mansuetudo, miseracio, moderatio, praesentia, potestas, tuitio, iussio, vocatio, etc.<br />

(143) Avec animus (MGH, Ep. VII, p. 19216), intervenlus (p. 2757), mens (p. 22934), mos<br />

(p.2279), os (p. 7230, 15229, 32842).<br />

(144) Avec anathema (p. 9411), consortium (p. 21232), culrncn (p. 9617, 18414, 19230), decrelum


180 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

on pourrait penser à une phrase de ce genre : « nee ab apostolico magislerio<br />

(ou consortio, decreto, iudicio, privilegio) manere seiuncti (ou<br />

divisi, extranei, separati) voluerunt ». Cependant, le nec... voluerunt<br />

sonne mal. On préférerait : ab apostolico... manere nolentes. Quant<br />

au contexte immédiat, si le nec ne suppose pas nécessairement une<br />

négation antérieure, le quia est quelque peu inattendu. Nous avons<br />

l'impression que le texte qui nous a été transmis trahit la chute, non<br />

pas de deux ou trois mots, mais de toute une phrase que les vocables<br />

rescapés ne suffisent pas à reconstituer avec certitude (145).<br />

Les termes mêmes de l'article 10 du commonitoriurn étant exclus<br />

comme formule de substitution, il se pourrait que Jean VIII, à partir<br />

de la clause mise par les légats d'Hadrien à leur signature des actes<br />

de Constantinople IV, ait voulu déclarer aux empereurs, comme il<br />

le fit aux leaders ignaciens, qu'on n'avait pas à invoquer, contre<br />

ses décisions de rétablir Photius, les jugements antérieurs (146).<br />

Sur cette base la chancellerie byzantine s'est crue autorisée à prêter<br />

au pape la volonté de radier tout à fait de la liste des Conciles le<br />

synode de 869-870. Elle reçut l'approbation, au moins tacite, des<br />

légats pontificaux. Finalement Jean VIII lui-même préféra fermer<br />

les yeux, tout en repoussant ce que ses légats au synode de 879-880<br />

avaient pu faire en opposition à ses instructions (147).<br />

Il n'en demeure pas moins vrai que l'abrogation de Constanti<br />

nople IV n'appartient pas à la rédaction authentique des lettres<br />

de Jean VIII. La falsification du texte par Photius ou ses acolytes,<br />

déjà magistralement dénoncée par le R. P. Grumel (148) ne relève<br />

nullement de la légende. La mystification historique est ailleurs.<br />

(p. 22327-28), ftagellum (p. 2349), iudicium (p. 2035, 21628,34), magislerium (p. 21111-12), pectus<br />

(p. 14917), praesidium (p. 1472, 2709), Privilegium (p. 3732), subsidiurn (p. 13829).<br />

(145) Il y a d'autres passages rendus incompréhensibles en raison du texte lacuneux<br />

(Cf. MGH, Ep. VII, 131, ép. 158). Sur la santé précaire du registre original transcrit<br />

par lo copiste du xie siècle, cf. Lapotre, Jean VIII, p. 8. Si ce dernier avait, à l'endroit<br />

contesté, laissé un espace en blanc, la lacune ne ferait plus de doute. Mais ce n'est pas le<br />

cas.<br />

(146) Les propositions Nec aliquis..., haec nostra apostolica monita... manere volentes de<br />

la lettre de Jean VIII aux ignaciens (M.HG, Ep. VII, 187<strong>25</strong>-31) semblent comporter des<br />

éléments de nature à reconstituer notre texte.<br />

Mgr Amann rapproche, sans insister, cette partie de la lettre du pape du chapitre ?<br />

du commonitoriurn (L'époque carolingienne, Fliche-Martin, t. IX, p. 493 et n 1).<br />

(147) M.G.H., Epist. VII, 22815-1«, 2305-7.<br />

(148) Les lettres de Jean VIII pour le rétablissement de Photius, in Echos d'Orient, XXXIX<br />

(1940), 138-156.


Le Liber Pontificalis.<br />

D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 181<br />

On sait que la Vila Hadriani contenue dans le Liber Pontificalis<br />

s'étend de préférence sur les préliminaires et l'amer épilogue bulgare<br />

du synode byzantin qui condamna Photius (149). Ce Concile, elle<br />

l'appelle simplement synodus, sancta ou sacra synodus, une seule<br />

fois sacralissima synodus (150), mais jamais VIII universalis (151)<br />

synodus, ce qui paraît assez étonnant si l'on considère que les auteurs<br />

présumés de cette séquence du Liber Pontificalis sont Jean Diacre<br />

et Anastase le Bibliothécaire (152), lequels n'ont pas hésité à donner<br />

au Concile ignacien de 869-870 le titre susdit (153).<br />

Ce titre a cependant été retenu par le fameux recenseur langue<br />

docien du Liber Pontificalis, Pierre-Guillaume, bibliothécaire de<br />

Saint-Gilles (154), dans sa notice sur Hadrien II : « Huius t(em)-<br />

p(o)ribus celebrata est ap(ud) constantinopoli(m) s(an)c(t)a VIII<br />

un(i)ve(r)sal(is) synodus p(ro) expulsione photii et restitutio (n)e<br />

ignatii pat(ri)arche » (155).<br />

Duchesne a fait remarquer que Pierre-Guillaume a pu abréger<br />

lui-même les notices du Liber Pontificalis, rnais il décèle dans certaines<br />

retouches une main romaine (156). En effet, la phrase citée ci-dessus<br />

est empruntée au grand recueil canonique du cardinal Deusdedit (157),<br />

peut-être par l'intermédiaire du Liber Pontificalis de Pandolphe<br />

constitué à Rome sous Pascal II (1099-1118) (158), soit directement<br />

à partir de l'actuel Vatic, lat. 3833 (également composé sous ce pape)<br />

dont on a essayé d'établir l'origine provençale (159).<br />

L'important est de savoir que dans le Vatic, lat. 3762 les mots<br />

(149) L. Duchesne, Le Liber Pontificalis, t. II, rééd. Paris 1955, p. 151-167.<br />

(150) Ibid., p. 18112-13, 18212.<br />

(151) Le mot universalis a été omis dans la citation relative à la signature des légats;<br />

Ibid., 1831; cf. Mansi, XVI, 189 E-190 A.<br />

(152) G. Arnaldi, Giovanni Immonide e la cultura a Roma al tempo di Giovanni VIII, in<br />

Bulletino dell' I stituto storico italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano 68 (1956), 33-89.<br />

(153) PL, 75, 187 C; Mansi, XVI, 8 CE.<br />

(154) Saint-Gilles « in villa Flaviana » sur le Bas-Rhône (Duchesne, Liber Pont., II,<br />

p. xxiv, 199; t. III, G. Vogel, p. 127), et non dans le diocèse de Reims (Lexikon für Theologie<br />

und Kirche, VI, 1617). C'est le manuscrit Vatic, lat. 3762 qui a été exécuté au prieuré d'Acey<br />

par Pierre- Guillaume, pendant qu'il séjournait dans la région rémoise (ibid., II, p. xxiv).<br />

(155) Vatic, lat. 3762 (an. 1142), f. 131*, lignes 2-4.<br />

(156) Duchesne, Lib. Pont., Il, p. xxx.<br />

(157) Collectio Cano<strong>num</strong>, I, cap. 261; éd. W. von Glanvell, Die Kanonensammlung des<br />

Kardinales Deusdedit, Paderborn 1905, p. 15013-14.<br />

(158) Duchesne, Lib. Pont., Ill, p. 110.<br />

(159) H. Steinacker, Die Deusdedilhandschrift (Cod. Vat. 3833) und die ältesten gallischen<br />

libri cano<strong>num</strong>, in Mitteil, der Institute für österr. Geschichtsforschung. Ergänzungsband, VI<br />

(1901), 113-144. L'auteur, qui ne tire pas argument de notre séquence, n'a pas convaincu<br />

P. Fournier - G. Le Bras, Histoire des collections canoniques en Occident, t. II Paris<br />

1932, p. 39, n. 1.


182 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

scâ VIII. unvesal ont été barrés par trois traits horizontaux. La<br />

rature, dûment mentionnée par March, a égaré cet éditeur qui a cru<br />

lire secundum universal synodus (160), devenu dans l'édition de Vogel,<br />

où l'oblitération n'est pas indiquée, secundum universale synodus (161).<br />

Spontanément, nous avons pensé que la suppression avait été<br />

effectuée après le Concile de Florence (1439) qui marque un tournant<br />

dans l'histoire, en Occident, de l'cuménicité du Concile anti-photien<br />

(162), car la plupart des copies (directes et indirectes) du manusc<br />

rit de Pierre-Guillaume ont été exécutées après la mort de Martin V,<br />

sous Eugène IV (1431-1444) (163). Toutes ont notre texte sans les<br />

mots sancta VIII universalis (164), lesquels ont parfois été ajoutés<br />

en marge par le copiste ou le réviseur (165).<br />

L'explication ne vaut pas. Car si le manuscrit du bibliothécaire<br />

de Saint-Gilles connut une longue période d'obscurité avant de faire<br />

souche (166), son exhumation est cependant antérieure à 1439. C'est<br />

(160) J. March, Liber Pontificalis prout exstat in manuscripio Dcrluscnsi, Barcelone 19<strong>25</strong>,<br />

p. 126. Notons que cette phrase ne se trouve pas dans le manuscrit de Tortose.<br />

(161) Duchesne, Le Lib. Pont., III, p. 126.<br />

(162) V. Péri, Il <strong>num</strong>éro dei concili ecumenici nella tradizione callolica moderna, in Aevum<br />

37 (1.963), 430-501 (472-501).<br />

(163) Duchesne, Le Lib. Pont., II, p. xlv, xlviii.<br />

(164) Vallicellian. C 79 (xv« s.; cf. Duchesne, Lib. Pont., Il, p. xxiv), f. C 67 (- 167)r;<br />

Vat. lat. 1437 (début du ? Ve s.; cf. Duchesne, ibid., p. xxix), f. 200v; Vat. lat. 2039 (xve s.),<br />

f. 90v; Vat. lat. 3763 (xv« s.), f. LXXXI'; Vat. lat. 4985 (xvi° s.), f. 133r; Val. lai. 5623 (fin<br />

xvie s.), f. 60v; yaL iaL 6357 (xvi° s.), f. 215); Barber, lat. 584 [olim XII, 27] an. 1440-1444;<br />

cf. Duchesne, Lib. Pont., II, p. xxvn), f. 74va; Barber, lat. 2374 [olim XXXII, 167, xve s.],<br />

f. C" (= 100") ; Ambros. H. Ill sup. (xve s.) et Ambros. C. 204 inf. (xve s.) ; cf. éd. A. Mura-<br />

tori, Rerum Italicarum Scriptores, III, Milan 1723, p. 263, n. 15; Paris, lat. 5144 (xvie s.),<br />

f. 86v; éd. Ch. A. Fabrot, Anastasii <strong>Bibliotheca</strong>rii historia ccclesiastica sive Chronographia<br />

Tripartita, Paris 1649, p. 292; Id., Anastasii <strong>Bibliotheca</strong>rii Historia de Vilis Romanorum<br />

Pontificum a B. Petro Apost. ad Nicolaum I <strong>num</strong>quam haclenus lypis excusa. Deinde Vita<br />

Hadriani II et Stephani VI, auclore Guillelmo Bibliolhecario... Accesscre variae lectiones<br />

ex tribus codicibus MSS colleclae, Venise 1729 (= Corpus Historiae Byzantinae 6), p. 164<br />

(note de p. 112), col. 2, ligne 46; Urbin. lat. 395 [olim 773], f. 11 6V : ce très beau manuscrit<br />

enluminé est daté de la fin du xive siècle par C. Stornajolo, Codices Urbinales latini, t. I,<br />

Rome 1902, p. 376. Ce scriptor a probablement voulu dire « saec. XV exeunte »; car il fait<br />

remarquer lui-même que les manuscrits dans lesquels les armoiries des ducs d'Urbino portent<br />

les clefs pontificales ne sont pas antérieurs à 1465 (Ibid., p. xvin). Or, au f. 2, les clefs y<br />

figurent. Quant aux initiales G.D., G.G., G. F., elles peuvent signifier Guido Ducis Guido<br />

Friderici et indiquer le duc Guidobaldo (1482-1508), fils de Frédéric de Montefeltro. Mais<br />

il faut expliquer les initiales G.G.; elles désigneraient le mécène Guidobaldo II et Giulia, sa<br />

femme qu'il avait épousée en 1534 et qu'il perdit en 1547 (J. Dennistoun, Memors of the<br />

Dukes of Urbino, t. I, Londres 1851, p. 421; F. Ugouni, Storia dei conti c duchi d'Urbino,<br />

Florence 1859, p. <strong>25</strong>1, 273 (sur le mécénat, cf. p. 353-355). Le codex en question serait<br />

donc à dater des années 1534-1547.<br />

(165) Vallicel. C. <strong>25</strong> (xvi° s.), f. 107v (olim lllv) : « viii synodus contra Photium »; id.<br />

dans Val. lai. 4985 (xvi° s.), f. 133». A noter la note marginale « synodus apud CP. p(ro) r(e)<br />

stitutione Ignatii ce (= contra) fociu(m); Vat. lat. 3763 (xve s.), f. LXXXIr : « Sinodus<br />

Constantinopolitana adv(er)sus Photiu(m) et Ignatiu(m) » (!)<br />

(166) Duchesne, Lib. Pont., Il, p. xxvn.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 183<br />

un autre languedocien, l'évêque d'Orvieto Pierre Bohier (-j- 1389)<br />

qui le tira de sa léthargie avignonnaise, lorsque devenu ambassadeur<br />

de Charles V près de la cour pontificale d'Avignon, il copia et glosa<br />

le Liber Pontificalis de Pierre-Guillaume entre 1378 et 1380 (167).<br />

L'autographe de Pierre Bohier semble perdu. Mais il en existe des<br />

copies antérieures au Concile de Florence. C'est le cas notamment<br />

du Paris, lat. 5142 exécuté pour Benoît XIII par le calligraphe<br />

Antoine Sandte (168). Or, dans ce manuscrit, comme dans les autres<br />

copies du Liber Pontificalis de Pierre Bohier manquent les mêmes<br />

mots sancta VIII universalis (169). L'évêque d'Orvieto serait-il<br />

l'auteur de la rature qui déflore la Vat. lat. 3762? Nous ne le croyons<br />

pas. S'il avait eu quelque animosité contre l'cuménicité de Cons<br />

tantinople IV, il se serait certainement expliqué, à ce sujet, dans<br />

les gloses dont il farcit ou encadre son texte (170). Or, à propos de<br />

Photius et d'Ignace mentionnés dans notre phrase, il renvoie simple<br />

ment à un canoniste de l'époque (171), puis il déduit de cette phrase<br />

que « tune ad ecc(lesi)am romanam non deducebant(ur) o(mn)es<br />

ca(us)e etiam ardue » (172), trahissant peut-être par là ses préoccu<br />

pations conciliaristes ou son attachement à la papauté avignonn<br />

aise (173), non sans étaler son ignorance au sujet de l'intervention<br />

romaine dans l'affaire photienne (174). En tout cas il ne dit rien de<br />

(167) Ibid., p. xvii-xxvin.<br />

(168) Ibid., p. xxvm.<br />

(169) Paris, lat. 5142, (olim Colb. 129 et Regius A 3622), f. 186r col. a et b : « Huius<br />

temporib(us) celebrata e(sl) apud Constantinopoli (m) synodus pro expulsione pholini (sic!) et<br />

restitut(i)one ignacii p(at)riarchs ». Cf. Lucensis 552, f. 208v. La leçon pholini qui se<br />

retrouve dans ces manuscrits ne figure pas dans lo texte du Barber, lat. 584 (vers 1450;<br />

cf. Duchesne, Lib. Pont., II, ?· xxvn), f. 74va, mais seulement dans la glose (f. 74r), enca<br />

drement droit, avant-dernière ligne).<br />

(170) Dans le Barber, lat. 584 les gloses sont disposées en encadrement autour du texte;<br />

dans le Luc. 552 elles sont insérées dans le texte ; elles auraient dû trouver place également<br />

dans les marges du Par. lat. 5142 (Duchesne, Lib. Pont., II, p. xxvii-xxvin.<br />

(171) « fotini. de isto s.c.p(ro)x. in fi(ne). ignacii p(at)riarche. de islo 1III .q.a.c. II el<br />

XXI d.c.p(enu)lt. et LXI II d.c.II » (Barb. lat. 584, f. 74G , deux dernières lignes). Il s'agit<br />

vraisemblablement d'un renvoi à Gratien.<br />

(172) Barb. lat. 584, f. 74va (deux premières lignes).<br />

(173) B. Heurtebize, Pierre Bohier, bénédictin, évêque d'Orvieto, in Bévue Mabillon, Y<br />

(1910), 459-463 et à part, p. 15-38.<br />

(174) Gratien, principale source où le Moyen-Age a puisé ses renseignements sur les<br />

Conciles, avait pourtant précisé, à la suite d'Hincmar (Annales de Saint-Berlin, éd. F. Grat,<br />

J. Vielijard, S. Clemencet, Paris 1964, p. 187) : « Adrianus papa secundus (quod Nicolaus<br />

decessor eius disposuerat) missos suos, Donatum scilicet Hostiensem episcopum et Stepha<strong>num</strong><br />

Nephesi<strong>num</strong> episcopum et Mari<strong>num</strong> diaconem (sic!) S.R.E. ad Basilium imperatorem et ad<br />

filios eius Constanti<strong>num</strong> et Leonem Augustos Constantinopolim direxit, cum quibus et<br />

Anastasius bibliothecarius Romanae Sedis, utriusque linguae, graecae scilicet et latinae<br />

peritus, perrexit, et synodo congregato (quam octavam universalem synodum illuc conve-<br />

nientes appellaverunt) exortum schisma de Ignatii depositione et Fotii ordinatione seda-<br />

verunt, Fotium anathematizantes et Ignatius restituentes » (Ae. Friedberg, Decretum


184 REVUE DES ÉTUDES RYZANTINES<br />

l'annulation du Concile de 869-870. La rature est donc antérieure à<br />

Pierre Bohier, lequel en a tenu compte sans éprouver le besoin de<br />

la commenter.<br />

Puisqu'il ne semble pas que le Vatic, lat. 3762 ait été manipulé<br />

au cours des 240 ans où il végéta dans la poussière des bibliothèques,<br />

l'oblitération devrait remonter à l'époque même où il fut copié et<br />

l'auteur de la rature ne serait autre que Pierre-Guillaume lui-même<br />

ou un réviseur contemporain (175).<br />

Dès lors, une conclusion s'impose. L'cecuménicité de Constanti<br />

nople IV a été contestée même dans les milieux latins vers le milieu<br />

du xiie siècle, moins de cent ans après sa redécouverte par les canonistes<br />

de la réforme grégorienne, à l'époque où Gratien favorisait<br />

d'une manière décisive la « légende » de la non-réhabilitation de<br />

Photius.<br />

Yves de Chartres a sans doute influencé l'auteur delà rature (176).<br />

En tout cas, celle-ci, suivant la tradition manuscrite que nous avons<br />

évoquée, a desservi Platina qui, dans sa Vie des papes ou recension<br />

nouvelle du Liber Pontificalis, a retenu la leçon mutilée (177), au<br />

grand scandale de certains de ses commentateurs (178), peu disposés<br />

Magistri Gratiani, Leipzig 1879, p. 235 Pars I, Dist. lxiii, c. ii). La leçon Folini, Foti<strong>num</strong><br />

se rencontre déjà dans le Clm 4505 (fin du xne s.), comme l'indique l'apparat critique de<br />

Friedberg (p. 235, n. 24); elle est donc antérieure à Barthélémy de Brescia, n'en déplaise<br />

à M. Dvornik (Le schisme, p. 467).<br />

(175) Un correcteur postérieur aurait sans doute justifié sa suppression dans une note<br />

marginale. Or celles qui émaillent (si peu!) le folio 131 du Val. lai. 3762 ne concernent<br />

pas notre texte. Quant à l'encre utilisée par le scribe et par le cancellator l'identité apparente<br />

attend, pour être confirmée, l'examen microscopique.<br />

(176) Sur les citations des lettres et du commonitoriurn de Jean VIII selon la version<br />

photienne, cf. G. Hofmann, Ivo von Chartres über Pholios, in Orienlalia ckristiana Periodica<br />

XIV (1948), 105-137 (116-132).<br />

(177) « Haberi enim synodum Constantinopoli passus est [Hadrianus], qua et pulsus<br />

Photius vir seditiosus, et restitutus Ignatius iam antea iniuria pulsus » (Platynac kistorici<br />

Liber de vita Christi ac omnium Pontificum, éd. G. Gai da; Rerum Italicarum Scriptores2,<br />

t. III, Città di Castello 1913-1915, p. 155<strong>25</strong>-27).<br />

(178) « Mentre il Liber Pontificalis, écrit Gaida, tratta con ampiezza lo scisma di Fotino<br />

e l'VIII sinodo universale tenuto a Costantinopoli, il Platina invece accenna appena a<br />

questi avvenimenti. A sua giustificazione perô vi è il fatto che la redazione del Liber Pontif<br />

icalis da lui usata in questa parte aveva... notevoli tagli, eseguiti spesso con criteri grosso-<br />

lani » (Platynae. hisiorici, p. xlvii). Ces remarques tombent en grande partie à faux. Tout<br />

d'abord elles réintroduisent la leçon fautive de Photinus admise par Muratori dans son<br />

édition de Platina (Rerum Italie. Script, t. III, p. 154). Ensuite, elles prétendent que le<br />

Liber Pontificalis traitait en long et en large de Constantinople IV, alors que c'est surtout<br />

l'affaire bulgare qui a retenu l'attention et Platina, à la suite de Pierre-Guillaume, s'y inté<br />

resse de même, tout juste après le texte que nous venons de citer. Enfin, Gaida n'a pas vu<br />

que la recension susdite du Liber Pontificalis, en ce qui concerne le VIIIe Concile, méri<br />

tait quelques égards en raison des titres que, de prime abord, elle avait accordés à cette<br />

assemblée.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 185<br />

à traiter avec autant de légèreté un Concile que, dans l'intervalle,<br />

Baronius avait exalté outre-mesure (179).<br />

Un unioniste grec du XVe siècle.<br />

M. Dvornik a récemment édité, d'après le Paris, gr. 1712, un petit<br />

traité sur les Conciles œcuméniques composé par un grec latino-<br />

phrone peu après le Concile de Florence, ce dernier étant compté<br />

comme le dixième de la série (180). Après avoir brièvement disserté<br />

sur chacun des sept premiers Conciles, voici ce que cet auteur et son<br />

collègue disticophile (181) écrivaient au sujet des VIIIe et IXe synodes :<br />

« Le VIIIe saint Concile œcuménique eut lieu à Lyon sous le pape<br />

de Rome Jean. Il s'est réuni contre Photius qui était devenu patriarche<br />

de Constantinople à l'encontre des canons; car il avait injustement<br />

usurpé le siège (de Constantinople) du vivant même d'Ignace, le<br />

saint. C'est Photius en effet qui a causé le schisme entre les Grecs<br />

et les Latins. Il soutenait que le tout-saint Esprit procède du Père<br />

seul et non pas aussi du Fils. C'est pourquoi le Concile Fa condamné<br />

et a défini que l'Esprit procède du Fils aussi, comme du Père ».<br />

« Le VIIIe synode s'est tenu à Lyon, lorsqu'à Rome le divin Jean,<br />

qui avait splendidement reçu les clefs après Nicolas, présidait avec<br />

dignité. Il s'est réuni contre Photius, le premier fauteur du schisme,<br />

celui qui écrivit avec insolence contre l'Ancienne Église, à savoir<br />

celle de Rome, et qui, le premier, vomit contre les Latins, [les accusant]<br />

(179) Avant Baronius, le premier réviseur de Platina, le P. Onuphre Panvinio O.E. S. A.<br />

avait, quant aux titres du Concile, spontanément reconstitué le texte primitif du Liber<br />

Pontificalis de Pierre-Guillaume : « Sub hoc papa (Hadrien II), sancta et universalis synodus<br />

octava, Constantinopolitana quarta celebrata est, in qua, pulso Patriarcha Photino necnon<br />

Neophyto, Ignatius restitutus est » (Epitome Pontificum Romanorum, Venise 1557, p. 44).<br />

Un peu plus loin, cet auteur parle du Concile photien de 879-880 en des termes qui auraient<br />

dû retenir l'attention de M. Dvornik : « Post haec [voyage du pape en France] Romam<br />

veniens [Ioannes VIII] suscepit atque approbavit acta sanctae et universalis Synodi nonae,<br />

Constantinopolitanae quintae, in qua mortuo Ignatio Patriarcha Photinus denuo restitutus<br />

est » (ibid.). Voilà un témoignage sensationnel sur l'œcuménicité de Constantinople V<br />

et sur le rétablissement de Photius, autrement important que le texte timide d'Henri<br />

Schedel (Cf. Dvornik, Le schisme, p. 491).<br />

On sait que le savant augustin, mort à trente-huit ans, n'a pas eu le temps de faire paraître<br />

sa grande Histoire de V Église restée manuscrite, où il traitait assurément de la question<br />

photienne (B. Platina, Historia délie Vile dei sommi Ponte fici... illustrata con V annotationi<br />

del Panvinio, Venise 1600, p. 100v, en note). « S'il avait vécu, le travail de Baronius n'aurait<br />

peut-être eu aucune raison de se faire » (D. A. Perini, Onojrio Panvinio e le sue opère, Rome<br />

1899, p. 1<strong>25</strong>) et la légende de « Photinus » n'aurait sans doute jamais existé.<br />

(180) Fr. Dvornik, Greek Uniats and the Number of Oecumenical Councils, in Mélanges<br />

Eugène Tisserant, II (Studi e Testi 323) Cité du Vatican 1964, p. 96-101.<br />

(181) Les στίχοι εις συνόδους ont été ajoutés au traité en question. Dans notre traduct<br />

ion, nous avons inséré ceux qui concernent les VIIIe et IXe Conciles à la suite des notices<br />

parallèles du traité.


186 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

de n'être pas orthodoxes, eux qui chantent dans le symbole l'addition,<br />

c'est-à-dire Va Pâtre Filioque, laquelle est une explication plutôt<br />

qu'une addition. C'est pourquoi [ce Concile] a condamné son inso<br />

lence et définit d'une manière orthodoxe que l'Esprit procède égal<br />

ement du Fils ».<br />

« Le IXe saint Concile œcuménique eut lieu à Constantinople<br />

sous Grégoire, pape de Rome et Bekkos, patriarche de Constantinople.<br />

Lui aussi s'est réuni au sujet de la même question. S'étant rassemblé,<br />

il a défini comme dogme, d'une manière claire et évidente, que le<br />

Saint-Esprit procède aussi du Fils comme du Père et il a confié [cette<br />

vérité] à l'Église pour qu'elle la croie, la confesse et la vénère ».<br />

« Le IXe (Concile) a eu lieu à Constantinople, lorsqu'à Rome<br />

le divin Grégoire, dizième du nom, remplissait les fonctions épis-<br />

copales. Le divin Bekkos, le trois fois bienheureux, l'admirable,<br />

alors archevêque de Byzance présida saintement et pieusement ce<br />

synode qui définit la foi et le culte comme avait fait le célèbre et<br />

très vénérable Concile de Lyon » (182).<br />

L'éditeur note que l'anonyme en question n'ose pas appeler<br />

VIIIe Concile oecuménique le synode qui condamna Photius; il<br />

donne ce titre au Concile de Lyon II et accorde l'oecuménicité au<br />

synode byzantin de 1277. M. Dvornik souligne également les bévues<br />

commises par son auteur : Concile de Lyon sous le pape Jean VIII;<br />

condamnation de Photius par cette même assemblée et par celle<br />

de 1277 (183). Cependant, il ne lui est pas venu à l'esprit qu'en inter<br />

vertissant le lieu des huitième et neuvième conciles, on obtient<br />

deux notices chronologiquement plus satisfaisantes. Car il ne reste<br />

rait plus que des détails à déplorer comme erreurs historiques à savoir:<br />

1) l'oubli d'Hadrien II comme contemporain de Constantinople IV;<br />

2) la présidence de Lyon II dévolue à Jean Bekkos; 3) le Filioque<br />

inscrit au programme du Concile ignacien.<br />

La première erreur peut s'expliquer par la renommée dont jouit<br />

à Byzance le successeur d'Hadrien II, toujours associé à l'affaire<br />

photienne (mais pas dans le sens indiqué par notre anonyme), et<br />

par la non-répugnance que l'on éprouvait, dans certains milieux latins<br />

ou lalinophron.es du xve siècle, à admettre que le VIIIe Concile,<br />

commencé sous Hadrien II, fut conclu sous Jean V11I (184) ou engloba<br />

aussi le synode photien de 879-880 (185).<br />

(182) Dvornik, Greek U niais, p. 97-98.<br />

(188) Ibid., p. 94-96.<br />

(184) Card. Jacovazzi, Tractatus de concilio, Rome 1538, p. 194 a.<br />

(185) Grégoire Mammi, Apologia contra Ephesii confessionem, Ρ G, 160, col. 89 B-92 A.


D. STIERNON : AUTOUR DE CONSTANTINOPLE IV 187<br />

Que Jean Bekkos ait été considéré comme patriarche de Constant<br />

inople au temps de Lyon II (1274) n'a rien de tellement surprenant,<br />

puisqu'il le fut peu de temps après (mai 1275) et restera le grand<br />

défenseur de l'union lyonnaise. De toute façon, Grégoire X était<br />

mort lorsque se tint le synode de 1277.<br />

Certes, le VIIIe Concile n'a pas agité le problème théologique de<br />

la procession du Saint-Esprit. Mais le synode photien de 879-880,<br />

ayant effleuré la question des additions au symbole de foi, acquit la<br />

réputation, selon les latinophobes, d'avoir proclamé Va Pâtre solo et<br />

condamné le F Moque; selon les unionistes, d'avoir fourni à Photius<br />

l'occasion de répudier tout ce qu'il avait écrit contre l'addition (186).<br />

Considérant, avons-nous dit, ce synode comme partie intégrante<br />

du VIIIe Concile, tout en rejetant, à la différence des Bekkos, Georges<br />

Métochite et autres latinophrones, l'hypothèse de l'abandon par<br />

Photius de son opposition au fîlioquisme, notre anonyme post-florentin<br />

n'a pas pu imaginer qu'un Concile oecuménique ait tranché le pro<br />

blème de l'addition au symbole autrement que par une condamnation<br />

de Va Pâtre solo.<br />

Pour éviter à cet auteur le tort de s'être gravement mépris en<br />

plaçant le Concile de Lyon au temps du pape Jean VIII, il y aurait<br />

lieu d'examiner une autre possibilité : l'interversion du nom des<br />

papes, à savoir, pour Lyon (II) Grégoire X; pour le synode constan-<br />

tinopolitain de 1277, Jean (XXI) au lieu de Grégoire. Cela supposerait<br />

chez notre plumitif une connaissance très précise de la succession<br />

papale après Grégoire X, puisque Jean XXI n'occupa le siège de<br />

Pierre que quelques mois (septembre 1276 — mai 1277) après les<br />

pontificats également éphémères du Bx Innocent V (janvier-<br />

juin 1276) et d'Hadrien V (juillet-août 1276). Il est vrai que les milieux<br />

unionistes grecs du XVe pouvaient ne pas ignorer qu'au lendemain<br />

du grand synode d'union le patriarche Bekkos envoya sa lettre-<br />

profession de foi à un pape Jean. Par ailleurs, il faudrait alors regretter<br />

que le disticographe, généralement plus précis que son collègue (par<br />

ex. à l'endroit de Grégoire X), ait écrit « après Nicolas » et non « avant<br />

Nicolas », car Jean XXI régna avant Nicolas III (1277-1280).<br />

Enfin, si notre anonyme s'est vraiment conformé à l'usage des<br />

Grecs qui, au dire de Joseph Plusiadénos de Méthone, considéraient<br />

Lyon II comme le VIIIe Concile (187), et s'il prouve vraiment que<br />

« même les uniates n'ont jamais compté le Concile d'Ignace parmi les<br />

(186) Cf. Dvornik, Le schisme de Photius, p. 537-573<br />

(187) Pro concilio Florentino, PG, 159, col. 1376 G.


188 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES<br />

synodes oecuméniques » (188), son silence sur la réhabilitation de<br />

Photius ruine la thèse selon laquelle « même pour les catholiques<br />

grecs des xive-xve siècles il n'y avait que les décisions du Concile<br />

de Photius qui continuassent à avoir toute leur valeur » (189).<br />

(188) Dvornik, Le schisme, p. 575.<br />

(189) Ibid.<br />

Daniel Stiernon.

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