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L'enfer... - Annie Beaugrand-Champagne ::: Bienvenue

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L’enfer...


Opuscule publié par Le Clan des six<br />

à l’occasion de l’exposition collective<br />

L’Enfer et le Paradis<br />

présentée à<br />

la Maison de la culture Rosemont–La Petite-Patrie<br />

6707 De Lorimier, à Montréal<br />

du 26 février au 28 mars 2010<br />

Le Clan des six<br />

<strong>Annie</strong> <strong>Beaugrand</strong>-<strong>Champagne</strong><br />

Jean-Maurice Gélinas<br />

Puck Kasma<br />

Édouard Lachapelle<br />

Guy Lapierre<br />

Léo Rosshandler<br />

Page couverture :<br />

Un enfer : imagerie médiévale<br />

4e de couverture :<br />

Un paradis : Lu Zhi, Cueillette de plantes médicinales dans les montagnes, montagnes<br />

encre et couleurs sur papier, rouleau vertical 70,5 x 32,7 cm, daté de 1547,<br />

Museum für Ostsiatische Kunst, SMBPK, Berlin<br />

Crédits photographiques :<br />

pp. 5 et 13 : Michel Tanguay<br />

p. 7 : Renaud Kasma<br />

pp. 9 et 11: Guy Lapierre<br />

p. 15 : Gérard Ozanne<br />

Éditeurs: Édouard Lachapelle et Michel Tanguay, graphisme : Michel Tanguay<br />

Les artistes ont choisi de consacrer les droits d’auteur versés par<br />

l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie à la publication de cette brochure.<br />

Merci à Monique Garneau, agente culturelle bien attentive à ses artistes.<br />

© 2010 Le Clan des six<br />

ISBN 978-2-9808179-1-5<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2010<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada, 2010<br />

Comment devenir un clan?<br />

Ils sont donc six, qui voulaient exposer.<br />

L’histoire n’est pas nouvelle.<br />

Parmi eux, certains souhaitaient<br />

écrire le manifeste d’abord (le refus<br />

postglobal), d’autres s’entendre sur<br />

la couleur de la toge académicienne,<br />

d’autres supputaient leurs chances d’être<br />

invités à « On en parle-tu à la radio? »<br />

L’étymologie nous apprend que<br />

le mot clann’ clann’ clann’ vient du gaélique, où il<br />

désignait des tribus et associations de<br />

familles liées par des alliances guerrières<br />

et successorales. On peut imaginer<br />

comment, dans les brumes d’Écosse et<br />

d’Irlande, quand le clan se réunissait,<br />

les bruits de sabre emplissaient l’air.<br />

Dans son acception moderne, Robert<br />

nous apprend que le terme défi nit un<br />

petit groupe de personnes qui ont<br />

des idées, des goûts communs, ce qui<br />

semble correspondre tout à fait au genre<br />

d’association formée par nos ami-es.<br />

Mais voici que le clan aborde les<br />

territoires hautement émotifs du ciel<br />

et de l’enfer, et l’énergie particulière<br />

qui se dégage de leur peinture a tout<br />

pour évoquer la guerre! Pourtant, nulle<br />

consigne, voire nulle concertation<br />

dans l’élaboration de ces productions,<br />

certaines préexistantes au projet d’expo-<br />

Michel Tanguay<br />

sition. Faut-il croire que ces productions<br />

sont pour la plupart les fruits d’une<br />

longue gestation inconsciente? Ainsi<br />

donc, l’évocation de ces abstractions qui<br />

ont constitué, à l’enfance, les moteurs<br />

de nos aspirations et terreurs religieuses<br />

ou superstitieuses les plus intimes a<br />

encore la puissance de lancer le clan<br />

sur les sentiers de la guerre. C’est dire<br />

combien le choix du thème, à première<br />

vue bénin ou propice aux clichés,<br />

voire cucul, a su rameuter des énergies<br />

et des imaginations véhémentes ou<br />

provocatrices. Ce qui en soi, constitue<br />

déjà un manifeste exemplaire pour un<br />

clan de peintres.<br />

On trouvera dans les pages qui<br />

suivent une œuvre choisie par chacun<br />

des membres du clan parmi celles<br />

exposées. Et un texte de réfl exion sur<br />

la thématique, écrit sans directive du<br />

groupe ou de l’éditeur. La plus grande<br />

diffi culté : se plier aux contraintes<br />

d’espace associées à la modestie du<br />

présent opuscule. Les peintres ont<br />

simplement souhaité mettre entre<br />

vos mains quelques pensées, images<br />

et émotions qui prolongeront les<br />

climats déroutants/provocants de cette<br />

exposition.


L’enfer OU le PARADIS<br />

L’enfer et le paradis ont chacun<br />

leurs vertus et leurs défauts. Il est<br />

donc diffi cile de les départager,<br />

de savoir lequel choisir pour le séjour<br />

éternel qui nous est promis. L’être<br />

humain a beau se gratter la tête, il<br />

reste dans l’incertitude. Même s’il est<br />

dit que la vie qu’il a menée sur terre lui<br />

ouvre toute grande la porte de l’enfer,<br />

il peut très bien se tirer d’affaire en<br />

invoquant les normes du pardon, de la<br />

confession ou de la générosité divine.<br />

Quant au paradis, la loi du libre arbitre<br />

lui permettra de s’y soustraire s’il le<br />

désire.<br />

Les tableaux exposés ont été faits<br />

dans le but d’orienter les personnes<br />

sur ce qui pourrait être leur sort dans<br />

l’une ou l’autre éventualité. À ce<br />

sujet, il existe de nombreux écrits,<br />

des prophéties, des propositions<br />

canoniques, des visions de Saints. J’en<br />

ai fait un résumé dans mon esprit et<br />

j’en ai tiré les conclusions visuelles.<br />

Il appert que l’enfer c’est l’agitation<br />

tandis que le paradis est le calme.<br />

Voilà donc posées les données d’un<br />

premier choix. Examinons maintenant<br />

la nature et les effets de chacune de<br />

ces situations. L’agitation fait appel<br />

Léo Rosshandler<br />

nécessairement aux sens avec leur<br />

ribambelle de plaisirs, de douleurs, de<br />

joies et de peines. C’est quelque chose<br />

de palpable. Le calme, au contraire,<br />

s’exerce, si l’on peut dire, par la retraite,<br />

par l’inactivité, par la méditation, par<br />

l’adoration, voire par le sommeil. Il<br />

sombre dans l’impalpable.<br />

Ne pouvant parler de l’humanité<br />

tout entière, le tableau sur l’enfer se<br />

limite à illustrer la présence du couple<br />

dans ce lieu, alors que celui qui a trait<br />

au ciel nous montre la tranquillité<br />

angélique de ses résidants. Tout cela,<br />

sous les yeux vigilants des autorités<br />

infernales ou paradisiaques.<br />

Une troisième peinture nous révèle<br />

le sort du premier couple qui a été<br />

expulsé d’un paradis resté vide par<br />

la suite. Y sont-ils revenus après leur<br />

mort ? Selon ce que j’ai pu recueillir<br />

dans les écrits les plus savants et<br />

crédibles, Adam, de son propre cru,<br />

a choisi l’enfer; Ève, par contre, s’est<br />

laissé entraîner à retourner au paradis.<br />

C’est ainsi que chacun de nous peut<br />

choisir entre l’enfer et le paradis<br />

à l’instant qui suit notre départ du<br />

monde.<br />

Léo Rosshandler, Le Ciel? Heaven? 2007, 104 x 79 cm, huile sur toile<br />

Inscription à l’endos : peinture judéo-chrétienne. Au Yom Kippour, « Hashem » ferme le livre de<br />

la vie et de la mort, mais Saint Pierre détient la clef de la porte d’entrée au ciel!


La fin de l’innocence<br />

Ai-je déjà rêvé du paradis?<br />

Est-ce que j’ai peur<br />

de l’enfer? L’enfer ou<br />

le paradis? Intolérable idée du<br />

toujours, pour toujours!<br />

Heureusement il y a<br />

l’impermanence. Chacun de mes<br />

paradis est teinté de rouge et<br />

mes enfers sont tous percés par<br />

l’espérance de l’azur. Ma vie se<br />

balance entre les deux. Il n’y a pas<br />

lieu de choisir l’un contre l’autre.<br />

Il y a « la découverte de<br />

l’horizon » qui ouvre sur un<br />

vertige qui pourrait basculer<br />

dans l’angoisse comme un appel<br />

qui aurait la couleur de la liberté.<br />

La ligne d’horizon est une illusion<br />

si infi niment séduisante que j’en<br />

oublie que je suis mortelle.<br />

Au « Jardin blanc », au<br />

pays d’Adam et d’Ève il y avait<br />

l’innocence qui ne se connaît<br />

pas, on aurait dit le paradis,<br />

il y avait des fl eurs, des fruits<br />

Puck Kasma<br />

et des branches. Il y avait le<br />

bleu si vaste, si attirant… Ah,<br />

l’immense désir de s’y fondre<br />

ou de s’y perdre, sans cesse<br />

renouvelé. Le serpent fait partie<br />

de l’histoire. On a dit que c’était<br />

le tentateur. Maintenant on<br />

dit que c’est le symbole de la<br />

créativité. Pourquoi pas? Il faut<br />

bien des images pour raconter<br />

notre humanité.<br />

Après avoir goûté au fruit de<br />

« L’arbre de la connaissance »,<br />

ils inventèrent le miracle du<br />

langage. Devenus humains,<br />

il leur fallut apprendre à<br />

communiquer. Ce fut « La fi n de<br />

l’innocence » ou la naissance<br />

de la solitude. Ce fut peut-être<br />

aussi le début de la poésie qui<br />

donne des ailes, avec la création<br />

de tous ces costumes qui nous<br />

font et nous défont jusqu’à la fi n.<br />

Puck Kasma, Kasma La fi n de l’innocence, 2007, 36 x 28 cm, acrylique, poussière de marbre<br />

(techniques mixtes) sur toile


Le blues du réaliste<br />

à tendance américaine<br />

Jean-Maurice Gélinas<br />

Je suis un amateur, une immaturation<br />

de l’artiste. Je résiste à<br />

l’Histoire, aux dates, aux noms,<br />

au savoir et pourtant ma touche se<br />

réalise du produit d’une histoire. Je<br />

m’émerveille de l’œuvre du peintre. J’y<br />

voue une admiration profonde, je veux<br />

dire un désir profond. Je la jalouse, je<br />

la pastiche. Je m’y abîme au point de<br />

m’évacuer. Je ne suis plus.<br />

Je ne veux rien dire. Il n’y a pas de<br />

sens. Je ne suis pas militant. Mon travail<br />

consiste à défi gurer les codes plutôt<br />

qu’à les détruire. Je suis subversif.<br />

Il me semble participer au besoin<br />

de beauté en autant que je sois faible<br />

et vulnérable. De par cette beauté,<br />

j’oppose une résistance au monde.<br />

Résister, comme la jeunesse défi e la<br />

raison. Une fâcheuse délinquance. Je<br />

dis : la beauté est infériorité. Je suis<br />

buté.<br />

Vous me croyiez pompier, je suis<br />

incendiaire comme à vingt ans.<br />

Tout me vient du théâtre. La<br />

dramaturgie. Trier, sélectionner des<br />

thèmes dont le questionnement est<br />

sans issue afi n d’alimenter l’esprit de<br />

l’échec. Je donne l’échec à voir en<br />

spectacle. Comme Bataille, je suis à la<br />

recherche de ces stations où tout est<br />

divin, parce que tout est impossible.<br />

Ma création n’est pas dans le choix<br />

d’un sujet, elle est dans l’instant<br />

prégnant du tableau.<br />

La vanité de mes efforts à l’encontre<br />

du conceptuel. Ma subversion n’est<br />

pas dans la théorisation. Je ne suis<br />

pas intelligent. Je ne veux pas être<br />

intelligible. Je n’appartiens pas à<br />

la contre-culture. Je me limite à<br />

l’expression.<br />

J’aimerais être nihiliste. Il arrive<br />

encore que mes actes précèdent ma<br />

pensée. La liberté ne réside qu’en ma<br />

subjectivité.<br />

Je suis moraliste, du côté de la<br />

morale.<br />

Je pourrais être pornographe : la<br />

forme est obscène.<br />

On ne peint pas comme ça.<br />

La censure n’est pas dans l’empêchement<br />

de parler, mais lorsqu’on<br />

contraint de parler.<br />

Jean-Maurice Gélinas, Gélinas La tempête, 2009, 65 x 100 cm, pastel sec


Échapper à l’enfer<br />

Guy Lapierre<br />

Je ne voudrais pas d’un paradis où l’on n’eût pas le droit de préférer l’enfer.<br />

Jean Rostand / 1894-1977 / Pensées d’un biologiste<br />

Qu’est-ce<br />

Q<br />

que le Paradis? Qu’est- inscription : « D’où venons-nous? Que<br />

ce que l’Enfer ? Et ce Purgatoire? sommes-nous? Où allons-nous? » sur son<br />

Qdelà<br />

Qu’est-ce que ça veut dire au- tableau testament où le peintre décrit<br />

delà de la représentation du Moyen-<br />

sa vision du paradis. Je pense à Bosch,<br />

Âge? Au-delà du voyage métaphysique? à Bruegel et plus près de nous, à leurs<br />

Dante a eu ce même problème. Il héritiers surréalistes.<br />

s’est posé les mêmes questions. Et il a Surréalisme? Voilà une stimulante<br />

commencé à voyager dans l’imaginaire. ouverture. Avec le surréalisme, les<br />

J’ai toujours préféré l’imagination à la fragments du réel peuvent rester<br />

raison. Je dois prendre la position de vraisemblables pour l’œil, mais se<br />

Dante, il faut surmonter le problème groupent absurdement pour la pensée,<br />

de l’irreprésentabilité, aller au-delà de réduite à capituler devant l’inconscient.<br />

la représentation justement. C’est plein Je me suis donc appliqué à codifi er et à<br />

de questions. Par exemple, pour moi, organiser l’absurde autour de ces lieux<br />

l’enfer ce n’est pas la guerre en Irak, c’est mythiques.<br />

beaucoup plus subtil, c’est un mot qui<br />

Échapper à l’enfer n’est certainement<br />

nous interroge tout le temps, tous les<br />

pas une mince affaire. Enfer des zoos<br />

jours. Parmi nous et en soi-même. C’est<br />

que fuient ces animaux dans un bateau<br />

la même chose pour le purgatoire et le<br />

vers des cieux plus cléments… Enfer du<br />

paradis.<br />

quotidien que fuit cet homme avec un<br />

Six milliards d’humains. Six milliards bagage proportionnel à ses tourments…<br />

d’enfers. Six milliards de paradis. C’est Fuir l’enfer des guerres? Montez à bord<br />

davantage dans cette zone intermédiaire, de l’Eden-Express… Expulsez l’infernal<br />

ce « no man’s land » du purgatoire, où se par le rêve ! Un lit paradisiaque vous<br />

situent les sujets des œuvres que j’expose attend …<br />

ici.<br />

J’ai cherché un contact presque<br />

J’entends l’insomniaque et longue organique dont ces quatre tableaux<br />

dame brune Barbara chanter « le paradis traduiront, j’ose l’espérer, l’intensité du<br />

serait pour moi de m’endormir la nuit ». Songe, son angoisse comme sa drôlerie.<br />

Je pense à Gauguin et à sa fameuse<br />

Guy Lapierre, Lapierre Échapper à l’enfer / L’Arche, L’Arche 2009, 120 x 90 cm, huile sur toile toil


L’enfer, le paradis<br />

et autres mensonges<br />

L’enfer et le paradis, voilà un bon<br />

sujet pour quelqu’un comme<br />

moi qui aime travailler sur les<br />

opposés. Avec la beauté et la laideur,<br />

le pouvoir et l’impuissance, tout ça se<br />

rejoint.<br />

Si je fais le lien avec mon exploration<br />

de la laideur physique ordinaire,<br />

je constate que si la beauté ne peut<br />

exister sans la laideur, le paradis a été<br />

inventé en enfer. L’Homme dans sa<br />

misère, sa pauvreté et son impuissance<br />

ne pouvait faire autrement que rêver<br />

un monde meilleur. Surtout, il savait<br />

que ce monde était inaccessible, d’où<br />

le fantasme du paradis. Mais voilà, je<br />

n’ai pas connu une telle souffrance<br />

que j’aie besoin de m’inventer des<br />

lieux pour m’échapper. Il me suffi t de<br />

mettre le pied dans l’atelier pour ne<br />

plus avoir mal.<br />

J’ai gardé un profond dégoût<br />

pour tout ce qui est religion et<br />

endoctrinement. Par contre, l’iconographie<br />

religieuse me fait sourire.<br />

<strong>Annie</strong> <strong>Beaugrand</strong>-<strong>Champagne</strong><br />

Je n’aime pas l’idée d’avoir à choisir entre le ciel et l’enfer; j’ai des amis dans les deux.<br />

Mark Twain<br />

À l’école primaire les angelots<br />

rieurs et les archanges doucereux dans<br />

un univers rose bonbon étaient sensés<br />

nous attirer. Des images de saints sur<br />

des nuages bleu pastel, des étoiles<br />

dorées récompensaient le travail bien<br />

fait. Qu’est-ce que les chérubins nusfesses<br />

venaient faire là-dedans? Et<br />

l’Archange Gabriel, même joliment<br />

asexué, faisait rêver à bien d’autres<br />

choses qu’au ciel.<br />

C’est drôle comme l’enfer, fait de<br />

beaux rouges et de diablotins farceurs,<br />

ne nous était pas souvent montré. Les<br />

sœurs avaient peut-être peur que nous<br />

soyons tentées.<br />

Une autre chose qui m’embête dans<br />

cette idée de paradis ou d’enfer c’est<br />

cette question de temps. Que ce soit un<br />

concert de harpe et de chants célestes<br />

étalée sur un nuage ou un sauna en<br />

joyeuse compagnie avec la chaleur<br />

au maximum, les deux promettent de<br />

s’éterniser.<br />

<strong>Annie</strong> <strong>Beaugrand</strong>-<strong>Champagne</strong>,<br />

<strong>Beaugrand</strong>-<strong>Champagne</strong> Vers le ciel, ciel 2010, 92 x 92 cm, techniques mixtes<br />

sur lauan


L’enfer ou le paradis<br />

Avant de tenter de représenter le<br />

paradis et l’enfer, je me suis d’abord<br />

demandé ce que c’était pour<br />

moi. L’enfer de l’inaction, le paradis de la<br />

réalisation? Je devrais plutôt prendre mes<br />

pinceaux.<br />

Cicéron a écrit un traité : « Du bien<br />

suprême et des maux les plus graves », on<br />

comprendra tout de suite que ce ne peut être<br />

« Du paradis et de l’enfer » quand on aura<br />

réfl échi au fait que ce bien et ces maux, dans<br />

ce qu’il en entend, ne peuvent se vivre de ce<br />

côté-ci de la mort.<br />

Le paradis dont je parlerai, ce sera<br />

probablement celui dont il était question<br />

dans la formule « et le paradis à la fi n de<br />

vos jours... » Et ceux qui sont exclus de ce<br />

paradis se retrouveront en enfer.<br />

L’enfer de l’hésitation, le paradis de<br />

la décision judicieuse. La torture de la<br />

procrastination, le bonheur du travail<br />

accompli. L’enfer de l’échec, le paradis de la<br />

réussite? Ou encore le mou paradis du tiède<br />

entre le dur enfer du brûlant et celui du gel.<br />

Épicure nous dit qu’une intense douleur ne<br />

peut durer longtemps et, est-ce une vilaine<br />

blague, il conclut en disant que compte tenu<br />

de la brièveté de la vie humaine, on ne peut<br />

souffrir bien longtemps. Cette vilaine blague<br />

serait la philosophie?<br />

Un « fun noir en enfer ». Les verts paradis<br />

du monde avant qu’ils ne soient saccagés.<br />

Édouard Lachapelle<br />

L’ennui mortel d’écouter éternellement des<br />

anges jouer de la harpe autour du trône d’un<br />

vieillard inlassablement paternel. Le bleu du<br />

ciel sans nuage. Les démons rient jaune dans<br />

leur rouge séjour.<br />

Le paradis rêvé des couleurs encore<br />

humides du tableau se construisant. La<br />

machine machine machine infernale*, infernale* l’enfer mental du tableau<br />

dont le parfait modèle paralyse. Damné<br />

texte!<br />

Épictète nous fait comprendre que si<br />

nous nous percevons dans une situation<br />

infernale, nous nous retrouvons à vivre les<br />

réalités de notre situation comme les maux<br />

de l’enfer alors que si nous nous amenons à<br />

penser que ce qui nous arrive est bien, nous<br />

serons heureux. Le paradis de quelque chose<br />

de valorisé et l’enfer, dévalorisation de son<br />

contraire. Le paradis de la nature respectée<br />

et l’enfer de la pollution.<br />

Comme c’est fallacieux de projeter être<br />

heureux une fois le seuil de la mort franchi<br />

alors que, projetés par nous-mêmes dans<br />

un futur incertain, nous accordons si peu<br />

de nos soins à penser et à agir de manière<br />

à être heureux maintenant. L’enfer de notre<br />

propre sottise nous ferme le paradis que nous<br />

pourrions nous donner.<br />

Elle est belle la porte du ciel* et peutêtre<br />

éternellement fermée, la surface du<br />

tableau! Ne peut-on penser que le paradis,<br />

c’est toujours un ailleurs? C’est dans l’au-<br />

delà, après la mort, dans un jardin de<br />

temps immémoriaux, mais ce n’est ni ici ni<br />

maintenant. C’est de l’autre côté de portes<br />

fermées, de l’autre bord de la clôture, l’autre<br />

rive du fl euve du temps. Il n’y aurait de<br />

paradis que perdus ou encore à atteindre.<br />

L’enfer, c’est bien ici. Longtemps, l’enfer<br />

fut un lieu de privation : l’enfer du pas assez,<br />

du manque, l’enfer de la faim, de la famine.<br />

L’enfer d’ici et de maintenant, c’est l’enfer du<br />

trop.<br />

Trop de phrases, cet infernal bla-bla...<br />

Ah, le silencieux paradis de la peinture !<br />

N.B.: Les expressions suivies d’une astérisque sont<br />

des titres de tableaux.<br />

Édouard Lachapelle, Lachapelle La machine infernale /Le tableau en construction, construction 2010,<br />

91,5 cm x 122cm, 122cm h huile<br />

et acrylique sur toile


le paradis...

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