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Traité des monnaies - Institut Coppet

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NICOLAS ORESME - TRAITÉ DES MONNAIES<br />

du changeur « obolostatique )) : c'est ce que nous appelons couramment<br />

le poitevinage57 • C'est pourquoi l'apôtre saint Matthieu,<br />

qui avait été changeur, n'est pas retourné à son métier<br />

antérieur après la résurrection de Notre Seigneur, comme le fit<br />

saint Pierre qui, lui, avait été pêcheur. Pour expliquer ce fait,<br />

le bienheureux Grégoire58 dit que « c'est une chose de gagner<br />

sa vie par la pêche, c'en est une autre de s'enrichir <strong>des</strong> gains<br />

du tonlieu59• Il y a en effet beaucoup de métiers qu'il est bien<br />

difficile, voire même impossible, d'exercer sans pécher. )) De ce<br />

fait, il y a <strong>des</strong> arts mécaniques qui souillent le corps, tel que celui<br />

de l'égoutier, et d'autres qui souillent l'âme, comme c'est le cas<br />

de celui-ci.<br />

Pour l'usure, il est tout à fait certain qu'elle est mauvaise, détestable<br />

et inique, et cela découle <strong>des</strong> Saintes Ecritures. Mais il reste<br />

à montrer maintenant que faire du gain lors d'une mutation de<br />

la monnaie est encore pire que l'usure. En effet, l'usurier remet<br />

son argent à quelqu'un qui le reçoit volontairement et qui peut<br />

ensuite en tirer parti pour subvenir à ses besoins. Ce qu'on lui<br />

donne en plus du capital, c'est par un contrat volontaire entre<br />

les parties. Mais, dans une mutation indue de la monnaie, le<br />

prince ne fait rien d'autre que prendre, sans leur accord, l'argent<br />

de ses sujets, en interdisant le cours de la monnaie antérieure,<br />

57.« Pictavinagium ». Ce terme figure au nombre <strong>des</strong> additions que Dom Carpentier<br />

a apportées au Glossarium de Du Cange avec le sens de « prestation acquittée<br />

en poitevines », qui ne saurait convenir ici. En fait, la poitevine ou pite étant la monnaie<br />

divisionnaire qui valait un quart de denier, il faut comprendre que« poitevinage»<br />

désigne ici l'activité <strong>des</strong> manieurs d'argent. Le caractère péjoratif de ce terme ressort<br />

de diverses attestations de termes apparentés, renvoyant à l'habileté supposée<br />

du changeur à tromper, à ses manières cauteleuses et à ses profits mesquins (cf.<br />

Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française, s.v. «poiteviner»<br />

et « poitevinesse » ; Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du XVIe<br />

siècle, s.v .• poiteviner », d'ailleurs mal interprété).<br />

58. Grégoire le Grand, Homélies sur les Evangiles, XXIV (1 184c).<br />

59. Le tonlieu était, selon la définition du Petit Robert, sous l'Ancien Régime, un<br />

« impôt ou taxe sur les marchandises transportées », un « droit payé par les marchands<br />

pour étaler dans les foires et marchés ». Le changeur, bien que ne tirant pas<br />

directement profit de la perception de cette taxe, en dépendait indirectement en fournissant<br />

aux marchands la monnaie exigible au poste de tonlieu. Ainsi, monnaie,<br />

change et tonlieu sont étroitement liés dans les écrits médiévaux.<br />

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