Traité des monnaies - Institut Coppet
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INTRODUCTION AUX ÉCRITS DE NICOLAS ORESME<br />
critique? Tout d'abord, rappelons que Nicolas Oresme ne connaissait<br />
pas le grec. Il a travaillé sur le manuscrit latin que Guillaume<br />
de Moerbeke a établi au XIIIe siècle. Or, cette traduction<br />
latine fut qualifiée par <strong>des</strong> érudits, trois siècles plus tard, lorsque<br />
la langue grecque fut mieux connue, de « Translation prior<br />
imperfecta ». La version latine contenait en effet plusieurs erreurs<br />
dont deux qui eurent <strong>des</strong> conséquences sur l'analyse monétaire<br />
<strong>des</strong> scolastiques. Aristote utilise pour dénoncer les méfaits de<br />
la chrématistique mercantile le mot grec KO!7r€ÀLXE signifiant en<br />
terme littéraire, le petit négoce, par opposition au commerce maritime<br />
EJ.L7rOQLo! donnant en latin emporia, le commerce. Or, Guillaume<br />
de Moerbeke ne connaissait pas le terme KO!7r€ÀLX€4. Il<br />
l'a donc transcrit tel quel dans l'alphabet latin: capelica, de la<br />
même façon qu'il avait transcrit chrematistica. Or, reprenant cette<br />
traduction, les commentateurs, Thomas d'Aquin, puis Nicolas<br />
Oresme, se trouvèrent devant un terme dépourvu de toute signification.<br />
Ils l'ont donc interprété. Comme chrematistica est devenu<br />
pecunia, puis en français pécuniaire, capelica s'est transformé<br />
en campsoria, puis en changeresse.<br />
Cette substitution, somme toute anecdotique, du terme original<br />
de négoce au terme de change, est symptomatique de la condamnation<br />
de l'activité du changeur dans la société du bas Moyen<br />
Age. Pourquoi un homme aussi lucide que Nicolas Oresme mènet-il<br />
une telle analyse? Cette condamnation n'est en fait compréhensible<br />
que si elle est resituée dans son analyse globale de la<br />
monnaie. Pour lui, la monnaie n'est pas un bien naturel mais<br />
est issue d'un ordre social contrôlé par la communauté marchande.<br />
Or, le changeur en est exclu car ses intérêts le portent<br />
à la frontière de cette communauté. Il tire profit, comme le prince<br />
tyrannique, du seigneuriage et de la mutation de la monnaie.<br />
Ses intérêts sont donc contraires à ceux de la communauté et,<br />
fait plus grave, il peut même la mettre en péril en important<br />
4. Se référer à la traduction de la Politique de Guillaume de Moerbeke. Coll. Etude<br />
<strong>des</strong> aristotéliciens latins (Aristotelis latinus), 1961.<br />
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