Spécial recherche Axe 4: Ergonomie, psychologie - École du Val-de ...

MÉDECINE ET ARMÉES
Revue du Service de santé
des armées
T. 34 - n° 1 - Février 2006
Direction centrale
du Service de santé des armées
Médecine et Armées
1, Place Alphonse Laveran,
75230 Paris Cedex 05.
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
MGI PH. LOUDES
RÉDACTEUR EN CHEF
MG D. BÉQUET – Tél. : 01 40 51 47 01
RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
MC É. DARRÉ – MC A. SPIEGEL.
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Mme M. SCHERZI – Melle L. CHOLLET
Tél. : 01 40 51 47 44
Fax : 01 40 51 51 76
Email : mmed.arm@dial.oleane.com
TRADUCTION
MC M. AUDET-LAPOINTE
COMITÉ DE RÉDACTION
MC B. BARANGER – MCS B. BAUDUCEAU –
MC A.-X. BIGARD – MC B. BOYER – MCS
L. BRINQUIN – PHC P. BURNAT - MC J.-D.
CAVALLO – MC É. DARRÉ– MC J.-M.
DEBONNE - MCS J.-D. FAVRE – MG R. JOSSE
- CDCS PH. KAHL - VBCS J.-C. MESTRIES –
MC A. SPIEGEL.
COMITÉ SCIENTIFIQUE
MGI G. BRIOLE – MGI P. BUFFE – MGA
Y. CUDENNEC – MGI F. EULRY – MGI A.
FLECHAIRE – MGI J. GUELAIN – MG J.
LANDES – PCGI C. LECARPENTIER – MG G.
POYOT – MGI P. QUÉGUINER – MGI B.
ROUVIER – MG R. WEY.
CONSEILLERS HONORAIRES
MGI PH. ALLARD – MGI M. BAZOT – MGI B.
BRISOU – MCS A. CHAGNON – MGI L.
COURT – MGI J.-P. DALY – MGA J.DE SAINT
JULIEN - MGI R. FORISSIER – MGI M.
FROMANTIN – MGI CL. GIUDICELLI – MGI J.
KERMAREC – MGI CH. LAVERDANT – MGI P.
LEFEBVRE – VBGI R. LUIGI – VBGI CL.
MILHAUD – MGI J. MINÉ – MCS CL. MOLINIÉ –
MCS J.-L. PAILLER – MGI J.-M. VEILLARD –
MGI J. VIRET.
ÉDITION
Délégué à l'information et à la communication
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00450 Armées. Tél. : 01 44 42 30 11
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comptable de l’ ECPAD.
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Commission paritaire N° 0306 B 05721
ISSN : 0300-4937
COUVERTURE
Ghislaine PLOUGASTEL
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Pages
DOSSIER « RECHERCHE »
3 • Éditorial.
D. LAGARDE.
DOSSIER « RECHERCHE » Axe 1 : Soutien médico-chirurgical des forces
SOMMAIRE
5 • Contribution au développement d’un système portable d’évaluation de l’état de gravité d’un
blessé polytraumatisé.
G. BECQ,S. CHARBONNIER, PH. D’ALÉO, P. BACONNIER, L. BOURDON.
11 • Évaluation thérapeutique de l’administration intra-cochléaire de méthylprednisolone après
traumatisme sonore par bruit d’arme sur modèle animal.
I. SENDOWSKI, A. BRAILLON-CROS, F. RAFFIN.
DOSSIER « RECHERCHE » Axe 2 : Risque biologique naturel et provoqué
15 • Protection médicale contre le charbon d’inhalation. De la compréhension des mécanismes
fondamentaux d’action des toxines à l’étude préclinique d’un candidat vaccin.
J.-N. TOURNIER, Y. GAUTHIER, P.L. GOOSENS, A. QUESNEL-HELLMANN, J.-C. PAUCOD, A. CLERET, F. DESOR,
M. MOCK, D.R. VIDAL.
DOSSIER « RECHERCHE » Axe 3 : Risque agressif et environnement chimique, radiations
23 • Effet biologique des rayonnements non-ionisants dans le domaine spectral radio-radar.
A. PERRIN.
27 • Protection cutanée vis-à-vis des agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre. Bilan et perspectives.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD.
33 • Décontamination cutanée vis-à-vis des agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre. Bilan
et perspectives.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD.
DOSSIER « RECHERCHE » Axe 4 : Ergonomie, psychologie
37 • Perception et nouvelles technologies. Fusion sensorielle et référentiels spatiaux.
D. HARTNAGUEL, C. ROUMES.
41 • Spatialisation des sons et « perception augmentée ».
A. GUILLAUME, L. PELLIEUX, S. HOURLIER, P.M.B SANDOR, C. BLANCARD, J.-C. BOUY, V. CHASTRES, R.AMALBERTI.
47 • Intégration visuelle, reconnaissance d’objets et fréquences spatiales.
S. BUFFAT, C. ROUMES.
51 • Soutien médico-psychologique des personnels en opérations.
D. ESQUIVIÉ, P. ARVERS, F. LEIFFLEN.
DOSSIER « RECHERCHE » Axe 5 : Maintien des capacités opÉrationnelles en environnements contraignants ou hostiles
57 • Quelle place pour le système nerveux central dans le coup de chaleur ?
F. CANINI, L. BOURDON.
63 • Chaleur et protection NRBC. Incidence sur la capacité opérationnelle.
B. MELIN, C. JIMENEZ, D. LEIFFLEN, N. FIDIER, L. BOURDON, N. CLERC, J.-Y. PELICAND, B. WARME-
JANVILLE, D. ANELLI.
67 • EFFET D’UN ENVIRONNEMENT CHAUD SUR LA RÉPONSE IMMUNITAIRE LORS D’ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES.
J. JIMENEZ, J. MATHIEU, Y. CHANCERELLE, N. CLERC, C. CRUZ, B. BALLESTER, J. DENIS, A. ALONSO, A.
PEINNEQUIN, B. MELIN.
MISE AU POINT
71 • Stratégie diagnostique et thérapeutique des prolactinomes en 2006.
J.-PH. LE BERRE,C. ROUSSEAU, L. BORDIER, C. GARCIA, O. DUPUY, H. MAYAUDON, B. BAUDUCEAU.
MEMOIRE
77 • Anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles. Physiologie, méthodes de dosage et
applications cliniques.
I. DROUILLARD, B. FOUCHER, L. CREVON, B. CHEVALIER.
FAIT CLINIQUE
83 • Myopathie hypothyroïdienne hypertrophique de l’adulte liée à une thyroïdite auto-immune
d’Hashimoto. Deux observations.
C. POGNANT, C. MOUNIER, L. GUILLOTON, S. BRAUX, J. VALANCE, D. FELTEN, A. DROUET.
87 • Angiomes hépatiques géants. À propos de huit cas.
M. MOUJAHID, M.T. TAJDINE, A. ACHOUR, M. DAALI.
PSYCHIATRIE
91 • Psychiatre au Kosovo.
É. MÈLE.
1

2
Pages
« RESEARCH » FILE AXIS 1 : Medical and surgical support of forces
CONTENTS
5 • Contribution to an automated remote scoring device for polytraumatism.
G. BECQ,S. CHARBONNIER, PH. D’ALÉO, P. BACONNIER, L. BOURDON.
11 • Therapeutic efficiency of intra-cochlear administration of methylprednisolone after acoustic
trauma from firearm in animal model.
I. SENDOWSKI, A. BRAILLON-CROS, F. RAFFIN.
« RESEARCH » FILE Axis 2 : Natural and provoked biologicak risk
15 • Protection against inhalational anthrax: from the deciphering of toxin actions to preclinical
development of a new vaccine.
J.-N. TOURNIER, Y. GAUTHIER, P.L. GOOSENS, A. QUESNEL-HELLMANN, J.-C. PAUCOD, A. CLERET, F.
DESOR, M. MOCK, D.R. VIDAL.
« RESEARCH » FILE AXIS 3 : Agressive risk and chemmical environment, radiations
23 • Biological effects of non-ionising radiation in the radio-radar spactral range.
A. PERRIN.
27 • Skin protection against organosphosphates and sulfur mustard: update and prespectives.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD.
33 • Skin decontamination against organosphosphates and sulfur mustard: update and prespectives.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD.
« RESEARCH » FILE AXIS 4 : Ergonomics, psychology
37 • Perception in modern displays: auditory-visual integration and spatial reference frames.
D. HARTNAGUEL, C. ROUMES.
41 • Sound localisation and « improved perception ».
A. GUILLAUME, L. PELLIEUX, S. HOURLIER, P.M.B SANDOR, C. BLANCARD, J.-C. BOUY, V. CHASTRES, R. AMALBERTI.
47 • Visual integration, object recognition and spatial frequencies.
S. BUFFAT, C. ROUMES.
51 • Medico-psychological suppport of the military-personnel in operations.
D. ESQUIVIÉ, P. ARVERS, F. LEIFFLEN.
« RESEARCH » FILE AXIS 5 : Maintaining operational capabilities in contraining or hostile environments
57 • Which place for the brain in heatstroke?
F. CANINI, L. BOURDON.
63 • Heat and NRBC protective clothes. Effects on the operational capacity.
B. MELIN, C. JIMENEZ, D. LEIFFLEN, N. FIDIER, L. BOURDON, N. CLERC, J.-Y. PELICAND, B. WARME-
JANVILLE, D. ANELLI.
67 • Effect of hot environnment on the immune response during operational activities.
J. JIMENEZ, J. MATHIEU, Y. CHANCERELLE, N. CLERC, C. CRUZ, B. BALLESTER, J. DENIS, A. ALONSO,
A. PEINNEQUIN, B. MELIN.
PROGRESS CASE REPORT
71 • Prorlactinomas in 2006: diagnosis and treatment.
J.-PH. LE BERRE,C. ROUSSEAU, L. BORDIER, C. GARCIA, O. DUPUY, H. MAYAUDON, B. BAUDUCEAU.
MEMOIR
77 • Anti neutrophil cytoplasm antibodies: physiology, technological aspect and clinical applications.
I. DROUILLARD, B. FOUCHER, L. CREVON, B. CHEVALIER.
CLINICAL CASE REPORT
83 • Hypothyroid hypertrophic myopathy or Hoffmann’s syndrome as complication of Hashimoto’s
thyroiditis. Two observations.
C. POGNANT, C. MOUNIER, L. GUILLOTON, S. BRAUX, J. VALANCE, D. FELTEN, A. DROUET.
87 • Giant hepatic angioma. Eight cases report.
M. MOUJAHID, M.T. TAJDINE, A. ACHOUR, M. DAALI.
PSYCHIATRY
91 • Psychiatrist in Kosovo.
É. MÈLE.

médecine et armées, 2006, 34, 1
ÉDITORIAL
LA 1 RE BIENNALE DE LA RECHERCHE DU SERVICE DE SANTÉ DES
ARMÉES
En juin 2004 s’est tenue à l’École du Val-de-Grâce, la première Biennale de la
recherche du Service de santé des armées. Cette manifestation scientifique a permis
aux chercheurs du Service de santé de présenter les avancées les plus marquantes aux
états majors, aux représentants de la Délégation générale pour l’armement, aux
chercheurs militaires des pays de l’OTAN et aux chercheurs universitaires français et
étrangers avec qui des coopérations sont en cours. Les deux journées consacrées à des
tables rondes et des séances plénières ont mis en évidence la bonne adéquation entre
les besoins exprimés par les forces et les recherches effectuées.
Les pages qui suivent ne représentent qu’un échantillon, traduit en articles, des
communications présentées à cette occasion. Elles illustrent quelques contributions de
la Fédération de la recherche dans les domaines du soutien médico-chirurgical des
forces, de la lutte contre le risque biologique naturel et provoqué, de la lutte contre le
risque agressif des environnements chimiques et radiatifs, de l’ergonomie et de la
psychologie appliquée aux forces en OPEX et au maintien de la capacité opérationnelle
en environnement contraignant et hostile.
Le médecin en chef Didier LAGARDE
Chef du Bureau recherche - DCSSA
3

4
médecine et armées, 2006, 34, 1

Spécial recherche
Axe 1 : Soutien médico-chirurgical des forces
CONTRIBUTION AU DÉVELOPPEMENT D’UN SYSTÈME
PORTABLE D’ÉVALUATION DE L’ÉTAT DE GRAVITÉ D’UN
BLESSÉ POLYTRAUMATISÉ
RÉSUMÉ
L’une des missions prioritaires du Service de santé des
armées est le soutien médical précoce des blessés sur le
terrain. Un système portable autonome pourrait
permettre d’apporter une aide à la décision pour la
récupération des blessés et permettre un triage plus
facile. Pour évaluer l’intérêt d’un tel système, un modèle
de perte de sang continue à débit contrôlé sur de jeunes
porcs (19 animaux d’environs 20 kg) a été élaboré de
façon à mimer la perte de sang occasionnée par une
lésion balistique au niveau d’un membre. La base de
données obtenue au cours des expérimentations a servi de
référence pour la mise au point d’un système de
classification automatique supervisée (fondée sur l’avis
d’un expert) en quatre classes : pas de choc, choc
compensé, choc décompensé, choc irréversible.
L’estimation de la performance du diagnostic quand il
est obtenu sur des données nouvelles acquises
uniquement avec des capteurs portables, est présentée ;
elle indique un taux d’erreur inférieur à 40 % par
rapport à la classification de l’expert. Les variables
pertinentes retenues par le système sont la saturation
pulsée en oxygène, la fréquence cardiaque et la
température cutanée.
Mots-clés : Apprentissage supervisé. Choc hémorragique.
Capteurs non-invasifs. Classification. Polytraumatisés.
Porcs. Reconnaissance de formes. Scores. Triage.
I. INTRODUCTION.
Le triage en situation de catastrophe consiste à désigner
les blessés devant être traités en priorité parmi un nombre
qui dépasse la capacité de prise en charge des moyens
de secours disponibles (mobilisés). Pour le faciliter,
des scores permettant de quantifier la gravité des
G. BECQ, ingénieur ENSIEG. S. CHARBONNIER, docteur-ingénieur. PH.
D’ALÉO, TPCSSA surveillant au CRSSA. P. BACONNIER, praticien hospitalier.
L. BOURDON, médecin en chef, praticien professeur agrégé du SSA.
Correspondance : L. BOURDON, CRSSA/DFH/NPS, BP 87, F-38702
La Tronche Cedex.
G. BECQ, S. CHARBONNIER, PH. D’ALÉO, P. BACONNIER, L. BOURDON
ABSTRACT
CONTRIBUTION TO AN AUTOMATED REMOTE
SCORING DEVICE FOR POLYTRAUMATISM.
One of the main missions of the French Military Medical
Service is to assist wounded soldiers in the field.
Confronted to mass casualties, a triage process is
necessary to give priorities in the treatment among them.
A wearable system could be an asset to help for this
decision making process. In order to test such a system, a
model of controlled continuous blood loss, simulating a
balistic lesion of a member, was evaluated on 19 young
(about 20 kg) swines. The database obtained from these
experiments was used to generate a system based on
pattern recognition by a supervised learning of an expert
classification into four classes of hemorrhagic shock (no
shock, compensated shock, uncompensated shock,
irreversal shock). The estimation of the performance
when new data are presented while using only data from
wearable sensors leads to an average error rate less then
40 %. Features retained by the systems are the blood
oxygen saturation from a pulse oximeter, the heart rate,
and the skin temperature.
Keywords : Classification. Hemorragic shock. Non
invasive sensors. Pattern recognition (system). Persons
with multiple traumas. Pigs. Scores. Supervised learning.
Triage.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 5-9)
traumatismes ont été développés : soit en évaluant
les lésions traumatiques, soit en évaluant les atteintes
physiologiques ou fonctionnelles, ou bien en considérant
ces deux types d’évaluations. (1, 2). Les scores fonctionnels
prennent en compte les trois grandes fonctions
vitales: respiratoire, cardio-circulatoire et neurologique.
Cette dernière est au centre du score « de Glasgow »
(Glasgow Coma Scale, GCS) (3) qui synthétise en un
index unique des éléments de réponse verbale, motrice et
visuelle. Les fonctions respiratoires, circulatoires et
neurologiques ont été initialement évaluées par le
« trauma score » proposé par Champion en 1981 (4). Cet
médecine et armées, 2006, 34, 1 5
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index a été simplifié puis affiné quelques années plus
tard dans le « prehospital index » qui comporte un facteur
pronostic (5, 6).
L’un des scores anatomiques le plus employé est le Injury
and Severity Score (ISS) (7, 8) qui prend en compte pour
chaque blessure sa nature, sa localisation et sa gravité.
L’association de l’âge à ce score permet d’apprécier le
risque de mortalité. Il a récemment été mis à jour dans la
classification internationale des maladies pour évoluer
en ICISS (International Classification of Disease-9
based Injury Severity Score) (9). Enfin, la combinaison
de plusieurs scores a été proposée pour élaborer des
scores mixtes, dont le TRISS (Trauma Score Injury and
Severity Score) (10) et l’ASCOT (A Severity Caracterization
of Trauma) (11) qui permettent de faire un pronostic
de survie plus fin, au plan statistique, mais au prix d’une
détermination plus complexe.
L’objet de nos travaux est de réaliser un système
automatique portable capable de donner un score
reflétant le degré d’urgence avant d’effectuer le relevage
d’un blessé. Cela exclut l’appréciation de l’état
neurologique, trop difficile à faire sans la participation
d’un observateur, de même que celle de l’état de gravité
des blessures. L’un des éléments déterminants dans le
temps de survie d’un blessé polytraumatisé est la perte de
sang (12) particulièrement sur les théâtres d’opération
militaire où elle représente la première cause de décès
des blessés qui auraient pu être sauvés (13). L’objectif
de ce travail a donc été d’analyser les techniques
d’apprentissage automatique (14) permettant de réaliser
une classification de l’état de gravité d’un blessé, liée à la
perte de sang (15), en se fondant uniquement sur des
mesures non-invasives susceptibles d’être réalisées de
façon automatique sur le terrain.
Pour générer les données nécessaires à l’étude, nous
avons réalisé des hémorragies contrôlées sur un modèle
expérimental biologique. Un expert a analysé en temps
différé les données pour déterminer l’état de gravité du
choc de chacun des animaux et ainsi créer la « cible »
d’apprentissage des automates. Plusieurs techniques
d’apprentissage ont été utilisées prenant en compte soit
les données utilisées par l’expert soit uniquement des
données obtenues par des techniques non-invasives ;
leurs résultats ont été évalués ensuite par une technique
statistique réaliste.
II. MATÉRIELS ET MÉTHODES.
A) MODÈLE EXPÉRIMENTAL.
Le choix du modèle animal (16) a porté sur le porc
juvénile (environ 20 kg) femelle. Après acceptation
du protocole par le comité consultatif d’éthique de
l’établissement, 19 animaux ont subi le même protocole
comportant deux phases: instrumentation puis spoliation
sanguine, sous anesthésie adaptée. Brièvement, les
animaux reçoivent avant l’expérimentation une injection
IM de neuroleptique spécifique (azapérone, 2 mg. kg-1) puis une demi-heure plus tard une injection IM d’un
mélange kétamine/xylazine (15 et 2 mg. kg -1 respectivement).
L’induction anesthésique est réalisée au masque
(isoflurane à 4 % en mélange hyperoxique à 50 %), et
après intubation endotrachéale, l’animal est placé
en ventilation mécanique (F IO 2 50 % ; VE environ 3 l.
min -1) sous isoflurane à environ 1 % jusqu’à la fin de
l’instrumentation. L’analgésie est obtenue par une
injection SC de buprénorphine (0,3 mg). L’instrumentation
consiste en la pose des capteurs permettant le
monitorage de l’ECG, de l’oxymétrie de pouls, des
températures profondes et cutanées et après dénudation,
d’un cathéter deux voies (pression, gazométrie) dans la
carotide commune gauche et d’un cathéter trois voies
(pression, prélèvement, injection) dans la jugulaire
interne gauche. Les animaux sont enfin équipés de
sangles de pléthysmographie thoracique et abdominale
qui permettent le recueil des mouvements ventilatoires.
Après l’instrumentation, les animaux sont placés dans la
position qui permet la meilleure ventilation spontanée et
la ventilation mécanique est arrêtée. L’anesthésie est alors
maintenue par perfusion de propofol à la plus petite dose
possible (1 mg. min -1 en moyenne).
Après une demi-heure d’état stable dans ces conditions,
la spoliation sanguine est commencée. Elle est obtenue
par prélèvement à la pompe en secteur veineux au débit
de 50 % du volume sanguin total théorique en 90 min
(5 à 8ml. min -1 en moyenne); elle est arrêtée aux premiers
signes d’agonie. L’euthanasie est alors réalisée par surdosage
massif d’anesthésique IV (pentobarbital, 20 ml).
B) TRAITEMENT DES DONNÉES.
L’acquisition des données est réalisée à la fréquence
maximale de 500 Hz par une centrale Biopac MP150
contrôlée par le logiciel AcqKnowledge. Les données
enregistrées ainsi en continu pendant toute la durée de
l’expérimentation sont l’ECG (une voie), la pression
artérielle (PA), la pression veineuse centrale (PVC), les
signaux d’oxymétrie (tracés et valeur de SpO2 sur deux
systèmes), les températures corporelles profonde (Tco) et cutanée (Tsk), les mouvements thoraciques et
abdominaux et la fraction finale en CO2 de l’air expiré
(FETCO2). De plus, la quantité de sang prélevé est notée
environ toutes les 3 minutes.
L’analyse des données brutes a été réalisée en temps
différé avec le logiciel de calcul technique Matlab
(MathWork Inc.) et a comporté principalement l’application
de filtres passe-bande adaptés puis l’extraction des
variables souhaitées, dont les valeurs moyennes sur des
fenêtres glissantes sans recouvrement de 1 min. ont été
retenues. Par exemple, le potentiel cutané thoracique est
une donnée brute (ECG) dont le traitement permet
d’obtenir la fréquence cardiaque (valeur moyenne sur une
minute) mais aussi la séquence des accidents RR dont le
traitement secondaire (sur-échantillonnage, intégration
de la transformée de Fourier rapide, etc.) aboutit à la
détermination du rapport « hautes fréquences/basses
fréquences », usuellement compris comme un index de
la balance sympatho-vagale. Au total, 22 variables
différentes ont été extraites des données brutes ; elles
6 g. becq

Figure 1. Le taux d’erreur des classifieurs (le classifieur Bayésien quadratique
pour cet exemple) dépend de la nature des variables analysées et de leur
nombre. Les symboles clairs représentent les résultats obtenus avec les
variables portables exclusivement, dans l’ordre : SpO2, FC, Tsk, PulsO2,
sECG, FRtho, LFHFSpO2, pVTthoa ; les symboles sombres représentent les
résultats obtenus quand toutes les variables portables et non-portables peuvent
être intégrées, dans l’ordre : PAM, FC, Tsk, PP, FRtho, Tco, LFHFSpO2,
Perte de sang. Dans ce cas, la performance est améliorée.
peuvent être classées en variables « portables », i.e.
obtenues à partir de capteurs utilisables sur le terrain, et
« invasives » (au sens de « non-portables ») pour
les autres.
Les variables invasives étudiées ont été : le temps
(t 0 =début de la spoliation), la perte de sang (mL), la
pression artérielle moyenne (PAM), l’écart type de la
pression artérielle (σ ΡA, calcul basé sur une statistique du
signal, reflet de l’activité du signal); la pression artérielle
diastolique (PAD); systolique (PAS); pulsée (PP = PAS –
PAD) ; la pression veineuse centrale (PVC) ; le rapport
des basses sur les hautes fréquences de la PVC
(LF/HF ΡVC) ; la fraction de CO 2 de fin d’expiration
(F ETCO 2); la température corporelle profonde (T co). Les
variables portables retenues ont été l’écart type de l’ECG
(σ ECG) ; la fréquence cardiaque (FC) ; les fréquences
respiratoires thoraciques et abdominales (FR tho et FR abd),
et les pseudo-volumes courants thoraciques et abdominaux
(pVT tho et pVT abd, calculés à partir des signaux
thoraciques et abdominaux); la valeur de la saturation en
oxygène du sang artériel (SpO 2), le signal correspondant
(PulsO 2), son écart type (σ SpO2) et le rapport de sa
puissance spectrale dans les bandes de fréquence haute et
basse (LF/HF SpO2); enfin la température cutanée (T sk).
L’expert a eu accès à toutes les variables pour établir
le degré de gravité du choc, minute par minute, en quatre
classes : ω 1 à ω 4 correspondants aux stades usuellement
admis : absence de choc, choc compensé, choc décompensé,
choc irréversible (15).
Différents types d’apprentissage automatique (pour
générer des « classifieurs ») ont été étudiés se référant
tous au diagnostic de l’expert (apprentissage supervisé)
et toujours en deux temps:
– une phase d’apprentissage construite à partir d’une
seule variable puis incrémentation d’une variable par
cycle d’analyse (sélection [de la variable] par adjonction
contribution au développement d’un système portable d’évaluation de l’état de gravité d’un blessé polytraumatisé
sélective) (17, 18), à chaque étape la variable donnant le
meilleur résultat est retenue ce qui permet de déterminer
le nombre minimal de variables donnant la performance
optimale;
– puis une phase d’évaluation. L’évaluation rigoureuse
des apprentissages automatiques est complexe
puisqu’elle doit prendre en compte la performance (taux
de concordance) mais aussi son potentiel de généralisation,
c’est-à-dire la performance réelle attendue sur des
données nouvelles. En effet, évaluer les performances
d’un classifieur à partir des données d’apprentissage
augmente artificiellement les performances de ceux
effectuant un apprentissage par-cœur tandis que réserver
des données pour l’évaluation revient à renoncer à
leur utilisation pour l’amélioration des performances
des classifieurs. Nous avons utilisé une technique
de validation croisée en utilisant 10 % des données
pour l’apprentissage et 10 % des données pour le test
(300 échantillons). Une moyenne des résultats obtenus en
test sur 30 tirages aléatoires comme décrits précédemment,
nous a permis d’obtenir une estimation du taux
d’erreur de reclassement (estimation de l’erreur réelle)
(19-21). Les données utilisées pour alimenter les
classifieurs ont été les variables centrées réduites
portables ou complètes (invasives et portables).
Les classifieurs étudiés ont été:
– un classifieur aléatoire qui a valeur de témoin négatif;
– des classifieurs Bayésiens de type naïf, linéaire,
quadratique, k plus proches voisins et à noyau de Parzen
(17, 18, 22);
– un réseau de neurones à trois couches (23);
– un arbre de décision C4.5 (24);
– des classifieurs Bayésiens flous de type k plus proches
voisins (25).
III. RÉSULTATS.
La spoliation sanguine contrôlée a conduit au décès
en 128 ± 20 minutes (min : 90 min ; max. : 180 min)
correspondant à une perte de sang de 70 à 90% du volume
sanguin théorique initial (900 à 1300 ml).
Les résultats obtenus pour un classifieur quadratique sont
présentés dans la figure 1 lors de la sélection des variables
pertinentes. Quand toutes les variables sont prises en
compte, la performance maximale correspond à une
erreur de reclassement absolue de 18 ± 2 % (moyenne ±
erreur standard) ; elle est obtenue grâce aux variables
PAM, FC et Tsk, l’adjonction d’autres variables n’améliorant
pas significativement la performance. Quand seules
les variables portables sont prises en compte, les variables
de plus fort poids sont SpO2, FC et Tsk (par ordre
décroissant) qui conduisent à une erreur de 42 ± 3 %.
L’erreur la plus basse est de l’ordre de 33 % ; elle est
obtenue en prenant en compte neuf variables.
La comparaison des classifieurs a été réalisée sur
l’analyse des résultats obtenus en retenant les trois
variables portables de plus fort poids. Elle montre (fig. 2)
que celui donnant l’erreur la plus faible est le classifieur
Bayésien «k plus proches voisins» avec k =1. Cependant,
7
D
O
S
S
I
E
R

Figure 2. Le taux d’erreur de reclassement dépend de la nature des
classifieurs, dans l’ordre: 1) aléatoire; 2) Bayésien naïf, 3) Bayésien linéaire;
4) Bayésien quadratique ; 5) Bayésien « plus proche voisin » 6) Bayésien « 4
plus proches voisins »; 7) Bayésien « 15 plus proches voisins »; 8) Bayésien à
noyau de Parzen 0,1; 9) Bayésien à noyau de Parzen 0,5; 10) Bayésien à noyau
de Parzen 0,99 ; 11) réseau de neurones multicouches ; 12) arbre de décision
C4.5; 13) plus proche voisin « flou »; 14) 10 plus proches voisins « flou ».
c’est également l’un de ceux qui est le mieux ajusté aux
données d’apprentissage ce qui implique que l’erreur
risque d’être considérablement augmentée dans le
cadre d’une utilisation sur un nouvel individu. Prenant
en compte cette réserve, le classifieur présentant
le meilleur compromis est le réseau de neurones qui
conduit à une erreur plus réaliste de l’ordre de 37 ± 2 %,
mais les classifieurs Bayésiens, en particulier quadratique,
et les arbres de décisions, présentent des
performances très intéressantes.
IV. DISCUSSION.
Il n’existe pas de données disponibles dans la littérature
sur la reproductibilité du diagnostic de gravité d’un choc
hémorragique par un expert; cela est mieux connu pour le
diagnostic du stade de sommeil, qui relève du même
processus intellectuel, et dont on sait qu’il varie de 80 à
90 % (26, 27), la principale cause de différence étant liée
aux états trop proches pour être bien différenciés.
L’utilisation exclusive des variables portables ne permet
pas d’espérer descendre en dessous de 30 %. Comme un
1. Leone M, Antonini F. Scores de Gravité. In : J. Albanèse ed. Le
Polytraumatisé. Berlin : Springer-Verlag, 2003 : 9-19.
2. Otteni J. Le polytraumatisé. Collection d’anesthésiologie et de
réanimation (vol. 6). Paris : Masson ; 1986.
3. Teasdale G, Jennett B. Assessment of coma and impaired
consciousness. A practical scale. The Lancet 1974 ; 2 : 81-4.
4. Champion HR, Sacco W, Carnazzo AJ, Copes W, Fouty W.
Trauma score. Critical Care Medicine 1981 ; 9 : 672-6.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
nombre important de classifieurs a été testé, le problème
réside dans le choix des variables portables utilisées,
aucune ne permettant de compenser l’exclusion de
la pression artérielle moyenne. Cela amène deux
commentaires:
– dans cette expérience, l’expert a effectué la classification
en observant a posteriori les données et non en
examinant le patient, ce qui peut conférer à la pression
artérielle un poids qu’elle ne mérite pas;
– les données portables utilisées ont été fixées a priori en
fonction des possibilités réalistes de les obtenir sur le
terrain avec les moyens actuels (capteurs et calculateurs
embarqués) ; les progrès attendus dans ce domaine
permettent donc d’envisager des améliorations liées
à l’adjonction de variables portables soit corrélées à la
PA soit novatrices. C’est vraisemblablement dans
l’adjonction de variables dynamiques (tendances) que
réside le plus fort gain potentiel de ce type de démarche
puisqu’il semble que l’apprentissage supervisé dans un
espace d’état ne soit pas suffisamment discriminant pour
faire un diagnostic fiable et à plus forte raison un
pronostic. Cependant le passage à une analyse dans un
espace de phase nécessitera une augmentation sensible
des temps de calculs. Ici encore on se heurte aux limites
techniques actuelles.
Les apports de cette étude sont cependant importants
puisqu’elle montre:
– que la démarche de sélection par adjonction sélective est
opérante pour la détermination des variables les plus
appropriées et limite très sensiblement leur nombre;
– que des classifieurs capables de fonctionner en
quasi-temps réel, tels que les classifieurs Bayésiens
quadratiques, les arbres de décision ou les réseaux de
neurones présentent de très bonnes performances ;
– que la procédure d’évaluation sans resubstitution
retenue permet d’apprécier la performance d’un
classifieur et son potentiel de généralisation.
Remerciements
Cette étude a été initiée par le MC Sarron (DCSSA)
et soutenue par la DGA (PEA 98.08.21). Les auteurs
remerciements vivement MM. A. Roux, D. Maître et
H. Chaussard (CRSSA) pour leur soutien important
dans la réalisation des expérimentations, ainsi
que MM. L. Zoubek et G. Brouillet (LAG-UJF) pour
l’exploitation de certains résultats.
5. Koehler J, Baer B, Malafa S, Meindertsma M, Navitskas N,
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6. Koehler J, Malafa S, Hillesland J. A multicenter validation of the
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10. Boyd C, Tolson M, Copes W. Evaluating trauma care : the TRISS
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14. Becq G, Charbonnier S, Bourdon L, Baconnier P. Evaluation of a
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standardized sleep manual after 30 years. Sleep Med Rev 2000 ; 4 :
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Baconnier P. Comparaison between five classifiers for automatic
scoring of human sleep recordings. In Li Y ed : Fuzzy Systems and
Knowledge Discovery. Singapore : University Press ; 2002.
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VIENT DE PARAÎTRE
LE LIVRE DE L’INTERNE
Orthopédie et Traumatologie
par le Pr. Rémy NIZARD
Indispensable à tout interne ou chef de clinique en orthopédie et en traumatologie, au
médecin urgentiste, au spécialiste de médecine du sport, dans leur pratique quotidienne, ces
2 volumes répondent aux besoins de la prise en charge sur le terrain aussi bien dans le cadre
de l’urgence qu’à froid, des patients souffrant de problèmes orthopédiques ou victimes d‘un
traumatisme ostéo-articulaire.
Ils abordent respectivement :
- les notions générales indispensables sur la mécanique osseuse et la consolidation des
fractures ;
- toutes les pathologies susceptibles d’être observées en orthopédie et en traumatologie, par
articulation : le rachis, les lésions méniscales, les luxations de l’épaule etc.
- les entités pathologiques particulières.
Ces deux guides complets, modernes et très pratiques exposent de façon concise et
didactique, les éléments du diagnostic clinique, radiologique et biologique, les choix
thérapeutiques et les orientations pronostiques.
Rémy Nizard - professeur de chirurgie orthopédique à l’hôpital Lariboisière de Paris où il
enseigne -
a réuni dans cet ouvrage, 30 auteurs tous choisis pour leur compétence dans le domaine
traité.
Orthopédie : 608 pages et 70 illustrations - 45 €
Traumatologie : 512 pages et 109 illustrations - 45 €
2005 - Collection Le Livre de l’interne - Éditions Médecine-Sciences Flammarion - quai Panhard et Levassor - 75647 Paris Cedex
13 - Tél. : 01 40 51 31 00 - Fax : 01 43 25 01 18 - Site internet : www.medecine.flammarion.fr

Spécial recherche
Axe 1 : Soutien médico-chirurgical des forces
ÉVALUATION THÉRAPEUTIQUE DE L’ADMINISTRATION
INTRA-COCHLÉAIRE DE MÉTHYLPREDNISOLONE
APRÈS TRAUMATISME SONORE PAR BRUIT
D’ARME SUR MODÈLE ANIMAL
RÉSUMÉ
Un suivi auditif a été réalisé chez le cobaye pendant une
période de quatorze jours suivant un traumatisme sonore
par bruit d’arme. Pour chaque animal, une des oreilles
reçoit une perfusion intra-cochléaire de méthylprednisolone
durant sept jours, l’autre oreille servant de
contrôle. La concentration de méthylprednisolone
contenue dans la minipompe osmotique a été déterminée
au préalable pour qu’elle soit maximale mais sans effet
sur l’audition. Les résultats montrent une différence
significative entre les pertes auditives des deux groupes
après deux jours de traitement. Après sept jours, la
différence n’est significative que pour une seule des onze
fréquences étudiées. On n’observe plus de signicativité
après quatorze jours d’évolution. La discussion porte sur
l’intérêt et les limites de l’administration intra-cochléaire
chronique dans le cadre du traitement du traumatisme
sonore aigu.
Mots-clés : Méthylprednisolone. Pompe osmotique.
Traumatisme sonore.
I. INTRODUCTION.
Le traumatisme sonore aigu reste une préoccupation
majeure du service de santé en temps de paix. Malgré la
professionnalisation et le port de protections auditives,
plus de 1 000 cas ont été déclarés pour les dix premiers
mois de l’année 2004, révélant ainsi une nette augmentation
de son incidence par rapport aux années précédentes
I. SENDOWSKI, vétérinaire en chef, spécialiste de recherche du SSA.
A. BRAILLON-CROS, agent sous contrat. F. RAFFIN, technicien paramédical civil.
Correspondance : I. SENDOWSKI, Département de radiobiologie, Centre de
recherche du Service de santé des armées, BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
I. SENDOWSKI, A. BRAILLON-CROS, F. RAFFIN
ABSTRACT
THERAPEUTIC EFFICIENCY OF INTRA-
COCHLEAR ADMINISTRATION OF METHYL-
PREDNISOLONE AFTER ACOUSTIC TRAUMA
FROM FIREARM IN AN ANIMAL MODEL.
The auditory function in guinea pigs was evaluated over
a 14-day recovery period after they were submitted to a
firearm impulse noise. For each animal, one of the
cochlea was perfused during seven days with
methylprednisolone, whereas the other cochlea was
considered as control. Preliminary, the concentration of
methylprednisolone was determinated in order to be
maximal without auditory effect. The results show a
significant difference between auditory threshold shifts
of the two groups after 2-day recovery. At day 7, the
difference was significant for only one frequency and no
difference was observed after 14 days of recovery. The
discussion concerns the interests and limits of the intracochlear
administration after acute acoustic trauma.
Key words : Acoustic trauma. Methylprednisolone.
Osmotic pump.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 11-14)
(1). Ces traumatismes sont dus, pour la plupart (fig. 1),
à une exposition à un bruit d’arme (2).
La thérapeutique du traumatisme sonore repose avant
tout sur une corticothérapie par voie intra-veineuse
(méthylprednisolone (MP) 1-2 mg. kg -1 durant cinq
jours). Les études démontrant l’efficacité d’une telle
thérapeutique sont peu nombreuses et contradictoires.
Ainsi, Takahashi et al. (3) montrent que l’administration
de MP chez le cobaye est bénéfique après une exposition
à un bruit continu de 110 dB mais pas pour des intensités
supérieures. Dancer et Gervais d’Aldin (4, 5) obtiennent
de bons résultats après une stimulation acoustique
continue de 20 minutes à 129 dB. Ces études ont été
médecine et armées, 2006, 34, 1 11
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Figure 1. Les traumatismes sonores observés dans les armées résultent
essentiellement d’une exposition à un bruit d’arme.
réalisées sur des modèles de traumatisme sonore par
bruit continu, dont les mécanismes lésionnels diffèrent
du traumatisme par bruit impulsionnel et plus
particulièrement par bruit d’arme. Dans une étude
réalisée sur le cobaye traumatisé par bruit d’arme (6),
nous n’avons pas observé de différences significatives
sur les pertes auditives entre des animaux témoins
et des animaux traités par la MP administrée par voie
intra-péritonéale (10 mg. kg -1). Cette absence d’efficacité
pourrait s’expliquer par une trop faible concentration
de la molécule au niveau des cellules cibles, en raison
de la barrière hémato-cochléaire qui limite fortement
le passage de la MP du sang vers l’oreille interne (7).
L’administration locale (sur la fenêtre ronde cochléaire)
d’une thérapeutique est désormais envisageable
chez l’homme (8). Cette voie d’administration présente
l’avantage d’augmenter très significativement la
concentration du produit actif dans les liquides
cochléaires en limitant les effets secondaires sur
l’ensemble de l’organisme. Cette étude a donc pour
objectif d’évaluer l’efficacité de l’administration
locale de méthylprednisolone après traumatisme sonore
par bruit d’arme chez le cobaye.
II. MÉTHODOLOGIE.
Le protocole a reçu l’avis favorable du comité
d’éthique du CRSSA (N° 46/2003). Au total, quarante
cobayes Dunkin Hartley femelles de 300-500 g ont
été utilisés.
A) PROTOCOLE GÉNÉRAL.
Le traitement est administré durant sept jours chez
l’animal par voie intra-cochléaire directe, grâce à
un microcathéter relié à une minipompe osmotique.
L’expérimentation comprend deux phases:
1. Phase 1.
Elle a pour but de:
– vérifier l’innocuité du microcathéter sur la fonction
auditive, la minipompe contenant de la périlymphe -
artificielle;
– déterminer la concentration maximale de MP
administrable par cette voie sans effet sur l’audition.
2. Phase 2.
Elle comprend l’étude des pertes auditives avec ou sans
administration locale de MP chez des animaux soumis
à un bruit d’arme. Ce suivi s’effectue jusqu’à quatorze
jours après le traumatisme. Chaque animal est son propre
témoin, une oreille étant traitée, l’autre non. Ce protocole
permet de s’affranchir des variations inter-individuelles,
très importantes pour le traumatisme sonore par
bruit d’arme.
B) SUIVI AUDITIF.
Les seuils sont étudiés sur onze fréquences (2 à 22 kHz)
par la technique d’électrocochléographie (Tücker Davis
Technologies - Système3) qui consiste à recueillir un
potentiel d’action composite pour des stimulus sonores
d’intensité et de fréquence variables. Pour chaque animal,
les deux oreilles sont équipées d’une électrode de recueil
posée sur la fenêtre ronde, une semaine avant le début de
l’expérimentation. L’analyse s’effectue sous anesthésie
légère (kétamine 50 mg. kg-1 IP). Les pertes auditives
pour chaque fréquence sont calculées par différence entre
seuils observés et seuils contrôles.
C) ADMINISTRATION CHRONIQUE INTRA-
COCHLÉAIRE.
Lors de l’implantation des électrodes, une des deux
oreilles est équipée d’un microcathéter intra-cochléaire
relié à une minipompe osmotique (ALZET ND; modèle
2001) fixée en position sous-cutanée sur le dos de
l’animal et remplie de périlymphe artificielle (fig. 2). Le
modèle choisi permet une administration continue de 1
µ l. h-1 durant sept jours. La veille du traumatisme sonore,
Figure 2. L’administration chronique intra-cochléaire d’une substance
s’effectue au moyen d’un microcathéter implanté dans la rampe tympanique
de la cochlée, relié à une minipompe osmotique placée sous la peau de l’animal.
12 i. sendowski

Figure 3. Schéma expérimental du traitement intra-cochléaire par la méthylprednisolone.
le réservoir est remplacé par une nouvelle minipompe
contenant la MP diluée dans la périlymphe artificielle,
de telle sorte que, compte tenu de la longueur du cathéter,
la MP atteigne la cochlée plus d’une heure après le
traumatisme sonore (fig. 3).
D) TRAUMATISME SONORE.
Il est réalisé en chambre sourde anéchoïque, sous
anesthésie légère en exposant l’animal à trois tirs de
FAMAS chargé à blanc (170 dB crête). Ce modèle
nous permet de nous rapprocher des conditions réelles
de terrain, tout en garantissant un niveau de traumatisme
reproductible et contrôlé.
III. RÉSULTATS.
L’implantation chronique d’un cathéter intra-cochléaire
relié à une minipompe contenant de la périlymphe
artificielle ne modifie pas l’audition.
Cinq concentrations en MP ont été testées (200 à 1000
µ M). La dose de 300 µ M est la concentration maximale
que l’on peut administrer localement durant sept jours,
sans altération de la fonction auditive (suivi auditif
sur quatorze jours). Nous avons donc retenu cette
concentration pour la suite de l’étude.
La figure 4 représente l’évolution des pertes auditives
pour les onze fréquences testées, au cours du temps pour
les oreilles traitées et les oreilles témoins. Les différences
entre les deux groupes d’oreilles sont significatives
(test t de Student; p < 0,05) après 48 heures de traitement
pour les fréquences supérieures à 8 kHz. À sept jours,
les différences entre les deux groupes diminuent et la
significativité se limite à 19 kHz. Après quatorze
jours d’évolution, on n’observe plus de différence
significative entre les deux groupes.
IV. DISCUSSION.
Nos résultats montrent qu’en ciblant l’administration
d’une dose massive de MP c’est-à-dire en
s’affranchissant des obstacles rencontrés lors d’une
administration par voie générale, on obtient une
amélioration significative des seuils auditifs mais cette
dernière est transitoire. L’origine de ce bénéfice
transitoire n’est pas élucidée. Il pourrait s’agir soit d’une
diminution des mécanismes lésionnels temporaires,
soit d’une accélération des premiers mécanismes
de récupération fonctionnelle. Peut-être aussi fautil
envisager un traitement à plus long terme. Les
mécanismes impliqués dans cette amélioration précoce
pourraient être liés à l’action anti-radicalaire de la MP (9)
ou à ses effets anti-inflammatoires (10). Mais la MP
pourrait aussi jouer un rôle protecteur contre l’établissement
de lésions neurales (11) ou répondre à l’hypoxie
provoquée lors d’un traumatisme sonore aigu (12).
Quoiqu’il en soit, le bénéfice apporté par l’administration
locale de MP durant sept jours reste modéré et
ce constat incite à poursuivre l’évaluation d’autres types
de traitements, plus ciblés, de types anti-apoptotiques
ou anti-radicalaires par exemple. L’administration
locale d’un traitement lors de pathologies cochléaires
est une voie d’avenir qui présente de multiples
avantages, permettant des concentrations fortes
en produit actif tout en limitant les effets secondaires
généraux. À cette fin, deux concepts ont été développés
aux États-Unis : Il s’agit d’une part du système
« Silverstein MicroWick » (Micromedics, Eaton, MN)
constitué d’une micro-éponge trans-tympanique et
d’autre part d’un microcathéter pour fenêtre ronde
(Durect Corp., Cupertino, CA), relié à une pompe
électronique. Si le concept est séduisant, il doit
être validé par des études fondamentales sur modèle
animal, permettant de s’assurer des bénéfices qu’il
évaluation thérapeutique de l’administration intra-cochléaire de méthylprednisolone après traumatisme sonore par bruit d’arme sur modèle animal
13
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Figure 4. Pertes auditives observées pour 11 fréquences (2 à 22 kHz) 20 minutes après traumatisme par bruit d’arme et jusqu’à 14 jours de récupération (* : différence
significative (P < 0,05) entre témoin et traité).
apporte par rapport aux voies d’administrations
générales, certes plus traditionnelles mais mieux
maîtrisées et documentées.
V. CONCLUSION.
L’administration intra-cochléaire de méthylprednisolone,
à la concentration maximale utilisable
de 300 µmol, permet une amélioration transitoire de
1. Bulletin épidémiologique des armées N° 11/2004. Paris :
CETIMA, 2004.
2. Labarère J, Lemardeley P, Vincey P, Desjeux G, Pascal B.
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in treatment of acute noise trauma. Rapport ISL PU333. Saint-
Louis : ISL, 2000.
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traumatisme acoustique. Rapport Dret 9810076. La Tronche :
CRSSA, 1998.
6. Sendowski I, Braillon-Cros A, Delaunay C, Buguet
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N° 9810076. La Tronche : CRSSA, 2003.
7. Parnes L, Sun A, Freeman D. Corticosteroid pharmacokinetics in
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
la récupération fonctionnelle auditive chez le
cobaye après traumatisme sonore par bruit d’arme. Si
l’administration locale est désormais réalisable chez
l’homme, il paraît donc fondamental de s’assurer au
préalable, du bénéfice apporté par une telle technique,
qui reste lourde à mettre en œuvre et pour laquelle
nous n’avons que peu de recul. C’est un objectif
que nous nous fixons par l’utilisation d’un modèle
animal exposé au bruit d’arme.
the inner ear fluids : an animal study followed by clinical
application. Laryngoscope 1999 ; 109 : 1-17.
8. Jackson L, Silverstein H. Chemical perfusion of the inner ear.
Otolaryngol Clin N Am 2002 ; 35 : 639-53.
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and anti-inflammatory agents on the normal and noise-damaged
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methylprednisolone and transcient asphyxia on the inner ear of the
adrenalectomized rat. Otolaryngol Head Neck Surg 1998 ; 118 :
338-43.
14 i. sendowski

Spécial recherche
Axe 2 : Risque biologique naturel et provoqué
PROTECTION MÉDICALE CONTRE LE CHARBON
D’INHALATION
De la compréhension des mécanismes fondamentaux d’action des
toxines à l’étude préclinique d’un candidat vaccin
RÉSUMÉ
Les attaques bioterroristes récentes utilisant des spores
de Bacillus anthracis ont souligné les besoins croissant
dans la compréhension de la physiopathologie de la
maladie du charbon. Le département de biologie des
agents transmissibles du CRSSA associé à l’Institut
Pasteur de Paris a entrepris des travaux dans ce sens,
portant à la fois sur des aspects fondamentaux des
interactions entre B. anthracis et les cellules dendritiques
(cellules du système immunitaire chargées de déclencher
et contrôler la réponse immunitaire) et sur l’étude
préclinique de vaccins. Nous rapportons ici les
principaux résultats obtenus ainsi que les perspectives à
plus long terme permettant de développer des moyens
prophylactiques et thérapeutiques efficaces.
Mots-clés : Cytokines. Infection. Immunopathologie.
Maladie du charbon. Vaccin.
I. INTRODUCTION.
Bacillus anthracis représente un agent majeur de
la menace biologique comme le démontre son développement
par de nombreux états qui ont possédé un programme
offensif, ou plus récemment son utilisation bioterroriste
en 2001. Il s’agit en effet d’une bactérie de culture
aisée, très résistante dans l’environnement sous forme
sporulée. Par ailleurs, lors d’une infection par voie
J.-N. TOURNIER, médecin principal, praticien certifié de recherches. Y.
GAUTHIER, ingénieur ICT/DGA. P.L. GOOSSENS, chargé de recherches Institut
Pasteur. A. QUESNEL-HELLMANN, docteur ès sciences. J.-C. PAUCOD,
ingénieur ICT/DGA. A. CLÉRET, aspirant. F. DESOR, MITHA. M. MOCK,
directrice de recherches CNRS. D.R. VIDAL, pharmacien en chef, praticien certifié
de recherches.
Correspondance: J.-N. TOURNIER, Centre de recherches du Service de santé des
armées, DBAT, BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
J.-N. TOURNIER, Y. GAUTHIER, P.L. GOOSSENS, A. QUESNEL-HELLMANN,
J.-C. PAUCOD, A. CLERET, F. DESOR, M. MOCK, D.R. VIDAL.
ABSTRACT
PROTECTION AGAINST INHALATIONAL
ANTHRAX : FROM THE DECIPHERING OF TOXIN
ACTIONS TO PRECLINICAL DEVELOPMENT OF A
NEW VACCINE.
The recent bioterrorist attacks using Bacillus anthracis
spores stressed the growing needs in anthrax infection
basic knowledge. The CRSSA associated with Paris
Pasteur Institute have undertaken several studies to
decipher basic and applied aspects : cellular interactions
between B. anthracis and dendritic cells (antigen
presenting cells of controlling the immune response), and
preclinical assessment of a new vaccine. Here we show
the main results and the long term perspectives for the
development of future efficient treatments.
Keywords : Anthrax. Cytokines. Infection. Immunopathology.
Vaccine.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 15-21)
pulmonaire, B. anthracis induit en quelques jours
une toxémie associée à un état septique avec détresse
respiratoire d’évolution rapide vers la mort en l’absence
de traitement. Les signes cliniques et radiologiques du
charbon d’inhalation sont relativement aspécifiques
comparativement à la gravité des signes fonctionnels
respiratoires, ce qui en fait une pathologie de diagnostic
clinique difficile comme l’ont démontré les retards au
diagnostic lors de l’épidémie d’octobre 2001. Par
ailleurs, la physiopathogénie du charbon d’inhalation est
complexe aboutissant rapidement à un état de choc dont la
difficulté est liée à l’association d’un état septique et
toxémique. Les toxines jouent donc un rôle central dans
la pathogénie comme le démontre l’utilisation d’une
sous-unité dans la composition du vaccin acellulaire.
Cependant ce vaccin de première génération n’offre pas
médecine et armées, 2006, 34, 1 15
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toutes les garanties tant en terme de sécurité que
d’efficacité. C’est pourquoi l’étude du rôle des toxines de
B. anthracis fait l’objet d’un programme de recherches
établi en collaboration entre le Service de santé des
armées et l’Institut Pasteur de Paris, à la fois dans des
aspects fondamentaux et appliqués au développement
d’un vaccin.
II. PROBLÉMATIQUE.
A) B. ANTHRACIS AGENT DE LA MENACE
BIOLOGIQUE MILITAIRE.
B. anthracis a été une bactérie à l’histoire singulière,
puisqu’elle fut au XIX e siècle le modèle fétiche d’étude des
grands microbiologistes comme Robert Koch qui
l’étudia et formula à partir de ces résultats ses fameux
postulats en 1876. Louis Pasteur l’utilisa pour ses
premiers travaux sur l’atténuation de la virulence et la
vaccination dans un premier essai grandeur nature de
vaccination à Pouilly-le-Fort en 1881. Elie Metchnikov
l’utilisa pour mettre en évidence des phénomènes de
phagocytose à partir de 1895. La présence de la bactérie à
l’état endémique dans le cheptel en rendait l’isolement
aisé et la singularité clinique de l’infection vétérinaire
favorisait l’identification du lien causal entre la présence
du pathogène et symptomatologie. Au XX e siècle l’histoire
de cette bactérie connut un retournement, puisqu’elle fut
l’objet de projets d’utilisation à des fins militaires. Les
japonais firent des études à partir de 1936 dans l’unité 731
sur des prisonniers chinois. À partir de 1942, B. anthracis
fut l’objet d’expérimentations par les anglais en champ
libre sur des moutons sur l’île écossaise de Gruinard. Les
américains débutèrent un programme de développement
d’arme biologique à Camp Detrick (Maryland) par des
essais d’aérosolisation sur singes. Ces programmes
permirent de valider le développement de B. anthracis
comme arme et de développer des moyens de contremesure
efficaces avec un vaccin acellulaire. Ces
programmes prirent fin avec le décret du président
Nixon instituant l’arrêt du programme offensif biologique
américain en 1969, préalable à la signature du traité
d’interdiction des armes biologiques de Londres-
Moscou-Washington de 1972. Cependant, les soviétiques
débutèrent en 1973 un programme de production d’arme
biologique de grande ampleur avec la création du
complexe militaro-industriel Biopreparat incluant dix
huit centres de recherches, six centres de production, des
essais sur le terrain sur l’île de Vozrozhdeniye en mer
d’Aral. Parmi les 52 agents en développement B.
anthracisfigurait en tête de liste. En 1979, un accident sur
un site de production de B. anthracis à proximité de la
ville de Sverdlosk (rebaptisée depuis Ekaterinenbourg)
entraîna le relargage dans l’atmosphère de plusieurs
grammes de spores et la mort de 68 personnes malgré la
distribution d’antibiotiques et la vaccination de plus de
soixante mille personnes (1). L’accident, initialement
caché par les autorités (déclaré comme une épidémie de
charbon digestif), fut révélé par la suite dans plusieurs
publications scientifiques en 1993 et 1994 décrivant des
lésions de charbon d’inhalation chez les victimes (2). Plus
récemment, l’Irak occupa le devant de la scène médiatique
avec le développement d’un programme de
production d’armes bactériologiques incluant B.
anthracis. Ce programme fut découvert après la première
guerre du Golfe par les missions d’inspection de
l’UNSCOM. Les irakiens avaient notamment produit
plus de 8 500 litres de B. anthracis purifié dont plus de
6 500 litres militarisés (placés dans des vecteurs). Les
missions d’inspection de l’UNSCOM puis de
l’UNMOVIC ont finalement permis d’imposer un arrêt
complet du programme.
Depuis, la menace a sensiblement évolué glissant du
risque militaire vers le risque bioterroriste avec l’attentat
raté de la secte Aum en 1993, puis les attentats ayant
entraîné 22 cas de charbon dont 11 cas de charbon
d’inhalation (dont 5 mortels) en octobre 2001 aux États-
Unis (3). Ces incidents ont conduit à l’élaboration du
plan Biotox en France, auquel le Service de santé des
armées a largement participé.
B) ASPECTS CLINIQUES DU CHARBON.
Tous les mammifères, y compris l’homme sont sensibles
à l’infection par B. anthracis, et développent trois grandes
formes cliniques (4).
1. Charbon cutané.
C’est la forme la plus fréquente de l’infection, liée à la
pénétration de spores au niveau de lésions cutanées ou
transmises par piqûres d’insectes. La lésion commence
par une papule prurigineuse qui évolue en vésicule avec
une nécrose centrale donnant une escarre noirâtre (à
l’origine du nom « charbon ») en 24 à 36 heures. Cette
forme clinique peut guérir spontanément dans 80 à 90 %
des cas, ou évoluer vers une forme loco-régionale
d’œdème malin d’évolution fatale favorisée par un terrain
immunodépressif.
2. Charbon digestif.
Il s’agit d’une forme rare mais grave, liée à l’ingestion de
viande issue d’animaux malades et apparaissant sous
forme d’un syndrome abdominal subaigu, pouvant se
compliquer d’ascite. L’évolution de cette forme, même
sous traitement, est aléatoire.
3. Charbon pulmonaire ou charbon d’inhalation.
Il s’agit d’une forme clinique liée à l’inhalation de spores
(5). Historiquement cette forme touchait sporadiquement
les travailleurs de la laine. Il s’agit d’une forme rapidement
évolutive et constamment létale en l’absence de
traitement. Les données de Sverdlosk ont permis de
montrer que le délai moyen d’apparition des symptômes
est de dix jours, mais peut s’étendre jusqu’à six semaines
après l’exposition (1). Classiquement le tableau est
trompeur associant fièvre, toux, myalgie, malaise
pouvant faire penser initialement à un tableau
16 j.-n. tournier

pseudo-grippal, mais dont l’évolution est dramatique
avec rapidement l’installation d’une détresse respiratoire
avec dyspnée, cyanose et coma en 24 à 36 heures. La
radiographie thoracique est pathognomonique avec
constamment un élargissement médiastinal lié à
l’hypertrophie des ganglions hilaires, associé souvent
à des épanchements pleuraux (6). La survie avec
antibiothérapie adaptée varie entre 20 % et 60 % des
patients selon les cohortes.
4. Traitement.
B. anthracis est naturellement sensible à de nombreux
antibiotiques. La pénicilline a été longtemps l’antibiotique
de choix, bien que quelques souches résistantes
aient pu être décrites (7). Le protocole thérapeutique
adopté par le Service de santé des armées est basé sur
l’administration de ciprofloxacine à la posologie de
1 g/jour en deux fois. Mais les méthodes thérapeutiques
ont leurs propres limites puisque l’antibiothérapie peut
se heurter aux souches manipulées poly-résistantes
potentielles en cas d’agression militaire (8). De plus, la
cure de l’état septicémique par les antibiotiques ne résout
pas le problème de la toxémie responsable de la mort d’un
nombre important de patients même après négativation
des hémocultures (9).
La prophylaxie en France est basée exclusivement sur
l’antibio-prophylaxie, alors que les États-Unis et
l’Angleterre utilisent un vaccin acellulaire dont l’efficacité
dans le charbon pulmonaire est sujette à caution.
D’autres formulations vaccinales et d’autres approches
thérapeutiques doivent donc être évaluées afin de pouvoir
faire face à une utilisation dans un cadre militaire ou
bio-terroriste.
C) PHYSIOPATHOLOGIE DU CHARBON
D’INHALATION.
1. L’agent pathogène.
La forme végétative de l’agent est un gros bacille, immobile,
Gram positif, aérobie facultatif formant en culture
des chaînes « en canne de bambou » (10). En atmosphère
enrichie en CO 2, la bactérie produit une capsule. En
milieu pauvre la bactérie forme des spores réfringentes
et très résistantes dans l’environnement (fig. 1).
La maladie du charbon est endémique sur tous les continents
plus particulièrement en Afrique, Asie et Amérique,
où il s’agit avant tout d’une maladie du cheptel. En
France, des cas de charbon apparaissent sporadiquement
dans les troupeaux (114 foyers entre 1980 et 2000) (11).
La virulence de B. anthracis est liée à deux facteurs
principaux: la capsule et les toxines.
La capsule est formée de fibres d’une centaine de résidus
d’acide D-glutamique branchés en g. Les gènes
impliqués dans la synthèse de la capsule sont portés par le
plasmide pXO2. La nature polypeptidique de la capsule
est inhabituelle chez les bactéries (le plus souvent
polyosidique) et est très peu immunogène sauf si liée
à un transporteur. La présence de la capsule semble
protection médicale contre le charbon d’inhalation
Figure 1. Aspects en microscopie de Bacillus anthracis. (A) Cellules et bacilles
Gram positif à bout carré en chaînette en microscopie optique (tiré de Dixon et
al. New Engl J Med 1999) ; (B) Spores en microscopie optique ; (C) Aspects
ultrastructurale de la spore en microscopie électronique.
indispensable à la survie de la bactérie dans le cadre d’une
infection par voie pulmonaire (12).
Les toxines produites et sécrétées massivement au cours
de l’infection sont codées sur l’autre plasmide de
virulence pXO1. Il s’agit de trois protéines : l’antigène
protecteur (PA), le facteur létal (LF) et le facteur
œdématogène (EF) qui s’associent deux à deux pour
former les deux toxines: la toxine létale (LT) et la toxine
œdématogène (ET). La toxine létale est une métalloprotéase
qui clive les voies de transduction des Mitogen
Actived Protein (MAP)Kinase, alors que la toxine
œdématogène est une adénylyl-cyclase qui induit une
augmentation de l’AMPc intracellulaire. L’utilisation de
la souche Sterne (pXO1 +, pXO2 -) et de simples mutants
(LT +/ET-, LT-/ET +) dérivés a permis de montrer chez la
souris le rôle de chaque toxine in vitro et in vivo (13, 14).
2. La physiopathologie du charbon d’inhalation.
La physiopathologie de l’infection par B. anthracis reste
très mal connue, particulièrement dans le modèle de
l’infection par voie pulmonaire (fig. 2). Des travaux
portant sur le rôle du macrophage au cours de l’infection
laissent penser que celui-ci est « piraté» par la spore (15).
La cellule qui phagocyte la spore serait utilisée comme
vecteur de transfert à travers la barrière alvéolaire et
permettrait donc la diffusion de l’infection. Des travaux
17
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Figure 2. Modèle physiopathogénique du charbon d’inhalation. Dans ce
modèle figurent les hypothèses de départ concernant le rôle des différents
acteurs cellulaires au niveau de la barrière alvéolaire lors des interactions
précoces de l’hôte et du pathogène.
ont démontré que la spore résiste et germe dans le
phagosome (16, 17) diffuse ensuite depuis les ganglions
médiastinaux dans tout l’organisme induisant une
septicémie associée à une toxémie. Un autre aspect très
discuté concerne les mécanismes par lesquels les toxines
exercent leurs effets toxiques. Il a été montré que LT
pouvait induire un relargage incontrôlé de cytokines
pro-inflammatoires par les macrophages, alors que
d’autres travaux plus récents montrent l’inverse sur des
lignées de macrophages et des macrophages humains
dérivés de monocytes (18). Une étude récente exhaustive
in vivo semble confirmer ces résultats en montrant
que des rongeurs intoxinés par LT sont tués par des mécanismes
non inflammatoires indépendants des cytokines
proinflammatoires associant des lésions hypoxiques (19,
20). Par ailleurs d’autres études ont montré que LT induit
l’apoptose des macrophages, permettant d’éviter le
relargage de cytokines, chimiokines, et la présentation
d’antigènes aux cellules effectrices (21). Le rôle de ET
comme facteur de virulence est encore moins clair,
bien qu’il ait été montré qu’elle supprimait la sécrétion
de certaines cytokines par des monocytes humains
activés par des composants bactériens (22). Toutefois, les
effets des deux toxines produites au cours d’une infection
n’ont jamais été étudiés ni sur le macrophage, ni sur
les cellules dendritiques.
III. TRAVAUX EN COURS DANS LE SSA.
A) ÉTUDE DE LA PHYSIOPATHOLOGIE DU
CHARBON.
Un des projets en cours concerne l’étude du rôle des
toxines dans la physiopathologie du charbon d’inhalation,
et l’étude de leur effet dérégulateur sur le système
immunitaire. Nous avons choisi comme modèle d’étude
la cellule dendritique, cellule centrale dans le système
immunitaire qui possède la capacité à mettre en place la
réponse immunitaire par ses capacités à phagocyter les
pathogènes, à s’activer par la reconnaissance de motifs
moléculaires spécifiques, puis à migrer dans les ganglions
lymphatiques pour présenter les fragments antigéniques
aux lymphocytes T et à réguler la mise en place de la
réponse adaptative (23). Cette cellule possède donc deux
grandes fonctions duales: dans les tissus périphériques à
l’homéostasie il s’agit d’une cellule phagocytaire ; dans
les organes lymphoïdes secondaires il s’agit d’une cellule
présentatrice d’antigènes (24). Récemment les études des
interactions hôte-pathogènes ont mis en lumière les effets
des pathogènes bactériens et viraux sur les cellules
dendritiques, ce qui a amené à comprendre que de
nombreux pathogènes avaient développé des moyens
pour inhiber les fonctions de ces cellules (25).
Un premier travail d’une équipe américaine portant sur
l’effet de la toxine létale sur des cellules dendritiques
murines a mis en évidence une altération des fonctions de
sécrétion des cytokines et de la réponse immunitaire qui
en résultait (26). Ce résultat a immédiatement soulevé de
nouvelles discussions quant au rôle des toxines dans
l’infection (27-29).
Nous avons utilisé un modèle plus physiologique
d’interaction directe spores-cellules dendritiques dans un
travail collaboratif avec l’équipe Toxines et pathogénie
bactérienne de l’Institut Pasteur de Paris. Ce travail a
permis de démontrer que les spores de B. anthracis sont
très rapidement phagocytées (fig. 3). Par ailleurs, nous
avons montré que les deux toxines (létale et oedémateuse)
agissent de manière coopérative in vitro et in vivo pour
altérer les fonctions des cellules dendritiques dans deux
souches de souris différentes. Ces travaux ont de plus
permis de confirmer les effets des inhibiteurs de toxines
qui pourraient s’avérer prometteur. Il s’agit d’un aspect
entièrement nouveau de la connaissance de l’infection
Figure 3. Interaction entre une cellule dendritique murine et des spores de B.
anthracis. La flèche noire pointe une spore dans un phagosome (photographie
G. Brochier).
18 j.-n. tournier

puisque les deux toxines participent à l’inhibition de la
mise en place de la réponse immunitaire (30). En outre, la
connaissance de ces mécanismes permet de mieux
comprendre certaines particularités de l’infection
comme l’absence de réponse immunitaire chez les
patients qui présentent une forme rapidement fatale de
l’infection, le système immunitaire ayant été complètement
paralysé par les toxines (31). Par ailleurs, à la
lumière de ces résultats il devient évident que les vaccins
du futur devront contenir des antigènes ne comprenant
aucun composant toxinique contaminant comme le
vaccin anglais actuellement produit (32).
B) VALIDATION D’UN CANDIDAT VACCIN.
L’histoire de la maladie du charbon est intimement liée à
celle de la vaccinologie, dans la mesure où elle fut un des
modèles sur lesquels Louis Pasteur forgea ses premiers
succès en matière de vaccin. En 1938, Max Sterne isola un
mutant avirulent, stable et immunogène. Il s’agissait d’un
bacille porteur d’une délétion du plasmide des gènes qui
codent la capsule. Ce vaccin a ensuite été largement utilisé
en application vétérinaire pour le bétail. Dans les années
1950-1960, les américains et les anglais ont chacun
développé un vaccin acellulaire basé sur l’administration
de PA associé à l’adjuvant classique (hydroxyde
d’aluminium). Ce vaccin s’est révélé efficace pour la
protection contre le charbon cutané sur des cohortes de
travailleurs de la laine et du coton, mais la faible fréquence
naturelle des cas de charbon d’inhalation n’a pas permis de
déterminer son efficacité chez l’homme. Un travail récent
chez le primate semble toutefois confirmer son efficacité
dans ce cadre. Cependant la recherche d’un nouveau
vaccin plus efficace fait partie des préoccupations de
nombreuses équipes à travers le monde à en juger par le
nombre croissant de formulations vaccinales évaluées et
publiées depuis 2001. Si l’antigène PA reste au cœur de
toutes les approches vaccinales acellulaires, deux grandes
stratégies semblent pouvoir être distinguées:
– des approches qui consistent à améliorer la délivrance
et la réponse dirigée contre le PA au niveau systémique
et mucosal par l’utilisation de virus-vecteurs (33), de
bactéries-vectrices type Salmonella exprimant PA (34),
de formulations vaccin ADN (35), de formulations
en patch (36), de formulations muqueuses (37), ou l’essai
de nouveaux adjuvants comme des microbilles (38),
ou des séquences oligonucléotidiques types CpG (39).
Ces approches sont basées sur une inhibition du
versant toxémique;
– d’autres approches consistent à associer le PA à d’autres
composants du pathogène comme la capsule (40, 41), ou
la spore. Ces approches visent à la fois une inhibition de la
toxémie et une inhibition de la multiplication et de la
diffusion du bacille.
Tous ces travaux ont démontré l’immunogénicité de ces
candidats-vaccins, sans toutefois permettre de progresser
réellement en termes de protection contre le charbon
d’inhalation, puisqu’ils démontrent qu’il existe
une protection de la souris contre une souche vaccinale
avirulente (le plus souvent la souche Sterne). Sur d’autres
protection médicale contre le charbon d’inhalation
modèles animaux (cobayes, lapins, primates) ces
vaccins montrent cependant une meilleure efficacité.
Dans ce cadre, un nouveau candidat-vaccin a récemment
été développé (42). Ce vaccin est composé du PA associé
à des spores inactivées par le formol d’une souche, dont
les gènes codant pour les deux toxines présentent
des mutations ponctuelles dans les sites enzymatiques.
Le vaccin est associé à un adjuvant : l’hydroxyde
d’aluminium. Administré par voie sous-cutané (SC) à des
souris, il est capable d’induire après une seule injection de
rappel une protection efficace vis à vis d’une infection par
des spores hautement virulentes administrées par voie SC
chez le cobaye et la souris. Le CRSSA s’est engagé dans le
cadre d’une collaboration à évaluer ce vaccin dans un
modèle d’infection par voie aérosol sur différents
modèles d’animaux (souris et cobaye) grâce à des
financements de l’état-major des armées (43). Ce travail
prometteur en voie d’achèvement a été appuyé par
la construction d’un laboratoire modulaire de niveau
de sécurité biologique 3 (NSB) transportable (fig. 4)
équipé d’un caisson d’aérosolisation en dépression
en enceinte étanche (fig. 5).
IV. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
FUTURES.
Les résultats récemment obtenus permettent de mieux
comprendre la physiopathologie du charbon d’inhalation
Figure 4. Caisson étanche d’aérosolisation en dépression. Ce caisson permet de
modéliser et de quantifier une infection par voie pulmonaire sur des modèles
animaux rongeurs.
19
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Figure 5. Vue intérieure du laboratoire modulaire transportable de niveau de
sécurité biologique 3 installé au CRSSA.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
et de participer dans une approche rationnelle au
développement préclinique d’un vaccin du futur sûr
et efficace. Cette approche ambitieuse nécessite
l’acquisition d’un savoir-faire étendu à de nombreux
domaines depuis la microbiologie et l’immunologie,
jusqu’à la maîtrise de modèles animaux d’infection
expérimentale. Ces savoir-faire de haute technologie
associés à des collaborations extérieures aux armées
permettront de mettre à la disposition de la défense
des moyens nouveaux de protection contre la maladie
du charbon dans sa forme pulmonaire. Toutefois, cette
démarche est longue et dépasse les aspects strictement
« recherche ». Au-delà de la validation pré-clinique,
il sera nécessaire de développer des essais cliniques
afin d’évaluer la tolérance et l’efficacité chez l’homme
avant un éventuel enregistrement. Par ailleurs, il sera
nécessaire d’établir la politique vaccinale future qui
sera retenue dans les armées.
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39. Klinman DM, Xie H, Little SF, Currie D and Ivins BE. CpG
oligonucleotides improve the protective immune response induced
by the anthrax vaccination of rhesus macaques. Vaccine 2004 ; 22 :
2881-6.
40. Chabot DJ, Scorpio A, Tobery SA, Little SF, Norris SL and
Friedlander AM. Anthrax capsule vaccine protects against
experimental infection. Vaccine 2004 ; 23 : 43-7.
41. Schneerson R, Kubler-Kielb J, Liu TY et al. Poly(gamma-Dglutamic
acid) protein conjugates induce IgG antibodies in mice to
the capsule of Bacillus anthracis : a potential addition to the
anthrax vaccine. Proc Natl Acad Sci USA 2003 ; 100 : 8945-50.
42. Brossier F, Levy M and Mock M. Anthrax spores make an essential
contribution to vaccine efficacy. Infect Immun 2002; 70: 661-4.
43. Paucod JC, Gauthier Y, Ramisse F et al. Assessment of an
experimental model of inhalational anthrax for evaluation of
prophylactic and therapeutic protocols. In : CFA 2002. Paris :
Elsevier, 2001.
Afin d’éviter de fausses directions dans l’expédition de la revue « Médecine et Armées », les lecteurs
sont invités à signaler en temps utile leur changement d’adresse à l’un des organismes suivants, en
fonction de leur qualité, à l’aide du bulletin ci-dessous :
– pour les officiers généraux (2s) :
DCSSA, bureau « officiers généraux » BP 125, 00459 ARMÉES.
– pour les officiers du corps du SSA :
DCSSA, bureau « des affaires communes et condition de vie » BP 125, 00459 ARMÉES.
– pour les abonnés payants :
ECPA, service édition, 2 à 8 route du Fort, 92205 Ivry-sur-Seine Cedex.
NOM :
PRÉNOM :
QUALITÉ :
ANCIENNE ADRESSE :
NOUVELLE ADRESSE :
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VIENT DE PARAÎTRE
LE CODE DE LA DÉFENSE
(PARTIE LÉGISLATIVE)
DIRECTION DES JOURNAUX OFFICIELS
Ce nouveau code rassemble des textes pris au cours de plus de deux siècles, de 1791 à nos jours,
relatifs à l'organisation de la défense.
Sont notamment codifiées les dispositions définissant les attributions des hautes autorités de l'État en
matière de défense, l'organisation générale de la défense et l'organisation générale de la défense en
temps de guerre.
Ce code comprend la législation applicable dans divers domaines tels l'état de siège, la mobilisation et
la mise en garde, le service de défense et les réquisitions. Il rassemble également la législation relative
aux armes et matériels de guerre et armes soumises à interdiction (armes chimiques ou biologiques et
mines antipersonnel).
Est présentée la définition des forces armées qui comprend également les dispositions relatives aux
établissements publics dont le ministère de la Défense exerce la tutelle, notamment l'économat des
armées et l'institution de gestion sociale des armées.
Outre des articles de renvoi vers des dispositions des lois de finances, sont également présentes les
servitudes dont peuvent bénéficier certaines dépendances du domaine public militaire.
Les missions de la Direction des Journaux officiels :
elle est chargée de l'édition et de la diffusion des textes législatifs et des principaux textes
réglementaires, de leur organisation en banques de données et de l'édition des débats parlementaires et
annonces légales sur supports papier et numérique.
Ouvrage N° 20056 0000 – 148 pages – Format 14,6 X 21 cm– Prix : 6€.
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Spécial recherche
Axe 3 : Risque agressif et environnement chimique, radiations
EFFETS BIOLOGIQUES DES RAYONNEMENTS NON-
IONISANTS DANS LE DOMAINE SPECTRAL RADIO-RADAR
RÉSUMÉ
L’utilisation des rayonnements non ionisants (RNI) a
augmenté de façon considérable au cours de la dernière
décennie, aussi bien en milieu civil que militaire. À partir
d’une certaine puissance d’émission, leurs effets
biologiques, connus, sont d’origine thermique. Des doutes
sont émis quant à l’innocuité totale de ces ondes
électromagnétiques pour les niveaux de puissance
proches des seuils établis par les normes en vigueur. Des
recherches sont entreprises dans le monde entier pour
tenter de répondre clairement à cette question. Cet
article présente ce domaine de recherche d’une façon
générale, tout en mettant l’accent sur l’importance de la
dosimétrie pour la caractérisation des conditions
d’exposition ainsi que sur la normalisation actuelle.
Mots-clés : Champ électromagnétique. Effets biologiques.
Micro-ondes. Radar. Rayonnement non ionisant.
I. INTRODUCTION.
L’espace qui nous environne est rempli de rayonnements
électromagnétiques qui ont une base physique commune
mais transportent des énergies variant dans des
proportions sans communes mesures.
En particulier, une partie importante de la population
se trouve exposée à des sources de radiofréquences et
micro-ondes telles que les radars, les émetteurs radio, les
téléphones mobiles… Il existe une exposition chronique
multifréquences à faible niveau résultant de l'ensemble
des contributions domestiques et industrielles ; la
population générale est exposée à ce bruit blanc souvent
appelé « electro-smog ». En milieu opérationnel, un bruit
de fond électromagnétique similaire existe mais se caractérise
par une largeur spectrale beaucoup plus étendue et
par la mise en jeu de puissances plus importantes.
A. PERRIN, docteur en biologie.
Correspondance : A. PERRIN, CRSSA/RBP/BCM, BP 87, 38702 La Tronche
Cedex.
A. PERRIN
ABSTRACT
BIOLOGICAL EFFECTS OF NON-IONIZING
RADIATION IN THE RADIO-RADAR SPECTRAL
RANGE.
During the last decade, the exposure of both the civilian
and military population to non-ionizing radiations (NIR)
has dramatically increased. For high enough density
powers, the related biological effects resulting from these
radiations are known to be thermal. For power levels
close to the admitted standards, we are now wondering
whether NIR are totally harmless. To find a clear answer
to this question research is being carried out all over the
world. This article gives an overview of this research
placing the accent on the importance of associated
dosimetry and on current standards for safety levels.
Keywords : Biological effects. Electromagnetic field.
Microwaves. Non-ionizing radiations. Radar.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 23-26)
À l’heure actuelle, des inquiétudes persistent quant aux
éventuels effets biologiques des radiofréquences et leurs
risques pour la santé. Des groupes d’experts ont analysé les
informations issues d’études épidémiologiques et d’expérimentation
sur l’homme, sur l’animal ainsi que sur des
modèles in vitro afin de fixer des valeurs d’exposition
limites. Celles-ci reposent sur les effets biologiques
d’origine thermique entraînant des effets sanitaires avérés.
Toutefois, la question des effets biologiques des
radiofréquences de faible intensité (infra thermiques)
reste ouverte. De nombreuses études présentent des
résultats négatifs, d’autres mettent en évidence des
effets biologiques variés pour des niveaux d’énergie
n’occasionnant pas d’élévation de la température locale
(1-6). Une revue exhaustive de la littérature n’est pas
l’objet de cet article, mais les études sont délicates à
mener, souvent non reproductibles ou difficilement
comparables entre elles et dans ce contexte, aucun
consensus n’est atteint concernant les effets des RNI
(7-10). Cela est dû en majeure partie à la diversité des
modèles et des systèmes d’expositions utilisés ainsi
médecine et armées, 2006, 34, 1 23
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qu’aux incertitudes de la dosimétrie ou bien au nombre
d’échantillons insuffisant en regard de la faible amplitude
des effets observés. Un effort considérable est fourni par
la communauté scientifique pour essayer de reproduire
les expériences les plus marquantes et apporter de
nouveaux éléments de réponse.
Compte tenu du nombre important et croissant de personnes
qui se trouvent exposées de nos jours, un risque même
faible ne peut être négligé. Il apparaît indispensable de
poursuivre et d'harmoniser les travaux pour approfondir les
connaissances afin de pouvoir faire face aux questions
actuelles, en terme de risques sanitaires mais aussi en
matière de refonte des instructions, d’harmonisation des
normes, d’expertise et de contentieux.
II. RAPPELS DE PHYSIQUE : L’ONDE
ÉLECTROMAGNÉTIQUE.
Les rayonnements électromagnétiques sont une forme de
transport de l’énergie sans support matériel. Très divers
par l’énergie qu’ils transportent et leurs possibilités
d’interactions avec la matière, ils peuvent être décrits par
deux modèles complémentaires, soit comme un flux de
photons (modèle corpusculaire), soit comme une onde
électromagnétique (modèle ondulatoire).
Toute charge électrique en mouvement engendre un
rayonnement électromagnétique. Une onde électromagnétique
est la combinaison d’une onde magnétique et d’une
onde électrique qui se propagent en oscillant (fig. 1). Elle
est caractérisée par sa fréquence (nombre d’oscillations par
seconde en Hz), sa longueur d’onde (en mètre, sépare deux
points d’oscillation), sa puissance (quantité d’énergie
émise par seconde, en W) et son intensité (intensité du
champ électrique induit en V.m-1 ).
Dans l’espace, en l’absence de tout obstacle, l’onde se
propage de façon rectiligne et l’énergie se répartit sur une
surface de plus en plus grande (de façon semblable à la
lumière d’une lampe torche). La densité de puissance
(W/m2 ) représente la puissance surfacique en un lieu
donné par rapport à l’émetteur. Elle est inversement
proportionnelle au carré de la distance depuis la source ce
qui explique que le niveau de puissance décroît très rapidement
au voisinage d’une antenne ou d’un radar et que la
Figure 1. Représentation schématique d’une onde électromagnétique.
puissance émise doit être d’autant plus importante que la
cible est éloignée. Au contact de la matière, de nombreuses
interactions sont mises en jeu avec des phénomènes de
réflexion, de diffraction, d’absorption qui aboutissent à
une répartition hétérogène de la puissance.
L’énergie des rayonnements non ionisants est insuffisante
pour provoquer des modifications chimiques
de molécule et encore moins un phénomène d’ionisation
contrairement aux rayonnements visibles, ultraviolet,
X ou gamma. Cependant l’énergie absorbée se traduit
par un échauffement à partir d’une certaine puissance
incidente.
Sur l’échelle des fréquences, les RNI vont de quelques
hertz (Hz) à 300 gigahertz (GHz). Nous nous intéressons
plus particulièrement aux fréquences radioélectriques ou
radiofréquences (RF) qui couvrent une large gamme de
longueurs d’ondes allant des micro-ondes (1 mm à 1 m),
jusqu’aux ondes radio les plus longues (100 km). Elles
sont généralement désignées par leurs fréquences de
30 kHz à 300 GHz, dont les micro-ondes ou hyperfréquences
réparties de 300 MHz à 300 GHz.
Les domaines d’application sont nombreux et englobent
faisceaux hertziens, téléphones cellulaires, fours microondes,
appareillage médical, radars, système de guidage
ou de brouillage… avec des puissances d’émissions
allant du mW à plusieurs kW pour les technologies que
l’on peut qualifier de conventionnelles. L’émission de
l’onde peut être continue ou modulée. Il existe également
des applications plus récentes mettant en jeu des ondes
impulsionnelles de très forte puissance (durée 10 ns à
10 ms) dont la gamme de puissance crête va du mégawatt
au giga watt. Il s’agit de radars, d’armes non létales
(ANL) ou de moyens non létaux de guerre électronique
(MFP pour micro-ondes de forte puissance).
III. DOSIMÉTRIE.
Aux niveaux de puissances concernés par les études des
effets infra thermiques des radiofréquences, la dosimétrie
est un problème majeur. Pour les études des effets
biologiques des RNI, une prise en compte immédiate de la
dosimétrie, adaptée aux modèles expérimentaux, est
indispensable pour obtenir des données scientifiquement
utilisables. Ceci inclut modélisation, mesures physiques
et calculs numériques. Deux méthodes au moins doivent
être employées pour valider un résultat.
On distingue, par les informations qu’elles apportent,
la dosimétrie d’exposition et la dosimétrie biologique.
La première est un préalable incontournable à la seconde.
A) DOSIMÉTRIE D’EXPOSITION.
La dosimétrie d’exposition consiste à déterminer la
valeur de la densité de puissance (S en W/m2 ) du rayonnement
électromagnétique en un point donné ou à établir sa
cartographie (en deux ou trois dimensions). Elle peut être
obtenue à partir de mesures directes du champ électrique
à l’aide d’une sonde isotrope ou bien indirectement par
des méthodes d’imagerie ou des calculs numériques.
Pour la dosimétrie en conditions impulsionnelles, une
24 a. perrin

méthode d’imagerie quantitative et de visualisation des
champs électromagnétiques appelée méthode EMIR
(ElectroMagnétique-InfraRouge), a notamment été
développée par l’ONERA (11).
B) DOSIMÉTRIE BIOLOGIQUE.
La dosimétrie biologique permet d’évaluer la puissance
absorbée par un milieu biologique, un animal ou une
personne. L’interaction entre onde électromagnétique et
tissu biologique est complexe. Néanmoins un paramètre
dosimétrique de référence permettant de quantifier la
dissipation d’énergie dans la matière vivante a été défini.
Dans le domaine fréquentiel des radiocommunications, en
1986, le National Council on Radiation Protection (NCRP)
a proposé le taux d’absorption spécifique (TAS). Cette
grandeur est équivalente à la désignation anglo-saxonne
Specific Absorption Rate (SAR), très largement employée
pour quantifier la puissance absorbée par unité de masse,
par unité de tissu assimilé à un milieu homogène:
d(
dW
dm
)
SAR =
dt
où W est l’énergie absorbée, m la masse et t le temps
d’exposition.
Compte tenu des très nombreuses interactions du
champ électromagnétique avec la matière, la valeur du
SAR dépend de la taille du sujet ou de l’échantillon
biologique, de son orientation dans le champ, des
paramètres physico-chimiques du milieu (conductivité,
permittivité), des caractéristiques d’émission et des
facteurs environnementaux.
En pratique la mesure physique du SAR est possible
dans un milieu homogène uniquement, via le champ
électrique:
SAR = σ E2/ ρ en W/kg
σ est la conductivité équivalente du milieu, en S/m,
E est la valeur efficace du champ électrique, en V/m,
ρ est la masse volumique du milieu, en kg/m3 ;
ou via la mesure de température:
SAR = c dT/dt
T est la température, en K,
c est la capacité de chaleur spécifique, en J/(kg.K).
Ces mesures sont délicates et leur précision dépend
des matériaux environnants, de la taille de la sonde
(interférences avec le champ électromagnétique), de
sa sensibilité, en particulier au niveau de puissance des
champs qui nous intéressent. Elles doivent être
complétées par une étude dosimétrique par simulation
numérique réalisée par des spécialistes. Les outils
de simulation sont basés sur la résolution directe des
équations de Maxwell dans le domaine temporel à l’aide
de la méthode des différences finies (FDTD, Finite
Difference Time Domain).
L’évaluation des niveaux d’exposition dans un individu
ou un animal est confrontée à l’hétérogénéité des tissus.
Dans ce cas la mesure directe n’est pas possible et des
modèles sont élaborés à partir de coupes et d’images
obtenues par résonance magnétique (IRM). Un modèle
de référence a été obtenu après la segmentation complète
effets biologiques des rayonnements non-ionisants dans le domaine spectral radio-radar
d’un cadavre humain en coupes fines (« visible man »).
Par ailleurs, les tissus et organes ont été caractérisés
individuellement (12) pour différentes longueurs
d’ondes et les valeurs de permittivité et de conductivité
sont disponibles sur Internet (http://www/fcc.gov/fccbin/dielec.sh).
Il a été montré que les tissus vivants ont
des valeurs diélectriques différentes de celles des tissus
morts et qu’elles peuvent évoluer avec l’âge. À partir des
différents outils de simulation, les calculs numériques
permettent d’obtenir une cartographie du SAR dans un
individu ou un échantillon. Les incertitudes de ces calculs
sont connues comme étant relatives au positionnement de
la source rayonnante, à la morphologie du sujet et aux
caractéristiques des tissus.
IV. SEUILS D’EXPOSITIONS RÉGLEMEN-
TAIRES.
Les seuils de références ont été établis en 1998 par un
groupe indépendant d’experts internationaux (International
Commission on Non-Ionizing Radiation
Protection ; ICNIRP, 1998) en référence aux effets thermiques
avérés sur la santé (13). Ces valeurs limites,
exprimées en terme d’absorption spécifique (SAR), ont
été reprises par la Recommandation du Conseil européen
de 12 juillet 1999 appliquée en France sous forme d’un
décret (N° 2002-775 du 3 mai 2002). Elles concernent le
public et les travailleurs en environnement contrôlé
ou non (valable également pour les armées) avec des
spécifications pour une exposition corps entier (valeur
moyenne) ou localisée (tab. I). La limite de référence
pour le public est cinquante fois inférieure aux seuils
d’apparition des premiers effets décrits (réaction
d’évitement chez le rat). En ce qui concerne les systèmes
impulsionnels de forte puissance crête, des normes de
protection spécifiques sont encore à définir. Les limites
de protection proposées actuellement ont été fixées
arbitrairement à partir de celles appliquées pour les
rayonnements non impulsionnels (la densité de puissance
en champ crête ne doit pas dépasser de plus de mille fois
les niveaux moyens admis en émissions « classiques »).
Les textes les plus récents (décret 302143 DEF/SGA/
DFP/PER5 du 18 août 2003) mentionnent d’ailleurs bien
l’insuffisance des connaissances sur ce sujet.
Récemment, une directive (20/40/CE du 29 avril 2004) a
été publiée au Journal officiel de l’Union européenne
pour fixer les prescriptions minimales de sécurité et de
Tableau I. Valeurs des limites d’exposition européennes (SAR en W/kg)
établies par l’ICNIRP.
Population
générale
Travailleurs
Corps entier 0,08 W/kg 0,4 W/kg
Tête 2 W/kg 10 W/kg
Extrémités 4 W/kg 20 W/kg
25
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santé en matière de protection des travailleurs
susceptibles d’être exposés à des champs électromagnétiques.
La normalisation se traduit par la limitation de
puissance de certains appareils lorsque c’est possible et
par la délimitation de zones d’exposition réglementées
(verte, jaune, orange, rouge) en fonction des niveaux
d’exposition. C’est le cas, par exemple, à proximité des
antennes d’émission ou sur les bâtiments de la marine.
En pratique, le problème n’est pas simple car les valeurs
en terme d’absorption spécifique ne sont pas directement
mesurables et les seuils d’exposition admis en terme de
densité de puissance ou de champ électrique, mesurables,
sont différents selon la fréquence de la source. C’est donc
à partir de mesures, de calculs et d’extrapolation, réalisés
par des équipes spécialisées, que l’on parvient à se
conformer à la norme, non sans certaines difficultés
opérationnelles.
Enfin, l’harmonisation mondiale de ces normes fait
encore l’objet de nombreux débats et tous les pays n’ont
pas fixé les mêmes limites d’expositions. Elles sont le
moins restrictives aux États-Unis (14) et environ cent fois
inférieures en Russie. Depuis 1998, l’OMS a lancé un
programme pour encourager les différents pays à se
mettre d’accord sur ce point.
V. CONCLUSION.
D’une façon générale, les expériences nécessaires aux
études des effets biologiques des radiofréquences
mettent en jeu des phénomènes physiques et biologiques
qui se traduisent par des collaborations entre physiciens,
biologistes et médecins. Le Service de santé des armées
et la Délégation générale pour l’armement (DGA)
1. Raslear TG, Akyel Y, Bates F, Belt M, Lu ST. Temporal bisection
in rats : the effects of high-peak-power pulsed microwave
irradiation. Bioelectromagnetics 1993 ; 14 (5) : 459-78.
2. Raslear TG, Akyel Y, Serafini R, Bates F, Belt M. Food demand
and circadian rythmicity following high-peak pulsed microwave
irradiation. Annual International Conference of the IEEE
Engineering in Medicine and Biology Society 1991; 13 (2): 962-3.
3. Bol'shakov MA, Eltchaninov AA, Klimov AI, Knyazeva IR,
Korovin SD, Pegel IV et al. Effect of nanosecond HPM pulses on
individual development of drosophilas : estimation of comparative
contribution by microwave and X-ray components. Biology and
Ecology 2001 : 74-6.
4. Salford LG, Brun A, Sturesson K, Eberhardt JL, Persson BR.
Permeability of the blood-brain barrier induced by 915 MHz
electromagnetic radiation, continuous wave and modulated at 8,
16, 50, and 200 Hz. Microsc Res Tech 1994 ; 27 (6) : 535-42.
5. Lönn S, Ahlbom A, Hall P, Feyching M. Mobile phone use and the
risk of acoustic neuroma. Epidemiology 2004 ; 15 : 653-9.
6. Brusick D, Albertini R, McRee D, Peterson D, Williams G, Hanawalt
P et al. Genotoxicity of radiofrequency radiation. DNA/Genetox
Expert Panel. Environ Mol Mutagen 1998; 32 (1): 1-16.
7. Lacy Hulbert A, Metcalfe JC, Hesketh R. Biological responses to
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
participent activement à cette problématique. Plusieurs
programmes d’études portant sur les effets biologiques
des radiofréquences, impulsionnelles ou non, de type
radar en particulier, sont conduites au Centre de
recherches du Service de santé des armées (CRSSA).
En ce qui concerne la dosimétrie, d’importants progrès
ont été réalisés au cours des cinq dernières années et se
poursuivent en matière de modélisation. Différents essais
sont faits pour accéder à des mesures ou des observations
complémentaires qui compléteraient la modélisation
(développement de fenêtre intracrânienne pour suivre la
micro circulation, de fantômes en gel microencapsulé pour
« visualiser » la température en trois dimensions grâce à la
longueur d’onde émise…). La dosimétrie est un critère
crucial à maîtriser car il est possible que certains des effets
observés soient finalement liés à des micro-échauffements
localisés ou une exposition mal évaluée. D’ailleurs,
parallèlement à ces progrès, beaucoup moins de résultats
positifs ont été publiés pour les radiofréquences de
faible niveau de puissance. Ceci est lié, aussi, à une plus
grande pluridisciplinarité des équipes impliquées.
Pour l’instant, il est toujours impossible de conclure
quant à l’existence d’effets biologiques pouvant se
traduire par des risques pour la santé. C’est notamment
par le biais de protocoles expérimentaux et de systèmes
d’exposition de mieux en mieux maîtrisés que la connaissance
des effets biologiques des radiofréquences
apportera des réponses en terme de risque. Il faut bien sûr
garder à l’esprit qu’un effet biologique n’a pas forcément
une conséquence sur la santé, et éviter les raccourcis
simplistes, ce qui n’est pas toujours le cas lorsqu’un
thème, comme celui des RNI, est trop médiatisé.
electromagnetic fields. FASEB J 1998 ; 12 (6) : 395-420.
8. Albertini RJ, Anderson D, Douglas GR, Hagmar L, Hemminki K,
Merlo F et al. IPCS guidelines for the monitoring of genotoxic
effects of carcinogens in humans. International Programme on
Chemical Safety. Mutat Res 2000 ; 463 (2) : 111-72.
9. Reviews of the effects of RF fields on various aspects of human health.
Bioelectromagnetics 2003; Supplement 6 (Special issue): 3-213.
10. Repacholi MH. Assessment of the health effects of EMF exposure.
Radio Science Bulletin 2002 ; 301 : 14-24.
11. Levesque P, Lasserre JL, Paupert A, Teyssedou G. Caractérisation
des sources impulsionnelles de forte puissance par la méthode
EMIR. Bulletin du BNM N° 126 2004 ; 3 : 62-6.
12. Camelia, G. Compilation of the Dielectric Properties of Body
Tissues at RF and Microwave Frequencies. Brooks Air Force
Technical Report AL/OE-TR-1996-0037 1996 : 268 p.
13. ICNIRP. Guidelines for limiting exposure to time-varying electric,
magnetic and electromagnetic fields (up to 300 GHz). Health
Physics Society 1998 ; 74 (4) : 494-522.
14. IEEE Standards Coordinating Committee 28. IEEE standard for
safety levels with respect to human exposure to radio frequency
electromagnetic fields, 3 kHz to 300 GHz. New York : IEEE Std
C95.1 Edition 1999 : 73 p.
26 a. perrin

Spécial recherche
Axe 3 : Risque agressif et environnement chimique, radiations
PROTECTION CUTANÉE VIS-À-VIS DES AGENTS
ORGANOPHOSPHORÉS ET DE L’YPÉRITE AU SOUFRE
Bilan et perspectives
RÉSUMÉ
Les composés organophosphorés et l’ypérite au soufre,
sous forme liquide ou vapeur, sont absorbés par la peau
puis diffusent dans l’organisme. Leur toxicité par la voie
percutanée est si importante que la protection et la
décontamination cutanées sont critiques pour la survie
des personnes exposées. De nouvelles formulations de
protection cutanée ont été développées, notamment aux
États-Unis et sont en cours d’amélioration : ce sont des
topiques à effet protecteur cutané incorporant
éventuellement des substances capables de dégrader les
toxiques. Des équipes du Centre de recherches du Service
de santé des armées, associées à des groupes du centre
d’études du Bouchet et à des partenaires industriels,
cherchent à concevoir, mettre au point et valider de
nouveaux dispositifs de protection de la peau vis-à-vis des
agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre.
Mots-clés : Organophosphorés. Protection. Ypérite au
soufre.
I. INTRODUCTION.
L’ypérite au soufre (sigle OTAN : HD ; littéralement :
ypérite au soufre (agent H) obtenu par distillation) et les
composés organophosphorés (OP) figurent parmi les
agents chimiques les plus toxiques. Ce sont des liquides
relativement peu volatils dans les conditions normales de
température et de pression, dont l’une des principales
voies d’entrée dans l’organisme est la voie percutanée.
Les vapeurs d’HD et d’OP sont aussi toxiques par voie
percutanée (1). L’échelle de volatilité des OP est très
D. JOSSE, pharmacien principal, praticien certifié du SSA. I. BOUDRY, capitaine,
chercheur. N. NAUD, technicienne de laboratoire.
Correspondance: D. JOSSE, Département de toxicologie, Centre de recherches du
Service de santé des armées, BP87, 38702 La Tronche Cedex.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD
ABSTRACT
SKIN PROTECTION AGAINST ORGANOPHOS-
PHATES AND SULFUR MUSTARD : UPDATE AND
PERSPECTIVES.
Organophosphates and sulfur mustard, liquid or vapour,
are absorbed by the skin then diffuse in the organism.
Their percutaneous toxicity is so high that skin
protection and decontamination are critical for the
survival of exposed people. New formulations for skin
protection have been developed, especially in the United-
States, and are currently improved : these are topical
skin protectants which possibly include substances able
to degrade the toxic compounds. Research teams from
Centre de recherches du Service de santé des armées
associated with groups from centre d’études du Bouchet
and industrial partners, try to design, make and validate
new skin protectants against organophosphates and
sulfur mustard.
Keywords : Organophosphates. Protection. Sulfur
mustard.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 27-31)
grande : l’agent VX (sigle OTAN) est environ 4 000 fois
moins volatil que le sarin (sigle OTAN : GB), lui-même
étant cinq fois moins volatil que l’eau. L’HD est 100 fois
plus volatil que le VX mais est moins volatil que le soman
(sigle OTAN: GD) et le GB (tab. I).
La toxicité par voie percutanée des OP varie selon leurs
caractéristiques structurales et physico-chimiques : elle
est très élevée pour les agents chimiques de guerre VX,
GD et GB ; elle l’est moins pour le paraoxon, utilisé
autrefois comme pesticide, et le diisopropylfluorophosphate
(DFP) (tab. II). L’HD est un agent vésicant. La peau
et les muqueuses sont ses principales cibles. L’absorption
percutanée de l’HD entraîne par ailleurs une toxicité
systémique. Les OP traversent le tissu cutané et les
muqueuses sans y générer de lésions. Les OP sont
des agents neurotoxiques qui exercent leur toxicité
médecine et armées, 2006, 34, 1 27
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Tableau I. Pression de vapeur a de composés organophosphorés et de l’ypérite
au soufre.
Composés chimiques
Sarin (GB)
Soman (GD)
Tabun (GA)
Ypérite au soufre (HD)
Cyclohexylsarin (GF)
VX
Paraoxon
Diisopropylfluxorophosphate (DFP)
Déméton-S-méthyl
Pression de vapeur
(mm Hg)
25 °C
2,9
0,40
0,07
0,07
0,007
0,0007
0,000001
0,58
0,0003
a plus la pression de vapeur d’un liquide est élevée, plus le liquide s’évapore rapidement.
via notamment l’inhibition des acétylcholinestérases
présentes au niveau du système nerveux périphérique
et central.
Tableau II. Toxicité percutanée de composés organophosphorés et de l’ypérite
au soufre.
Composés chimiques
Sarin (GB)
Soman (GD)
Tabun (GA)
Ypérite au soufre (HD)
Cyclohexylsarin (GF)
VX
Paraoxon
Diisopropylfluxorophosphate (DFP)
Déméton-S-méthyl
a DL50 estimées
Dose létale 50 (mg/kg)
Homme a lapin souris rat
24,3
0,7
14,3
100
0,4
0,14
1-11
1,5
2,5
0,025
5
1,1
7,8
1
La vitesse d’absorption cutanée d’une molécule est
proportionnelle à sa lipophilie. Le coefficient de partage
octanol/eau (K o/w) permet de classer les molécules selon
leur degré d’hydrophilie ou de lipophilie : les molécules
les plus lipophiles ont un K o/w relativement élevé
(tab.III). Pour les molécules très lipophiles, tels que le VX
et l’HD, l’absorption cutanée, c’est-à-dire le passage de la
Tableau III. Coefficient de partage (octanol/eau) (Ko/w) de composés
organophosphorés et de l’ypérite au soufre.
Composés chimiques Log Ko/w
Sarin (GB)
Soman (GD)
Tabun (GA)
Ypérite au soufre (HD)
VX
Paraoxon
Diisopropylfluxorophosphate (DFP)
Déméton-S-méthyl
0,30
1,78
0,38
1,9
2,09
1,98
1,13
1,02
72
18
9
85
molécule depuis la surface de la peau dans les premières
couches cellulaires de l’épiderme, constituant la couche
cornée, est relativement rapide. La couche cornée joue
alors le rôle de réservoir à partir duquel la diffusion de ces
molécules dans la circulation générale ou absorption
percutanée est relativement lente. Dans le cas de l’HD,
cette absorption est par ailleurs favorisée par les altérations
que cette molécule génère au niveau de la jonction
dermo-épidermique. Compte tenu de la toxicité
percutanée très élevée et des caractéristiques cinétiques
de l’absorption cutanée des composés OP et de l’HD, des
dispositifs de protection de la peau ont été développés
afin de ralentir et limiter au maximum l’absorption
cutanée de ces composés.
II. MOYENS DE PROTECTION CUTANÉE.
Les moyens de protection de la peau développés par les
armées, en France et à l’étranger, pour s’opposer à la
pénétration des agents chimiques de guerre sont:
– pour les mains : des sous-gants carbonés (portés
sous des gants en peau par les combattants), des gants
en butyle;
– pour les pieds : des chaussettes carbonées, des
surchaussures;
– pour la tête et le cou: la capuche de la tenue et un masque
équipé d’une cartouche filtrante; des cagoules;
– pour les autres parties du corps: une tenue comprenant
plusieurs couches de protection successives, notamment
une couche extérieure hydrofuge et oléofuge et une
couche intérieure de mousse carbonée.
Le port de ces équipements protecteurs n’est pas
systématique et parfois n’est que partiel. En effet, des
niveaux de protection à mettre en oeuvre à l’échelon
individuel sont déterminés d’après les risques d’exposition,
qui peuvent être imparfaitement connus. Il existe
également des dispositifs de protection collective au
sein desquels les personnels peuvent évoluer sans
équipement de protection.
III. INTÉRÊTS ET LIMITES DES DISPOSITIFS
DE PROTECTION CUTANÉE VIS-À-VIS DES
AGENTS ORGANOPHOSPHORÉS ET DE
L’YPÉRITE AU SOUFRE.
Si les dispositifs de protection cutanée qui ont été
développés sont des barrières étanches à la pénétration
des toxiques, ils présentent toutefois des inconvénients,
notamment:
– un confort limité;
– une ergonomie peu adaptée à la réalisation de gestes
précis et rapides;
– une rupture d’étanchéité possible en cas de lésion
(déchirure, coupure) et au niveau des jonctions
tenue-masque, tenue-gant, tenue-chaussure;
– en cas de contamination de ces dispositifs protecteurs, le
toxique n’est pas neutralisé. La mise en œuvre d’une
28 d. josse

décontamination, parfois contraignante, est alors requise
pour limiter le risque de transfert de contamination.
Les recherches et développement de dispositifs
protecteurs de la peau vis-à-vis des OP et de l’HD sont
poursuivies et visent actuellement à:
– augmenter la protection cutanée conférée par les
équipements de protection, notamment en cas de lésion
de ceux-ci;
– garantir la protection cutanée des personnels par
des dispositifs limitant au minimum leur capacité
opérationnelle;
– réduire les contraintes liées à la mise en œuvre
d’une procédure de décontamination de ces dispositifs
protecteurs;
– limiter les risques de transfert de contamination par
ces dispositifs.
À terme, ces recherches pourraient aboutir au développement
de dispositifs protecteurs non contraignants
pour l’utilisateur (ergonomie, confort), et dans certaines
circonstances, pouvant être utilisés avec une tenue
classique en garantissant une protection cutanée
suffisante pour la réalisation de missions de durée
relativement courte en ambiance chimique et/ou dans le
cas où le risque d’exposition par voie percutanée est très
faible. La mise en œuvre de ces dispositifs protecteurs
doit pouvoir être associée à celle de dispositifs de décontamination
secondaire et doit permettre de conserver
voire de renforcer l’efficacité de la décontamination.
Deux stratégies de recherche et développement
de nouveaux dispositifs protecteurs sont conduites
parallèlement : il s’agit d’une part, d’améliorer les
dispositifs existants (ex. : tenues allégées, gants plus
ergonomiques…), d’autre part, de concevoir, mettre au
point et étudier de nouveaux dispositifs protecteurs
pouvant se substituer aux moyens existants et/ou les
compléter pour améliorer la protection cutanée.
IV. TOPIQUES À EFFET PROTECTEUR
CUTANÉ.
A) HISTORIQUE.
Les recherches sur les topiques à effet protecteur cutané
(« Topical Skin Protectant » (TSP)) ont débuté lors de la
première guerre mondiale avec comme objectif de
renforcer la protection cutanée vis-à-vis de l’HD (2). À
partir de 1943, les troupes américaines disposent d’une
crème (« cream M-5 ») qui renforce la protection de la
peau vis-à-vis de l’HD. Depuis la Seconde Guerre
mondiale, des recherches ont été conduites pour élargir le
spectre d’efficacité de cette crème aux OP. Ces travaux
devaient également conduire au développement d’une
nouvelle génération de TSP : « active TSP (aTSP) »,
incorporant des molécules capables de piéger ou de
dégrader les OP et l’HD. Ces recherches ont abouti au
développement par l’armée américaine d’une nouvelle
TSP : la SERPACWA (« Skin Exposure Reduction Paste
Against Chemical Warfare Agents »), récemment
protection cutanée vis-à-vis des agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre
approuvée par la FDA (3). La SERPACWA agit comme
une barrière passive à la pénétration des OP et de l’HD.
Les recherches actuelles des équipes américaines
ont pour objet de transformer la SERPACWA en une
aTSP via l’incorporation de molécules capables
de neutraliser OP et HD. Au cours de ces dernières
années des travaux conduits par d’autres équipes,
notamment anglaises (4, 5), israéliennes (6) et néerlandaises
(7) ont également conduit à la mise au point de TSP,
en cours de développement.
B) PROPRIÉTÉS REQUISES.
Les principaux critères de qualification des TSP sont
les suivants:
– l’efficacité, déterminée d’après la capacité à ralentir et à
prévenir la pénétration cutanée et percutanée des OP et de
l’HD. Pour une quantité donnée, la durée de l’efficacité
après application doit être la plus longue possible;
– la stabilité sur la peau, en fonction notamment
de l’hydratation cutanée et de la transpiration. Les
conditions d’élimination de la peau doivent être connues
et définies;
– l’innocuité, déterminée notamment selon les effets
irritants et allergisants;
– la quantité à appliquer et la simplicité de mise en œuvre.
Pour les expérimentations réalisées sur modèles de peau,
les équipes américaines se sont limitées à des épaisseurs
d’application de 0,1 à 0,2 mm. Ainsi, environ 15 g de TSP
sont suffisants pour couvrir 20% de la surface corporelle;
– les propriétés cosmétiques, compatibles avec la
réalisation des activités quotidiennes voire de gestes
spécifiques;
– la tolérance (ex. : compatibilité avec la pratique d’une
activité physique);
– la compatibilité avec la doctrine de décontamination
associée;
– le coût;
– les interactions avec d’autres topiques cutanés (crèmes
solaires, insectifuges, camouflages…).
Dans le cas des aTSP, en plus des critères énumérés
ci-dessus, il s’agira de neutraliser au moins l’HD, le GD et
le VX, et d’obtenir une efficacité de protection cutanée
supérieure ou égale à celle d’une TSP de référence, telle
que la SERPACWA, notamment vis-à-vis des vapeurs de
l’HD. Enfin, le produit devra conserver des propriétés
cosmétiques équivalentes à celles de la TSP de référence.
L’intérêt des aTSP est d’augmenter la protection cutanée,
de réduire les risques de transfert de contamination à
partir de la peau qui serait contaminée et de simplifier
voire de s’affranchir d’une procédure de décontamination
secondaire.
C) CIRCONSTANCES D’EMPLOI.
Dans un premier temps, les américains limiteraient
l’emploi de TSP uniquement en association au port de la
tenue de protection. L’objectif serait donc d’augmenter la
protection cutanée conférée par la tenue dans les zones à
risque d’exposition (8). La TSP serait appliquée sur les
29
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zones cutanées les plus vulnérables, les plus sensibles aux
effets de l’HD et les plus perméables aux OP. Ce sont
notamment les poignets, la taille, les aisselles, l’aine.
Selon l’efficacité des TSP, les niveaux de protection et les
procédures de décontamination associée pourraient être
redéfinis en fonction des circonstances.
D) FORMULATIONS.
Les TSP actuellement développés par l’armée
américaine contiennent de 1 à 25 % d’actifs, c’est-à-dire
de molécules capables de neutraliser les OP et l’HD,
dispersés dans une matrice de polymères perfluorés (9).
1. Matrice.
Les formulations initiales des TSP étaient à base de
polyéthylèneglycol (2, 10). Plus récemment, les
recherches se sont focalisées sur des mélanges de
polymères fluorocarbonés (encore appelés « Téflons » du
nom de la marque déposée par Du Pont de Nemours pour
l’ensemble des produits fluorocarbonés fabriqués par
cette société), non toxiques (11), dont les propriétés sont à
la fois lipophiles et hydrophiles. La SERPACWA (Brevet
américain 5607979) est obtenue par dispersion de fines
particules de résines de polytétrafluoroéthylène (PTFE)
(poudre polymist RTM F5a, Ausimont) dans des huiles de
polyéther perfluoré (Fomblin RTM Y25, Ausimont) (8).
Ce mélange de polymères chimiquement inertes serait
bien adapté à l’incorporation d’agents actifs, qu’ils soient
sous la forme de poudre fine ou liquide. Ces polymères
sont stables lorsqu’ils sont exposés à la sueur ou à l’eau.
Lorsqu’ils sont appliqués sur la peau sous la forme d’une
couche d’épaisseur 0,1 mm, ils la protègent significativement
vis-à-vis des OP et de l’HD. Les propriétés
« barrière » de ces polymères de poids moléculaire élevé
sont liées à la faible solubilité de la plupart des molécules
dans ces polymères.
2. Actifs.
Les actifs pouvant entrer dans la composition des TSP,
leur formulation pour les rendre efficaces et stables à la
surface de la peau et les essais de ces formulations sur
différents modèles font l’objet de nombreux travaux,
notamment aux USA. Les actifs les plus cités dans la
littérature sont des agents oxydants, capables de neutraliser
OP et HD: polyoxométalates (9, 12, 13), composés
inorganiques, polymères organiques, matériaux hybrides
organiques-inorganiques (polysilsesquioxanes pontés)
(14), enzymes (oxydases, peroxydases) (15). Ont
également été étudiés des substances alcalines (ex. :
perborate de Na), des amines et aminoalcools, des
chélateurs, l’albumine et des agents adsorbants (2).
E) MESURE DE L’EFFICACITÉ DES DISPO-
SITIFS DE PROTECTION DE LA PEAU.
1. Modèles.
L’utilisation d’explants cutanés, notamment d’origine
humaine et porcine, pour sélectionner les TSP les plus
efficaces est nécessaire dès lors qu’il existe une
absorption cutanée ou une interaction d’un ou
des constituants de la formulation avec ceux de la peau.
Pour sélectionner parmi un ensemble de TSP celles
qui sont les plus efficaces, des auteurs ont parfois
recours à des membranes synthétiques semi-perméables
(4, 8). Dans ce cas, ces auteurs font l’hypothèse que
les formulations testées ne sont pas absorbées ou
n’interagissent pas avec la peau. En particulier, c’est le
cas des mélanges de polymères fluorocarbonés (ex.: TSP
américaine (SERPACWA) et anglaise (Ag-7)) inertes
qui restent en surface de la peau. Au contraire, la TSP
israélienne, IB1, est absorbée dans la couche cornée
de l’épiderme (6). Le modèle animal le plus utilisé
pour des expérimentations in vivo est le porc. Des expérimentations
sur les modèles animaux lapin et cochon
d’inde sont également réalisées.
2. Résultats.
La SERPACWA et l’Ag-7 permettent d’augmenter la
protection cutanée conférée par la tenue. Leur efficacité,
comme celle des autres TSP qui ont été étudiées jusqu’à
présent, est relativement faible vis-à-vis des vapeurs de
l’HD. Les toxiques au contact de la SERPACWA et de
l’Ag-7 ne sont pas neutralisés. L’utilisation de ces TSP
doit donc être associée à une procédure de décontamination
permettant d’éliminer les toxiques.
Les derniers bilans des études américaines (16) indiquent
que les actifs actuellement les plus intéressants pouvant
être associés aux matrices de polymères perfluorés pour
des applications de protection cutanée sont des polymères
organiques, non enzymatiques, dont la structure n’est pas
précisée. Les dispositifs protecteurs à base d’enzymes
testés jusqu’à présent sont peu intéressants ; une étude
récente montre que l’efficacité protectrice de solutions
aqueuses enzymatiques appliquées préventivement sur
des explants cutanés (c’est-à-dire avant le dépôt de
toxiques) est non significativement supérieure à celle de
solutions contenant les mêmes constituants sans les
enzymes (15). Les résultats des essais comparatifs
d’efficacité de plusieurs TSP ont montré que, dans des
conditions non occlusives, l’absorption cutanée de l’HD
pouvait être favorisée par certaines TSP (4). L’explication
la plus probable est que celles-ci pourraient piéger l’HD,
limiter son évaporation et ainsi renforcer sa pénétration
cutanée. Les TSP peuvent aussi favoriser la pénétration
cutanée des toxiques si elles sont allergisantes ou
irritantes, ou encore si elles diminuent l’efficacité de la
décontamination associée.
V. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES.
Des efforts importants de recherche ont été réalisés,
notamment aux États-Unis, en Angleterre et en Israël,
pour développer des TSP permettant d’améliorer la
protection cutanée. Ces recherches, parfois coûteuses
(les essais pour l’approbation par la Food and Drug
Administration (FDA) de la SERPACWA comme
médicament ont coûté 25 millions de dollars (E.H. Braue,
30 d. josse

communication orale, Bioscience Review 2002)), ont
abouti au développement de trois TSP : la SERPACWA
(États-Unis), l’Ag-7 (Angleterre) et l’IB-1 (Israël). Ces
TSP sont des barrières passives à la pénétration des
toxiques : par conséquent, leur utilisation doit être
associée à une décontamination secondaire. Les
1. Watson A, Hauschild V. Evaluation of percutaneous vapour toxicity
for certain chemical warfare agents : application to selection
guidelines for protective ensembles. Memo report of Life Sciences
Division, Oak ridge National Laboratory. Oak Ridge; 2003.
2. Romano JA, Filbert MG. Historical overview of topical skin
protectant development. J Appl Toxicol 1999 ; 19 : S39.
3. Timmer WC, Hathaway JS, DeCamp WH. Expediting the path
from R & D to military applications : the FDA’s review of the US
Army’s TSP. Proceedings of the Bioscience Review, Hunt Valley
(MD, USA), 2002.
4. Chilcott RP. Vesicant prophylaxis and decontamination. Londres :
Imperial College School of Medicine ; 2000 : 280 p.
5. Chilcott RP, Jenner J, Hotchkiss SAM, Rice P. Evaluation of
barrier creams against sulfur mustard. Skin Pharmacol Appl Skin
Physiol 2002 ; 15 : 225-35.
6. Kadar T, Fishbine E, Meshulam J, Sahar R, Gilat E, Barness
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Bioscience Review, Hunt Valley (MD, USA), 2002.
7. Van der Schans GP, Mars-Groenendijk RH, Langenberg JP. A
pilot study on the protective effect of compound X against SM
vapor skin injury. Proceedings of the NATO TG-004 meeting.
Oslo (Norvège) ; 4-7 novembre 2002.
8. Braue EH. Development of a reactive TSP. J Appl Toxicol 1999 ;
19 : S47-53.
9. Hobson ST. Active TSP : swiftly moving towards the goal of
protecting the warfighter against CWA. Proceedings of the
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
protection cutanée vis-à-vis des agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre
recherches actuelles visent à incorporer des actifs,
capables de neutraliser OP et HD, dans ces TSP dites de
première génération. Ces recherches devraient conduire
au développement de TSP de deuxième génération, les
« active TSP » (aTSP), dont les propriétés seront à la fois
protectrices et décontaminantes.
Bioscience Review. Hunt Valley (MD, USA) ; 2002.
10. Knezevic DL, Tadic V, Cetkovic S, Kicic Z. The efficacy of
different formulations of protective-decontaminating ointments
based on polyethylene glycol in rats percutaneously poisoned with
highly toxic organophosphates. Vet Hum Toxicol 1993 ; 35 (5) :
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11. Malinverno G, Pantini G, Bootman J. Safety evaluation of
perfluoropolyethers, liquid polymers used in barrier creams and
other skin-care products. Food and Chemical Toxicology 1996 ;
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12. Okun NM, Hill C. New potential additives to render TSP’s
catalytically active for decontamination of HD and G agents.
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13. Johnson RP, Hill CL. Polyoxometalate oxidation of CWA
simulants in fluorinated media. J Appl Toxicol 1999 ; 19 : S71-5.
14. Shea KJ, Hobson ST. Bridged polysilsesquioxanes, a new
generation of high capacity absorbents ; applications as
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15. Amitai G. Degradation of VX and HD by enzymatic
haloperoxidation. J Appl Toxico 2003 ; 23 (4) : 225-33.
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Lumpkin HL et al. Development of active barrier skin creams that
protect against CWA. Proceedings of the NATO TG-004 meeting.
Alberta (Canada) ; 29 septembre – 3 octobre 2003.
31
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R

VIENT DE PARAÎTRE
LES MALADIES À PRION
Biologie. Maladies humaines et animales
Pierre BEAUVAIS
Connues de longue date, les maladies à prion sont revenues depuis une vingtaine d'années au premier
plan de l'actualité pour des raisons à la fois épidémiologiques, biochimiques et génétiques :
– épidémiologiques, avec l'apparition d'un nombre croissant de cas de maladies de Creutzfeldt-Jakob
dans une population d'enfants traités par l'hormone de croissance humaine et dans une population
neurochirurgicale de patients ayant reçu une greffe de dure-mère ; avec la survenue de nombreux cas
d'encéphalopathies chez les bovidés ; enfin, avec l'émergence d'une nouvelle forme de la maladie
humaine incontestablement liée à la maladie bovine ;
– biochimiques, avec la création par Prusiner en 1982 du concept de prion, particule protéique
supposée infectante qui serait responsable de ces maladies et de leur transmissibilité ;
– génétiques, avec l'étude des formes familiales, la découverte du gène codant la protéine-prion et la
mise en évidence de mutations ou de remaniements de son génome à l'échelle moléculaire.
Ainsi, toutes les conditions requises étaient présentes pour expliquer ce regain d'intérêt pour ces
affections.
Les connaissances progressent, des données nouvelles apparaissent et de nouvelles
questions se posent : ces maladies à prion resteront-elles limitées à des maladies cérébrales, ou
pourraient-elles rendre compte d'autres pathologies ? Comment expliquer le changement de
configuration spatiale de la protéine-prion, le caractère encore mystérieux de sa transmission infectieuse
sans ADN décelable, l'intrication étroite des facteurs génétiques et environnementaux dans le
déclenchement de la maladie ?
Cet ouvrage a le mérite de fournir au moins une mise au point exhaustive et claire sur le sujet, traitant
successivement de la protéine-prion, des voies de propagation du prion, des encéphalopathies
spongiformes transmissibles animales et humaines avec en particulier la maladie de Creutzfeldt-Jakob,
des EST génétiques, des EST acquises et notamment iatrogènes et de la nouvelle variante de la maladie.
Le livre se termine par la revue des essais thérapeutiques et par les recommandations et précautions à
prendre vis-à-vis des risques de transmission du prion.
Il s'agit, au total, d'un ouvrage clair, actuel, complet.
L'auteur, le Docteur Pierre BEAUVAIS, médecin des hôpitaux, pédiatre de formation, a exercé pendant
de nombreuses années dans le service de neuro-pédiatrie de l'hôpital Trousseau. C'est dans ce
service qu'ont été reconnus les premiers cas français de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dus
à l'hormone de croissance.
Le livre s'adresse à un très large public : les pédiatres, les neurologues, les infectiologues,
les généticiens, les internistes et tous les praticiens soucieux d'actualiser leurs connaissances
dans ce domaine.
ISBN : 2 257 155567 X - 208 pages - 27 illustrations - Prix : 35 € - Éditions Médecine-sciences Flammarion - 26 rue Racine, 75278
Paris Cedex 06 - Tél. : 01 40 51 31 00 - Email : mcb@flammarion.fr - site : www.medecine.flammarion.fr
32 d. josse

Spécial recherche
Axe 3 : Risque agressif et environnement chimique, radiations
DÉCONTAMINATION CUTANÉE VIS-À-VIS DES AGENTS
ORGANOPHOSPHORÉS ET DE L’YPÉRITE AU SOUFRE
Bilan et perspectives
RÉSUMÉ
L’efficacité de la décontamination de la peau vis-à-vis des
agents chimiques de guerre dépend de la rapidité de sa
mise en œuvre après la contamination. Les dispositifs de
décontamination qui ont été développés sont polyvalents :
le « gant poudreur » français, des solutions à base
d’hypochlorite, une lotion contenant une oxime (RSDL).
Les recherches actuelles visent à déterminer les
mécanismes, les conditions et les limites de leur efficacité
et à développer des dispositifs et des procédures de
décontamination plus performants.
Mots-clés : Décontamination. Organophosphorés. Ypérite
au soufre.
I. INTRODUCTION.
La toxicité par voie percutanée des agents chimiques
de guerre, notamment des composés organophosphorés
tel que le VX et de l’ypérite au soufre, peut être très
élevée. La décontamination, c’est-à-dire l’élimination
du toxique présent à la surface de la peau ou des
vêtements, est d’autant plus efficace que la proportion
de toxique encore présente à la surface cutanée après
contamination est importante, donc qu’elle est mise en
œuvre rapidement (1). Les principaux objectifs de la
décontamination sont de prévenir l’intoxication de la
victime contaminée et le transfert de contamination par la
victime contaminée. Elle vise également à ne pas
renforcer la pénétration percutanée et la toxicité des
D. JOSSE, pharmacien principal, praticien certifié du SSA. I. BOUDRY, capitaine,
chercheur. N. NAUD, technicienne de laboratoire.
Correspondance: D. JOSSE, Département de toxicologie, Centre de recherches du
Service de santé des armées, BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
D. JOSSE, I. BOUDRY, N. NAUD
ABSTRACT
SKIN DECONTAMINATION AGAINST ORGANO-
PHOSPHATES AND SULFUR MUSTARD : UPDATE
AND PERSPECTIVES.
The efficacy of skin decontamination against chemical
warfare agents depends on the quickness of its execution
following contamination. The decontamination systems
that have been developed are : the French “gant
poudreur”, hypochlorite-based solutions, a lotion
containing an oxime (RSDL). The current research is
aimed at determining the mechanisms, the conditions and
the limitations of their efficacy and at developing more
effective decontamination systems and procedures.
Keywords : Decontamination. Organophosphates. Sulfur
mustard.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 33-36)
composés déjà absorbés. Un dispositif de décontamination,
associé à une procédure d’emploi donnée, est
bénéfique s’il permet le maintien en vie de la victime
avec des séquelles aussi limitées que possible. Une
décontamination peut être efficace mais non bénéfique
pour la victime dans le cas particulier où une proportion
de toxique pouvant générer des effets létaux est hors
d’atteinte du décontaminant au moment de sa mise
en œuvre. Dans ce cas, le bénéfice global pour la
victime dépend non seulement de l’efficacité de la
décontamination mais aussi et surtout de l’efficacité
du traitement associé.
II. DISPOSITIFS DE DÉCONTAMINATION
DÉVELOPPÉS.
Les dispositifs pulvérulents de type « gant poudreur »
français (fig. 1) et les solutions aqueuses à base
d’hypochlorite sont de loin prédominants parmi les
médecine et armées, 2006, 34, 1 33
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O
S
S
I
E
R

Figure 1. « Gant poudreur » français.
dispositifs de décontamination de la peau vis-à-vis
des agents chimiques de guerre, en dotation dans les
différentes armées en Europe et sur le continent américain.
Prochainement, dans certaines armées, ces
dispositifs pourraient être complétés voire substitués par
la lotion canadienne « Reactive Skin Decontamination
Lotion (RSDL) » (fig. 2) (2). Les autres dispositifs
de décontamination sont notamment une éponge en
polyuréthane (« Polyurethane Foam ou PUF ») associée
à différentes solutions à base d’oximes et d’agents
solubilisant les toxiques (3), un gant « sec » non pulvérulent,
constitué de polyéthylène hydrophobe (Belgique)
et des dispositifs récemment développés aux USA
mais pour lesquels les données publiées sur l’efficacité
vis-à-vis des agents chimiques de guerre sur modèles
de peau et la toxicité cutanée sont encore insuffisantes :
par exemple, la mousse MDF-120 Skin Decon Kit
(Modec, Inc. USA) à base de peroxyde d’hydrogène
(4 %) contenant un agent tensio-actif cationique (3). Des
formulations contenant des actifs originaux ont été
mises au point au cours de ces dernières années. Par
exemple, une formulation décontaminante hydrophile
à base d’hydroxypropylcellulose contenant la N,N’dichloro-bis
[2, 4, 6-trichlorophényl] urée, est efficace
vis-à-vis de l’HD sur les modèles et dans les conditions
expérimentales décrits (4). Des formulations à spectre
d’action plus large, visant à la fois les agents chimiques
et certains agents biologiques de guerre, pour des
applications de décontamination dite douce de
matériels ou d’équipements sensibles ont également été
développées ou sont en cours d’étude. Ces formulations,
moyennant le cas échéant des modifications mineures,
pourraient être efficaces sur la peau. Citons, à titre
d’exemple, la mousse ALL-CLEAR Chem/Bio
Decontamination Foam (US Global Nanospace Inc.,
USA) à base d’enzymes et d’agents biocides.
III. MÉCANISMES D’ACTION DES DÉCONTA-
MINANTS.
Les décontaminants cutanés qui ont été développés
peuvent agir selon trois mécanismes distincts:
– par déplacement, par exemple sous l’effet d’une douche
ou au moyen d’un tissu absorbant;
– par adsorption puis déplacement, par exemple
au moyen du « gant poudreur » comprenant une face
imprégnée de terre à foulon permettant d’adsorber les
toxiques et une face éponge permettant de déplacer les
toxiques adsorbés;
– par dégradation in situ, sur ou dans la peau; c’est le cas
des solutions aqueuses contenant des actifs c’est-à-dire
des molécules capables de dégrader les toxiques par
oxydation ou hydrolyse : hypochlorite de l’eau de Javel
diluée, oximes de la lotion RSDL.
Figure 2. Éponge imprégnée de la lotion décontaminante « RSDL ».
34 d. josse

IV. FACTEURS MODULANT L’EFFICACITÉ
DES DÉCONTAMINANTS CUTANÉS.
L’efficacité des décontaminants dépend essentiellement
de la vitesse d’absorption cutanée des toxiques, qui
elle-même varie selon la peau (état, épaisseur de la
couche cornée, pilosité, surface touchée), le toxique (type
et concentration) et les conditions ambiantes (température,
humidité). Elle peut également dépendre
du dispositif et du protocole mis en œuvre pour appliquer
le décontaminant.
V. SITES D’ACTION DES DÉCONTAMINANTS.
Il est bien établi que la couche cornée de l’épiderme
est à la fois une barrière à la pénétration des toxiques
et un réservoir puisqu’une importante proportion
du toxique absorbé dans la peau est encore présente
dans la couche cornée de l’épiderme parfois plusieurs
heures après la contamination (5). Or, il n’a pas
été démontré si les décontaminants développés
n’agissent qu’à la surface cutanée, s’ils sont capables
de pénétrer dans la couche cornée voire dans l’épiderme
profond et d’y exercer une action neutralisante
des toxiques stockés, ou encore s’ils exercent des effets
indirects sur le tissu cutané limitant ou au contraire
favorisant l’action des toxiques. Dans le cas d’une
poudre adsorbante telle que la terre à foulon du « gant
poudreur » qui ne pénètre pas dans la peau, l’effet
direct s’exerce uniquement à la surface cutanée. Il n’a
pas été déterminé si la déshydratation cutanée locale
consécutive au dépôt de ce type de poudre contribue
à l’efficacité de la décontamination. Pour la RSDL
et d’autres formulations aqueuses, on peut imaginer
que la pénétration des actifs dans le tissu cutané
puisse permettre de conserver une efficacité de
décontamination même après un délai relativement
important suivant le dépôt cutané de toxiques. Cet
effet pourrait être contrebalancé par l’hydratation
cutanée consécutive au dépôt du décontaminant.
Celle-ci pourrait en effet augmenter la vitesse de
pénétration percutanée donc la toxicité des composés
organophosphorés et de l’ypérite au soufre.
VI. LIMITES DE L’EFFICACITÉ DES
DÉCONTAMINANTS.
L’efficacité des dispositifs de décontamination
dépend principalement de la proportion de toxique
encore présente à la surface cutanée au moment de leur
mise en œuvre. Or, dans le cas des organophosphorés
et de l’ypérite au soufre, la vitesse d’absorption, la
proportion du toxique déposé sur la peau qui est absorbée
dans le tissu cutané et le devenir du toxique une
fois absorbé dans la peau ont été peu étudiés. Les
dispositifs de décontamination actuellement
disponibles, notamment le « gant poudreur », les
décontamination cutanée vis-à-vis des agents organophosphorés et de l’ypérite au soufre
solutions aqueuses à base d’hypochlorites et la RSDL
sont polyvalents et très efficaces s’ils sont utilisés dans
les trois premières minutes suivant une exposition
cutanée à un agent toxique. Des expérimentations
réalisées sur différents modèles animaux montrent
qu’au-delà d’un délai d’une vingtaine de minutes
après un dépôt cutané de toxique, leur efficacité est
très limitée voire nulle lorsqu’elle est comparée à
celle d’une compresse imbibée d’eau (6). On peut
donc concevoir qu’au-delà d’un tel délai, la décontamination
puisse être essentiellement réduite au
déshabillage de la victime contaminée suivi d’une
douche de 3 à 5 minutes minimum avec savon liquide
et shampoing. Déterminer les intérêts et limites de
la décontamination cutanée, associée ou non à un
dispositif de protection, selon les conditions de mise
en œuvre (délai après la contamination) et les moyens
utilisés constituent certains des objectifs des travaux
de recherches développés dans le Département de
toxicologie du CRSSA (I. Boudry, N. Naud, D. Josse).
Ces travaux sont réalisés en collaboration avec les
Services de biospectrométrie (D. Daveloose, B. Brasme)
et d’imagerie (F. Burckhart, D. Bernabé) du CRSSA, le
centre d’études du Bouchet (L. Taysse, B. Bellier) et
avec la contribution d’élèves de l’école du Service
de santé des armées de Lyon-Bron (aspirants pharmaciens
L. Lefeuvre, S. Salle, Y. Trescos). Les autres
objectifs de ces recherches sont:
– de mettre au point des dispositifs originaux de
protection cutanée (barrières chimiques actives)
permettant d’améliorer l’efficacité de la décontamination
associée et de simplifier sa mise en œuvre.
Ces études sont réalisées en partenariat avec des
laboratoires experts dans les domaines de la toxicologie
et de la dermocosmétologie et la Pharmacie centrale
des armées;
– de valider des modèles cutanés ex-vivo et in vivo et
des méthodes analytiques pour l’étude de l’efficacité
des topiques protecteurs et des décontaminants de la
peau vis-à-vis des agents organophosphorés et de
l’ypérite au soufre.
VII. CONCLUSIONS.
De nouveaux actifs, de nouvelles formulations
(actifs encapsulés plus stables et pouvant accéder à la
couche cornée, lieu de stockage des toxiques) et de
nouveaux dispositifs de décontamination cutanées
(spray, stick…) pourraient être développés dans les
prochaines années. Le CRSSA et ses partenaires
souhaitent contribuer à ce développement. C’est l’un des
objectifs du projet de recherches intitulé « conception,
mise au point et validation de nouveaux dispositifs
protecteurs et décontaminants de la peau vis-à-vis des
agents organophosphorés et de l’ypérite». Ces recherches
sont financées depuis 2005 par l’état-major des armées.
35
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1. Dorandeu F, Rüttimann M, Renaudeau C et al. Décontamination
de victimes chimiques : modalités et limites. Conséquences pour la
conduite opérationnelle. Urgence Pratique 2002 ; 57 : 29-34.
2. Sawyer TW, Parker D, Thomas N, Weiss NT, Bide RW. Efficacy
of an oximate-based skin decontaminant against organophosphate
nerve agents determined in vivo and in vitro. Toxicol 1991 ; 67 :
267-77.
3. Clarckson ED, Gordon R, Gundez A, Douglas A, Kelleher C,
Newkirk KT et al. Cutaneous exposure to GD and VX : timing of
antidotes and decontamination. Proceedings of the Bioscience
VIENT DE PARAÎTRE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
PSYCHOTHÉRAPIES
TRAITER LES TRAUMATISMES PSYCHIQUES
Clinique et prise en charge
François LEBIGOT
Review. Hunt Valley (MD, USA) ; 2004.
4. Vijayaraghavan R, Kumar P, Dubey DK, Singh R. Evaluation of
CC2 as a decontaminant in various hydrophilic and lipophilic
formulations against sulphur mustard. Biomed Environ Sci 2002 ;
15 : 25-35.
5. Chilcott RP. Vesicant prophylaxis and decontamination. Londres :
Imperial College School of Medicine ; 2000 : 280 p.
6. Wormser U, Brodsky B, Sintov A. Skin toxicokinetics of mustard
gas in the guinea pig : effect of hypochlorite and safety aspects.
Arch Toxicol 2002 ; 76 : 517-22.
Le concept de Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD) ne rend compte ni de ce qu'est un trauma -
assimilé à un stress plus important que les autres par le vécu qu'il génère - ni des conséquences à long
terme du traumatisme. Il en résulte que le maigre savoir qui découle de celle conception n'est d'aucune
utilité pour le traitement qui vise la guérison du sujet traumatisé.
En s'appuyant sur la conception freudienne du traumatisme, et sur la richesse clinique des descriptions
de ses successeurs, ce livre montre comment une conception rigoureuse des bouleversements que
l'effraction détermine dans l'appareil psychique, conduit à des attitudes thérapeutiques adaptées.
L'auteur détaille d'abord la clinique des conséquences de l'effraction traumatique, éclairée par la
description psychopathologique de ses effets dans la psyché. Puis il aborde les soins aux différents
temps de la prise en charge. Les psychothérapies psychodynamiques sont ensuite exposées. Ce sont
elles qui bénéficient le plus de la conception psychanalytique du trauma, sans être pour autant des
psychanalyses, ni être réservées à des psychanalystes. Quatre comptes rendus de psychothérapies
complètent l'ensemble.
Ce livre ne se contente pas de fournir une clinique globale de la névrose traumatique ; il propose aux
thérapeutes des outils qui leur permettront d'affiner leur pratique.
Clair, complet, enrichi de nombreuses vignettes cliniques, cet ouvrage s'adresse aux professionnels
(psychiatres, psychologues cliniciens, infirmiers en psychiatrie) confrontés à des patients ayant subi un
traumatisme psychique.
L'auteur : François LEBIGOT est psychiatre des armées, professeur agrégé du Val-de-Grâce actuellement
psychiatre consultant à l'Institution nationale des Invalides.
Préface de Liliane DALIGAND
ISBN 2 100070673 - Format 15,5 x 23,9 cm - 340 pages - 2005 - Dunod - www.dunod.com.
36 d. josse

Spécial recherche
Axe 4 : Ergonomie, psychologie
PERCEPTION ET NOUVELLES TECHNOLOGIES
Fusion sensorielle et référentiels spatiaux
RÉSUMÉ
Les nouvelles technologies de présentation de
l’information dans les cabines de pilotage font apparaître
des problèmes d’interprétation des données par les
personnels navigants. Plus particulièrement, l’utilisation
de sons spatialisés couplés aux informations visuelles
rend critique la compréhension de la perception
intégrative audio-visuelle. Les mécanismes perceptifs
impliqués dans ces processus d’intégration visuo-auditive
restent méconnus. La fusion visuo-auditive correspond à
l’association d’informations visuelles et auditives. Elle
implique la prise en compte des spécificités intrinsèques
de chaque système sensoriel. Le référentiel spatial de la
modalité visuelle est centré sur la rétine, alors que la
localisation spatiale des stimulations auditives dépend de
la position de la tête. Dans la mesure où le regard n’est
pas constamment en correspondance avec la direction de
la tête, la question de l’influence du décalage s’est posée.
La présente étude a pour but de préciser l’effet d’une
dissociation entre les référentiels spatiaux visuel et
auditif sur les limites perceptives humaines de fusion
visuo-auditive. Les résultats de l’expérimentation
psychophysique montrent qu’un décalage latéral du
regard de 20° modifie la capacité de fusion visuoauditive.
Le référentiel de l’espace de fusion est issu d’un
phénomène intégratif, il n’est pas centré sur la position
de la tête ni sur la position du regard mais intermédiaire.
Ces résultats montrent l’intérêt d’une prise en compte de
la position du regard dans la présentation d’information
associant vision et audition.
Mots-clés : Intégration audio-visuelle. Interfaces homme
système. Psychophysique.
I. INTRODUCTION.
Compte tenu de la quantité croissante d’informations à
transmettre au personnel navigant dans le cadre d’une
mission de combat, la surcharge potentielle du canal
D. HARTNAGEL, chercheur doctorant. C. ROUMES, médecin en chef, professeur
agrégé de physiologie et ergonomie appliquées aux armées.
Correspondance: D. HARTNAGEL, Institut de médecine aérospatiale du Service
de santé des armées, BP 73, 91223 Brétigny sur Orge.
D. HARTNAGEL, C. ROUMES
ABSTRACT
PERCEPTION IN MODERN DISPLAYS: AUDITORY-
VISUAL INTEGRATION AND SPATIAL REFERENCE
FRAMES.
New technologies in aeronautic display may induce
difficulties in information interpretation. Especially,
combination of three dimensional sound (3D sound) with
helmet-mounted display (HMD) stressed to understand
the auditory-visual integration phenomenon. This
perceptual mechanism remains theoretically
misunderstood. Auditory-visual fusion is defined as an
association of a visual and an auditory information.
Specific spatial coding of each sensory system must be
taken into account. Spatial reference frame of vision is
centred on retina whereas spatial localization of auditory
stimulation depends on head position. As gaze does not
match always with head direction, question arises on the
influence of this shift. The aim of the present study is to
quantify the effect of the dissociation between visual and
auditory spatial reference frames on perceptual limits of
auditory-visual fusion in human. Results of a
psychophysical experiment showed that a 20° lateral gaze
shift modifies auditory-visual capacities. Reference frame
of fusion space results from an integration phenomenon :
it’s neither head centred nor gaze centred but between
these two positions. So, gaze position should be worth
considering when designing an auditory-visual
information display.
Keywords : Auditory-visual integration. Display.
Psychophysics.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 37-39)
visuel atteint une limite critique pour la sécurité. L’association
du son spatialisé au visuel de casque est envisagée
pour répondre à ce besoin. En effet la combinaison
d’informations spatiales visuelles et auditives permet une
localisation plus fiable et plus rapide des cibles (1). Le
phénomène de fusion visuo-auditive, plus connu sous le
nom de « venriloquisme », correspond à la perception
d’unicité des stimulations visuelles et auditives émises
depuis des localisations différentes de l’espace (2).
médecine et armées, 2006, 34, 1 37
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La tolérance à la disparité entre les stimulations varie
selon la localisation spatiale des sources. Les limites de la
tolérance permettent de déterminer des zones de l’espace
où les stimulus visuels et auditifs sont perçus comme
unifiés. Ce sont les « aires de fusion ». De récents travaux
(3) ont mis en évidence une organisation symétrique des
aires de fusion par rapport à l’axe sagittal médian. La
fusion des informations visuelles et auditives implique
deux systèmes sensoriels différents ayant chacun son
propre référentiel spatial, céphalo-centré pour l’audition
et rétino-centré pour la vision. La présente expérimentation
a pour but d’étudier la variation des capacités de
fusion visuo-auditive dans des conditions de disjonction
de la direction du regard et de la direction de la tête.
En dépit de l’interdépendance entre la position du regard
et la position de la tête, les mouvements oculaires rapides
avec la tête fixe sont fréquents. L’objectif de cette étude
amont est de mettre en évidence l’effet potentiel de la
position du regard dans l’association de stimulations
sensorielles de natures différentes. Plusieurs hypothèses
sont formulées:
– la fusion visuo-auditive dépend des capacités des
systèmes sensoriels visuel et auditif, et ce phénomène
relève d’une intégration sensorielle;
– la tolérance à la disparité entre les sources visuelles et
auditives, matérialisée par les aires de fusion, varie selon
la localisation spatiale des sources;
– l’introduction d’un décalage de 20°entre l’axe de la tête et
le point de fixation du regard modifie les capacités de
fusion visio-auditives; l’organisation des aires de fusion
est modifiée par le décalage entre les référentiels spatiaux.
II. MÉTHODE.
Sept sujets, âgés de 25 à 40 ans, possédant une acuité de
10/10 et un audiogramme normal ont participé à cette
expérience. Chaque sujet était placé au centre d’un écran
semi circulaire trans-sonore derrière lequel se trouvaient
quinze haut-parleurs (fig. 1). L’orientation de la tête des
Figure 1. Dispositif expérimental d’étude de la fusion visuo-auditive.
participants était contrôlée par un système de maintien de
la mâchoire. Un oculomètre permettait de vérifier
l’orientation du regard.
Un spot lumineux de 1° d’angle visuel était présenté en
synchronie avec un bruit rose (49 dBA) pendant 500 ms.
L’ensemble formait une stimulation bimodale. Pour
chaque haut-parleur, la disparité entre la source sonore et
le spot variait de 0°à 20°dans quatre directions (haut, bas,
droite et gauche). Deux conditions expérimentales ont été
testées: soit les référentiels spatiaux sont congruents (le
regard est dans l’axe de la tête), soit les référentiels sont
dissociés (le regard est décalé horizontalement de 20°).
Les sujets devaient juger du caractère fusionnel de la
stimulation bimodale: ils répondaient soit « fusion » soit
« non fusion » au moyen d’une commande manuelle.
III. RÉSULTATS.
Pour la plupart des haut-parleurs, les limites de fusion
n’ont pu être déterminées dans la dimension verticale.
Les sujets répondaient majoritairement « fusion » pour
les disparités maximales testées (20°). De ce fait, les
résultats concernent uniquement les limites de fusion
horizontales et les limites de fusion verticales sont arbitrairement
fixées à 20°. Les limites de fusion horizontales
varient en fonction de l’excentricité des haut-parleurs
dans le champ perceptif (fig. 2). Les aires de fusion sont
modifiées lorsqu’on introduit un décalage de 20° entre
l’axe de la tête et le point de fixation du regard (F1,
780 = 13,256: p < 0,0001) (fig. 3). Quand les référentiels
sont confondus, les aires de fusion les plus étroites sont
dans l’axe sagittal médian. Lorsque les référentiels sont
dissociés de 20° les aires de fusion les plus étroites sont
entre le référentiel auditif (la position de la tête) et le
référentiel visuel (la position du regard).
Colonnes de haut-parleurs Colonnes de haut-parleurs
Figure 2 . Représentation des zones de fusion (losanges) pour chacun des
quinze haut-parleurs. Le décalage entre les référentiels provoque une
modification des aires de fusion visuo-auditive.
38 d. hartnagel

Figure 3 . Valeurs absolues des limites de fusion en azimut (en degrés) en
fonction de l’excentricité des haut-parleurs pour les deux conditions de l’étude
(référentiels confondus – référentiels décalés).
IV. DISCUSSION.
La perception de l’environnement implique une
combinaison des informations provenant de différents
systèmes sensoriels. L’hypothèse d’une interaction
sensorielle est vérifiée, les deux systèmes sensoriels
combinent leurs capacités pour former un espace unifié et
dynamique. La perception de la disparité spatiale entre les
sources sonores et visuelles dépend principalement de la
disparité horizontale et varie en fonction de l’excentricité
dans le champ perceptif. Le décalage latéral du
regard provoque une modification des aires de fusion.
L’organisation des aires de fusion est modifiée
par le décalage entre les référentiels spatiaux visuel et
auditif. Le référentiel de l’espace de fusion n’est ni
1. Welch RB, Warren DH. Intersensory interactions. Handbook of
perception and human performance vol. 1. Sensory Processus and
Perception. KR Boff, L Kaufman, JP Thomas, eds. New York :
Wiley Interscience, 1986.
2. Jack CE, Thurlow WR. Effect of degree of visual association and
perception et nouvelles technologies
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
céphalo-centré ni rétino-centré, mais le résultat de
l’interaction des modalités visuelles et auditives dans
leurs composantes spatiales.
Ces résultats expérimentaux peuvent avoir des
répercussions sur le développement des nouveaux
dispositifs de présentation de l’information. En effet les
technologies actuelles permettent un traitement de la
position de la tête pour la mise à jour de la cartographie
spatiale du son tridimensionnel, cependant il n’est pas
encore possible d’utiliser un système de suivi du regard de
type oculomètre dans les aéronefs. L’association du son
spatialisé au visuel de casque étant fondée sur le calcul de
la position de tête pour déterminer la visée du pilote, ces
résultats confirment l’intérêt d’une prise en compte de la
position du regard dans la mesure où une présentation
visuo-auditive des informations est envisagée.
V. CONCLUSION.
Cette étude amont montre un effet du décalage entre
les référentiels spatiaux visuels et auditifs sur les
capacités de fusion visuo-auditive. Des investigations
supplémentaires pour préciser l’importance de cet effet
sont en cours au sein du département de sciences
cognitives de l’Institut de médecine aérospatiale du
Service de santé des armées (IMASSA). Dans l’attente de
confirmation, ces résultats préliminaires suscitent dès
lors l’idée d’une prise en compte de la position du regard
dans l’association du son spatialisé au visuel de casque.
angle of displacement on the ventriloquism effect. Perceptual and
Motor Skills 1973 ; 37 : 967-79.
3. Godfroy M, Roumes C, Dauchy P. Spatial variations
of visual-auditory fusion areas. Perception 2003 ; 32 (10) :
1233-45.
39
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40
VIENT DE PARAÎTRE
LA RÉPONSE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
AUX ARMES BIOLOGIQUES ET CHIMIQUES
Cette deuxième édition de Santé publique et armes biologiques et chimiques inclut des informations
destinées à guider la préparation et la réaction à l'usage délibéré d'agents biologiques et chimiques
pouvant affecter la santé. Alors qu'il note que la probabilité d'une attaque utilisant de telles armes est
basse, ce guide souligne l'ampleur de l'impact que cela pourrait avoir sur les populations civiles et,
partant, la nécessité pour les responsables en santé publique en coopération étroite avec d'autres
membres du gouvernement, d'élaborer ou d'adapter des plans d'intervention. Pour que de tels plans
puissent fonctionner, il faut mettre en place et tester des accords de coopération impliquant tous les
partenaires bien avant la survenue d'un incident ou d'une urgence. Les recommandations et avis sont
tirés d'expertises réalisées par de nombreux spécialistes du monde entier.
Le guide compte six principaux chapitres. Des conseils pour évaluer la menace que fait peser sur la
santé publique l'usage délibéré d'agents biologiques et chimiques pouvant affecter la santé sont suivis
d'une revue des caractéristiques de ces agents qui ont une influence sur les modes de dissémination et
qui aident à prédire les conséquences à court et à long terme. Les implications de l'utilisation possible
de telles armes pour des objectifs de guerre aussi bien qu'à des fins terroristes sont passées en revue.
Le chapitre le plus développé, sur l'état de préparation et la réponse de la santé publique, expose les
principes de planification, allant point par point depuis la détermination de la menace et du risque,
l'identification et l'évaluation du danger, en passant par l'introduction de stratégies de gestion du risque,
jusqu'aux nombreuses actions spécifiques requises pour une réponse efficace et appropriée. Les détails
s'étendent de situations dans lesquelles l'utilisation d'équipements spéciaux de protection peut en fait
altérer la capacité de réponse, jusqu'à des conseils sur l'évaluation des canulars biologiques et à des
leçons tirées d'attaques terroristes sur des civils mettant en œuvre des agents chimiques ou
biologiques. Le guide explique également pourquoi les plans de réaction devraient être développés en
tant que partie intégrante des plans d'urgence nationaux déjà existants, et discute le besoin de
systèmes solides de surveillance des maladies et d'alerte précoce capable de détecter des épidémies
naturelles aussi bien que provoquées. D'autres chapitres couvrent le cadre préventif légal fourni par les
traités et décrivent les sources d'aide internationale.
Une revue des groupes représentatifs d'agents chimiques et biologiques, incluant les toxines, est
fournie. Des technologies et des stratégies variées utilisées pour protéger les individus contre une
contamination physique par des agents chimiques et biologiques sont décrites, ainsi que des
précautions que l'on peut prendre pour prévenir le sabotage de l'eau potable, de la nourriture et
d'autres produits.
ISBN : 92 4 154615 8 – 266 pages (en langue anglaise) – WHO Press 1211 geneva 27, Switzerland – Tél. : +4 22 791 24 76 –
Fax : + 41 22 791 48 57 – Email : bookorder@who.int

Spécial recherche
Axe 4 : Ergonomie, psychologie
SPATIALISATION DES SONS ET « PERCEPTION
AUGMENTÉE »
RÉSUMÉ
La technologie moderne des équipements de tête des
aéronefs vise à fournir au pilote une information
actualisée de son environnement au travers de dispositifs
potentialisant les possibilités d’interface hommemachine.
Notre exposé concerne la spatialisation des sons
et la construction d’un environnement sonore virtuel
perçu au travers du casque. La spatialisation des sons
comprend la restitution à l’opérateur de la direction et de
la distance de sources sonores virtuelles. Les différentes
études réalisées visent à évaluer la dégradation de la
perception sonore spatialisée en environnement
aéronautique dans des conditions de plus en plus
réalistes. Ainsi les effets de masquage par l’ambiance
bruyante et les effets des accélérations + Gz ont été
étudiés. Enfin une approche intégrée en simulateur a été
réalisée.
Mots-clés : Accélérations Gz. Environnement
aéronautique. Spatialisation des sons.
I. INTRODUCTION.
La technologie moderne des équipements de tête des
aéronefs vise à fournir au pilote une information
actualisée de son environnement au travers de dispositifs
potentialisant les possibilités d’interface hommemachine.
Le viseur visuel de casque, la spatialisation des
sons et la commande vocale sont autant de systèmes
d’aide conçus pour faciliter la tâche du pilote dans un
environnement complexe à forte pression temporelle.
A. GUILLAUME, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce. L.
PELLIEUX, ingénieur cadre technico-commercial. S. HOURLIER, médecin en chef,
praticien certifié. PMB. SANDOR, médecin en chef, praticien certifié. C.
BLANCARD, technicien supérieur d’études et fabrication. J.-C. BOUY, ingénieur
études et fabrication. V. CHASTRES, ingénieur cadre technico-commercial. R.
AMALBERTI, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance: A. GUILLAUME, IMASSA, BP 73, 91223 Brétigny sur Orge.
A. GUILLAUME, L. PELLIEUX, S. HOURLIER, P.M.B. SANDOR, C. BLANCARD, J.-C. BOUY,
V. CHASTRES, R. AMALBERTI
ABSTRACT
SOUND LOCALISATION AND "IMPROVED
PERCEPTION".
Recent technology of head helmet in aircraft aims to
improve information given to the pilot on his
environment through actualized displays enhancing the
possibilities of human-machine interfaces. Our topic
concerns sound localisation and the conception of a
virtual auditory environment perceived through
headphones. The localisation of sounds included the
restitution of direction and distance of virtual auditory
sources. Different studies were carried out in
increasingly realistic conditions in order to evaluate the
interferences between the 3D sound perception and the
aeronautical environment. Thus masking effects induced
by ambient noise and effects of + Gz acceleration were
studied. Finally an integrated approach was carried out
in simulator.
Keywords : Aeronautic environment. Gz acceleration.
Sound localisation.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 41-46)
Notre exposé concerne plus particulièrement la
spatialisation des sons et la construction d’un environnement
sonore virtuel perçu au travers du casque. Les
différentes composantes à prendre en compte concernent
la présentation des signaux sonores ainsi que leur contenu
informationnel. La spatialisation des sons comprend la
restitution de la direction et de la distance à l’opérateur des
sources sonores virtuelles. L’adoption par l’opérateur
d’un tel système est fortement dépendante des choix
technologiques et de la réalisation technique. Il importe en
effet que la présentation des sons soit suffisamment écologique
de façon que la tâche de l’opérateur soit facilitée.
Dans un premier temps, nous présenterons le principe
de la spatialisation des sons (direction et distance)
puis nous illustrerons les problèmes posés par la mise en
place de cette technologie avec deux exemples avant
d’aborder les perspectives d’étude.
médecine et armées, 2006, 34, 1 41
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II. PRINCIPE DE LA RESTITUTION DE LA
DIRECTION ET DE LA DISTANCE (1, 2).
La spatialisation des sons présente plusieurs avantages
dans le cadre de l’interface homme-machine. Lors de
l’écoute normale au travers d’un casque, l’auditeur a
l’impression de sons provenant de l’intérieur de la tête.
L’écoute en 3D restitue la sensation de sons provenant
de l’extérieur de la tête avec la possibilité de localiser
la direction de la source. Elle permet donc d’orienter
l’attention du sujet dans une direction particulière. Cette
propriété de l’audition est utilisée afin d’orienter la direction
du regard et/ou la réaction de l’opérateur. Mais le fait
de localiser des sources peut aussi favoriser la ségrégation
de flux auditifs. Ainsi lorsque deux locuteurs parlent au
travers d’une radio, il est plus facile de les distinguer si les
voix semblent provenir de localisations différentes.
A) RAPPELS.
La direction d’un son est spécifiée par son azimut et son
élévation. L’azimut est défini par l’angle entre la direction
du son et le demi-plan médian antérieur. Les sons dans le
demi-plan sagittal antérieur de la tête ont un azimut de 0°.
L’azimut est compté positivement dans le sens vers la
gauche et négativement dans le sens vers la droite.
L’élévation est définie par l’angle entre la direction du son
et le plan horizontal. L’élévation est comptée positivement
vers le haut et négativement vers le bas. Tous les sons
dans le plan horizontal ont une élévation de 0°.
B) INDICES DE LOCALISATION STATIQUES.
Le système auditif dispose de trois types d’indices de
localisation:
– les différences interaurales d’intensité (DII) entre les
signaux reçus par les deux oreilles;
– les différences interaurales de temps d’arrivée et de
phase (DIT);
– les indices spectraux dépendants de la forme des
pavillons de l’oreille et de la tête.
Les deux premiers indices sont dits des indices binauraux
car ils sont liés à la différence d’information arrivant
aux oreilles droite et gauche. Le troisième indice est
dit monaural car il ne dépend que de l’information
sur une oreille.
1. Indices binauraux.
La localisation auditive peut se faire à travers une
comparaison des signaux sonores perçus par chacune
des oreilles (fig. 1). Cette comparaison implique des
différences d’intensité, et de temps ou de phase. Les DII
sont dues à la diffraction partielle des ondes sonores par la
tête de telle sorte que le signal atteignant l’oreille opposée
à la source est atténué, et donc moins intense par rapport
au signal arrivant sur l’oreille ipsilatérale. Les DIT
correspondent à la fois à une différence de phase et à
une différence de temps d’arrivée du signal entre les
deux oreilles. Pour les sons purs une différence de phase
équivaut à une différence de temps d’arrivée des caractéristiques
de forme de l’onde. Ce type d’indice est donc
Figure 1. Schéma illustrant la différence de trajet entre l’onde sonore qui
parvient à l’oreille droite et celle qui parvient à l’oreille gauche. Cette
différence est liée à la durée du trajet des ondes et à l’effet d’ombre joué par la
tête. D = rθ + r sinθ
essentiellement exprimé en terme de délai interaural
et exprimé en unité de temps. D’après les mesures
physiques comme les calculs théoriques, l’amplitude des
différences interaurales dépend de la position de la source
par rapport à l’auditeur. Il n’y a aucune différence entre
les deux oreilles (DII et DIT nulles) lorsque la source est
placée dans le plan sagittal. Si la source est en dehors du
plan sagittal, des différences interaurales apparaissent.
Elles augmentent avec l’azimut de la source pour
atteindre les valeurs maximales lorsque la source est dans
l’axe des oreilles soit à l’azimut 90° ou -90°. Ainsi
l’écartement angulaire maximal produit une différence
de niveau pouvant aller jusqu’à 20 décibels pour les
hautes fréquences et une DIT allant jusqu’à 690 ms (1).
Les différences interaurales de phase et d’intensité
sont fonction de la fréquence de la source. Les différences
de phase ne sont pertinentes que pour les basses
fréquences. En effet au-delà de 1500 Hz, les différences
de phase sont ambiguës, car elles correspondent
à plusieurs positions possibles voire incompatibles
avec la résolution temporelle du système auditif. Au
contraire, les DII ne sont mises en jeu qu’aux hautes
fréquences. Elles sont liées aux propriétés de diffraction
de la tête. Cette diffraction ne survient que pour les
signaux de longueur d’onde inférieure au diamètre
crânien. Il n’existe pas de diffraction pour les signaux
de basse fréquence, mais la diffraction par la tête
apparaît à partir de 1500Hz puis augmente avec l’accroissement
de la fréquence. La zone fréquentielle de 1500 Hz
marque la frontière d’influence entre les DIT et les DII :
ni les DIT ni les DII ne fournissent d’information
suffisante. En dehors de cette fréquence, le système
auditif dispose grâce aux différences interaurales
d’un pouvoir séparateur précis dans l’estimation
de l’écartement de deux sources. Le paradigme
42 a. guillaume

expérimental de référence pour mesurer ce pouvoir
séparateur est celui de Mills (3) qui permet de mesurer
l’écartement angulaire minimal entre deux sources
qu’un auditeur peut détecter (minimum audible angle,
MAA). Le MAA est de 1° dans le plan médian et de 10°
dans l’axe des oreilles. Les études de mesure directe
de la localisation en champ libre mettent en évidence
des confusions fréquentes entre l’avant et l’arrière.
Ces erreurs s’expliquent par l’existence de cônes
de confusion, inhérents au traitement des indices binauraux:
toute position azimutale située au même écartement
angulaire par rapport à l’axe médian, qu’elle soit
dans l’hémichamp avant ou arrière, produit la même
différence interaurale. L’auditeur peut percevoir
l’orientation gauche-droite sur la base des indices
binauraux mais il est confronté à une ambiguïté
avant-arrière. Cette ambiguïté peut être levée par le
traitement du troisième indice de localisation statique,
à savoir les indices spectraux pavillonnaires.
2. Indices monauraux.
Le troisième indice spatial est déterminé par le traitement
des informations provenant à une oreille indépendamment
de l’autre oreille. Ces informations sont extraites
à partir des propriétés de résonance et de réflexion
des pavillons auditifs (4). Le pavillon de l’oreille modifie
le spectre des sons incidents en fonction de l’angle
d’incidence du son par rapport à la tête. Il fournit ainsi
des informations utiles pour les jugements en élévation
et pour améliorer la discrimination avant-arrière.
Ainsi la tête et le pavillon de l’oreille forment ensemble
un filtre complexe dépendant de la direction du son.
Ce rôle de filtre est souvent caractérisé par la mesure
du spectre de la source sonore et du spectre du son
atteignant le conduit auditif externe. Le rapport des
deux mesures (habituellement exprimés en dB) fournit
la fonction de transfert de la tête (HRTF pour headrelated
transfer function). La HRTF varie systématiquement
avec la direction de la source sonore par rapport à la
tête et est unique pour chaque direction de l’espace
(5). Les modulations spectrales produites par la tête
et le pavillon de l’oreille peuvent être utilisées pour
juger la localisation de la source. L’information la
plus pertinente fournie par le pavillon est obtenue
pour des sons ayant un large spectre de fréquences.
Les hautes fréquences, au-dessus de 6 000 Hz, sont
particulièrement importantes puisque ce sont uniquement
ces hautes fréquences qui présentent des longueurs
d’onde suffisamment courtes pour interagir avec
le pavillon.
C) INDICES DE MOUVEMENT.
En situation naturelle, les sources comme les auditeurs
restent rarement immobiles. Il est donc important
d’étudier la résolution spatiale du système auditif
en conditions dynamiques. Deux cas de figure sont
envisageables : le déplacement de l’auditeur et le
déplacement de la source.
spatialisation des sons et « perception augmentée »
1. Déplacement de l’auditeur.
Les mouvements de la tête, plus particulièrement la
rotation de la tête autour de l’axe vertical, optimisent la
performance de localisation. Ainsi les rotations de la tête
éliminent les confusions avant-arrière. Etant donné que
les confusions avant-arrière sont inhérentes au traitement
des indices binauraux, le rôle des mouvements de la tête
est de fournir de l’information dynamique nécessaire à la
résolution de l’ambiguïté avant-arrière (6). Cette
variation dynamique de l’information binaurale peut
aussi être fournie par un déplacement de la source à
condition que celui-ci soit sous le contrôle de l’auditeur.
2. Déplacement de la source.
Lorsque la source est en mouvement, on mesure l’angle
minimum audible de mouvement (MAMA, minimum
audible movement angle). Il correspond à une valeur seuil
qui se définit comme la plus petite distance angulaire
qu’une source en mouvement doit traverser pour être
juste discriminable d’une source statique. Le mouvement
de la source détériore la résolution spatiale du système
auditif, puisque le MAMA est toujours supérieur au
MAA obtenu en condition statique pour une fréquence
identique (7). Cependant, comme pour le MAA, les
meilleures performances sont obtenues lorsque la source
est au voisinage de l’axe médian et se dégradent pour les
sources placées plus latéralement.
D) PRINCIPE DE RESTITUTION DE LA
DISTANCE.
La perception de la distance repose sur des indices
absolus et des indices relatifs (8, 9). Le niveau sonore
est un indice majeur mais il s’agit d’un indice relatif
nécessitant une connaissance antérieure du son. Il peut
devenir un indice absolu dans le cas particulier d’une
cible mouvante vers l’auditeur comme l’ont montré
Ashmead et coll. (10). Un autre indice relatif correspond
au fait que les hautes fréquences sont plus atténuées que
les basses à partir d’une certaine distance. Ce phénomène
est lié aux propriétés absorbantes de l’air, ce qui modifie
le spectre des sons complexes. Ces indices permettent de
juger la distance en champ libre. Bien souvent, nous
écoutons des sons en intérieur c'est-à-dire avec des murs
réfléchissants. Dans ce cas, le rapport entre l’onde directe
et l’onde réfléchie ainsi que le délai entre le son direct et le
son réfléchi fournissent des indices de distance. Ce sont
des indices absolus car ils permettent de juger de la
distance dès la première présentation d’un son inconnu
dans un environnement non familier.
III. SPATIALISATION DES SONS ET
ENVIRONNEMENT AÉRONAUTIQUE.
A) SPATIALISATION DES SONS ET
ENVIRONNEMENT BRUYANT.
L’environnement aéronautique est un environnement
bruyant. Il importe donc de protéger les opérateurs de
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l’effet nocif du bruit. Cette protection peut être passive
ou active. Dans les deux cas, il s’agit d’évaluer les
performances résiduelles de spatialisation des sons. Les
sons peuvent être issus du milieu ambiant ou peuvent être
délivrés dans des écouteurs. Pellieux et coll. (11) ont
étudié la spatialisation d’alarmes sonores émises au
travers d’un casque prototype à réduction active de bruit.
Le bruit masquant était un bruit rose de 105 dBA. Durant
les essais, l’expérimentateur s’assurait que la dose totale
de bruit au niveau de l’oreille était inférieure à la dose
autorisée par la réglementation. Les performances en
spatialisation étaient sensiblement les mêmes qu’en
ambiance silencieuse lorsque les niveaux et les spectres
des alarmes étaient adaptés. En protection passive, une
étude future devrait permettre d’étudier la perception
spatiale des sons lorsque le sujet porte une double protection
(casque et bouchons d’oreilles) dans une ambiance
de bruit d’hélicoptère.
B) SPATIALISATION DES SONS ET
ACCÉLÉRATIONS + Gz.
L’intégration du son spatialisé dans le cockpit a été
validée à partir d’expérimentations en laboratoire, donc à
+1 Gz. Les accélérations rencontrées en aéronautique ont
des conséquences connues sur la vision (voiles gris,
noir…) mais peu sur l’audition globale. Cependant une
modification même subtile des puissances perçues à
diverses fréquences pourrait avoir une influence directe
sur la capacité de l’auditeur à localiser précisément un
son. De plus, la stimulation vestibulaire et proprioceptive
liée à l’accélération pourrait également modifier le
référentiel spatial de l’auditeur de façon imperceptible. Il
se pose alors la question de savoir si les sons spatialisés
conçus à 1 Gz seront toujours localisés de façon identique
sous accélération.
Sandor et coll. (12, 13) ont réalisé une série expérimentale
afin de vérifier que les sons spatialisés à 1 Gz sont correctement
localisés sous accélération. Dans une première
expérience, des mesures audiométriques ont été réalisées
en centrifugeuse. Un volontaire sain, assis dans la nacelle,
devait effectuer un test audiométrique adapté aux
conditions physiques de l’environnement bruyant de la
centrifugeuse à 1 et 4 Gz. Les fréquences testées étaient
250, 1000, 6000 et 10000 Hz. Les résultats sont résumés
dans la figure 2 qui présente les seuils observés selon la
fréquence testée et le niveau d’accélération (1 ou 4 Gz).
Ces résultats montrent l’absence d’élévation du seuil de
perception sous accélération. Les modulations de seuil
selon la fréquence et le résultat paradoxal à 1000 Hz sont
directement dépendants des conditions expérimentales
(12). L’expérience suivante consistait à présenter des
cibles sonores, à 1 et 4 Gz, spatialisées dans un espace
frontal selon une grille de ±40° en azimut et -10°à 40° en
élévation. Le sujet installé dans la nacelle avait pour
consigne d’amener sur la position perçue un spot laser
qu’il contrôlait de la main. La figure 3 montre un sujet qui
pointe son regard vers une position de l’espace où un son a
été perçu. La figure 4 résume les résultats obtenus, où les
Figure 2. Seuils de l’audiométrie adaptée aux conditions de la centrifugeuse
observés à 1 Gz et 4 Gz pour les fréquences 250, 1000, 6000, 10000 Hz. NS:
non significatif.
traits joignent les positions réellement générées (cercles)
aux positions perçues et indiquées (trait plein 1 Gz, trait
pointillé 4 Gz). Une analyse de la variance en mesures
répétées (appariées), rectifiée par la correction de
Greenhouse Geiser dans les cas où cela s’avérait
nécessaire (si ddl > 1), n’a pas montré d’influence
du niveau de l’accélération sur la localisation des cibles
en azimut comme en élévation, ni d’interaction avec
l’accélération, ce qui écarte la recherche de comparaison
post-hoc. On retrouve un décalage de la ligne
d’horizon sans relation avec l’ « illusion d’élévation »
qui a été prise en compte pour la présentation des
données à 4 Gz. De plus à 4 Gz comme à 1 Gz, on retrouve
la même compression de l’espace sonore (en l’absence
de référence visuelle, les sons sont perçus plus proches
de la ligne d’horizon). Les données de la littérature sur
des sons réels ont déjà montré ce phénomène. En
conclusion, il ne semble pas exister de perturbation de
Figure 3. Photographie d’un sujet en centrifugeuse fixant le point d’où semble
provenir le son 3D perçu sous casque.
44 a. guillaume

Figure 4. Les cercles indiquent les positions réelles des sources sonores. Les
traits joignent les positions réellement générées (cercles) aux positions perçues
correspondantes (extrémité des traits). L’extrémité des traits correspond à
l’azimut et l’élévation moyens des réponses pour chacune des positions pour les
essais à 1 Gz (ligne continue) et à 4 Gz (ligne discontinue). L’analyse statistique
ne montre pas de différence significative entre les valeurs obtenues à 1 Gz et à
4 Gz.
localisation de cibles sonores lors de l’usage de sons
spatialisés sous accélération au moins jusqu’à 4 Gz.
C) SPATIALISATION DES SONS ET
CONDITIONS OPÉRATIONNELLES.
Il s'agissait d'appréhender, en simulation, les problèmes
d'usage liés aux technologies futures. À cette fin,
un ensemble d'équipements (ou suite d'interface
homme-système, IHS) développés par Thalès Avionics
comprenant : visuel de casque (VdC), son tri-dimensionnel
(S3D) et commande vocale (CV) a été évalué
dans des conditions de plus en plus réalistes. Les expérimentations
ont été conduites dans un premier temps
au laboratoire de recherche, puis sur des simulateurs
de plus en plus sophistiqués (en France et en Australie,
dans le cadre d'un accord franco-australien et sous l’égide
de Thalès).
La simulation conduite sur cabine Rafale était sous la
responsabilité du centre d'essais en vol (CEV) d'Istres. La
contribution du département de sciences cognitives de
l'IMASSA portait sur la méthodologie de prise en compte
des facteurs humains relatifs à la prise d'information, à la
performance humaine, à la charge de travail et à la
conscience de la situation (14). En parallèle, le partenaire
australien (Defence science & technology organisation
ou DSTO) avait mis au point une méthode d’analyse
quantitative pour caractériser les interactions hommemachine.
Le cadre scientifique de cette évaluation reposait
sur le modèle d'utilisation des ressources cognitives
développé par Wickens (15) dans lequel les capacités
humaines sont limitées et peuvent réduire l’usage combiné
de certaines modalités de contrôle d’une interface.
Les nouveaux systèmes, proposés dans cette suite IHS,
imposent de nouvelles exigences sur les canaux sensoriels
et sur les actions possibles. L’étude en simulation pilotée
opérationnelle avait pour but d’évaluer l’impact de ces
exigences nouvelles sur la gestion cognitive d’une mission.
La méthode reposait sur l’analyse du comportement de
spatialisation des sons et « perception augmentée »
pilotes français (n = 4) et australiens (n = 3) face à des
événements critiques programmés dans les missions et des
événements additionnels survenus dans les phases sous
forte charge de travail. Chaque événement critique
impliquait un ensemble ordonné d’interactions avec la
suite IHS (ou ensemble d’activités). L’IMASSA a participé,
en association avec le CEV, à l’élaboration
des scénarios des missions pour prendre en compte
les ressources cognitives engagées dans la gestion
de chaque événement.
Bien qu’aucune des technologies proposées ne soit, à
l’heure actuelle, disponible dans les cabines de pilotage,
un entraînement limité d’une journée a semblé suffisant
pour permettre leur emploi dans le cadre de missions de
combat simulées.
Bien que l’impact de la suite IHS sur les ressources
cognitives des pilotes ait été évalué sur les trois
technologies (VdC, CV, S3D), nous focalisons notre
intérêt sur les données obtenues pour le S3D. Les
ressources cognitives nécessaires à l’usage efficace du
S3D n’ont, dans la majorité des cas, pas été mobilisées
par les pilotes. Seul un pilote (sur les sept) a été
capable d’apprécier d’emblée le gain apporté par le S3D
et d’améliorer, à moindre coût cognitif, sa performance.
En ce qui concerne les stratégies d'apprentissage et
d'emploi du S3D selon les pilotes, la localisation par le
S3D semblait longue à maîtriser, en effet il y a peu
d’amélioration sur quatre missions. La disparité
d'utilisation du S3D est actuellement mal expliquée.
Plusieurs facteurs peuvent être en cause : des aspects
techniques ou physiologiques et cognitifs. Sur le plan
technique, l’adoption de la technologie S3D par les
auditeurs est très dépendante de la vitesse de réactualisation
des données lors des mouvements de tête et de la
durée du stimulus (16). Par ailleurs, d’un point de vue
physiologique et cognitif, il existe une grande variabilité
interindividuelle dans les performances de spatialisation
du son. Pour certains sujets, une période d’entraînement
est indispensable. Cette variabilité pourrait avoir des
conséquences en termes de sélection et d'entraînement, et
demande à être analysée et évaluée à divers niveaux :
physique, physiologique et cognitif.
IV. PERSPECTIVES.
Les études futures s’inscrivent dans la continuité
des études précédentes. Ainsi dans le cadre du projet
PERTIA inclus dans le Memorendum of Understanding
franco-australien, une série d’études doit être réalisée sur
les interférences entre la double protection des personnels
et la spatialisation des sons. Cette étude vise à répondre
aux besoins opérationnels des personnels dans les
hélicoptères. Une approche ergonomique est aussi
planifiée dans ce cadre afin de mieux évaluer l’incidence
sur la charge de travail des opérateurs de l’utilisation
du son 3D.
Par ailleurs, pour compléter l’approche de spatialisation
des sons, des études sur la perception de la distance sont
en cours. Elles ont pour but d’évaluer les possibilités
d’estimation de la distance uniquement à partir des
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indices absolus à savoir ceux de réverbération.
En effet, l’indice lié à l’intensité, prédominant pour
la perception de la distance, n’est pas exploitable
du fait des bruits ambiants de haut niveau dans le
milieu aéronautique.
V. CONCLUSION.
La spatialisation des sons permet de restituer un environnement
auditif tridimensionnel au travers d’un casque.
1. Moore B. An introduction to the psychology of hearing. London:
Academic press 4 th ed., 1997.
2. Savel S. Localisation auditive subaquatique : de l’identification des
mécanismes impliqués à la démonstration de la plasticité du
système auditif et à l’application sur les plongeurs. Paris :
Université Paris V ; 2001 : 262 p.
3. Mills AW. On the minimum audible angle. J Acoust Soc Am
1958 ; 30 : 237-46.
4. Searle CL, Braida LD, Cuddy DR, Davis MF. Binaural pinna
disparity : Another auditory localization cue. J Acoust Soc Am
1975 ; 57 : 448-55.
5. Blauert J, Brueggen M, Bronkhorst A, Drullman R, Reynaud G,
Pellieux L et al. The AUDIS catalog of human HRTFs. J Acoust
Soc Am 1998 ; 103 : 3082.
6. Wightman FL, Kistler DJ. Resolution of front-back ambiguity in
spatial hearing by listener and source movement. J Acoust Soc A
1999 ; 105 : 2841-53.
7. Harris JD, Sergeant RL. Monaural/binaural minimum audible
angles for a moving sound source. Journal Speech & Hearing
Research 1971 ; 14 : 618-29.
8. Coleman PD. Failure to localize the source distance of an
unfamiliar sound. J Acoust Soc Am 1962 ; 3 : 345-6.
9. Little AD, Mershon DH, Cox PH. Spectral content as a cue to
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Cette technologie devrait être utilisée dans les forces dans
les années à venir, ce qui implique d’évaluer les
contraintes et apports liés à cette modalité auditive. Pour
cela, différentes études sont réalisées. Elles visent à la fois
à garantir la validité de la perception auditive spatiale des
sujets dans des conditions réalistes et à permettre de
cerner les points de résistance afin d’améliorer l’interface
et afin d’appréhender les implications en terme de sélection,
de formation et d’apprentissage.
perceived auditory distance. Perception 1992 ; 21 : 405-16.
10. Ashmead DH, Davis D, Northington A. The contribution of
listener’s approaching motion to auditory distance perception. J
Ex. Psychol : Human Percept Perf 1995 ; 21 : 239-56.
11. Pellieux L, Schaeffer E, Hamy H, Leger A, Sarafian D, Roumes C.
Spatialisation sonore en ambiances réalistes, journées de l’Institut
franco-allemand Saint Louis, mars 2000.
12. Sandor PMB, Pellieux L, Godfroy M, Ossard G, Dancer
A. Hearing thresholds during Gz acceleration with masking noise.
Aviat Space Enviro Med 2004 ; 75 : 952-5.
13. Sandor PMB, McAnally KI, Pellieux L, Martin RL. Localization of
virtual sound at 4 Gz. Aviat Space Environ Med 2005; 76: 103-7.
14. Hourlier S, Vince J, Ardouin JC, Roumes C. Human factor
evaluation of alternate command systems for combat aircraft.
Brétigny s/Orge (France) : Institut de médecine aérospatiale du
Service de santé des armées ; 2005. Rapport de recherche n° 05-02.
15. Wickens CD, Engineering psychology and human performance
2nd ed. New York : Harper Collins ; 1992.
16. Brungart DS, Simpson B, McKinley RL, Kordik AJ, Dallman RC,
Ovenshire DA. The interaction between head-tracker latency,
source duration, and response time in the localization of virtual
sound sources. Proceedings of the 10 th International Conference
on Auditory Display. Australia : June 2004.
46 a. guillaume

Spécial recherche
Axe 4 : Ergonomie, psychologie
INTÉGRATION VISUELLE, RECONNAISSANCE D’OBJETS ET
FRÉQUENCES SPATIALES.
RÉSUMÉ
L’introduction de nouvelles technologies de présentation
de l’information dans les cabines de pilotage pose le
problème de l’interprétation des données par le
personnel navigant. La sécurité des vols dépend des
processus perceptifs mis en jeu pour l’élaboration d’une
représentation du monde adéquate. Les systèmes
embarqués comprennent des systèmes optiques de plus
en plus complexes, présentant des images de capteurs de
nature parfois très différente des images visuelles
naturelles. Les mécanismes perceptifs impliqués dans ces
processus d’intégration visuelle restent méconnus. Un
projet de recherche a été développé dans le département
de sciences cognitives de l’Institut de médecine
aérospatiale du Service de santé des armées pour
compléter ce domaine théorique et proposer une
sollicitation perceptive adaptée pour les interfaces
homme système des nouveaux aéronefs.
Mots-clés : Intégration visuelle. Interfaces hommesystème.
Perception visuelle. Psychophysique. Sécurité
des vols.
I. INTRODUCTION.
La nature de la mission du personnel navigant a évolué
vers une conduite de système minimisant la part dévolue
au contrôle en vol de l’appareil. Ce changement s’est
accompagné d’une sollicitation toujours plus grande
de la perception visuelle afin de confronter toutes
les informations utiles à la conduite de la mission. La
multiplication des capteurs (intensification de lumière,
infrarouge, hyperspectral, radar millimétrique, etc.)
permet de couvrir un large éventail de bandes de
fréquences, présentées sous formes d’images dans les
S.BUFFAT, médecin principal, praticien confirmé du SSA. C. ROUMES, médecin
en chef, professeur agrégé de physiologie et ergonomie appliquées aux armées.
Correspondance : S. BUFFAT, Institut de médicine aérospatiale du Service de
santé des armées, BP 73, 91223 Brétigny sur Orge.
ABSTRACT
VISUAL INTEGRATION, OBJECT RECOGNITION
AND SPATIAL FREQUENCIES.
Modern information technology in cockpits introduces a
new perceptual challenge for the crew. Flight safety relies
on perceptive processes leading to correct situation
awareness. On-board systems have more complex
optronic, which presents several sensor pictures. These
can be very different from natural images. Perceptual
processing implied is still misunderstood. A research
project has been done in the cognitive science department
of the Institut de Médecine Aérospatiale du Service de
santé des armées. It aims to bridge the gap in theoretical
knowledge and to propose solutions for future
implementations.
Keywords : Flight safety. Human machine interface.
Psychophysics. Visual integration. Visual perception.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 47-50)
S. BUFFAT, C. ROUMES
cabines de pilotage. Cela aboutit à la juxtaposition
de plusieurs scènes visuelles, représentant une même
situation extérieure, mais au travers d’images très
différentes, non seulement entre elles mais également des
scènes naturelles. Ces dernières ont été à la base de
l’évolution de la perception visuelle humaine de l’espèce,
et aussi de la construction des stratégies perceptives
de l’individu au cours de son développement propre.
La tâche de l’opérateur s’avère ainsi difficile.
Cette problématique a fait l’objet d’un projet de recherche
à l’Institut de médecine aérospatiale du Service de santé
des armées (IMASSA), à la fois pour compléter les
domaines théoriques, et pour proposer une sollicitation
perceptive adaptée et plus sûre pour les interfaces homme
système des nouveaux aéronefs. Ce projet procède
d’une démarche d’enrichissement mutuel entre les
investigations de laboratoire et une analyse de terrain.
médecine et armées, 2006, 34, 1 47
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II. INTÉGRATION VISUELLE.
Afin de résoudre la problématique de la mise en
correspondance de scènes visuelles, il est important de
comprendre quelles sont les informations pertinentes
pour chacune d’elles. Cette compréhension passe par la
perception des objets qui composent ces scènes.
A) MISE AU POINT THÉORIQUE.
Le système visuel permet de reconnaître les objets
dans différentes conditions (éclairage, distance, points
de vue). On appelle cette capacité la constance de l’objet.
Elle est essentielle pour la compréhension de l’environnement,
et par-là même pour interagir avec ces objets.
Les processus perceptifs visuels mis en jeu sont:
– ascendants: de la rétine aux centres visuels supérieurs;
– descendants: des aires corticales vers la périphérie.
Au plan ascendant, un premier traitement de compression
des images est réalisé, pour préparer les processus
suivants et diminuer la quantité d’information à transporter.
Il s’agit d’un codage des contrastes sur des
étendues variables (1). On mesure les plages de contraste
en cycles par degré d’angle visuel (cpd) (fig. 1).
Ce contraste fait référence à la différence de luminance
entre deux régions voisines de l’espace. Il s’agit du
contraste spatial dont la définition la plus souvent retenue
est celle de Michelson:
C =
Lmax - Lmin
Lmax + Lmin
Lmax correspond à la luminance maximale
Lmin correspond à la luminance minimale
Un ensemble important de résultats expérimentaux, tant
en psychophysique qu’en électrophysiologie, place cette
décomposition du signal lumineux en fréquences
spatiales au début des processus de bas niveau dans le
système visuel (2). On distingue habituellement plusieurs
canaux fréquentiels qui agissent comme autant de filtres.
Ces dimensions de contraste, appelées fréquences
spatiales, sont liées à la résolution des détails de l’image.
Ces informations à différents niveaux de détails doivent
être recombinées en primitives visuelles, comme des
barres ou des coins, puis en unités plus structurées
(« briques ») et enfin en parties d’objets. Ces parties (3),
correspondant à des portions de l’objet semi-autonomes,
qui entretiennent des relations spatiales particulières
entre elles appelées configurations. On dispose alors,
grâce à ce processus ascendant (de la rétine au cerveau)
d’une représentation de l’objet que l’on peut comparer
aux informations stockées en mémoire. Ces traitements
ne sont cependant pas aussi séquentiels, et certains
éléments de stratégie cognitive peuvent modifier la
qualité ou la quantité d’information utile pour aller de
l’image à la représentation de l’objet, de façon descendante
(du cerveau vers les traitements périphériques). Ces
éléments peuvent être un indice caractéristique ou encore
une information de contexte.
Trois types de théories coexistent pour expliquer les
étapes comprises entre les briques et les représentations
des objets:
– une théorie propose pour les « briques » des éléments
tridimensionnels de nature variable selon les auteurs
(polyèdres, sphères, cylindres, troncs de cônes ou super
quadratiques) (fig. 2) (4), auxquels sont associées des
informations concernant leur configuration relative (au
dessus de, en dessous de, etc.); ces briques sont définies
autour d’axes d’élongation (5);
– une autre propose plutôt une collection de représentations
bidimensionnelles avec une information
d’orientation (face, profil, etc.) (6);
– une théorie composite, enfin, propose l’une ou l’autre
des deux précédentes en fonction de l’information
disponible dans l’image et des tâches que le système
visuel doit résoudre (7).
Il apparaît donc pertinent d’établir le lien entre l’information
spatiale présente dans l’image, la décomposition en
partie des objets et le point de vue. En effet, les fréquences
spatiales basses donnent des informations sur l’organisation
globale de la scène visuelle, tandis que les fréquences
spatiales hautes permettent de percevoir les détails. Les
parties devraient plutôt être associées aux fréquences
spatiales moyennes de l’image.
B) HYPOTHÈSE.
L’expérience rapportée ici se situe au carrefour entre le
contenu physique du stimulus en terme de fréquences
spatiales, et son intégration en tant qu’objet. Elle vise à
Figure 1: Fréquence spatiale. Figure 2: Décomposition structurale d’après Biederman (4)
48 s. buffat

mettre en évidence des relations entre les éléments informatifs
dans l’espace des fréquences spatiales et les points
de vue sous-tendus par l’image d’un objet par une tâche
de discrimination entre des objets. L’utilisation d’un
masquage progressif par un bruit blanc visuel vise à
révéler les performances relatives des contenus fréquentiels
en terme de seuil de discrimination.
Plusieurs hypothèses peuvent être formulées:
– quelle est l’échelle spatiale qui a le plus d’impact sur la
tâche? En particulier, les hautes fréquences spatiales, qui
permettent de définir les contours des objets et les détails
internes sont-elles primordiales?
– la perception des objets est-elle dépendante du point de
vue?
– si ce n’est pas le cas, quelle transformation mentale
permet de ramener la représentation construite à un
format comparable à la représentation gardée en
mémoire?
– quel est le lien entre l’échelle spatiale et les points de vue
qui sous-tendent les images des objets?
C) MÉTHODE.
Huit sujets, âgés de 26 à 40 ans, avec une acuité visuelle de
10/10 et une fonction de sensibilité au contraste normale,
ont participé à cette expérience. Ils devaient répondre
« objet identique » ou « objet différent », à l’aide d’une
manette, après avoir vu deux images cibles présentées en
même temps pendant 500 millisecondes. Les images
cibles servant de stimulus ont été construites à partir
d’images naturelles d’objets et d’un bruit blanc couvrant
toutes les fréquences spatiales. Chaque image faisait 7,2°
d’angle visuel (512x512 pixels). Les points de vue correspondaient
à la face (codée 00), au trois quarts (codé 45) et
au profil (codé 90). Toutes ces rotations étaient effectuées
dans le sens horaire. Tous les objets étaient présentés sur le
même fond. Celui-ci ne donnait aucune information de
nature métrique ou sémantique susceptible d’influencer
les observateurs. Les luminances moyennes des images
tests étaient égalisées. Quatre conditions de contenu en
fréquences spatiales étaient étudiées:
– image non filtrée (NF);
– basses fréquences spatiales (Bfs);
– moyennes fréquences spatiales (Mfs);
– hautes fréquences spatiales (Hfs).
Le pourcentage de bruit dans l’image variait en fonction
des réponses des sujets (fig.3), selon une technique adaptative.
La variable dépendante était le seuil de discrimination.
D) RÉSULTATS.
La meilleure discrimination des objets est obtenue avec
les images non filtrées. Lorsque les images sont filtrées,
la meilleure discrimination est donnée par les stimulations
contenant des fréquences spatiales moyennes (test
de Fisher, p < 0,001 en comparant les seuils des moyennes
fréquences spatiales avec celui des hautes et des basses;
p = NS en comparant les seuils des hautes et des basses
fréquences spatiales) (fig. 4).
Les meilleures discriminations ont été obtenues avec
les stimulus composés des niveaux de détails moyens.
intégration visuelle, reconnaissance d’objets et fréquences spatiales
Figure 3. Composition des images expérimentales.
Les paires d’images d’orientations différentes conduisent
à des différences significatives dans les moyennes
des seuils de discrimination (ANOVA, effet paire
d’orientation, F5,1435 = 4,012, p = 0,0013). Certaines
paires d’orientations ont des moyennes de seuils de
discrimination associés significativement différentes
(test de Fisher, p < 0,005). De plus, les observateurs
présentent des moyennes de seuils de discrimination
inférieurs pour les paires d’objets présentés sous la même
orientation (par exemple deux objets de face) par rapport
à des paires d’orientations hétérogènes (fig. 5).
E) DISCUSSION.
La performance du système visuel dans une tâche
de discrimination n’est pas altérée de façon harmonieuse
en cas de filtrage fréquentiel. Parmi ces images filtrées,
les observateurs obtiennent les seuils les plus bas pour
les images contenant des moyennes fréquences spatiales,
correspondant à la bande de 4 à 8 cpd. Les images
ne contenant que les basses fréquences pourraient
être moins informatives, car ces informations sont plus
réparties sur l’ensemble de la scène et n’apportent ainsi
que peu d’information spécifique pour la discrimination
entre les objets. Les images contenant les hautes
fréquences spatiales permettent essentiellement de
percevoir les informations de contour des objets. Les
détails internes des objets accessibles grâce à ces
informations pourraient présenter une variabilité plus
grande lors des changements de points de vue. Les
Figure 4 . Graphe des moyennes des seuils de discrimination en fonction du
contenu en fréquences spatiales des images.
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Figure 5 . Graphe des moyennes des seuils de discrimination en fonction
du contenu en fréquences spatiales des images et des paires d’orientations
des objets.
niveaux de détail moyens obtenus à partir des contenus en
fréquences spatiales moyennes pourraient permettre
l’émergence des structures de description des objets,
peut-être à partir des axes d’élongation. Elles peuvent
également apporter suffisamment d’information
sur les relations configurales entre ces structures de
descriptions ou entre les parties d’objet à un niveau
plus élaboré de représentation.
Pour des objets vus sous le même angle, le traitement
visuel semble favorisé. Un effet de similarité
entre les images est un bon candidat pour rendre
compte de ce résultat, la tâche de discrimination ne
nécessitant qu’un accès catégoriel, et pas forcément
une identification complète. Il n’y a pas invariance
selon le point de vue comme on pourrait s’attendre
en cas d’accès à un niveau de représentation tridimensionnel.
L’ensemble des résultats concernant les points de
vues sous-tendant la présentation des objets s’avère
compatible avec l’existence de représentations orientées
stockées en mémoire (8).
III. CONSÉQUENCES POUR LES INTERFACES
AÉRONAUTIQUES DES CABINES DE PILOTAGE.
Les systèmes de visualisation en cours de réalisation
industrielle pour les avions de combat de dernière
génération (rafale F3, F35) comprennent des casques
1. Giraudet G, Roumes C. Diagnostic spatial frequency for object
recognition in natural images. Perception 2000 ; 29 : 82-3.
2. Archambault A, Schyns PG, Gosselin F. A Natural Bias for the
Basic Level. Journal of Vision 2002 ; 2 : 407.
3. Gosselin F, Archambault A, Schyns PG. Interactions
between taxonomic knowledge, categorization, and
perception. In : Similarity and categorization. Hahn U
and Ramscar M editors : New York : Oxford University Press ;
2001 : 225-55.
4. Biederman I, Gerhardstein PC. Recognizing Depth-rotated
objects : Evidence and conditions for three dimensional viewpoint
invariance. Journal of Experimental psychology : Human
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
avec dispositifs intégrés de présentations visuelles.
Celles-ci comprendraient les paramètres de vols, des
indications tactiques (visée, enveloppes de menaces) et
des images de capteurs. Cet ensemble de visualisation
correspond à un système de vision augmentée. Trois axes
de recommandations apparaissent à partir des deux
études de perception humaine présentées ici:
– au plan de l’ergonomie de conception, si les programmes
ne sont pas encore figés, les données sur les
mécanismes de compréhension d’une fusion cognitive
des images en une représentation de la réalité permettent
d’élaborer des algorithmes guidés par les capacités
effectives des opérateurs;
– pour les matériels déjà en service, les données issues
de ces expérimentations apportent des informations sur
les processus perceptifs mis en jeu par le personnel
navigant, et les retours d’expérience permettent
d’enrichir un modèle de fonctionnement proche
des opérationnels;
– une meilleure compréhension de ces mécanismes
permet aussi d’envisager un accompagnement à
la réalisation de la tâche, soit en terme de normes
d’aptitudes, soit par l’élaboration de formations
spécifiques.
IV. CONCLUSION.
Les systèmes d’affichage des données présentent
séparément les images des capteurs. Il revient aux pilotes
d’effectuer une fusion cognitive pour aboutir à
une représentation mentale cohérente de la situation.
Les travaux présentés dans cet article permettent de
discerner l’importance de certains éléments de l’image.
Ce projet de recherche doit être poursuivi à l’aide
d’images de capteurs pour pouvoir proposer des
recommandations visant à minimiser les erreurs
d’interprétation. Les résultats exposés ici sont des
exemples de l’apport possible de la recherche du Service
de santé des armées à des problématiques spécifiques
des activités des forces.
perception and performance 1993 ; 19 : 1162-82.
5. Mitsumatsu H, Yokosawa K. How the internal details of the object
contribute to recognition ? Perception 2002 ; 31 : 1289-98.
6. Ullman S. Aligning pictorial descriptions : An approach to object
recognition. Cognition 1989 ; 32 : 193-254.
7. Jolicoeur P. Identification of disoriented objects : A dual-system
theory. Mind and language 1990 ; 5 : 387-410.
8. Tarr MJ, Bülthoff H. Is Human Object Recognition Better
Described by Geon Structural Descriptions or by Multiple Views ?
Comment on Biederman and Gerharstein (1993). Journal of
Experimental Psychology : Human Perception and Performance
1995 ; 21 : 1494-505.
50 s. buffat

Spécial recherche
Axe 4 : Ergonomie, psychologie
SOUTIEN MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE DES PERSONNELS
EN OPÉRATIONS
RÉSUMÉ
Depuis quinze ans, les forces françaises sont de plus en
plus engagées dans des opérations extérieures
multinationales. Dans le même temps, l’armée a dû faire
face à des changements culturels et d’organisation sur
fond de société en rupture avec ses valeurs
traditionnelles. La conjonction de ces faits concourt à une
vulnérabilité psychologique des personnels militaires des
forces. Dans ce contexte, le chef d’état-major des armées
a exprimé dans une directive de 1997 les besoins d’une
amélioration du soutien psychologique des forces en
opération. Les résultats des enquêtes psychosociales
menées sur les facteurs de stress des casques bleus, sur la
gestion du stress en Gendarmerie, sur les répercussions
des OPEX sur les familles de militaires et sur le soutien
des personnels militaires féminins, montrent tout
l’intérêt de poursuivre ces travaux, mais aussi, d’élargir
le champ des recherches aux aspects multiples de la
problématique du stress opérationnel et du soutien
psychologique, qu’elles soient cliniques, fondamentales
ou appliquées.
Mots-clés : Familles de militaire. Opérations extérieures.
Personnels militaires. Psychosociologie. Soutien médicopsychologique.
Stress opérationnel.
I. INTRODUCTION.
Dans un paragraphe évoquant les caractéristiques
probables des futures opérations militaires, Juillet et
Moutin (1) rapportent les réflexions de K. Schmid en
1960 sur l’attitude psychique du soldat dans une guerre
future: «… L’homme risquera de ne plus se battre pour sa
propre nation mais pour une coalition… Les conceptions
réalistes et prosaïques qui caractérisent l’occidental
moderne rendent bien moins évident l’acceptation du
D. ESQUIVIÉ, médecin en chef, spécialiste de recherche. P. ARVERS, médecin en
chef, spécialiste de recherche. D. LEIFFLEN, médecin en chef, spécialiste de
recherche.
Correspondance: D. ESQUIVIÉ, CRSSA,Pôle de psychosociologie des contraintes
opérationnelles, BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
D. ESQUIVIÉ, P. ARVERS, D. LEIFFLEN
ABSTRACT
MEDICO-PSYCHOLOGICAL SUPPORT OF THE
MILITARY-PERSONNEL IN OPERATIONS.
French Armed forces have been more and more involved
in multinational deployments for the last fifteen years.
Meantime, while French society was in disagreement
with its traditional values, armies had to cope with
cultural and organisational changes. The connection of
all these facts works towards psychological vulnerability
of military people in the forces. Within this context, the
Armed forces staff chief underlined in 1997 the needs for
enhancing psychological support among deployed forces
in a guideline. First results of psychosocial surveys about
UNO peacekeepers force soldiers stress factors, stress
management in French gendarmerie, familial impacts of
deployments, and female military deployed support have
pointed the importance to carry on these studies and also
to extend the field of research to clinical, basic and
applied aspects about deployment stress and
psychological support problematic.
Keywords : Combat stress. Deployments. External
theatres of operations. Families. Medico-psychological
support. Psychosociology. Soldiers.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 51-56)
sacrifice de la vie… Ce sera le moral, concrétisé par la
résistance psychique de chacun, qui deviendra le facteur
essentiel dans l’issu d’un conflit… ». En trois phrases
prémonitoires, le décor des nouvelles missions a
été dressé il y a 45 ans: montée en puissance des missions
onusiennes avec tout le manque de clarté qui les
caractérise, intolérance de la société vis-à-vis du sacrifice
de ses enfants pour la guerre avec le concept «zéro mort»,
et accroissement de l’impact de la vulnérabilité
psychologique du combattant.
En effet, les opérations extérieures (OPEX) confrontent
les forces armées à de nouvelles dimensions de la guerre.
Elles imposent aux combattants des contraintes qui génèrent
des stress majeurs, nécessitant la mise en œuvre de
processus adaptatifs physiologiques et psychologiques
médecine et armées, 2006, 34, 1 51
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coûteux. Ces situations fragilisantes surajoutées aux
contraintes professionnelles et sociales concourent à la
vulnérabilité psychologique des personnels militaires.
Au regard de la multiplication des opérations extérieures
et du sentiment exprimé par les militaires et leur famille,
la nécessité de mieux prendre en compte la notion de
« facteur humain » et la conviction que les armées ont
besoin d’un soutien psychologique ont émergé. Cette
reconnaissance s’est traduite en 1997 par une directive
de l’état-major des armées (EMA) sur le soutien
psychologique d’une force en OPEX (2).
Depuis quelques années, l’unité de psychologie du
Centre de recherches du Service de santé des
armées (CRSSA) participe à la réflexion sur l’impact
psychologique des opérations sur le militaire et sa
famille. En juin 94 et mars 1995, le CRSSA a été le lieu
de deux réunions de travail sur le stress de guerre
réunissant opérationnels, médecins d’unités, psychiatres
et chercheurs. C’est au cours de ces réunions que le
concept du soutien médical et en particulier psychologique
avant, pendant et après une mission extérieure a
été formalisé. À la même époque, un premier travail
de recherche sur le stress engendré par les opérations
extérieures a été conduit auprès des unités françaises
en missions extérieures sous mandat de l’ONU.
Plus récemment, les travaux se sont cristallisés avec
l’élaboration d’un premier contrat d’objectif sur le
soutien psychologique des personnels et de leur famille
comportant six opérations de recherche clinique,
psychosociale et bibliographique.
II. NOUVEAUX FACTEURS PSYCHOGÈNES DU
MILITAIRE
Depuis quinze ans, le métier militaire a subi de profonds
changements rendus nécessaires par les bouleversements
des enjeux politiques et économiques de notre monde.
Parmi ces mutations, la multiplication des engagements,
la nature et les contraintes des nouvelles missions, les
conditions de vie et de travail, sont autant de facteurs de
fragilisation psychologique du militaire.
Le nouvel environnement mondial qui s’est établi
depuis la chute du mur de Berlin en 1989 suivie de la
guerre du Golfe, présente des caractères très différents
de ce qui fut la guerre froide des 40 années précédentes.
À la menace d’affrontement Est-Ouest a succédé
une période d’instabilité et de conflits régionaux à travers
le monde. C’est ainsi que les forces armées françaises
ont été et continuent d’être engagées dans de nombreuses
opérations extérieures, le plus souvent sous l’égide de
l’ONU, opérations au caractère imprévisible, multiforme
et atypique. Qu’il s’agisse d’actions humanitaires,
d’interposition ou de paix, ces nouvelles missions
imposent aux militaires un engagement et des
contraintes particulières et parfois ambiguës. À ce titre,
Lebigot (3) définit cinq facteurs caractérisant les
missions onusiennes susceptibles d’affecter l’équilibre
psychologique des personnels militaires:
– la limitation draconienne de l’emploi de l’arme
qui introduit pour le casque bleu un sentiment de
vulnérabilité et d’impuissance;
– le commandement multinational qui dilue le pouvoir
de décision faisant perdre aux chefs la capacité à protéger
et à exiger;
– la position officielle de neutralité difficile à maintenir
face à des belligérants qui ne sont ni amis ni ennemis;
– la passivité forcée face au danger et aux humiliations
que subissent les casques bleus, insultes, prises d’otages,
témoins d’exactions sans pouvoir intervenir;
– la mort qui est présente en permanence : que ce soit
la mort d’un camarade, la vision de massacres ou le
risque vital pour le militaire.
À ces facteurs, s’ajoutent les contraintes psychogènes
propres aux situations opérationnelles. Raphel et Bittel
(4) ont conduit une enquête entre mars 93 et l’année 94
auprès des unités en missions extérieures sous mandat de
l’ONU (8 au Cambodge, 19 en Somalie et 20 en Ex-
Yougoslavie). L’objectif fut d’identifier les facteurs
susceptibles de générer un état de stress, à savoir les
contraintes qui menacent de dépasser les capacités et les
ressources de l’individu qui doit y faire face. Plus que la
nature à risques de la mission (niveau d’implication
dans le conflit, risque de blessures et de mort, etc.), ce
sont principalement les conditions de vie (hygiène,
alimentation, environnement climatique, etc.), de travail
(horaires, charge de travail, cohésion du groupe, etc.) et
de soutien (médical et hiérarchique, relations avec les
populations locales, relations familiales, etc.) qui ont
déterminé le niveau de stress des unités. Les auteurs
relèvent en particulier deux éléments susceptibles
d’aggraver les facteurs de stress. Le premier est
l’ambiance de « guerre psychologique » dans laquelle
certaines unités se sont senties la cible, évoquant
l’hostilité et les humiliations de la part des populations
autochtones. Le deuxième intéresse les problèmes
de subordination multiple et d’insuffisance de
justification des missions.
Outre les facteurs de stress liés aux particularités
du métier en OPEX, les conditions de travail ont une
incidence prépondérante sur le stress professionnel
comme en témoigne une étude effectuée en 2002 sur la
gestion du stress en gendarmerie (5). Les gendarmes des
brigades périurbaines qui vivent des situations à fort
potentiel de stress et des contraintes professionnelles
importantes, présentent des similitudes avec ce qui est
vécu dans certaines OPEX. Les personnels de ces
brigades sont immergés dans des environnements
hostiles. Ils patrouillent ou interviennent dans des zones
de non-droit, sont confrontés à la mort, subissent des
situations d’humiliation et font face à des responsabilités
nouvelles. Les résultats de l’étude montrent que la nature
à risques et le caractère dramatique de certaines missions
sont relativement bien tolérés parce qu’ils sont partie
intégrante d’un métier à fort potentiel de motivation.
En revanche, les conditions de travail au quotidien
comme le manque d’effectif et la surcharge de travail,
la disponibilité exigée, la pression hiérarchique
52 d. esquivié

et l’atteinte de la vie familiale affectent beaucoup
plus les personnels.
Dans ce contexte des nouvelles missions, l’armée
française a dû également faire face à une succession de
mutations profondes qui ont affecté directement son
organisation et son mode de fonctionnement. En particulier,
elle a dû gérer la disparition de la conscription, la
montée en puissance de la professionnalisation et
l’accroissement de la féminisation des armées. Tous ces
changements intervenus en l’espace de quelques années
sont autant de ruptures avec les références du passé pour
le militaire et la Nation. Selon Briole (6), l’armée n’est
plus articulée avec la même intimité au tissu social de la
Nation. Elle devient moderne, plus efficace pour les
nouvelles missions, mais plus parcellisée, donc plus
fragile dans son existence de groupe constitué. Enfin,
la nouvelle population d’individus qui forment
cette armée moderne est le reflet de la société civile
caractérisée par la perte des valeurs traditionnelles, la
montée en puissance de l’individualisme, la déstructuration
familiale, les difficultés économiques ou
encore les tensions raciales ou religieuses.
III. VULNÉRABILITÉ PSYCHOLOGIQUE DU
COMBATTANT.
L’ensemble des facteurs qui viennent d’être
évoqués concourt à la vulnérabilité psychologique
des personnels militaires des forces. Plus que les
réactions psycho-pathologiques immédiates ou
retardées également décrites en opération ou au
décours, ce sont les dysfonctionnements psychologiques
et sociaux à la limite de l’expression
pathologique qui caractérisent la fragilisation
psychologique des militaires en opérations.
A) EXPRESSIONS PSYCHO-PATHOLOGIQUES.
En matière de troubles psychiques, le recoupement des
données, principalement américaines, canadiennes,
norvégiennes, australiennes et françaises, permet
d’évaluer la prévalence des états de stress post-traumatique
(ESPT), entre 9 % et 12 %, avec d’importantes
variations de 3 % à 60 % en fonction des conflits, des
unités concernées et des pays (7). Concernant la guerre
du Golfe, Jolly (8), se basant sur deux études réalisées
entre six mois et un an après la fin des hostilités,
rapporte une prévalence des ESPT entre 8 % et 9 % chez
les militaires américains. Au Rwanda, Raingeard (9)
révèle que 60 % des militaires sollicités pendant les
travaux d’enfouissement à Goma ont présenté des
difficultés psychologiques à la fin de leur séjour ou dès
leur retour. L’ensemble de ces chiffres est comparable aux
résultats des études effectuées sur les conflits antérieurs.
Selon Favre, Montleau et Moraud (7), la prévalence des
états de stress post-traumatiques liés au combat chez les
vétérans du Vietnam a été chiffrée à 15,2%, allant jusqu’à
30 % chez les blessés. Les auteurs citent la guerre
israélo-arabe de 1973 avec 30 % de pertes psychiques
soutien médico-psychologique des personnels en opérations
chez les combattants israéliens ou encore les 35 %
de vétérans russes d’Afghanistan souffrant de
troubles psychopathologiques.
B) EXPRESSIONS PSYCHOSOCIALES.
Globalement, les problèmes psychosociaux se situent
à deux niveaux : celui des opérations et celui de la vie
professionnelle, sociale et familiale. Ces deux niveaux
sont en interaction dans la mesure où les opérations ne
sont pas sans conséquences sur la sphère professionnelle,
sociale et familiale et inversement, la vie familiale et
professionnelle agit sur l’équilibre psychosociologique
du militaire en OPEX.
En opérations, les expressions psychosociales sont à la
fois individuelles et collectives. Au niveau du groupe,
cela s’exprime à travers la désignation de boucémissaires,
les rumeurs, les phénomènes de bandes et la
recrudescence d’actes de violence. Sur le plan individuel,
les difficultés d’ordre affectif ou professionnel, loin de
s’estomper avec le départ en mission, représentent des
facteurs aggravants et déstabilisants. Les problèmes
laissés en France ressurgissent, s’amplifient et déstabilisent
les individus: manquements à la discipline, accidents
dans le maniement des armes, actes auto-agressifs (10).
Pour juguler la tension ou gérer l’ennui en opération,
l’accroissement de la consommation d’alcool et de tabac
est un fait connu et récurrent. En 1959, Collomb et Robert
(11) écrivent que l’éthylisme représente 4 % du total
des hospitalisations psychiatriques de la campagne
d’Indochine. Plus récemment, une enquête sur les
conduites addictives réalisée entre 1999 et 2002 par
Mancini et al. (12) auprès de 1 025 engagés volontaires
des armées de Terre, de l’Air et des services communs
stationnés hors métropole, montre que les séjours
hors-métropole génèrent une augmentation des consommations
(43,9 % pour le tabac, 21,8 % pour l’alcool
et 1,3 % pour les drogues illicites). Comme le soulignent
les auteurs, de multiples facteurs peuvent être à l’origine
de ces augmentations : vie en collectivité, ennui,
éloignement familial, stress, mais aussi prix très attractifs
par rapport à la métropole et au pouvoir d’achat des
militaires en missions extérieures. Le problème
émergent est celui de la consommation de cannabis et
autres drogues illicites, dans une société où un jeune
adulte sur deux en a fait l’expérience entre 12 et 18 ans et
que 20 % en consomme régulièrement à 18 ans (13).
L’importance de ce phénomène sociétal est telle qu’elle
se transpose aussi en OPEX, tout particulièrement
chez les jeunes engagés.
Un autre aspect est celui des effets des missions
opérationnelles sur la sphère professionnelle, sociale et
familiale. Personne ne peut sans conséquence, travailler
de manière soutenue et répétitive, pendant de longues
périodes et dans des circonstances inhabituelles: loin de
la maison et de la famille, privé du minimum d’intimité et
de confort, exposé directement ou indirectement à des
situations de danger. Selon De Soir (14): « un militaire de
retour d’une mission de longue durée est perçu aussi bien
par sa famille que par ses chefs et collègues comme
53
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I
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R

changé ». L’auteur présente des études récentes qui
indiquent que 20 % des militaires de retour de mission
éprouvent des troubles liés à la «digestion émotionnelle »
du vécu en mission. Ces études montrent également que la
période de réadaptation dure de 4 à 6 semaines après une
mission de faible intensité, mais de 6 à 9 mois pour une
mission de forte intensité. Actuellement, il faut moins de
temps à un soldat français pour repartir sur un théâtre
d’opération extérieure. Une étude du centre de recherches
médicales de l’armée américaine en Europe sur les effets
des OPEX sur les soldats et leurs familles (15) prévoit que
les soldats actuellement engagés peuvent s’attendre à une
quinzaine de déploiements après 21 ans de service (quatre
fois plus que leurs aînés). Selon les auteurs, la cadence
d’enchaînement des opérations extérieures et la nature
nouvelle de la plupart des missions laissent craindre
l’émergence d’un risque d’usure professionnelle chez les
personnels militaires. Les conséquences sont, entre
autres, des phénomènes de désinvestissement
professionnel, de démotivation, d’absentéisme, de
démission, de désocialisation ou plus grave l’installation
d’un syndrome d’épuisement professionnel mettant en
jeu la santé physique et mentale du militaire ainsi que
l’équilibre de son environnement social et familial.
Au plan familial, un départ en OPEX entraîne une
déstabilisation que la famille a à gérer du mieux possible:
absence du père ou de la mère, amplification des soucis
quotidiens, inquiétude face aux événements, difficultés
de communiquer, chocs des images télévisuelles,
incompréhension de l’entourage, perturbation des
enfants, etc. Afin d’évaluer le coût psychologique
et social des OPEX sur les enfants et le conjoint du
militaire, Arvers (16) a mené une enquête auprès
de 270 familles de militaires de la 27 e Brigade d’infanterie
de montagne, investiguant différents aspects
d’ordre biographique, psychosocial et médical. Les
résultats montrent que 20 % des conjoints de militaires
en mission présentent un syndrome dépressif, même
léger, 16 % se plaignent de fatigue physique et 8 % de
fatigue morale ou nerveuse. Lorsque le départ a été
soit « pas très bien » soit « mal vécu », le risque d’état
dépressif est multiplié par douze pour un premier départ
et par quatre pour les suivants. Des modifications du
comportement sont observés chez 40 % des enfants.
IV. PRISE EN COMPTE DU SOUTIEN MÉDICO-
PSYCHOLOGIQUE.
Dans sa directive, le chef d’état-major des armées
exprime un certain nombre de besoins en matière de
soutien psychologique des forces en opération, que l’on
peut résumer en quelques mots clés : organisation et
coordination du soutien psychologique, formation et
information, sélection des personnels, soutien social,
hygiène mentale individuelle et collective, actions
psychologiques, équilibre du système. Selon cette
directive, le soutien psychologique relève de la compétence
et de la responsabilité de différents acteurs que
sont, entre autres, le commandement, les cadres de
contact, les officiers environnement humain (OEH) de
l’armée de Terre en fonction dans les Balkans depuis
2002, les psychologues, les médecins, les psychiatres, les
assistantes sociales ou encore les officiers du culte dont
les attributions sont présentées dans le tableau I. Sachant
qu’il s’agit souvent d’une responsabilité partagée, il
convient de distinguer les deux axes dans lesquels
s’inscrivent les acteurs du soutien psychologique. D’une
part, les capacités opérationnelles des personnels pour
lesquelles on parlera plus volontiers de « management
opérationnel » ou encore de « préparation mentale » dont
le leadership revient au commandement et aux cadres de
contact. D’autre part, le soutien psychosocial et médical
des personnels en situation de stress dont le leadership
revient au service de santé et aux acteurs sociaux.
En matière de management, Raphel et Bittel en 1995 (4)
proposent quatre règles pour guider la préparation et
la conduite des missions extérieures. Premièrement,
justifier la mission afin de lever toute ambiguïté entre le
métier de soldat pour lequel les militaires sont formés
et la mission particulière qui leur est demandée. Deuxièmement,
avant le départ, adapter la durée des stages de
cohésion au degré d’homogénéité des unités constituées
et se préoccuper de l’interférence du commandement
militaire onusien dont les objectifs ne concordent pas
forcement avec les exigences opérationnelles des unités.
Troisièmement, prendre conscience du stress par tous
les niveaux hiérarchiques, que ce soit en matière de
prévention comme en matière de protection des
personnels. Quatrièmement, adapter la durée des séjours
en opération extérieure à la nature et à l’intensité des
stress que ces situations font subir aux individus.
À la lumière de l’étude sur la Gendarmerie (5), il s’agit
de prendre des mesures sur l'organisation du travail
avec renforcement des moyens en particulier humains,
recentrage des missions, revalorisation institutionnelle et
médiatique du métier, et établissement de relations
hiérarchiques de confiance, en particulier entre sousofficiers
et officiers. Ces mesures d’organisation doivent
être complétées par la mise en place de formations à une
meilleure connaissance du stress psychologique et à sa
gestion. Au-delà du contexte Gendarmerie, il apparaît
dans cette étude que le soutien hiérarchique des
personnels est un facteur prépondérant dans la prévention
et la gestion du stress opérationnel.
Concernant les familles, une enquête récente sur le
soutien des personnels militaires féminins en OPEX (17)
a permis de proposer des mesures de soutien au profit des
personnels militaires, masculins et féminins, et de leur
famille. Les propositions s’appuient sur trois principes :
reconnaissance des interrelations étroites entre vie
familiale et vie professionnelle, prise de conscience par
toutes les unités du caractère prioritaire et fondamental
des OPEX dans les missions de la défense et enfin
nécessité de prendre des mesures qui ne sont pas d’origine
exclusivement féminine mais naissent de l’évolution
psychosociale d’une société mixte. Au final, les mesures
de soutien doivent permettre d’augmenter la disponibilité
des hommes et des femmes aux OPEX, de protéger
54 d. esquivié

les familles des militaires contre les effets péjoratifs de
celles-ci sur l’équilibre psychoaffectif, et d’améliorer
l’aptitude psychologique et l’efficacité opérationnelle
des militaires envoyés en OPEX.
V. CONCLUSION.
Face au nombre croissant d’opérations extérieures et
à la généralisation des OPEX à l’ensemble des forces
françaises, le chef d’état-major recommande un soutien
Tableau I. Organisation générale du soutien psychologique des forces (Directive 788 CEMA).
soutien médico-psychologique des personnels en opérations
plus effectif des personnels concernés par ces engagements
et de leurs familles, avant, pendant et après
une opération extérieure. Dans le prolongement de
cette directive, le renforcement du soutien médicopsychologique
de ceux-ci nécessite d’approfondir
l’étude des conséquences individuelles et collectives
des nouvelles missions, ainsi que les moyens à mettre
en œuvre pour les prévenir et y faire face. Au plan
pratique, il est proposé d’ouvrir sans entrave les théâtres
d’opérations à la recherche comme cela est pratiqué dans
Responsables Formation Avant Pendant Après
Commandement
et Officiers environnement
humain
Psychiatres
et médecins d’unité
Experts sociologues,
psychologues, spécialistes
en sciences de l’homme.
Préparation des individus,
Participation (en relation
avec le SSA) au dépistage
des individus présentant
des troubles de
l’adaptation,
Suivi et développement de
la cohésion.
Dépistage du personnel
ayant des troubles du
comportement,
Sensibilisation des cadres
dans les écoles de
formation aux expressions
du stress.
Sélection psychologique
initiale et évaluation des
compétences,
Formation en psychologie
et relations humaines,
Sensibilisation des cadres
et des familles.
Cellules d’assistance aux
familles,
Eviction du personnel non
disponible pour des
raisons familiales, sociales,
etc.
Intensification des actions
de cohésion.
Suivi du personnel,
Visites d’aptitude,
Interventions en camp de
cohésion
Interventions ciblées en
camp de cohésion,
Homogénéisation des
connaissances et des
pratiques,
Préparation à la séparation
familiale et information des
familles.
Suivi du personnel en
relation avec le service de
santé,
Animation de la base
arrière et de la cellule
d’assistance aux familles,
Mesure du moral,
identification des facteurs
de risques,
Suivi et synthèse des
questions relatives à
l’environnement humain.
Dépistage, traitement ou
évacuation des sujets
présentant des troubles du
comportement ou à
risques,
Intervention au titre de
l’hygiène mentale collective
auprès du
commandement.
Éclairage sur les situations
de travail, les conditions
de vie et les facteurs de
stress et leurs
conséquences probables,
Évaluation des facteurs
d’environnement humain,
Soutien individuel et
collectif des personnalités
vulnérables,
Analyse des incidents et
recueil d’informations pour
un retour d’expérience,
Soutien aux familles.
Propositions de
récompenses,
Organisation d’une
cérémonie de dissolution,
Suivi des blessés (CABAT),
Information et
dédramatisation des effets
différés,
Dépistage des conduites
inadaptées,
Analyse des
dysfonctionnements
rencontrés,
Analyse des problèmes et
adaptation des actionsen
matière de préparation
psychologique,
Suivi, bilan et synthèse des
questions relatives aux
facteurs humains.
Dépistage et prise en
charge des individus
présentant des séquelles,
Bilan et enseignements à
tirer.
Aide au commandement
par la participation au
débriefings,
Soutien au personnel par
des entretiens de fin de
mission,
Capitalisation, diffusion,
échanges nationaux et
internationaux.
55
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de nombreuses armées étrangères. Il s’agit d’intégrer
les missions de recherche au même titre que le soutien
médical dans le dispositif de déploiement des opérations
extérieures. Au plan institutionnel, il est souhaitable
de structurer entre les trois armées, la gendarmerie et les
services, le réseau complexe des acteurs et des spécialistes
impliqués dans le soutien médico-psychologique
des forces. Au plan scientifique, au-delà du bilan
épidémiologique des troubles psychopathologiques
et des incidences psychosociales affectant les personnels
militaires ayant participé à des opérations extérieures,
d’autres démarches sont à poursuivre ou à initialiser
comme la construction d’un outil d’évaluation et de
suivi psychologique des personnels. Les demandes
sont nombreuses en matière de dépistage des sujets
à risques, d’élaboration d’outils de détection précoce
et de suivi des difficultés psychologiques et sociales.
En matière de prévention, l’engagement croissant des
militaires sur les théâtres extérieurs nécessite la prise en
compte de l’accumulation de stress et du risque d’usure
1. Juillet P, Moutin P. Psychiatrie militaire. Paris : Masson & Cie ;
1969.
2. Directive N° 788/DEF/EMA/EMP.1/DR du 9 juillet 1997, relative
au soutien psychologique d’une force en opération extérieure.
3. Lebigot F. Nouvelles missions, nouveaux facteurs pathogènes. In :
Briole G, Lebigot F, Lafont B, eds. Psychiatrie militaire en
situation opérationnelle. Paris : ADDIM, 1998 : 37-45.
4. Raphel C, Bittel J. Évaluation des facteurs de stress dans les
missions extérieures des casques bleus français. Médecine et
Armées 1995 ; 23 (5) : 421-8.
5. Esquivié D, Arvers P, Leifflen D, Trousselard M, Raphel C.
Facteurs de stress et gestion du stress en gendarmerie. La Tronche :
CRSSA ; 2003.Rapport scientifique N° 8/CRSSA/DFH.
6. Briole G. Neutralité active. In : Briole G, Lebigot F, Lafont B, eds.
Psychiatrie militaire en situation opérationnelle. Paris : ADDIM,
1998 : 25-34.
7. Favre JD, de Montleau F, Moraud C. Chronologie et épidémiologie.
In : Briole G, Lebigot F, Lafont B, eds. Psychiatrie militaire en
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8. Jolly A. Épidémiologie des PTSD. Le journal international de
victimologie 2003 ; 2 (1) : 24 p. http://www.jidv.com.
9. Raingeard D. Opération turquoise témoignage d’un psychiatre.
Médecine et Armées 1995 ; 23 (4) : 347-50.
10. Plouznikoff M. Pratique psychiatrique en opérations. In : Briole G,
Lebigot F, Lafont B, eds. Psychiatrie militaire en situation
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
professionnelle. Les incidences collatérales importantes
observées sur les conjoints et les enfants rendent
prioritaires la compréhension des phénomènes et
l’adaptation des contre-mesures. Les recherches concernent
également la compréhension des mécanismes
neurobiologiques des états de stress. Dans la mesure où
cette problématique présente une importance pour les
armées, il convient de créer une dynamique unissant les
différents intervenants institutionnels. Les travaux
doivent s’adosser sur une expertise auprès des troupes
et des laboratoires dédiés à des recherches en amont.
En somme, la nécessité de développer des recherches
sur le stress opérationnel et professionnel est d’autant
plus importante que la France est en retard en la matière
par comparaison à ce qui se fait dans de nombreux
pays partenaires. Le Service de santé doit garder le
leadership de cette thématique au sein de la Défense
afin de coordonner la montée en puissance des actions
conduites par les armées sur le soutien psychologique
des personnels et de leurs familles.
opérationnelle. Paris : ADDIM, 1998 : 63-71.
11. Collomb H, Robert D. La place des affections mentales dans la
pathologie des armées en région tropicale. Acta Belg Mil 1959 ;
112 (1) : 237-47.
12. Mancini J, Meynard JB, Michel R, Ollivier L, Spiegel A,
Etchepare M et al. Conduites addictives chez les engagés
volontaires des armées françaises hors de métropole. Alcoologie et
Addictologie 2004 ; 26 (3) : 205-13.
13. Choquet M, Beck F, Hassler C, Spilka S, Morin D, Legleye S. Les
substances psychoactives chez les collégiens et les lycéens :
consommation en 2003 et évolution depuis 10 ans. Saint-Denis: OFDT-
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14. De Soir E, Lemol L. Impact de mission de longue durée sur les
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15. Adler AB, Bartone PT, Castro CA. OPTEMPO/Burn Out II
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report : 1997.
16. Arvers P. Etude du retentissement des OPEX sur les familles de
militaires de la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne. La
Tronche : CRSSA ; 2003. Rapport scientifique N° 7 CRSSA/DFH
17. Raphel C, Esquivié D, Arvers P, Flusin JP, Monchaux E, Thomas
C. Soutien des personnels féminins engagés sur des théâtres
d’opérations extérieures et de leurs familles. Les Documents du
C2SD 2003. http://www.c2sd.sga.defense.gouv.fr : 52 p.
56 d. esquivié

Spécial recherche
Axe 5 : Maintien des capacités opérationnelles en
environnements contraignants ou hostiles
QUELLE PLACE POUR LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
DANS LE COUP DE CHALEUR?
RÉSUMÉ
Le coup de chaleur associe une hyperthermie à des
altérations neurologiques allant de troubles
comportementaux au coma. Ce tableau initial, joint aux
lésions cérébrales et aux séquelles, pose le cerveau en
victime du coup de chaleur. Chez l’animal, lors d’un
coup de chaleur, deux mécanismes délétères sont à
l’œuvre. L’ischémie cérébrale avec œdème cérébral et
hypoperfusion encéphalique souligne un état de
déséquilibre énergétique qui s’accompagne d’une
excitotoxicité avec élévation des concentrations
extracellulaires en glutamate, et d’une augmentation de
la production de radicaux libres. Un syndrome
inflammatoire se développe avec l’augmentation des
concentrations sérique et tissulaire cérébrale de
cytokines, puis l’induction de NO synthases produisant
de grandes quantités de NO cytotoxique. Parallèlement,
des mécanismes protecteurs sont mis en œuvre avec
l’apparition de protéines de choc thermique et
l’activation de l’axe corticotrope. Certains récepteurs,
comme le récepteur glutamatergique NMDA, qui sont au
cœur de la réaction cardiovasculaire et thermorégulatrice
à la chaleur, sont la cible privilégiée de ces mécanismes
délétères et protecteurs. Les nouvelles stratégies
thérapeutiques doivent donc viser à potentialiser les
mécanismes de protection et à contenir les mécanismes
délétères.
Mots-clés : Coup de chaleur. Cytokines. Glucocorticoïdes.
Protéines de choc thermique. Récepteur glutamatergique
NMDA.
I. INTRODUCTION.
Le coup de chaleur d’exercice est une pathologie grave,
parfois létale et dont le traitement reste essentiellement
symptomatique, associant refroidissement, remplissage
F. CANINI, médecin en chef, spécialiste de recherches du SSA. L. BOURDON,
médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : F. CANINI, Pôle de neurophysiologie du stress, CRSSA,
24, avenue des maquis du Grésivaudan, F 38702 La Tronche Cedex.
WHICH PLACE FOR THE BRAIN IN HEATSTROKE?
Heatstroke is represented by the association of
hyperthermia and nervous disturbances, ranging from
behavioural troubles to coma. Together with the clinical
scene, brain lesions and neurologic sequaeles suggest that
brain is a victim from heat. In animals, two deleterious
mechanisms could be highlighted. The energetic
imbalance existing in the heatstroked brain is unraveled
by the brain ischemia due to edema and arterial
hypotension, the excitotoxic state suggested by the
increased extracellular levels of glutamate, and the
enhanced production of free radicals. An inflammatory
state lies together since cytokines concentrations are
increased in the brain and the serum while the newly
induced NO-synthases produce large volumes of
cytotoxic NO. Concomitantly, neuroprotective mechanisms
appear with the synthesis of heat shock proteins
and the activation of the corticotrope axis. The glutamate
NMDA receptor seems to be the target of these
deleterious and protective mechanisms. Novel
therapeutic strategies should thus aim to blunt the
former and to strenghen the latter.
Keywords : Cytokines. Heat shock proteins. Heatstroke.
Glucocorticoids. Glutamatergic NMDA receptor.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 57-62)
F. CANINI, L. BOURDON
ABSTRACT
cardiovasculaire et prévention des complications (1).
L’absence de traitement étiologique s’explique par le
défaut de consensus sur les mécanismes physiopathologiques.
Les nombreuses hypothèses proposées restent
encore soumises à débat : l’hypothèse métabolique
qui met au cœur du coup de chaleur une ischémie
fonctionnelle (2), l’hypothèse musculaire qui fait reposer
le coup de chaleur d’exercice sur une anomalie des
transferts musculaires de calcium (3), l’hypothèse
médecine et armées, 2006, 34, 1 57
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immuno-inflammatoire qui considère le coup de chaleur
comme un mode d’entrée dans un état d’inflammation
généralisée trouvant son origine dans la translocation
entérique d’entotoxines (4). Il existe cependant une
autre façon d’aborder le coup de chaleur, celle qui place
le système nerveux central au centre des altérations
physiopathologiques du coup de chaleur, en réunissant
ces divers mécanismes en une unité de lieu, de temps
et d’action.
II. APPROCHE CLINIQUE.
A) DIAGNOSTIC INITIAL.
Le diagnostic initial de coup de chaleur est un diagnostic
de probabilité, voire de précaution, qui repose sur un
faisceau d’arguments prenant en compte le contexte de
survenue et la symptomatologie (1). Le contexte permet
de séparer ce qui revient au coup de chaleur classique
caractérisé par un sujet vulnérable, i.e. patient âgé ou
nourrisson, exposé à une chaleur forte en l’absence
d’exercice et au coup de chaleur d’exercice concernant
un sujet jeune en pleine santé s’effondrant au cours
d’un exercice effectué dans une ambiance variable. La
symptomatologie associe:
– une hyperthermie, fait banal lors d’un exercice;
– des troubles fonctionnels neurologiques variés:
hallucinations, démarche ébrieuse, troubles de la
conscience etc. (5);
– un état de choc cardiovasculaire souvent au second
plan dans le coup de chaleur d’exercice;
– des signes spécifiques du coup de chaleur d’exercice
comme une rhabdomyolyse;
– des signes de complication comme une insuffisance
rénale fonctionnelle, une ischémie hépato-mésentérique,
une coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD) et
un syndrome de réponse inflammatoire généralisé
(SRIS) (6).
Cependant, dans ce tableau, la symptomatologie
neurologique se remarque toujours du fait de sa précocité
et de sa gravité.
B) CONSÉQUENCES NEUROLOGIQUES.
Chez les patients décédés de coup de chaleur, des lésions
cérébrales extensives sont notées avec des zones de
focalisations comme le cervelet, le striatum, le cortex et le
thalamus. Chez les survivants, les séquelles touchant
le système nerveux central à moyen et long termes
restent rares. Elles lèsent souvent le cervelet avec une
atrophie cérébelleuse s’exprimant par des syndromes
cérébelleux, mais peuvent revêtir l’aspect de syndromes
parkinsoniens, de dysplégies ou parésies, de troubles
neuropsychologiques etc. (5).
C) DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS.
Le diagnostic initial étant de probabilité, de nombreux
diagnostics différentiels doivent être envisagés. La
première difficulté est de faire un diagnostic de gravité,
séparant l’intolérance à l’effort, spontanément résolutive
sous réserve de réhydratation et de refroidissement, du
coup de chaleur motivant une hospitalisation dans un
service de réanimation. Ce diagnostic s’opère sur le
constat d’un trouble neurologique grave ou, plus
rarement, d’un état de choc. La seconde difficulté est
d’éliminer les diagnostics différentiels que sont les
étiologies des comas ou états de chocs. Dans cette
démarche clinique, l’importance des troubles neurologiques
s’avère un élément capital, même si le pronostic
apparaît davantage marqué par la CIVD, le SRIS ou la
défaillance multi-viscérale (1).
III. APPROCHE EXPÉRIMENTALE.
A) PROBLÈMES MÉDICAUX ET SCIENTI-
FIQUES.
La précocité des dysfonctions cérébrales place le cerveau
au premier rang des organes vulnérables dans la cinétique
d’installation du coup de chaleur. Si le cerveau apparaît
d’évidence comme une victime du coup de chaleur,
cela n’exclut pas le fait qu’il en soit un des artisans. En
effet, toutes les grandes fonctions physiologiques sont
régulées au niveau cérébral. Par exemple, les centres de la
thermorégulation sont principalement placés dans l’aire
médiane pré-optique de l’hypothalamus et ceux de la
régulation cardiovasculaire dans la région bulbohypothalamique.
Dans cette perspective, le coup de
chaleur serait marqué par la défaillance cérébrale, terme
ultime de l’évolution d’un organisme sous contrainte
chaude. Sur un plan médical, ceci suggère:
– que les facteurs de vulnérabilité au coup de chaleur
peuvent concerner le cerveau au premier chef;
– et que le traitement étiologique initial doive viser la
réanimation cérébrale en complément du traitement
symptomatique précoce (i.e. la réhydratation et le
refroidissement) et de la prévention des complications
et séquelles.
B) FAITS EXPÉRIMENTAUX.
Les nombreuses études effectuées chez l’animal
bâtissent le coup de chaleur autour d’un tableau
d’ischémie cérébrale fonctionnelle, puis avérée.
Lorsqu’un animal vigile est exposé à la chaleur jusqu’à la
survenue d’un coup de chaleur, le coma survient en même
temps qu’un effondrement de la perfusion cérébrale (7).
Celui-ci est la conséquence d’une baisse de la pression de
perfusion encéphalique secondaire à une réduction de la
pression artérielle systémique et à une augmentation de la
pression intracrânienne. La tolérance à la chaleur qui est
liée au maintien de la perfusion encéphalique à un niveau
couvrant les besoins du cerveau, peut être dégradée par
des agents inhibiteurs de la vasodilatation cérébrale
comme les antagonistes des NO-synthases endothéliales
(8). Inversement, l’expansion hypervolémique induite
par la perfusion d’albumine contribue à maintenir la
perfusion encéphalique, à augmenter le temps de survie
58 f. canini

et à réduire les lésions cérébrales thermo-induites (9).
Dans ce contexte, l’augmentation de pression intracrânienne
est due à l’apparition d’un œdème cérébral
qui survient concomitamment à une altération de
la barrière hémato-encéphalique et à la réduction du
flux sanguin cérébral (10).
Durant l’exposition à la chaleur, et particulièrement
lors du coup de chaleur, les neurotransmetteurs sont
libérés de façon accrue, que se soit la dopamine, la
sérotonine (11) ou le glutamate dans le striatum (12) et le
monoxyde d’azote (NO) dans le cortex et le cervelet (13).
Ces libérations non contrôlées de neurotransmetteurs
jouent probablement un rôle dans la dégradation
de la tolérance à la chaleur comme cela a été suggéré
pour la dopamine (11, 14), la sérotonine (10, 11) et le
glutamate (12).
C) HYPOTHÈSES MÉCANICISTES.
1. Introduction.
Le système nerveux central exposé à la chaleur est le
lieu de confluence de nombreux mécanismes physiopathologiques
qui se révèlent dans une perspective
dynamique délétère ou protectrice. Les facteurs
délétères rassemblent le déséquilibre énergétique
cérébral thermo-induit et la réponse inflammatoire de
phase aiguë, alors que les facteurs protecteurs recouvrent
les réactions de stress systémique et cellulaire. Dans cette
optique, le coup de chaleur est le fait:
– de facteurs délétères particulièrement violents;
– de facteurs protecteurs peu efficaces;
– ou d’une exposition thermique trop longue usant la
réponse protectrice au profit de l’accumulation des
facteurs délétères.
2. Hypothèse de déficit énergétique.
L’hypothèse de déficit énergétique repose sur le double
constat d’une augmentation thermo-induite du métabolisme,
d’une dégradation des rendements biologiques,
et d’une insuffisance de fourniture énergétique (2).
Elle s’appuie sur des résultats expérimentaux collectés
dans divers tissus in vitro ou in vitro. Au chaud, les capacités
mitochondriales de production énergétique
apparaissent limitées en raison de l’augmentation de la
conductance protonique transmembranaire (15).
L’augmentation du flux sanguin cérébral observé en
phase d’hyperthermie (9) ne suffit probablement pas à
maintenir l’apport
énergétique à un niveau suffisant puisque s’instaurent des
troubles des transferts ioniques (2) culminant dans
l’apparition d’un œdème cérébral (10). Enfin, lors de
l’effondrement de la perfusion cérébrale, l’utilisation
locale de glucose s’effondre (16). L’existence de ce
déséquilibre énergétique est en rapport avec l’apparition
d’un mécanisme excitotoxique tardif associant
augmentation des concentrations extra-cellulaires de
glutamate (9, 12), augmentation de la production de
monoxyde d’azote (13) et libération incontrôlée de
quelle place pour le système nerveux central dans le coup de chaleur ?
neurotransmetteurs (11). Ce mécanisme excitotoxique
participe probablement à l’instauration des lésions
cérébrales, comme le suggérent les effets neuroprotecteurs
des antagonistes du récepteur glutamatergique
NMDA, i.e. la kétamine et le MK801 (12). Dans ces
conditions, il n’est donc pas surprenant de trouver une
augmentation progressive de la production de radicaux
libres par le cerveau hyperthermique et, lors du coup de
chaleur, des taux de lipoperoxydations membranaires
particulièrement élevés (17). L’usage de substances
anti-radicalaires comme l’α -tocophérol qui réduit
la production de radicaux libres, apporte un certain
degré de neuroprotection (18).
3. Hypothèse inflammatoire.
L’existence d’une inflammation systémique a été
clairement démontrée chez les pélerins de La Mecque
victimes d’un coup de chaleur et présentant de fortes
augmentations des cytokines sériques comme l’IL-1β et
le TNF-α (1). Ce syndrome inflammatoire a été
également mis en évidence dans le cerveau et dans le sang
d’animaux en coup de chaleur (11, 19). Ces cytokines
jouent probablement un rôle dans la survie et l’installation
lésionnelle puisque l’IL-1 RA, un antagoniste
fonctionnel de l’IL-1 β , réduit les lésions et améliore la
survie des animaux en coup de chaleur (20). Leur activité
cytotoxique cérébrale implique probablement les
NO-synthases inductibles (iNOS) puisque le NO
augmente fortement dans le coup de chaleur (13) et que
l’aminoguanidine, un inhibiteur des iNOS, possède une
activité neuroprotectrice (21).
Cependant, le mécanisme d’apparition de l’inflammation
cérébrale reste l’objet de débats. La synthèse
de cytokines peut s’effectuer in situ comme cela
est suggéré par les augmentations de cytokines
tissulaires lors des ischémies cérébrales (22).
L’inflammation peut également trouver sa source
dans la périphérie, qu’elle soit le muscle (3) ou surtout
le tube digestif (4). En effet, lors du coup de chaleur,
les endotoxines, contenues dans le tube digestif, passent
dans la circulation porte à la faveur d’une ischémie
splanchnique, activent les cellules hépatiques de Küpffer
qui secrètent en retour des cytokines (4). Cette hypothèse
devenue classique se heurte à deux difficultés:
– le mécanisme de transfert de l’inflammation
systémique vers le compartiment cérébral reste
méconnu : (i) passage des cytokines via les défects de la
barrière hémato-encéphalique ou à l’occasion de son
ouverture thermo-induite, (ii) transfert informationnel
via l’activation du nerf vague à partir d’un foyer
hépato-mésentérique?
– le délai d’induction des cytokines et des iNOS
cérébrales est long. Il peut expliquer l’intensité de la
réponse inflammatoire après un coup de chaleur
d’exercice, mais pas son induction.
Il est probable que deux mécanismes coexistent avec une
induction tissulaire initiale, en relation avec la survenue
du coup de chaleur, suivie d’une extension systémique,
liée à l’apparition du SRIS et des complications.
59
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4. Défaut de résistance de l’organisme.
Si la vulnérabilité au coup de chaleur n’est pas le fait
d’une agression particulièrement virulente, un défaut de
résistance peut être incriminé. Celui-ci peut se situer au
niveau cellulaire en raison d’une sécrétion insuffisante
d’Heat Shock Protein (Hsp, protéine de choc thermique)
ou au niveau systémique du fait d’une activation
insuffisante de l’axe corticotrope.
La protection par les Hsp a été entrevue par les études chez
l’homme montrant une vulnérabilité accrue des sujets
exprimant des anti-corps anti-Hsp (23). Cette protection
a été confirmée chez l’animal puisque la pré-induction
d’Hsp70, qu’elle soit le fait d’une pré-exposition à la
chaleur ou d’une intoxication à l’arsenic, entraîne une
meilleure tolérance physiologique à la chaleur (24).
L’action des Hsp est ubiquitaire : elles sont exprimées
dans tous les tissus, en particulier le système nerveux, le
cœur, le foie et les reins. La protection est cependant
limitée dans le temps puisque les Hsp ne sont présentes
dans les tissus que dans l’étroite fenêtre de 4 à 48 heures
après induction (24). La valeur protectrice des Hsp chez
les organismes naïfs reste à définir puisque les expérimentations
qui inhibent ou pré-activent leur synthèse,
ne permettent de conclure ni sur la cinétique de leur
apparition, i.e. l’induction d’ARNm d’Hsp70, ni sur la
cinétique d’apparition de la protection qu’elles
apportent, i.e. l’apparition des protéines Hsp70.
La réaction de stress systémique joue probablement un
rôle important dans la pathogénie du coup de chaleur
puisque la supplémentation d’animaux en glucocorticoïdes
améliore leur survie, réduit leurs lésions cérébrales
et s’oppose à l’augmentation des concentrations d’IL-1β
sériques (25). Quoique aucune donnée ne soit disponible,
ceci suggère que le coup de chaleur correspond à une activation
de l’axe corticotrope insuffisante au regard des
besoins. De ce point de vue, le coup de chaleur correspond
à un stress dépassé.
IV. CIBLES MOLÉCULAIRES DES MÉCA-
NISMES BIOLOGIQUES.
A) GÉNÉRALITÉS.
Si le tableau général d’ischémie cérébrale fonctionnelle
est relativement clair avec la mise en jeu de mécanismes
délétères inflammatoires, excito-toxiques et énergétiques,
et de mécanismes protecteurs, cellulaires
et systémiques, le lien entre ces mécanismes et les
dysfonctions physiologiques qui caractérisent le tableau
clinique du coup de chaleur reste à mettre en évidence
(fig. 1). Dans la mesure où les systèmes de contrôle des
grandes fonctions physiologiques se trouvent dans le
système nerveux central et que le cerveau apparaît
comme une cible privilégiée de la chaleur, il est tentant de
relier les effondrements physiologiques aux altérations
fonctionnelles de zones spécifiques du cerveau. Deux
fonctions physiologiques effondrées lors du coup de
Figure 1. Schéma théorique synthétique des interactions en cours dans la
survenue du coup de chaleur. Cadres gris clair: mécanismes de pré-induction;
cadre gris sombre: mécanismes délétères impliqués dans le coup de chaleur;
cadre dégradé: mécanismes protecteurs impliqués dans le coup de chaleur.
chaleur ont été particulièrement analysées : les
régulations thermique et cardiovasculaire.
B) RÉGULATION THERMIQUE.
La température corporelle profonde de rats vigiles
exposés à une ambiance thermique chaude évolue
usuellement en trois phases: une ascension initiale suivie
d’un plateau de thermorégulation qui se poursuit par une
ascension finale (26) signant la fin des mécanismes
de thermorégulation. Il semble probable que cette
dégradation fonctionnelle soit liée à l’inhibition
des récepteurs glutamatergiques NMDA. En effet,
l’inhibition de ces récepteurs conduit à la survenue de
coups de chaleur lors d’exposition à des ambiances
chaudes qui ne justifient pas ce risque (27). En réalité,
l’inhibition de ce récepteur s’accompagne d’un véritable
état de poïkilothermie limitant les réactions thermorégulatrices
au froid comme au chaud.
C) RÉGULATION CARDIOVASCULAIRE.
Le système cardiovasculaire est une des pierres
angulaires de la résistance à la chaleur. Chez le rat
anesthésié, la pression artérielle et la fréquence cardiaque
augmentent régulièrement pendant l’exposition à la
chaleur et s’effondrent lors du coup de chaleur (28). Ces
ajustements cardiovasculaires initiaux maintiennent la
perfusion encéphalique à un niveau adapté, expliquant
ainsi l’évolution similaire observée pour la perfusion
encéphalique (24). Ils impliquent le baroréflexe dont
la fonction est de s’opposer à toute baisse de pression
artérielle détectée au niveau des glomus barosensibles
sinoaortiques et carotidiens, par une libération de
l’activité sympathique cardio-circulatoire qui rétablit
l’équilibre pressionnel. Ainsi, la dérégulation observée
dans le coup de chaleur peut être imputable à:
– une dysfonction du baroréflexe (29, 30);
– une sidération des centres bulbaires de contrôle
sympathique comme cela a été observé dans le
choc septique (31);
60 f. canini

– l’association des deux possibilités précédentes.
Ces mécanismes centraux sont complétés de phénomènes
périphériques comme la réduction de la sensibilité
des tissus aux catécholamines ou l’accroissement de la
perméabilité vasculaire.
Le mécanisme moléculaire de la dérégulation
cardiovasculaire pourrait également faire intervenir le
récepteur glutamatergique NMDA, faisant de ce
récepteur une cible moléculaire privilégiée. La préexposition
à la chaleur qui induit une amélioration
de la tolérance à la chaleur (24) et une optimisation du
baroréflexe favorisant le maintien de la perfusion
encéphalique (30), s’accompagne d’une augmentation
de la synthèse des Hsp70 (30) et de certaines sous-unités
du récepteur NMDA (29), augmentant ainsi le rendement
de transduction du récepteur (up regulation). Ceci
suggère un rôle protecteur des mécanismes d’up regulationdu
récepteur NMDA face à la chaleur. Un mécanisme
inverse pourrait être suspecté dans le cas du coup de
chaleur. Il pourrait s’appuyer sur une inhibition du
récepteur glutamatergique par le NO ou les peroxynitrites
(31). En effet, les états de chocs septiques gravissimes qui
peuvent être reproduits par une injection d’endotoxines
dans l’aire bulbaire de contrôle de l’activité sympathique,
peuvent être prévenus par l’injection d’un antagoniste
des iNOS (32). Ce mécanisme est d’autant plus probable
que le NO (13) et les radicaux libres (17) à l’origine
des peroxynitrites sont largement produits dans le coup
de chaleur et que les antagonistes des iNOS ont un réel
effet protecteur (21).
V. PERSPECTIVES D’AVENIR.
Ainsi, il apparaît que la tolérance à la chaleur est fonction
de la qualité du couplage entre le cerveau et la périphérie,
couplage qui n’existe que dans la mesure où les capacités
énergétiques cérébrales restent suffisantes et que
l’inflammation locale est contenue. Au-delà, un cercle
vicieux s’engage : la dysfonction d’une zone cérébrale
qui se traduit par la dégradation de la fonction physiolo-
1. Bourdon L, Canini F, Aubert M, Melin B, Koulmann N, Saissy JM
et al. Le coup de chaleur d'exercice : I-Aspects cliniques et
prévention. Science et Sport 2003 ; 18 : 228-40.
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3. Bourdon L, Canini F, Saissy JM, D'Aleo P, Koulmann N, Aubert
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pathogenesis of heat stroke. J Neurosurg 1984 ; 60 : 1246-52.
8. Canini F, Buguet A, Bourdon L. Inhibition of different types of
quelle place pour le système nerveux central dans le coup de chaleur ?
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
gique dont elle assure le contrôle, entraîne une aggravation
de son état et, de proche en proche, conduit à
l’effondrement de l’organisme dans un état de choc
hyperthermique et comateux.
La stratégie de traitement précoce doit donc comporter
une réanimation cérébrale fonctionnelle. Diverses voies
de recherche sont d’ores et déjà ouvertes sur cet objectif:
maintenir le couplage entre cerveau et périphérie le
plus longtemps possible. Parmi ces approches, il faut
souligner:
– le maintien de la perfusion cérébrale par l’expansion
hypervolémique (9);
– le contrôle de l’inflammation par les substances
anti-radicalaires (18), des glucocorticoïdes (25) et des
inhibiteurs des iNOS (21);
– le contrôle de l’excitotoxicité par les antagonistes du
récepteur NMDA (12).
Au-delà de ces perspectives thérapeutiques, d’autres
voies semblent se dessiner visant à mieux contrôler
l’inflammation comme les inhibiteurs de synthèse du
TNF-α ou des antagonistes des IL-1 β . Encore plus
prospectives sont les stratégies cherchant à potentialiser
les synthèses de Hsp (6) et à améliorer la fonction des
récepteurs NMDA.
VI. CONCLUSION.
Il est maintenant loin, ce temps où A. Laveran devait
tempêter devant l’Académie des sciences pour défendre
le rôle majeur du système nerveux central dans le coup de
chaleur (33). Les mécanismes énergétiques et immunoinflammatoires
ont été progressivement mis en évidence
puis intégrés dans le fonctionnement des différents
organes dont le cerveau. Avec l’apparition des techniques
de biologie moléculaire, des cibles moléculaires ont
été identifiées. À terme, des traitements étiologiques
visant à la réanimation cérébrale et, ipso facto
systémique, pourront être instaurés aux côtés des
traitements symptomatiques qui ont fait leurs preuves.
nitric oxide synthase: effect on thermoregulation in the rat exposed
to high ambient temperature. Neurosci Lett 2001; 316: 45-9.
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potentiation of baroreceptor reflex by heat shock protein 70. Mol
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peroxynitrite to fatal cardiovascular depression induced by
overproduction of nitric oxide in rostral ventrolateral medulla of
the rat. Neuropharmacol 2002 ; 43 : 889-98.
33. Laveran A. II. Recherches expérimentales sur la pathogénie du
coup de chaleur. Bull Acad Med 1894 ; 32 : 501-14.
62 f. canini

Spécial recherche
Axe 5 : Maintien des capacités opérationnelles en
environnements contraignants ou hostiles
CHALEUR ET PROTECTION NRBC
Incidence sur la capacité opérationnelle
RÉSUMÉ
Le port de tenues de protection NRBC lors de l’activité
physique à la chaleur accroît considérablement les pertes
sudorales et la déshydratation. Dans ces conditions de
stress thermique non compensable, la capacité
opérationnelle des combattants est nettement réduite et
les risques d’accidents (syncope d’origine
cardiovasculaire, coup de chaleur) sont élevés.
L’amélioration de la tolérance physiologique est
cependant possible. Elle passe par plusieurs éléments : la
réduction de la dépense énergétique, l’optimisation de
l’hydratation et l’assistance thermique des tenues.
Mots-clés : Capacité opérationnelle. Chaleur.
Déshydratation. Vêtements de protection NRBC.
I. INTRODUCTION.
Depuis la première guerre du Golfe, la potentialité de
projection de forces militaires en climat chaud et sous
menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique
(NRBC) est confirmée. Puisque l’adaptation des
personnels des armées aux contraintes bioénergétiques et
bioclimatiques motive largement nos recherches, nous
avons étudié les problèmes physiologiques posés par les
effets des activités physiques en environnement chaud
(1). Des études ont été menées principalement sur les
B. MELIN, médecin en chef, spécialiste de recherches du SSA. C. JIMENEZ,
ingénieur ICT, DGA. D. LEIFFLEN, médecin en chef, spécialiste de recherches du
SSA. N. FIDIER, technicien paramédical civil, SSA. L. BOURDON, médecin en
chef, spécialiste de recherches du SSA. N. CLERC, ouvrier d’état, SSA. J.-
Y. PELICAND, ouvrier d’état, DGA. B. WARME-JANVILLE, ingénieur ICT,
DGA. D. ANELLI, lieutenant-colonel, conseiller militaire opérationnel, DGA.
Correspondance : B. MELIN, Département des facteurs humains, Centre de
recherches du Service de santé des armées, BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
B. MELIN, C. JIMENEZ, D. LEIFFLEN, N. FIDIER, L. BOURDON, N. CLERC, J.-Y. PELICAND,
B. WARME-JANVILLE, D. ANELLI
ABSTRACT
HEAT AND NRBC PROTECTIVE CLOTHES.
EFFECTS ON THE OPERATIONAL CAPACITY.
NRBC protective clothes during physical activity in the
heat dramatically increases sweat losses and dehydration.
In these conditions of uncompensable heat stress, the
operational capacity of the fighters is largely reduced
and the risks of accidents (syncope, heat stroke) are
increased. However, the improvement of physiological
tolerance is possible using several countermeasures : the
reduction of the energetic expenditure, the largely
promoted fluid intake and the thermal assistance of the
garments.
Keywords : Dehydration. Heat. NRBC protective clothes.
Operational capacity.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 63-65)
effets délétères de la déshydratation et les contre-mesures
à mettre en œuvre (apports hydrominéraux adaptés,
en particulier) ; les données obtenues sont issues
d’expérimentations réalisées chez l’homme en
laboratoire mais aussi sur le terrain en environnements
opérationnels contraignants (Djibouti, Guyane).
Elles concernent, en particulier, les effets du port
prolongé de la tenue de protection NRBC sur la capacité
opérationnelle du combattant.
II. TENUES DE PROTECTION NRBC ET
TOLÉRANCE PHYSIOLOGIQUE À LA
CHALEUR.
Les progrès technologiques en matière de protection
chimique ont permis de développer des tenues légères de
protection NRBC rendant possible, au niveau 3 de
protection (masque à la ceinture, capuchon de tête
médecine et armées, 2006, 34, 1 63
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abaissé), des activités opérationnelles (combat, opération
de maintenance…) dans des conditions équivalentes
à celles autorisées par une tenue de combat classique (2).
Cependant en niveau 4 de protection (mode de protection
complète: chaussettes et sous-gants carbonés, masque de
protection faciale et fermeture complète de la tenue), le
port de la tenue de protection NRBC pose des problèmes
qui vont nuire à la tolérance physiologique et à la capacité
opérationnelle du combattant.
Les études menées sur le terrain à Djibouti en 1993 et
en 1997 puis en Guyane en 1999 ont montré une nette
dégradation de la capacité opérationnelle de personnels
soumis pendant une durée prolongée au port permanent
de tenues de protection NRBC en niveau 4. En effet, la
protection vestiale complète constitue un écran majeur à
l’élimination de la chaleur produite par l’organisme lors
de l’activité physique. En raison de la forte imperméabilité
de ces tenues à la vapeur d’eau (en particulier pour la
tenue légère de décontamination), la couche d’air entre la
peau et le vêtement va se saturer en vapeur d’eau, ce qui
réduit considérablement les possibilités d’évaporation de
la sueur. Cet effet, qui favorise le stockage thermique, est
aggravé quand l’activité opérationnelle se déroule en
environnement chaud. Nous avons ainsi pu relever des
débits sudoraux pouvant dépasser 1,5 l/h (tab. I) lors
d’activités opérationnelles à la chaleur (Djibouti,
Guyane) chez des sujets portant différentes tenues
de protection NBC (tenues de combat et tenues légères
de décontamination) (1). Dans ces conditions, il est
fondamental d'assurer une hydratation importante. Or, le
port du masque facial de protection NBC majore
l'astreinte physiologique liée à la fonction ventilatoire
et procure une gêne potentielle à l'ingestion de l'eau
Tableau I. Pertes sudorales (en L) et baisses du volume plasmatique (en %)
relevées lors de plusieurs activités opérationnelles en climat chaud (Djibouti,
Guyane) chez des sujets portant différentes tenues de protection NRBC (tenues
de combat et tenues légères de décontamination, TLD). Les durées de ces
activités sont représentées entre parenthèses. Pour les conditions climatiques:
Tair = température d’air sec ; Twb = température d’air humide et TG
= température globe.
Conditions
climatiques
Tair : 32 – 37 °C
Twb : 25 – 27 °C
TG : 40 – 50 °C
Tenues de
combat
NRBC
Tenues
légères
de décontamination
NRBC
Pertes sudorales
Marche 4 km/h (30 min) (1 h) 0,9 l
et repos (30 min)
Actes élémentaires (2 h 20) 2,9 l
du combattant
Logistique sur véhicule (1 h) 1,5 l
Parcours du combattant (6 min) 0,5 L
Combinaison TLD (2 h 40) 2,6 l
Blouson-pantalon TLD (40 min) 1,8 l
Variation
du
volume
plasmatique
- 5 %
- 11 %
- 5 %
- 6 %
- 10 %
- 7 %
(2) favorisant ainsi la déshydratation et la réduction
de la capacité de travail physique.
Il en résulte un stress thermique dit « non compensable »
en raison d’une réduction importante des possibilités de
thermolyse (3). Les pertes hydrominérales d’origine
sudorale sont très importantes, à l’origine d’une baisse
marquée du volume plasmatique (tab. I) qui majore
l’élévation de la température interne, réduit les
possibilités de travail physique (4) et augmente les risques
d’apparition d’accidents graves liés à l’accumulation
excessive de la chaleur (5). Deux risques, en particulier
sont à craindre:
– la déshydratation importante qui majore l’élévation
de la température interne favorise l’apparition d’une
hyperthermie excessive, supérieure à 41-42 °C, pouvant
conduire au coup de chaleur (5);
– le déplacement rapide de la masse sanguine vers la
périphérie cutanée qui compromet le maintien d’une
pression artérielle adaptée favorisant l’apparition de
malaises d’origine cardiovasculaire en raison d’une
baisse marquée du retour veineux (6).
Ce dernier phénomène est vraisemblablement à
l’origine des malaises fréquents que nous avons observés
lors d’activités opérationnelles en Guyane sous
protection NRBC (7). La baisse de la tolérance cardiovasculaire
était attestée par le fait que ces malaises
étaient favorisés par les changements de posture au
cours de l’activité opérationnelle (en particulier lors
du passage en position debout) alors que le niveau de
température interne était modéré (38,5 °C). Des études
sont menées actuellement en laboratoire pour
mieux comprendre les mécanismes impliqués dans
l’apparition de ces malaises.
III. AMÉLIORATION DE LA TOLÉRANCE: LES
CONTRE-MESURES.
Dans ces conditions extrêmes, l’amélioration de la
tolérance physiologique est possible. Elle passe par
plusieurs éléments:
– l’amélioration technologique des équipements de
protection (masque, gants…) mais aussi, et surtout,
l’entraînement régulier au port de la tenue de protection
NRBC;
– la gestion de la dépense énergétique pendant les
déplacements pour produire moins de chaleur;
– l’hydratation régulière et abondante au travers du
masque de protection à l’aide d’un système d’apport en
eau plus adapté (gourde souple de grande contenance
portée dans le dos);
– l’assistance thermique des vêtements de protection qui
représente un élément majeur mais qui est techniquement
compliqué dans ce contexte.
Une première approche concernant les contre-mesures
a été réalisée à Djibouti en 1997 où l’utilisation de
gourdes souples et d’assistances thermiques individuelle
(ventilation d’air) ou collective (circulation de liquide
refroidi) a montré une nette amélioration de la tolérance
physiologique (8). Lors d’une activité d’expérimentation
64 b. melin

Figure 1. Mission de combat réalisée sur le terrain en niveau 4 de protection
NRBC par les membres d’un groupe de combat d’une section d’infanterie lors
de l’activité d’expérimentation à Djibouti en 2003.
1. Melin B, Jimenez C, Koulmann N, Launay JC, Savourey G,
Warmé-Janville B. Hydratation et activité physique en
environnement chaud. Implication opérationnelle. Médecine et
Armées 2002 ; 30 (5) : 449-54.
2. Étienne S, Melin B, Warmé-Janville B. Ergonomie des
équipements de protection NBC. L’Armement 1996 ; 53 : 116-21.
3. McLellan TM, Cheung SS, Latzka WA, Sawka MN, Pandolf KB,
Millard CE et al. Effects of dehydration, hypohydration, and
hyperhydration on tolerance during uncompensable heat stress.
Can J Appl Physiol 1999 ; 24 : 349-61.
4. Melin B, Curé M, Jimenez C, Savourey G, Bittel J.
Déshydratation, réhydratation et exercice musculaire en ambiance
chaude. Cah Nutr Diét 1990 ; 25 : 383-8.
5. Curé M. De l’hyperthermie maligne au coup de chaleur – Apport
de la physiopathologie moderne. Médecine et Armées 1987 ; 15 (4)
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6. Gonzalez-Alonzo J, Mora-Rodriguez R, Below PR, Coyle EF.
Dehydration markedly impairs cardiovascular function in
hyperthermic endurance athletes during exercise. J Appl Physiol
1997 ; 82 : 1229-36.
chaleur et protection nrbc
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
à Djibouti en 2003 (fig. 1), l’association gourde souple
et assistance thermique des tenues (sous-vestes Steel
à packs frigorifiques) a entraîné un effet optimal
sur le maintien de la capacité opérationnelle lors
de missions en niveau 4 (9).
IV. CONCLUSION.
Les études sur la tolérance au port des tenues de
protection NRBC à la chaleur, menées en laboratoire et
sur le terrain, présentent plusieurs intérêts:
– prévenir les risques d’accidents générés par les activités
en ambiance chaude sous protection de niveau 4;
– valider des solutions techniques permettant d’améliorer
la tolérance aux contraintes;
– fournir au commandement des éléments objectifs
permettant de définir des directives d’emploi des forces
sous contrainte NRBC.
7. Jimenez C, Pelicand JY, Anelli D, Leifflen D, Fidier N, Warmé-
Janville B et al. Études des réponses thermiques et
cardiovasculaires induites par le port prolongé de la tenue de
combat NBC en climat équatorial chez une section de combat
d’infanterie. Grenoble : Centre de recherches du Service de santé
des armées ; 2000. Rapport technique N° 14/CRSSA/FH/BEE et
RP 67/CEB/126/CI/CD 2000.
8. Melin B, Etienne S, Lejeune D, Charpenet A, Pelicand JY, Giudice
M et al. Effects on body hydration of two thermal assistance
systems during operational activities under NBC protective suits
and tropical climate. In : Giudice M, Dittmar A eds. Thermal
protection of man under hot and hazardous conditions. Paris : CEB,
1999 : 253-7.
9. Melin B, Jimenez C, Leifflen D, Fidier N, Pelicand JY, Anelli D
et al. Bilan d’hydratation corporelle, tolérance cardiovasculaire
et récupération lors du port de la tenue de combat NRBC en
climat chaud à Djibouti (CAPOPS 2003). Effets de contremesures.
Grenoble : Centre de recherches du Service de santé
des armées ; 2003. Rapport technique N° 14/DEF/CRSSA/
DFH/EHEP 2003.
65
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66
VIENT DE PARAÎTRE
STATISTIQUES SANITAIRES MONDIALES 2005
Dans la présente publication, nous allons nous intéresser à un ensemble de base d'indicateurs
sanitaires, retenus en fonction de leur disponibilité actuelle et de la qualité des données. On y trouve
également la majorité des indicateurs sanitaires retenus pour suivre les progrès vers la réalisation des
objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Ce groupe n'est pas conçu pour saisir tous les
aspects significatifs dans le domaine de la santé ; il tend plutôt à donner un cliché instantané de la
situation sanitaire actuelle dans les pays. Enfin, il est important de souligner que cet ensemble n'est pas
définitivement fixé : certains indicateurs seront ajoutés au fil des ans ou prendront davantage
d'importance tandis que d'autres perdront de l'intérêt.
Les indicateurs rassemblés dans les Statistiques sanitaires mondiales reprennent avant tout les
estimations les plus récentes pour chaque pays (depuis 1995). Celles-ci ont été compilées dans les
publications et bases de données des programmes de 1 OMS, Y compris les publications des bureaux
régionaux. Dans la première partie, les données se présentent sous la forme de quatre groupes
d'indicateurs interdépendants sur: i) la situation sanitaire, avec des chiffres sur la mortalité et la
morbidité; ii) la couverture des services de santé et les facteurs de risque liés à l'environnement ou au
comportement; iii) les systèmes de santé; iv) les données démographiques produites par l'unité de
statistiques de la Division de la population des Nations Unies. Le regroupement des indicateurs est
arbitraire. On peut aussi classer plusieurs d'entre eux, l'hypertension, l'obésité ou la couverture des
services de santé (insuffisances de la vaccination par ex.), dans les facteurs de risque.
De nombreuses statistiques sanitaires ont été calculées par l'OMS pour garantir leur comparabilité, à
l'aide de méthodes transparentes et d'un système de vérification clair. Les pays ont été ensuite
consultés par les programmes de l'Organisation et ses bureaux régionaux. Dans certains cas toutefois,
il peut y avoir des différences avec les statistiques officielles des États Membres qui mettent parfois en
oeuvre d'autres méthodes rigoureuses.
Comme la demande d'informations fiables, cohérentes et disponibles en temps utile continue de croître,
l'utilisateur devra bien savoir ce que les chiffres mesurent exactement, leurs atouts et leurs faiblesses,
ainsi que les hypothèses dans le cadre desquelles ils peuvent être utilisés. La deuxième partie des
Statistiques sanitaires mondiales traite de ces questions et présente une description standardisée de
chaque indicateur, avec sa définition, les sources d'information, les méthodes d'estimation, la
ventilation, des références et des bases de données.
ISBN : 92 4 259326 5 – 95 pages – Éditions de l’OMS, 1211 Genève 27, Suisse – Tél. : +41 22 791 24 76 – Fax : + 41 22 791 48
57 – Mail : publications@who.int – Web : http://www.who.int/bookorders

Spécial recherche
Axe 5 : Maintien des capacités opérationnelles en
environnements contraignants ou hostiles
EFFET D’UN ENVIRONNEMENT CHAUD SUR LA RÉPONSE
IMMUNITAIRE LORS D’ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES
RÉSUMÉ
Lors d’activités opérationnelles en environnement chaud
les combattants sont soumis à plusieurs contraintes :
exercice physique, stress lié à la mission et hyperthermie.
Or tous ces éléments, ont, séparément, un effet sur la
réponse immunitaire. L’exercice provoque des
perturbations du système immunitaire. En fonction de sa
durée et de son intensité, ces perturbations peuvent être
bénéfiques ou provoquer une immunosuppression
transitoire associée à un état inflammatoire. Le port de
tenues de protection NRBC lors d’un exercice d’intensité
moyenne crée un stress thermique non compensable.
Dans ces conditions le port de la tenue de protection
amplifie les modifications de la réponse immunitaire
induites par l’exercice, probablement en raison de
l’hyperthermie associée. Par ailleurs, des études sur le
terrain suggèrent un effet des activités opérationnelles en
environnement chaud sur le système immunitaire. Dans
ce cas il paraît important de déterminer s’il existe un
effet potentialisateur de ces contraintes combinées sur les
réponses du système immunitaire, et si cet effet peut être
à l’origine d’une immunosuppression.
Mots-clés : Catécholamines. Exercice. Hyperthermie.
Réponse immunologique. Stress.
I. INTRODUCTION.
Lors d’activités opérationnelles en environnement
chaud, les combattants sont soumis à plusieurs
C. JIMENEZ, ingénieur ICT/DGA. J. MATHIEU, pharmacien chimiste en chef,
spécialiste de recherche. Y. CHANCERELLE, pharmacien chimiste en chef,
spécialiste de recherche. N. CLERC, ouvrier d’état. C. CRUZ, technicien de
laboratoire de classe normale. B. BALLESTER, technicien paramédical civil. J.
DENIS, technicien paramédical civil. A. ALONSO, pharmacien chimiste en chef,
spécialiste de recherche. A. PEINNEQUIN, médecin en chef, spécialiste de
recherche. B. MELIN médecin en chef, spécialiste de recherche.
Correspondance : C. JIMENEZ, Département des facteurs humains, CRSSA,
BP 87, 38702 La Tronche Cedex.
C. JIMENEZ, J. MATHIEU, Y. CHANCERELLE, N. CLERC, C. CRUZ, B. BALLESTER, J. DENIS,
A. ALONSO, A. PEINNEQUIN, B. MELIN
ABSTRACT
EFFECT OF HOT ENVIRONNMENT ON THE
IMMUNE RESPONSE DURING OPERATIONAL
ACTIVITIES.
Fighters are submitted to several constraints during
operational activities in the heat : physical exercise, stress
linked to the mission and hyperthermia. Separately all
these elements have an effect on the immune response.
Exercise causes troubles in the immune system. These
troubles depend on the intensity and duration of exercise,
and can be beneficial or induce a transient
immunosuppression and an inflammatory state. The
wearing of protective NRBC clothes during a moderate
exercise creates an uncompensated heat stress. In that
case, the wearing of protective clothes amplifies the
exercise induced changes in the immune response,
certainly because of the bound hyperthermia. Moreover,
trials on the field suggest that operational activities in the
heat could have an effect on the immune system. In that
case, it appears important to determine if those combined
constraints could potentiate the responses of the immune
system, and if they could induce an immunosuppression.
Keywords : Catecholamines. Exercise. Hyperthermia.
Immune response. Stress.
(Médecine et armées, 2006, 34, 1, 67-69)
contraintes : exercice physique, stress lié à la mission
et hyperthermie. Or tous ces éléments, séparément,
ont un effet sur la réponse immunitaire.
Tout d’abord l’exercice physique induit des modifications
au cours de l’exercice et sa récupération (1).
Ces modifications sont dépendantes de l’intensité et
de la durée de l’exercice. Ensuite, le stress psychologique
lié à l’environnement opérationnel a des conséquences
physiologiques mesurables sur les hormones du stress
telles que le cortisol et les catécholamines. Ces hormones
agissent sur la réponse immunitaire (2). Enfin, lors de
l’exercice à la chaleur, des études peu nombreuses
médecine et armées, 2006, 34, 1 67
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montrent que les perturbations de la réponse
immunitaire sont exacerbées (3).
Quel est l’effet de l’ensemble de ces contraintes
lorsqu’elles sont combinées?
II. EFFET DE L’EXERCICE INTENSE.
L’exercice entraîne une mobilisation de cellules
immunocompétentes vers le sang périphérique (1)
à partir de pools marginaux se trouvant dans les microcapillaires
de différents organes lymphoïdes (4).
L’activité de ces cellules peut être affectée (4), et des
cytokines pro- et anti-inflammatoires sont secrétées (1).
Lors de la récupération après un exercice contraignant,
le nombre de lymphocytes diminue au-dessous des
concentrations normales, tandis que la concentration
de neutrophiles continue à augmenter. L’ensemble de
ces phénomènes peut aller d’une stimulation du système
immunitaire (1, 4) à une immunosuppression transitoire
associée à un état inflammatoire (1). L’implication
des catécholamines et du cortisol ne fait actuellement
plus aucun doute (2).
Une étude a été réalisée (5) dans le but d’étudier l’effet
du type d’exercice (course à pied vs bicyclette) sur
l’évolution des cytokines plasmatiques et celle du
nombre de leucocytes avant, pendant et après l’exercice.
Les sujets ont effectué deux épreuves randomisées
au cours desquelles ils ont effectué un exercice de 60 min.
à 75 % de VO 2max, une fois sur tapis roulant et une fois
sur ergocycle. Les concentrations plasmatiques d’IL-6,
IL-1β , TNF-α et IL-1ra ont été augmentées de façon
similaire au cours des deux exercices. L’épreuve sur
tapis roulant a entraîné une élévation plus importante de
la température interne et du nombre de lymphocytes
circulants pendant l’exercice. Les élévations d’IL-6
et de lymphocytes sont corrélées avec celles de la
température corporelle et celles des catécholamines
plasmatiques. Cette étude confirme le rôle des catécholamines
dans l’élévation des cytokines et dans la
mobilisation des cellules du système immunitaire.
Cependant l’élévation de la température interne
pourrait intervenir également.
III. EFFET D’ACTIVITÉS AVEC PORT DES
TENUES DE PROTECTION.
Les tenues de protection NRBC entraînent des contraintes
physiologiques importantes surtout lors d’activités
opérationnelles en environnement tropical et équatorial.
En mode de protection complète (chaussettes et
sous-gants carbonés, masque de protection faciale et
fermeture complète de la tenue), elles constituent
un écran majeur à l’élimination de la chaleur produite par
les muscles lors de l’activité physique. En raison de
l’imperméabilité de ces tenues à la vapeur d’eau (en
particulier pour la tenue légère de décontamination,
TLD), la couche d’air entre le vêtement et la peau va se
saturer en vapeur d’eau, ce qui réduit considérablement
les possibilités d’évaporation de la sueur. Dans ces
conditions, le stockage thermique est considérablement
favorisé.
Des études, peu nombreuses, montrent que les
perturbations du système immunitaire sont exacerbées
lors de l’exercice à la chaleur (3, 6). Toutefois ces
études ont été réalisées en immersion. Or l’immersion
entraîne des modifications importantes au niveau
hémodynamique et hormonal (7), à l’origine de biais
importants.
Des études sont réalisées en laboratoire afin d’étudier
les réponses physiologiques de sujets lorsqu’ils
effectuent un exercice de marche équipés avec une
tenue de protection NRBC type TLD (fig. 1). Lors
d’une épreuve contrôle les sujets effectuent le même
exercice de marche mais équipés d’un short. Le port
de la tenue provoque un stress thermique dit
« non compensable » dans la mesure où les sujets ne
peuvent plus réguler leur température interne. Dans
ces conditions la température rectale atteint 39,2 ± 0,1 °C
au bout de 60 min. de marche à 50 % de VO 2max, contre
37,6 ± 0,1 °C à la fin de l’exercice contrôle. Cette
hyperthermie s’accompagne d’élévations plus
marquées des catécholamines et du cortisol. Le port de la
tenue TLD entraîne une élévation plus importante du
nombre de leucocytes circulants (fig. 2A), ainsi que du
nombre de monocytes et de lymphocytes (fig. 2B, C). Au
niveau des sous-populations lymphocytaires : les
Figure 1. Études en laboratoire avec les tenues de protection NRBC. Dans ce
cas il s’agit de la tenue légère de décontamination.
68 c. jimenez

Figure 2. Évolution (moyenne ± ESM) du nombre de leucocytes (fig. 2A),
de polynucléaires neutrophiles (fig. 2B), et de lymphocytes (fig. 2C) au
cours d’un exercice de marche de 1 heure effectué soit avec une tenue de
protection (●), soit en short (■) et au cours de la récupération. Évolution
(moyenne ± ESM) de la concentration plasmatique d’IL-6 (fig. 2D) au cours
au cours d’un exercice de marche de 1 heure effectué soit avec une tenue
de protection (●), soit en short (■).
lymphocytes T helper sont plus diminués tandis que les
lymphocytes T cytotoxiques, et les cellules NK sont plus
augmentés. Par ailleurs, les taux d’IL-6 plasmatique sont
multipliés par trois à la fin de la marche avec port de la
tenue TLD par rapport à l’épreuve contrôle. On peut donc
conclure que le port de la tenue de protection amplifie les
modifications de la réponse immunitaire induites
par l’exercice. Cette amplification des réponses serait due
à l’association exercice + hyperthermie.
1. Ostrowski K, Schjerling P, Pedersen BK. Physical activity and
plasma interleukin-6 in humans – effect of intensity of exercise.
Eur J Appl Physiol 2000 ; 83 : 512-5.
2. Starkie RL, Rolland J, Febbraio MA. Effect of adrenergic blockade
on lymphocyte cytokine production at rest and during exercise.
Am J Physiol Cell Physiol 2001 ; 281 : C1233-40.
3. Mitchell JB, Dugas JP, McFarlin BK, Nelson MJ. Effect of
exercise, heat stress, and hydration on immune cell number and
function. Med Sci Sports Exerc 2002 ; 34 : 1941-50.
4. Rhind SG, Castellani JW, Brenner IKM, Shephard RJ, Zamacnick
J, Montain SJ et al. Intracellular monocyte and serum cytokine
expression is modulated by exhausting exercise and cold exposure.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
effet d’un environnement chaud sur la réponse immunitaire lors d’activités opérationnelles
IV. APPLICATION LORS D’ACTIVITÉS
OPÉRATIONNELLLES EN ENVIRONNEMENT
CHAUD.
Dans ce type de situation les combattants peuvent associer
trois contraintes: exercice, hyperthermie et stress lié
l’environnement opérationnel. Des études effectuées sur
le terrain en climat tropical ont montré que le port de la
tenue entraînait une élévation des hormones de stress plus
marquée par rapport aux mêmes exercices effectués en
tenue de combat classique. Par ailleurs, à l’issue de
plusieurs semaines de mission, nous avons observé une
apparition plus fréquente de problèmes gastro-intestinaux
parmi les personnels ayant des postes à
responsabilité tels que le chef de section, le chef de groupe
et le chef d’équipe. Des études ultérieures sont programmées
afin d’évaluer le niveau de stress et les réponses du
système immunitaire chez ces personnels.
V. CONCLUSIONS.
L’élévation de la température interne amplifie les modifications
des réponses du système immunitaire associées à
un exercice aigu. Ce phénomène amène un certain
nombre de questions, notamment sur les causes (rôle de la
température interne, des catécholamines) et sur les mécanismes
mis en jeu. Par ailleurs, le stress lié aux activités
opérationnelles, et/ou au port des tenues de protection
semblerait avoir un effet sur le système immunitaire.
Dans ce cas il paraît important de déterminer s’il existe un
effet potentialisateur de ces contraintes combinées sur les
réponses du système immunitaire, et si cet effet peut être à
l’origine d’une immunosuppression.
Am J Physiol Regulatory Integrative Comp Physiol 2001 ; 281 :
R66-75.
5. Jimenez C, Mathieu J, Chancerelle Y, Clerc N, Cruz C, Denis J et al.
Plasma cytokines and leukocytes counts changes during and after
exercise. Effect of body temperature and catecholamines according
to the exercise mode. Arch Physiol Biochem 2005; soumis.
6. Shephard R. Exercise under hot conditions : a major threat to the
immune response? J Sports Med Phys Fitness 2002 ; 42 : 368-78.
7. Melin B, Jimenez C, Clerc N, Mathieu J, Aguilon P, Alonso A et
al. Immersion de longue durée. Étude des conséquences sur
l’homéostasie hydrominérale et énergétique. La Tronche (Isère) :
CRSSA ; 2004 Rapport technique N° 9-2004.
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VIENT DE PARAÎTRE
TABAC S'ARRÊTER
Michel CYMES – Rosine DEPOIX
Ce guide s'adresse à ceux qui ont pris la décision d'arrêter de fumer.
Il donne des conseils pour s'arrêter et gérer au quotidien les effets secondaires : prise de poids,
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Les auteurs : Michel CYMES, médecin, exerce dans un hôpital parisien. Chroniqueur de France Info,
il est également présentateur du Journal de la santé sur la Cinquième. Il est l'auteur de nombreux
guides. Rosine DEPOIX est journaliste spécialisée dans l'information médicale destinée au grand
public. Elle a co-écrit avec Michel CYMES « Je protège mon cœur », « Pipi au lit, ça se soigne ! »
et « Accidents domestiques ».
ISBN 2-84724-071-3 – Prix public TTC 7,50 € – ÉDITIONS JACOB-DUVERNET – 134, RUE DU BAC. 75007 – TÉL. : 01 42 22 63
65 – Contact presse : Louis De MAREUIL - MAIL : louis.sfg@noos.fr

Mise au point
STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DES
PROLACTINOMES EN 2006
RÉSUMÉ
J.-Ph. LE BERRE, C. ROUSSEAU, L. BORDIER, C. GARCIA, O. DUPUY, H. MAYAUDON, B. BAUDUCEAU
Les prolactinomes représentent les plus fréquentes des
tumeurs sécrétantes hypophysaires. Quel qu'en soit le
mode de révélation, le diagnostic de prolactinome repose
sur les dosages hormonaux, les données radiographiques
venant préciser l'extension du processus tumoral. Avec
l'introduction d'agents dopaminergiques efficaces et
dénués d’effets secondaires, la prise en charge des
prolactinomes s’est simplifiée. Si le traitement médical
peut toujours être proposé en première intention, des
incertitudes sur la durée de ce traitement persistent. La
survenue d’une grossesse et les problèmes de la
contraception constituent enfin des particularités qui
rendent nécessaires une bonne connaissance de ce type de
tumeurs hypophysaires.
Mots-clés : Agonistes dopamininergique. Grossesse.
Hyperprolactinémie. Prolactinome.
I. INTRODUCTION.
Les prolactinomes sont les plus fréquentes des tumeurs
bénignes hypophysaires puisqu’elles en représentent
40 % des cas. Elles intéressent ainsi une femme sur 1000
et un homme sur 3 000 (1). Leurs prises en charge
diagnostique et thérapeutique se sont considérablement
modifiées ces 25 dernières années avec les progrès de
l’imagerie moderne et la mise à disposition des agonistes
dopaminergiques. Les représentants les plus récents de
cette classe médicamenteuse possèdent une efficacité
accrue, une durée d'action très longue et des effets
secondaires réduits. L’expérience du service d’endocrinologie
de l’HIA Bégin se fonde sur une série de 88 cas
de prolactinomes colligés en quinze ans.
J.-Ph. LE BERRE, médecin principal, assistant du SSA. C. ROUSSEAU, médecin
des armées. L. BORDIER, médecin principal, assistant du SSA. C. GARCIA,
pharmacien chimiste des armées. O. DUPUY, médecin en chef, spécialiste du SSA.
H. MAYAUDON, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
B. BAUDUCEAU, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce.
Correspondance : B. BAUDUCEAU, Service d’endocrinologie, HIA Bégin, 69
avenue de Paris, 04160 Saint-Mandé.
ABSTRACT
PROLACTINOMAS IN 2006 : DIAGNOSIS AND
TREATMENT.
Prolactinomas represent the most common hormonesecreting
pituitary tumors. Whatever is the clinical
revelation, diagnosis of prolactinomas is based on
hormonal dosage. X-ray and MRI give further
informations about tumoral process extension.
Treatment of prolactinomas has been simplified thanks
to the availability of effective new dopaminergic agonists
without wrong side effects. If primary therapy should be
medical treatment, lenght of treatement remains
unsettled. Contraception and pregnancy, because of
specific problems need to well know these pituitary
tumors.
Keywords : Dopamine agonist. Hyperprolactinemia.
Pregnancy. Prolactinoma.
(Médecine et armées, 2005, 33, 4, 71-76)
II. PHYSIOPATHOLOGIE.
La sécrétion de prolactine (PRL) est placée sous le
contrôle inhibiteur permanent de la dopamine d’origine
hypothalamique qui agit sur les récepteurs dopaminergiques
D2 des cellules lactotropes. Le taux normal de
prolactine est inférieur à 25µ g/l chez la femme et à 20µ g/l
chez l’homme. Dans le cas d’un adénome, la prolactinémie
s’élève et la sécrétion devient autonome sans que
les mécanismes régulateurs soient totalement altérés.
L’excès de prolactine inhibe la sécrétion de
la gonadolibérine (LH-RH) et donc des gonadotrophines
FSH et LH. En conséquence, les principales
manifestations cliniques concernent les fonctions
gonadiques ou résultent des effets directs de la prolactine
sur la glande mammaire.
III. CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE.
Les symptômes amenant à la découverte d’un adénome à
prolactine sont fonction du sexe et du statut gonadique du
malade. Globalement, si les manifestations cliniques
associent des signes mammaires, des perturbations
médecine et armées, 2005, 33, 4 71

sexuelles et des stigmates de compression en rapport
avec la tumeur, la part de chacune de ces composantes
diffère chez l’homme et chez la femme avant et après
la ménopause (1).
A) CHEZ LA FEMME JEUNE.
Chez la femme jeune, le diagnostic d’hyperprolactinémie
est souvent évoqué devant l’existence de troubles du cycle
menstruel et notamment d’une aménorrhée, associée à
une galactorrhée et à une infertilité.
L’aménorrhée qui peut être masquée par la prise d’un
contraceptif oestro-progestatif, est pratiquement
constante mais peut dans de rares observations être
remplacée par une spanioménorrhée. Ainsi, 20 % des
aménorrhées hypothalamiques sont en rapport avec un
prolactinome. La sensibilité du signal d’alerte « aménorrhée
» explique la précocité du diagnostic chez la femme
jeune si bien que la majorité des adénomes responsables
d’une hyperprolactinémie sont des microprolactinomes,
définis par une taille inférieure à 10 mm (2).
La galactorrhée qui est observée dans près de 80 % des
cas de prolactinomes, est fréquemment amplifiée et
pérennisée par les manœuvres répétées de la malade
qui la recherche par une traction des mamelons. Ainsi,
l’association d’une aménorrhée et d’une galactorrhée
doit faire rechercher une hyperprolactinémie qui est ainsi
retrouvée dans 40 % à 75 % des cas.
Enfin, la diminution de la fertilité peut constituer un
mode de révélation, mais dans cette circonstance, les
perturbations du cycle conduisent naturellement à
doser la prolactine.
B) CHEZ LA FEMME MÉNOPAUSÉE.
Chez la femme ménopausée, le signal d’alerte que
réalisent les anomalies des règles, disparaît ou est
maquillé par la prise d’un traitement hormonal substitutif.
La tumeur hypophysaire est alors découverte
fortuitement ou devant des signes de compression.
Enfin, une carence oestrogénique prolongée, générée
par l’hyperprolactinémie, peut être responsable d’une
ostéoporose vertébrale.
C) CHEZ L’HOMME.
Chez l’homme, troubles sexuels et gynécomastie sont les
principaux signes amenant au diagnostic (2). Les signes
de dysfonction érectile volontiers associés à une diminution
de la libido sont les plus précocement observés. En
revanche, une hyperprolactinémie n’est responsable que
de 1 % des cas d’impuissance. Si une gynécomastie est
décrite dans 15 % à 30 % des prolactinomes, la présence
d’une galactorrhée est rarement constatée. Comme
chez la femme ménopausée, ces tumeurs hypophysaires
sont le plus souvent représentées par des macroadénomes
qui peuvent entraîner des céphalées et une réduction
du champ visuel par compression du chiasma optique (3).
Lorsque le volume tumoral est important, le fonctionnement
des autres axes hypophysaires, thyréotrope,
gonadotrope, corticotrope et somatotrope peut être altéré.
En revanche le caractère sécrétoire des prolactinomes
peut être mixte et concerner également l’hormone de
croissance associant alors prolactinome et acromégalie.
IV. DIAGNOSTIC POSITIF DES PROLAC-
TINOMES.
Après l’interrogatoire et l’examen clinique, le dosage de
la prolactine permet déjà d’orienter le diagnostic. Ainsi,
la présence d’un prolactinome peut être écartée lorsque la
prolactinémie est inférieure à 30 µg/l. Au-delà de
100 µg/l, le diagnostic de prolactinome est probable
tandis que des chiffres supérieurs à 200 µg/l répondent le
plus souvent à un macroprolactinome (3). Dans les zones
intermédiaires ou dans les cas douteux, la réalisation d’un
test de stimulation est utile pour rattacher une hyperprolactinémie
à un prolactinome. Le test à la TRH
(Thyrotropin Releasing Hormone) consiste à doser la
prolactine avant, puis 15 et 30 minutes après une injection
IV d’une ampoule de 0,250 mg de Protiréline. L’absence
d’élévation significative de la prolactinémie au cours de
ce test est en faveur du diagnostic de prolactinome.
Le diagnostic de prolactinome retenu sur les données des
dosages hormonaux, l'imagerie est indispensable pour
préciser la topographie et l'extension du processus
tumoral puis d'en suivre l'évolution sous traitement. En
ce domaine, l’IRM est particulièrement performante,
permettant de mesurer précisément la taille de l’adénome
qui est globalement bien corrélée au taux de la
prolactinémie (fig. 1) (4). Les microprolactinomes qui se
définissent par une taille inférieure à 10mm, apparaissent
typiquement en hyposignal en T1 et en hypersignal en T2
(fig. 2). La réalisation d’une IRM nécessite auparavant
d’avoir affirmé le diagnostic sur les dosages hormonaux,
en raison de la fréquence des incidentalomes hypophysaires.
Les macroprolactinomes sont parfois très
volumineux, entraînant des signes compressifs
et s’accompagnent d’un taux de prolactine qui dépasse
200 µg/l (fig. 3). La réalisation d’une étude du champ
visuel et l’exploration des autres axes hypophysaires
sont alors indispensables. La post-hypophyse est
habituellement respectée et la constatation d’un diabète
Figure 1. Il existe une excellente corrélation entre la taille de l’adénome et
le taux de la prolactinémie (série du service d’endocrinologie de l’HIA Bégin).
72 b. bauduceau

T1 T2
Figure 2. IRM coupe coronale en T1 visualisant un hyposignal de la partie
droite de l’hypophyse correspondant à un microprolactinome. En mode T2
cette lésion apparaît en hypersignal.
insipide au cours d’une tumeur de la région hypophysaire
doit faire douter du diagnostic de prolactinome.
Lorsque la symptomatologie biologique évocatrice d’un
prolactinome contraste avec la normalité de l’imagerie,
plusieurs hypothèses peuvent être formulées. Il peut ainsi
s’agir d’une simple hyperplasie des cellules à prolactine,
d’un adénome de très petite taille ou d’un résultat
discordant du test au TRH. La conduite thérapeutique doit
être adaptée à la présentation clinique et à l’évolution.
V. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES PROLAC-
TINOMES.
Une hyperprolactinémie peut être observée dans de
nombreuses circonstances:
– la grossesse en constitue la première cause, parfaitement
physiologique puisque les taux atteignent
jusqu’à 200 à 300 µ g/l au 3e trimestre de la gestation.
Cette constatation explique la difficulté du suivi d’un
prolactinome par le dosage de la prolactine au cours
de la grossesse;
– les causes iatrogènes sont les plus fréquentes et doivent
être recherchées par l’interrogatoire. La consommation
d’estrogènes, de métoclopramide, de neuroleptiques
(phénothiazines, halopéridol), d’antidépresseurs
(tricycliques et IMAO), de morphiniques, de vérapamil
ou de méthyldopa s’accompagne d’une hyperprolactinémie
modérée de 25 à 100 µ g/l. Un retour à la normale
est constaté dans les jours suivant l’arrêt de la prise
médicamenteuse (5);
– une hypothyroïdie périphérique profonde, une
insuffisance rénale constituent des causes rares d’hyperprolactinémie
qu’il convient d’évoquer;
– le syndrome des ovaires polykystiques s’accompagne
d’une élévation de la prolactine. La mise en évidence
d’une hyperprolactinémie n’est pas rare dans ce contexte
en raison de la forte prévalence de ce syndrome et du
fréquent dosage de la prolactine chez des jeunes femmes
présentant des anomalies du cycle;
– diverses lésions hypothalamo-hypophysaires s’accompagnent
d’une hyperprolactinémie de déconnexion.
Ainsi, les adénomes hypophysaires non sécrétants ou les
craniopharyngiomes, pour ne citer que les tumeurs les
stratégie diagnostique et thérapeutique des prolactinomes en 2006
plus fréquemment rencontrées, s’accompagnent
d’une élévation modérée de la prolactinémie. Cet état
de fait peut conduire à des erreurs diagnostiques et
thérapeutiques puisque les dopaminergiques ne sont
d’aucune efficacité sur ce type de tumeurs;
– la macroprolactinémie ou big big prolactine est due à
une liaison de la prolactine à une immunoglobuline. Elle
représente 1 % à 5 % de la prolactine circulante mais cette
forme est biologiquement inactive. Sa fréquence est
estimée à 10 % des hyperprolactinémies. Elle se détecte
par chromatographie de la prolactine ou par précipitation
des immunoglobulines par le PEG. Il faut savoir demander
ce type de dosage devant des taux très élevés de prolactine
et l’absence paradoxale de tout signe clinique (6, 7);
– enfin le diagnostic d’hyperprolactinémie idiopathique
est porté quand aucune cause n’est retrouvée. La qualité de
l’imagerie actuellement disponible a rendu ce diagnostic
exceptionnel. L’hyperprolactinémie dite « idiopathique »
pourrait être rattachée à une hyperplasie des cellules
lactotropes ou à un prolactinome de très petite taille
indétectable à l’imagerie. Une normalisation spontanée de
la prolactinémie est observée dans un tiers des cas (8).
VI. TRAITEMENT.
Le traitement est principalement médical et dominé par
les agonistes dopaminergiques. La chirurgie ne conserve
plus que quelques rares indications tandis que la radiothérapie
n’est plus qu’exceptionnellement nécessaire.
A
B
Figure 3. (A) IRM initiale d’un volumineux macroprolactinome à
développement supra-sellaire. Prolactine = 4186 µ g/l. (B) Contrôle IRM après
5 mois de traitement par Cabergoline 1 mg par semaine. Réduction
remarquable de la taille de la tumeur et prolactine = 6 µ g/l
73

L’agoniste dopaminergique le plus utilisé ces vingt
dernières années est représenté par la bromocriptine
(PARLODEL ® ). Le quinagolide (NORPROLAC ® ) et
maintenant la cabergoline (DOSTINEX ® ) ont démontré
une efficacité supérieure et des effets secondaires
moindres.
La chirurgie par voie trans-sphénoïdale garde quelques
indications en cas de résistance ou d’intolérance à ces
médicaments.
A) TRAITEMENT DES MICROPROLAC-
TINOMES.
Les microprolactinomes sont les plus fréquents
des adénomes à prolactine (90 % des cas) et touchent
plus souvent la femme en raison d’une découverte
plus précoce devant une aménorrhée. La taille de ces
prolactinomes reste habituellement stable en l’absence de
traitement. Toutefois, les macroprolactinomes ont débuté
leur histoire sous la forme d’adénomes de petite taille, ce
qui invite à initier un traitement précoce pour éviter la
croissance potentielle des microprolactinomes (9).
L’objectif du traitement est de rétablir les fonctions
gonadiques et la fertilité tout en évitant la progression
tumorale. La bromocriptine, le quinagolide et la
cabergoline permettent de répondre à ce cahier des
charges (10, 11).
La dose initiale conseillée de bromocriptine
(PARLODEL ® ) est de 1,25 mg (1/2 cp) administrée le
soir au dîner. En fonction des résultats, elle est progressivement
augmentée par palier de 1,25 mg pour atteindre
la dose moyenne de 5 à 7 mg par jour en deux prises.
La bromocriptine normalise la sécrétion de prolactine
chez 82 % des femmes et rétablit la menstruation et la
fertilité dans 90 % des cas (12). Les principaux effets
secondaires sont représentés par les nausées, l’hypotension
orthostatique et les troubles psychiques (confusion,
hallucination et délire). En cas de résistance à la
bromocriptine (24 % des cas), définie par l’absence
de réduction de l’hypersécrétion hormonale pour plus
de 15 mg de bromocriptine, quinagolide et cabergoline
peuvent être utilisés (13). Cette résistance à la bromocriptine
peut s’expliquer par la diminution du nombre
des récepteurs dopaminergiques D2 mais sans qu’il
existe une diminution de l’affinité du récepteur pour cette
molécule (14).
Le quinagolide (NORPROLAC ® ), agoniste sélectif de
ces récepteurs dopaminergiques D2, est débuté à 25 mg
le soir puis progressivement augmenté jusqu’à 75 à
150 mg en une prise quotidienne. Les effets secondaires
sont moindres et l’efficacité est similaire à celle de
la bromocriptine (11).
La cabergoline (DOSTINEX‚), agoniste dopaminergique
de haute affinité pour le récepteur D2, dérivée de
l’ergot de seigle, est très efficace, mieux tolérée et de prise
simplifiée. Il n’existe pas de différence d’efficacité chez
l’homme et chez la femme (15). La dose initiale de 0,5mg
par semaine (1 comprimé) le soir au repas est augmentée
progressivement jusqu'à normalisation du taux de
prolactine. La dose moyenne nécessaire est de 0,5 à 1mg
par semaine (16, 17). Ce médicament est très efficace,
permettant de normaliser la prolactinémie chez 86 %
des patients et de réduire la taille des micro et des macro
adénomes dans 67 % des cas (18). Dans quelques
observations (10 % des microprolactinomes), une
résistance à la cabergoline a été décrite, nécessitant
d’augmenter les doses. Aucun résultat supplémentaire
n’a cependant été obtenu pour des doses supérieures à
3 mg par semaine (13-19).
La chirurgie trans-sphénoïdale des microadénomes
ne s’envisage aujourd’hui qu’en cas d’échec ou d’intolérance
du traitement médical. Les meilleurs résultats
qui ne dépassent pas 75 % de guérison, sont obtenus
pour les tumeurs les plus petites (20).
B) TRAITEMENT DES MACROPROLAC-
TINOMES.
Les macroprolactinomes intéressent plus fréquemment
les sujets de sexe masculin (21). Le traitement de
première intention repose sur les agonistes dopaminergiques
même en présence de signes compressifs ou
d’atteinte du champ visuel. Ces médicaments permettent
de réduire le volume tumoral dans 60 % à 80 % des cas
(12, 22). Cet effet est très rapide puisqu’il intervient le
plus souvent dans les trois premiers mois. Les doses
habituellement prescrites sont de 7,5 mg par jour pour
la bromocriptine (PARLODEL ® ). Le quinagolide
(NORPROLAC ® ) peut être utilisée notamment en cas de
résistance ou d’intolérance à la bromocriptine (17, 23).
La cabergoline (DOSTINEX ® ) apparaît aujourd’hui
comme plus efficace et mieux tolérée (18, 24). Elle
permet même de réduire la taille des macroprolactinomes
géants (diamètre supérieur à 40 mm) dans plus de 90 %
des cas (fig.3) (25). La posologie moyenne est de 1mg par
semaine. En cas de résistance à la cabergoline (17,8% des
macroprolactinomes) la posologie peut être augmentée
jusqu’à 5 à 7 mg par semaine (19).
Le traitement chirurgical reste le recours en cas d’absence
de régression du volume tumoral (26). Il est exceptionnel
qu’une intervention à visée décompressive soit indiquée
en urgence devant une aggravation récente du champ
visuel malgré le traitement. En définitive, la probabilité
d’obtenir une guérison par la chirurgie est d’autant plus
faible que le volume tumoral est plus important.
La radiothérapie de la région hypophysaire est exceptionnellement
indiquée en complément d’une chirurgie
incomplète et d’un traitement dopaminergique
inefficace. La morbidité est très faible puisque seuls
1,5 % des patients présentent un déficit visuel d’origine
radique et que les résultats en terme de survie sont très
encourageants avec un recul de plus de 20 ans (27).
Cependant, la radiothérapie conduit à un déficit
panhypohysaire dans 50% des cas ce qui n’est pas surprenant
chez des malades présentant de volumineuses
tumeurs comportant souvent au départ un déficit
hormonal. En revanche, l’élévation de la mortalité
cérébrovasculaire chez les patients ayant fait l’objet
74 b. bauduceau

d’une chirurgie et d’une radiothérapie constitue un
fait plus préoccupant (28).
C) PROLACTINOME ET GROSSESSE.
Les prolactinomes affectant des femmes en âge de
procréer, le problème posé par la survenue d'une
grossesse n'est pas exceptionnel puisque le traitement
dopaminergique permet souvent de restaurer l’ovulation
surtout en cas de microprolactinome (29). La stimulation
des cellules lactotropes hypophysaires par les oestrogènes
faisant courir un risque de croissance tumorale,
la grossesse ne peut être autorisée que si la pathologie
tumorale paraît maîtrisée (30, 31). Dans ces conditions, le
traitement médical est interrompu après le diagnostic
biologique de la grossesse. La bromocriptine n’induisant
pas d’effet tératogène, doit être préférée en cas de désir de
grossesse. Utilisée de façon plus récente, la cabergoline
semble également dénuée de ce type d’inconvénient mais
le recul manque en ce domaine (32). L'interprétation des
taux de prolactine s'avérant difficile durant toute la
période de gestation, la surveillance repose essentiellement
sur les données cliniques, l'examen du champ visuel
et en cas de doute sur l’IRM sans injection de produit de
contraste. La bromocriptine peut éventuellement être
réintroduite au cours de la grossesse en cas de progression
tumorale. L'allaitement qui ne modifie pas le volume
tumoral peut enfin être autorisé.
D) CONTRACEPTION.
Après une première grossesse induite par le traitement
spécifique de l'adénome à prolactine, une seconde
gestation spontanée est fréquente. Ainsi, chez les
patientes qui souhaitent une contraception, le recours
à une méthode mécanique doit être privilégiée. Une
contraception orale progestative peut parfaitement être
utilisée. Classiquement contre-indiqués, les œstrogènes
sont autorisés par de nombreux auteurs et sont même
proposés par certains en cas de microprolactinome pour
prévenir la perte osseuse. La prudence, surtout devant un
macroprolactinome, invite toutefois à utiliser de petites
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stratégie diagnostique et thérapeutique des prolactinomes en 2006
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
doses d’œstrogènes et une pilule à climat progestatif
prépondérant.
Enfin, les contraceptifs œstroprogestatifs ne sont pas mis
en cause dans la genèse des prolactinomes. La découverte
d'un syndrome aménorrhée-galactorrhée après arrêt
d’une contraception orale doit être rattachée à un prolactinome
préexistant dont la symptomatologie a été masquée
par les œstroprogestatifs.
VII. ÉVOLUTION ET SURVEILLANCE
ULTÉRIEURE.
La durée du traitement médical ne fait l'objet d'aucun
consensus. Au décours d'une première séquence
thérapeutique de 2 à 3 ans, un bilan radio-hormonal est
pratiqué après six semaines de sevrage médicamenteux.
Une prolactinémie de base normale associée à une
réponse physiologique à la stimulation par la TRH
affirme la guérison et autorise l'arrêt du traitement. Dans
le cas contraire, une nouvelle séquence thérapeutique de
même durée sera entreprise. Il est toutefois rare qu’une
guérison complète puisse être obtenue devant un macroprolactinome
(33, 34). La prudence est alors de poursuivre
un traitement dopaminergique à petite dose, ce qui ne
pose aucun problème avec les nouvelles molécules.
VIII. CONCLUSION.
Avec l'introduction d'agents dopaminergiques efficaces
et dénués d’effets secondaires, la prise en charge des
prolactinomes s’est simplifiée. Quel qu'en soit le mode de
révélation, le diagnostic de prolactinome repose sur les
dosages hormonaux, les données radiographiques venant
préciser l'extension du processus tumoral. Si le traitement
médical peut toujours être proposé en première intention,
des incertitudes sur la durée de ce traitement persistent
cependant. La survenue d’une grossesse et les problèmes
de la contraception constituent enfin des particularités
qui rendent nécessaires une bonne connaissance de ces
fréquentes tumeurs hypophysaires.
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76 b. bauduceau

Mémoire
ANTICORPS ANTI-CYTOPLASME DES POLYNUCLÉAIRES
NEUTROPHILES
Physiologie, méthodes de dosage et applications cliniques
RÉSUMÉ
Les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires
neutrophiles ou ANCA sont une nouvelle famille d’autoanticorps
dirigés contre des antigènes du cytoplasme des
polynucléaires neutrophiles et des monocytes. Ils ont une
forte spécificité pour le groupe des vascularites
nécrosantes systémiques. Les auteurs passent en revue les
aspects physiologiques des anticorps anti-cytoplasme des
polynucléaires neutrophiles, les méthodes de détection et
les principales applications cliniques.
Mots-clés : Anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires
neutrophiles. Granulomatose de Wegener. Polyangéite
microscopique. Syndrome de Churg et Strauss.
Vascularites.
I. INTRODUCTION.
Les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires
neutrophiles (ANCA) ont été détectés pour la première
fois en 1982 dans le sérum de huit patients souffrant de
glomérulonéphrite extracapillaire nécrosante (1). Ce
n’est qu’en 1985 qu’ils ont été décrits par Van der Woude
et coll. comme marqueur biologique de la granulomatose
de Wegener (2). Cette nouvelle famille d’auto-anticorps
allait, par la suite, être démembrée, pendant que s’allongeait
la liste des affections au cours desquelles ils étaient
susceptibles d’être rencontrés (tab. I).
II. ASPECTS PHYSIOLOGIQUES.
A) CIBLES ANTIGÉNIQUES.
Les principales cibles des ANCA sont situées dans
les granules azurophiles primaires α et secondaires β des
I. DROUILLARD, pharmacien en chef, praticien certifié. B. FOUCHER,
pharmacien des armées, praticien confirmé. L. CREVON, médecin en chef,
praticien certifié. B. CHEVALIER, médecin en chef, praticien certifié.
Correspondance : I. DROUILLARD, HIA Desgenettes, Fédération de biologie
clinique, BP 25, 69998 Lyon Armées.
I. DROUILLARD, B. FOUCHER, L. CREVON, B. CHEVALIER
ABSTRACT
ANTI NEUTROPHIL CYTOPLASM ANTIBODIES:
PHYSIOLOGY, TECHNOLOGICAL ASPECTS AND
CLINICAL APPLICATIONS.
Anti neutrophil cytoplasm antibodies are a new autoantibodies
family against neutrophil and monocyte
cytoplasm antigen. ANCA are important serological
markers for small vessel vasculitis and have provided
new insights in their pathogenetic mechanisms. The
authors review physiologic aspects of ANCA,
technological aspects and clinical applications.
Keywords: Anti-neutrophil cytoplasm antibodies. Churg
and Strauss syndrome. Microscopic polyangeite.
Vasculitis. Wegener’s disease.
(Médecine et armées, 2005, 33, 4, 77-82)
polynucléaires neutrophiles et dans les lysosomes
des monocytes. Les antigènes des granules primaires
α sont essentiellement la protéinase 3 (PR3), la
myéloperoxydase (MPO), la BPI (Bactericidal Permeability
Increasing Protein), l’élastase, l’azurocidine,
la protéine cationique bactéricide de 57 kDa (CAP 57),
le lysozyme et la β glucuronidase (3). Quant aux
antigènes des granules secondaires β , dont certains
sont communs aux deux types de granules, ils sont
représentés par la lactoferrine, la cathepsine G, le
lysozyme, les défensines et la protéinase 3. D’autres
antigènes d’origine cytosolique ont également été
impliqués comme par exemples l’α énolase et la catalase (4).
B) RÔLE IMMUNOPATHOLOGIQUE.
Il existe encore une controverse quant au rôle des
ANCA dans les vascularites : sont-ils uniquement
un marqueur biologique intéressant pour le diagnostic,
ou jouent-ils un rôle majeur dans la genèse des lésions
histologiques?
Plusieurs éléments plaident contre un rôle causal
univoque des ANCA dans les vascularites (5):
médecine et armées, 2005, 33, 4 77

Tableau I. Répartition des ANCA en fonction des maladies (14).
Maladies ANCA
- Granulomatose de
Wegener
- Polyangéite
microscopique
- Syndrome de
Churg et Strauss
- Glomérulonéphrite
nécrosante focale
sans dépôt d'Ig
- Périartérite
noueuse
- Glomérulonéphrite
à anticorps anti-
MBG
Vascularités systémiques
c-ANCA
p-ANCA rare
c-ANCA
p-ANCA
c-ANCA
p-ANCA
c-ANCA
p-ANCA
Rare
p-ANCA
Maladies rhumatismales
-Arthrite rhumatoïde p-ANCA atypique
-Rectocolite
hémorragique
-Maladie de Crohn
Maladies inflammatoires du tube digestif
-Maladies
hépatiques
-Infection par le VIH
p-ANCA atypique
p-ANCA atypique rare
Autres maladies
p-ANCA atypique
p-ANCA atypique
Cibles
antigéniques
PR3 : 75 %
MPO : 15 %
PR3 : 35 %
MPO : 50 %
PR3 : 10 %
MPO : 60 %
PR3 : 20 %
MPO : 70 %
PR3 : 5 %
MPO : 25 %
Rarement MPO
Parfois lactoferrine
Cathepsine G
Lactoferrine ?
Cathepsine G ?
– la possibilité de granulomatose de Wegener active
généralisée sans ANCA détectables;
– l’absence de parallélisme strict entre les titres d’ANCA
et l’activité de la maladie;
– le nombre croissant de situations cliniques diverses
où les ANCA sont rencontrés.
À l’inverse, de très nombreux travaux expérimentaux
semblent donner aux ANCA un rôle pathogénique
important (tab. II).
Les ANCA amplifieraient un état de pré-activation des
polynucléaires neutrophiles provoqué par la libération de
cytokines pro-inflammatoires (IL8, IL1β ) au cours d’un
épisode infectieux. Ces cytokines provoqueraient
l’exocytose des antigènes MPO et PR3, normalement
stockés dans les granules azurophiles et secondaires, qui
deviendraient ainsi accessibles aux ANCA. La partie
F(ab’) 2 des auto-anticorps lieraient ces antigènes
alors que la partie Fc, en liant les récepteurs Fcγ RIIa,
déclencherait les signaux intracellulaires conduisant
à l’activation des neutrophiles. Les polynucléaires
activés expriment des quantités accrues d’adhésines
leucocytaires (récepteurs CR3 et LFA1) permettant la
liaison aux cellules endothéliales par l’intermédiaire
des molécules d’adhérence (ICAM1, VCAM1).
L’activation des polynucléaires serait donc susceptible
d’engendrer une obstruction des capillaires via leur
agrégation et des lésions des cellules endothéliales par
les protéases et les dérivés oxygénés libérés au contact
immédiat de l’endothélium (6) (fig. 1).
Falk et coll. ont démontré que les ANCA induiraient
un stress oxydant et une dégranulation des PNN
et des monocytes, générant ainsi des lésions de
vascularites (7).
Des progrès importants ont été réalisés dans la
compréhension de la pathogénie des vascularites
ANCA-positives. Toutefois, si le rôle pathogène
des ANCA anti-MPO dans la génèse des glomérulonéphrites
nécrosantes à croissants est maintenant bien
établi chez des souris invalidées pour le gène
RAG2 (souris dépourvues de lymphocytes T et B) (8),
celui des ANCA anti-PR3 n’a pas encore été démontré,
faute de modèle expérimental adéquat. De plus, les
rôles suspectés de facteurs environnementaux,
notamment bactériens (Staphylococcus aureus,
Pseudomonas aeruginosa) mais aussi viraux (coxsackie
B3, parvovirus B19) et de facteurs génétiques (mutations
du gène codant pour l’α 1-antitrypsine, prévalence
élevée d’allèles de classe II du CMH HLA-DR1 et HLA-
DQw7) restent à démontrer (3, 9, 10).
Tableau II. Arguments en faveur du rôle des ANCA dans les lésions de
vascularites (6).
1/Infiltration alvéolaire très précoce par des
neutrophiles activés dans l’atteinte pulmonaire de la
Granulomatose de Wegener.
2/Présence de neutrophiles et de leurs enzymes dans
les glomérules, les croissants et dans les cellules
épithéliales tubulaires dans les glomérulonéphrites
nécrosantes à croissants.
3/Action des enzymes libérées par la dégranulation
(apoptose des cellules endothéliales, fixation sur la
matrice extracellulaire, liaison d’autoanticorps).
4/Activation des polynucléaires par les ANCA,
dépendant de la sous-classe d’immunoglobuline et de
la liaison au récepteur Fcγ -RII.
5/Cytotoxicité pour les cellules endothéliales et
recrutement des cellules inflammatoires par les cellules
endothéliales en induisant une synthèse d’IL8 et
l’adhérence des neutrophiles, des monocytes
(activation de ICAM1, VCAM1…).
6/Induction par les ANCA de la synthèse d’IL1β à partir
des polynucléaires et d’IL8 à partir des monocytes et
activation de la voie de la 5-lipoxygénase (leucotriène
B4).
7/Fréquence accrue des allèles codant pour le déficit
en α 1-antitrypsine (inhibiteur naturel de la PR3) chez
les patients atteints de la Granulomatose de Wegener.
8/Expression de la PR3 à la surface des neutrophiles
variable selon les individus. Une forte proportion de
polynucléaires exprimant la PR3 à leur surface est un
facteur de risque pour les vascularites primitives.
78 i. drouillard

Figure 1. Représentation schématique des étapes conduisant aux lésions de
vascularite nécrosante (12).
III. MÉTHODES DE DÉTECTION.
La méthode de référence pour la recherche des ANCA est
l’immunofluorescence indirecte (IFI) sur frottis de
polynucléaires humains sains fixés en éthanol. Cette
méthode est standardisée et a été internationalement
reconnue. Le seuil de positivité de l’IFI est de 1/20 e . Les
lames peuvent être préparées dans les laboratoires par cytocentrifugation
ou bien achetées dans le commerce (11).
L’IFI permet de distinguer deux aspects principaux avec
les lames fixées dans l’éthanol:
– une fluorescence cytoplasmique (c-ANCA);
– une fluorescence périnucléaire (p-ANCA).
L’aspect c-ANCA est caractérisé par une fluorescence
diffuse du cytoplasme des polynucléaires avec un
anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles
Figure 2. Immunofluorescence indirecte : aspect cytoplasmique (c-ANCA) –
Fixation dans l’éthanol.
renforcement entre les lobes du noyau (fig. 2). L’aspect
p-ANCA se traduit par une fluorescence concentrée
autour du noyau, plutôt en motte, avec débordement sur
le noyau (fig. 3). Il existe également des p-ANCA
atypiques qui se distinguent des p-ANCA typiques par
la fixation des lames de polynucléaires dans le formol.
Les p-ANCA typiques donnent alors une fluorescence
cytoplasmique et les p-ANCA atypiques une absence
de fluorescence (12).
L’utilisation de l’IFI constitue la première étape d’une
démarche dans la recherche des ANCA, qui aboutit
lorsque le résultat est positif à un typage de la spécificité
antigénique de ces auto-anticorps par des méthodes
immunoenzymatiques (ELISA, immunodot). L’existence
actuelle sur le marché de coffrets ELISA
(Bioadvance ® ) permettant la détection simultanée
de plusieurs spécificités antigéniques (celles majeures
comme la MPO et la PR3 et celles mineures de
signification plus incertaine comme la BPI, la
lactoferrine, l’élastase, la cathepsine G et le lysozyme)
constitue certainement une solution pour les laboratoires
qui suivent une démarche complète dans la détection des
ANCA. L’aspect c-ANCA est pratiquement toujours
associé à des anticorps anti-protéinase 3. Quant à l’aspect
Figure 3. Immunofluorescence indirecte : aspect périnucléaire (p-ANCA) –
Fixation dans l’éthanol.
79

p-ANCA, il a une valeur bien moindre, car il peut être
dû à des Ac anti-MPO mais aussi à des Ac dirigés
contre d’autres molécules comme l’élastase, la
cathepsine G, le lysozyme…
Il est également important de noter l’existence de fluorescences
difficiles à interpréter, pouvant résulter
d’anomalies propres aux substrats cellulaires et aux
fixateurs utilisés ou encore en raison de la présence
dans le sérum de patients d’autres auto-anticorps qui
«marqueraient» les polynucléaires neutrophiles. Dans ce
dernier cas de figure, une étape essentielle est la recherche
au préalable en IFI d’anticorps anti-nucléaires sur
cellules Hep2, certains facteurs anti-nucléaires pouvant
se confondre avec les p-ANCA (13).
IV. APPLICATIONS CLINIQUES.
A) ANCA ET VASCULARITES.
Les ANCA sont des marqueurs de vascularites touchant
les petits vaisseaux comme la granulomatose de Wegener
(GW), la polyangéite microscopique (PAM), le syndrome
de Churg et Strauss (CS) et les glomérulonéphrites
nécrosantes focales pauci-immunes. Les c-ANCA de
spécificité anti-PR3 sont surtout associés à la maladie
de Wegener, tandis que les p-ANCA de spécificité
anti-MPO se rencontrent essentiellement en cas de
polyangéite microscopique ou de syndrome de Churg
et Strauss (14).
Les c-ANCA anti-protéinase 3 ont une sensibilité
de l’ordre de 90 % dans la maladie de Wegener généralisée
et active, qui décroît jusqu’à 60 % quand la maladie
est localisée ; globalement elle est de 66 % (15).
La présence d’ANCA à titre élevé avec une spécificité
anti-PR3 est un argument de poids pour le diagnostic de
maladie de Wegener; par contre, la négativité des ANCA
ne doit pas faire rejeter le diagnostic, en particulier devant
une forme d’apparence « limitée ». L’évolution de la GW
est marquée par un taux élevé de rechutes (30 % à 50 %).
Le traitement corticoïde et/ou immunosuppresseur
s’accompagne généralement d’une diminution du taux
des ANCA. Leur réascension aurait une valeur prédictive
pour le diagnostic de rechute. Celle-ci n’est cependant
pas constante et la réapparition d’anomalies sérologiques
ne doit pas, à elle seule, faire décider de la reprise du
traitement. Inversement, la persistance d’une négativité
des ANCA est rarement associée à une rechute.
En conclusion, l’élévation du titre d’ANCA pris
isolément n’est pas un marqueur suffisant pour modifier
le traitement, mais doit toutefois entraîner une
surveillance clinique accrue (16, 17).
En cas de PAM, les ANCA sont le plus souvent de type
périnucléaire et de spécificité anti-MPO, mais ils peuvent
également être de type cytoplasmique diffus et de spécificité
anti-PR3, si bien que la spécificité des ANCA ne
permet pas à elle seule de trancher entre PAM, maladie de
Wegener et syndrome de Churg et Strauss. La sensibilité
des ANCA et des anti-MPO est de 80 % (18). Leur intérêt
dans le suivi de la maladie n’est pas clairement établi,
contrairement à ce qui paraît probable dans la
granulomatose de Wegener (19).
Le syndrome de Churg et Strauss fait partie, au même titre
que la maladie de Wegener et la PAM, des vascularites
systémiques associées aux ANCA. En ELISA, il s’agit
presque constamment d’ANCA anti-MPO bien que les
ANCA anti-PR3 puissent être observés (20). Les
pANCA sont présents chez 47 % à 67 % des patients (21,
22). Le taux des ANCA au cours du syndrome de Churg et
Strauss ne paraît pas très bien corrélé avec l’évolutivité de
la maladie (23).
B) ANCA ET MALADIES INFLAMMATOIRES
CHRONIQUES INTESTINALES (MICI).
Les maladies inflammatoires chroniques intestinales
regroupent deux affections principales : la maladie
de Crohn (MC) et la rectocolite hémorragique (RCH).
Chez les patients atteints de MICI, les ANCA sont principalement
de type périnucléaire ou atypique. Il n’existe
pas d’antigène spécifique contre lequel les p-ANCA
réagissent (24, 25). Les p-ANCA sont plus souvent
retrouvés chez les patients atteints de RCH, alors que des
Ac anti-Saccharomyces cerevisiae (ASCA) de type IgG
ou IgA sont plus fréquents chez les patients atteints de
MC. Selon les études, la prévalence des p-ANCA varie
entre 30 % et 85 % chez les sujets ayant une RCH et entre
4 % et 25 % chez ceux atteints de MC. Inversement, la
prévalence des ASCA est comprise entre 40 % et 60 %
dans la MC et entre 6 % et 15 % dans la RCH (26).
La valeur prédictive positive (VPP) des p-ANCA et
des ASCA, utilisée individuellement pour le diagnostic
de RCH et MC, est insuffisante. En revanche, la
combinaison des deux tests chez un même patient
améliorerait le rendement diagnostique avec une
VPP supérieure à 85 % dans la plupart des études
publiées (26-28). L’existence d’un statut sérologique
ASCA +/p-ANCA- serait en faveur du diagnostic de MC
et inversement un statut ASCA-/p-ANCA + serait
en faveur d’un diagnostic de RCH (24).
C) ANCA ET INFECTIONS.
Des ANCA ont été retrouvés dans un certain nombre
d’endocardites (essentiellement des c-ANCA) et dans
quelques infections respiratoires de façon transitoire
(29). Des ANCA ont été également décrits au cours
des fibroses kystiques avec infections bactériennes
des voies respiratoires. Ce sont des IgG anti-BPI
dans 91 % des cas et des IgA anti-BPI dans 83 % des cas.
Leur taux est directement lié à la sévérité de la destruction
des voies aériennes (30).
L’infection par le VIH et la tuberculose sont associées
à des ANCA divers. Dans la tuberculose, la fréquence
des ANCA est proche de 50 % avec pour cible principale
la PR3. Quant aux sujets VIH positifs, ils ont des ANCA
dans 20 % des cas, mais leur cible antigénique ne
correspond ni à la MPO ni à la PR3 (31).
80 i. drouillard

D) ANCA, MÉDICAMENTS ET EXPOSITION.
L’hydralazine induit des lupus avec présence d’anticorps
anti-MPO et anti-élastase et des vascularites avec
présence d’anticorps anti-MPO et anti-lactoferrine (32).
La minocycline peut être responsable de l’apparition
d’arthrites, de fièvre, de livedo réticulaire avec des
anticorps anti-MPO (33).
Des observations de vascularites ont été décrites après
prise d’antithyroïdiens de synthèse (ATS) avec des
anticorps anti-MPO, PR3 et élastase. Elles ont été
décrites avec le propylthiouracile, le carbimazole, le
méthimazole et plus récemment avec le benzylthiouracile.
L’apparition relativement fréquente des ANCA au
cours des traitements prolongés par ATS et la gravité
potentielle des vascularites associées aux ANCA posent
le problème du maintien au long cours des ATS (34, 35).
Tous les phénomènes observés disparaissent à l’arrêt
du traitement ainsi que les ANCA.
E) AUTRES DOMAINES D’APPLICATIONS.
1. Polyarthrite rhumatoïde (PR).
Les ANCA font partie des auto-anticorps non spécifiques
de la PR. Ils pourraient faciliter le diagnostic de certaines
complications inhabituelles. Les ANCA sont présents
chez 10 % à 30 % de patients atteints de PR. Il s’agit de
p-ANCA ou d’ANCA atypiques dont la spécificité
anti-antigène est habituellement de type anti-lactoferrine,
anti-élastase ou anti-lysosyme et rarement de
type anti-MPO. Exceptionnellement, ces ANCA (surtout
les anti-MPO) sont associés à une néphropathie
glomérulaire ou une vascularite systémique (36).
En pratique, ces complications sont exceptionnelles,
la présence d’ANCA n’est habituellement associée
à aucun signe de ce type. Ainsi, la recherche d’ANCA
ne doit pas être systématique dans la PR mais réservée aux
formes se compliquant de signes extra-articulaires
(vasculaires ou rénaux) (37).
2. Neuropathie dysimmune.
Un grand nombre de neuropathies s’inscrit dans le
cadre de maladies systémiques auto-immunes où elles
ne sont que l’un des composants du tableau clinique.
Une atteinte périphérique s’avère très fréquente
dans la granulomatose de Wegener, la polyangéite
microscopique et dans le syndrome de Churg et
Strauss sous forme d’une mononévrite multiple
ou parfois d’une polyneuropathie (38). Une étude
de Chalk et coll. portant sur une population de
neuropathies périphériques estimait que leur spécificité
en faveur d’une vascularite histologiquement
prouvée était faible (39).
3. Autres maladies auto-immunes.
Des ANCA anti-MPO et anti-élastase ont été décrits
dans le lupus érythémateux disséminé (40). Il apparaît
également que dans certaines circonstances les ANCA
pourraient être détectés au cours d’une activation
anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles
polyclonale du système immunitaire, comme par
exemples dans les hépatites auto-immunes de type I
(présence de p-ANCA dans 60 % à 90 % des cas)
et la cholangite sclérosante (présence de p-ANCA dans
60 % à 70 % des cas) (41). Les ANCA y sont de faible
affinité, de spécificité multiple chez un même malade,
dirigés contre plusieurs antigènes cytoplasmiques
des neutrophiles (le plus souvent la cathepsine G,
l’élastase, la MPO, la lactoferrine, le lysozyme et la
β glucuronidase). Des p-ANCA atypiques ont été
retrouvés au cours du syndrome de Sjögren, du syndrome
des antiphospholipides, de polychondrite atrophiante,
d’arthrite chronique juvénile ainsi que dans certaines
dermatomyosites et polymyosites.
V. CONCLUSION.
La découverte des ANCA a complètement révolutionné
la compréhension des vascularites systémiques. La mise
en évidence de ces auto-anticorps représente une
aide certaine dans le diagnostic de ces pathologies
(fig. 4) et peut dans certains cas prévoir une rechute. La
spécifité des ANCA est importante à préciser car elle
n’est pas univoque dans les vasularites et permet de
les distinguer du nombre croissant de patients avec
maladies inflammatoires ou infectieuses ayant des
ANCA mais de spécificité différente.
Figure 4: Arbre décisionnel simplifié.
Remerciements : les auteurs tiennent à remercier le Dr
Cruel Thierry pour l’aide apportée à la réalisation des
photographies.
81

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82 i. drouillard

Fait clinique
MYOPATHIE HYPOTHYROÏDIENNE HYPERTROPHIQUE
DE L’ADULTE LIÉE A UNE THYROÏDITE
AUTO-IMMUNE D’HASHIMOTO
Deux observations
RÉSUMÉ
Les auteurs rapportent l’observation de deux hommes
âgés de 45 et 25 ans qui présentent une myopathie
hypertrophique compliquée d’une insuffisance rénale
modérée, révélatrice d’une hypothyroïdie attribuée à une
thyroïdite auto-immune d’Hashimoto. Cette rare entité
peut être au premier plan et évolue favorablement avec le
traitement de l’hypothyroïdie. Le dosage des hormones
thyroïdiennes doit rester systématique devant toute
pathologie musculaire acquise quelle que soit sa
présentation (élévation isolée des CK, pseudo-myotonie,
hypertrophie ou atrophie musculaire, faiblesse, myalgie,
intolérance musculaire à l’exercice) mais aussi en cas
d’insuffisance rénale aiguë ou chronique avec élévation
des CK sans signes cliniques de myopathie.
Mots-clés : Hypothyroïdie. Insuffisance rénale.
Myopathie hypertrophique.
I. INTRODUCTION.
Bien que le muscle squelettique soit l’organe cible majeur
de l’hormone thyroïdienne, son impact tissulaire est
complexe et encore mal connu (1). Si les symptômes
musculaires a minima (fatigabilité, crampe, myalgies,
enraidissement musculaire douloureux) sont fréquents
dans l’hypothyroïdie (30 % à 80 %) (2), une myopathie
avérée, parfois révélatrice, concernerait moins de 10 %
des malades (3), tout en représentant de 5 % à 10 % des
myopathies acquises (3, 4). À coté des rares formes amyotrophiques
et déficitaires des ceintures (Alajouanine et
Nick), le tableau musculaire est dominé par le syndrome
hypertrophique, dit de Kocher-Debré-Semelaigne chez
C. POGNANT, médecin aspirant. C. MOUNIER, médecin. L. GUILLOTON,
médecin principal, praticien certifié. S. BRAUX, médecin en chef. J. VALANCE,
médecin chef des services, praticien certifié. D. FELTEN, médecin en chef, praticien
certifié. A. DROUET, médecin en chef, praticien certifié.
Correspondance: A. DROUET, Service de neurologie, HIA Desgenettes, BP 25,
69998 Lyon Armées.
C. POGNANT, C. MOUNIER, L. GUILLOTON, S. BRAUX, J. VALANCE, D. FELTEN,A. DROUET
ABSTRACT
HYPOTHYROID HYPERTROPHIC MYOPATHY OR
HOFFMANN’S SYNDROME AS COMPLICATION OF
HASHIMOTO’S THYROIDITIS. TWO OBSERVATIONS.
The authors describe two cases of 45 and 25 years old
men at diagnosis which developed hypertrophic
myopathy due to Hashimoyo’s thyroiditis. This
uncommon entity can be the most important sign of
hypothyroidism and cure after the institution of thyroid
hormone replacement therapy. Thyroid function must be
study in cases of various muscular symptoms
(hyperCKemia, pseudo-myotonia, muscular hypertrophy
or amyotrophy, weakness, myalgia, exertional pain) but
also if renal failure with hyperCKemia without signs of
myopathy.
Keywords : Hoffmann’s syndrome. Hyperthyroid
hypertrophic myopathy. Renal failure.
(Médecine et armées, 2005, 33, 5, 83-86)
l’enfant et de Hoffmann chez l’adulte, bien que cette
dernière dénomination soit classiquement réservée pour
les auteurs français, à la différence des anglo-saxons, aux
formes pseudo-myotoniques pures sans hypertrophie
(3-5). Nous rapportons deux observations d’une forme
hypertrophique révélatrice d’une hypothyroïdie due à
une thyroïdite auto-immune d’Hashimoto et compliquée
d’une insuffisance rénale modérée.
II. OBSERVATION.
A) OBSERVATION N° 1.
Un magasinier d’origine kabyle, âgé de 45 ans, sans
antécédent se plaignait depuis quatre mois de crampes,
d’un enraidissement avec « dérouillage matinal », d’une
fatigabilité dans les membres inférieurs, et plus
récemment supérieurs, avec des acroparesthésies
nocturnes et faiblesse élective de la main droite. À
l’examen, on observait une hypertrophie musculaire
médecine et armées, 2005, 33, 5 83

généralisée (y compris des masséters), harmonieuse,
ayant la consistance du suif, non douloureuse, sans
myo-œdème, ni pseudo-myotonie (fig. 1a). Il existait un
discret déficit des ceintures et de la main droite, un signe
de Tinel au niveau du canal carpien droit, mais pas
d’atteinte sensitive. Les réflexes ostéotendineux étaient
normaux et les idiomusculaires faibles. On notait par
ailleurs une pâleur cutanée, une infiltration du visage, une
prise pondérale de 7 kg, une hypothermie à 36-36,8°, une
tension artérielle à 11/6, une bradycardie mais pas de
dépilation ni d’hypertrophie thyroïdienne. La biologie
sanguine montrait une élévation de la créatinine à
120 µmol/l (62 < N < 106), des CK à 691 UI/l (N < 130),
de la myoglobine, des triglycérides à 4,02 mmol/l,
du cholestérol à 7,17 mmo/l (3.8 < N < 5.8) et une
hypothyroïdie franche : FT4 inférieure à 2 pmol/l
(8,5 < N < 19), FT3 à 0.51 nmol/l (1,3 < N < 2,5) et TSH à
124 m UI/l (0,3 < N < 3,8). Les anticorps anti-thyroglobulines
étaient négatifs, mais les anti-microsomiaux positifs
au 1/400°. L’EMG notait de discrètes anomalies
myogènes dans les quadriceps et les jambiers antérieurs,
sans activité de repos, ainsi qu’une souffrance des fibres
sensitives du nerf médian droit au niveau du canal
carpien. Le scanner des ceintures scapulaire et pelvienne
et des cuisses confirmait l’hypertrophie des masses
musculaires sans anomalie de densité. La biopsie
pratiquée au niveau du deltoïde gauche était normale, en
dehors d’une prédominance des fibres de type I et de
fibres un peu claires et dépourvues de glycogènes.
L’échographie et la scintigraphie thyroïdiennes étaient
normales. Un traitement journalier, progressivement
introduit sur 2 mois de 100 µg de lévothyroxine entraînait
la disparition des paresthésies et des crampes en 1,5 mois,
de l’hypertrophie (fig. 1b), de l’empâtement et de la
fatigabilité musculaire en 4 mois avec retour au poids
initial, à l’euthyroïdie biologique et disparition de
l’insuffisance rénale. Son état clinique s’aggrava ensuite
à deux reprises, 2 ans puis 3 ans après le début, sans qu’il
Figures 1 a) et b). Patient N° 1 avant et après opothérapie substitutive (4 mois).
ne soit noté de myopathie ni d’élévation des CK en
dépit d’un traitement bien suivi qui du être au final porté
à 175 µg/24 heures.
B) OBSERVATION N° 2.
Un sergent-chef de l’infanterie de montagne, âgé de
25 ans, sans antécédent, ayant accru son entraînement
physique depuis trois semaines, se plaignit de myalgies
intenses des membres inférieurs à l’occasion d’un
footing, cédant en quelques heures, pour revenir dans
les mêmes circonstances les jours suivants. Petit à petit,
les douleurs se manifestèrent pour des efforts moins
intenses et diffusèrent aux membres supérieurs,
accompagnées d’une fatigabilité et d’une sensation de
tension musculaire. L’examen montrait 20 jours plus tard
une hypertrophie musculaire diffuse, harmonieuse
(fig. 2a), avec empâtement des muscles (prédominant
aux bras et aux avant-bras), non douloureuse, sans
phénomène pseudo-myotonique ou myo-œdème, ni
déficit sensitivo-moteur franc ou anomalie des réflexes
ostéo-tendineux. On notait pat ailleurs, une sécheresse
cutanée, une frilosité, une hypothermie (36°-36,5°), et
une prise de poids de 6 kg. La biologie sanguine montrait
une élévation de la créatinine à151 µmol/l, des CK à
1 310 UI/l (25 < N < 200), de la myoglobine à 156 µg/l
(N < 50), du cholestérol à 6,3 mom/l et une hypothyroïdie
franche: FT4 inférieure à 0,1 pmol/l (10 < N < 28,2), FT3
à 2,5 mmol/l (4,26 < N < 8,1) et TSH à 332 mUI/l
(0,2 < N < 4,68). Les anticorps anti-thyropéroxydases et
anti-thyroglobulines étaient positifs, évalués respectivement
à 8 et 2 fois la normale. L’EMG était normal, tandis
que l’IRM des ceintures objectivait des muscles de bonne
trophicité sans infiltration ni dégénérescence graisseuse.
Les échographies cardiaques, thyroïdienne et rénale
Figures 2 a) et b). Patient N° 2 avant et après traitement hormonal
(2 mois et demi).
84 a. drouet

étaient normales, tout comme l’étude du sédiment
urinaire. Une opothérapie substitutive a permis,
deux mois et demi plus tard, une quasi-normalisation
des examens clinique (fig. 2b) et biologique sous
75 µg/24 heures de lévothyroxine.
III. DISCUSSION.
Nos deux patients sont des hommes jeunes, physiquement
actifs, qui ont installé en 3 et 16 semaines
une myopathie hypertrophique révélatrice d’une
hypothyroïdie consécutive à une thyroïdite auto-immune
d’Hashimoto. Ce tableau réalise la forme extrême
d’une atteinte musculaire volontiers fréquente, asymptomatique
(hyper-CKémie isolée) ou pauci symptomatique,
voire modérée, rencontrées au cours du myxœdème.
L’hypertrophie musculaire, qui ne serait pas due à une
augmentation du tissu conjonctif ou à la présence de
dépôts mucoïdes (éléments concordants avec les
données de l’imagerie musculaire de nos observations
et de l’étude histologique de la première), mais la
conséquence de l’augmentation du calibre et/ou du
nombre des fibres (2, 6), peut être généralisée et
symétrique conférant au patient un aspect « pseudoathlétique
» ou prédominer sur certains groupes
musculaires ; les muscles sont faibles (particulièrement
ceux des ceintures) et empâtés, voire sensibles à la
palpation. Une pseudo-myotonie, surtout provoquée est
notée dans 50 % des cas, mais parfois de façon isolée (7),
ou associée à un myo-œdème à la percussion (jusqu’à
30 % des cas). Ces deux éléments sémiologiques
classiques, ainsi que la lenteur de la contraction et de la
décontraction à la percussion du tendon achilléen,
manquent dans nos deux observations, qui correspondent
ainsi à des formes surtout hypertrophiques. La myopathie
peut être au premier plan (2) (bien que volontiers associée
aux symptômes classiques alors présents a minima) (3, 4,
6, 7), révéler l’hypothyroïdie ou être sévère en dépit d’une
hormonémie peu perturbée (3) ; toutefois, elle est
habituellement bien corrélée avec le degré (2) et la durée
(5, 8) de l’hypothyroïdie. Chez nos deux patients, la
myopathie était ainsi avérée (tant cliniquement que
biologiquement), au moment où l’hormonémie était la
plus basse. Toutes les causes d’hypothyroïdie prolongée,
mais aussi certaines formes aiguës ou subaiguës (cas
N° 2) peuvent provoquer une myopathie sévère (2, 9).
Sur le plan biologique, l’élévation du taux sanguin des CK
et de la myoglobine, qui seraient due, non pas à
une myolyse, mais à une modification de la perméabilité
sarcolemmique et/ou à une clairance enzymatique
diminuée (3, 5), est fréquente (jusqu’à 70 % des hypothyroïdiens),
d’autant plus marquée que l’hypothyroïdie est
sévère (4, 5, 7), mais sans corrélation, pour Mastropasqua
et coll. (7) avec la gravité des symptômes. La CKémie
revient à la normale après 1 à 12 semaines de traitement
(6, 7), plus lentement chez notre premier patient (quatre
mois), mais longtemps avant les modifications structurales
du muscle squelettiques (2). L’électromyogramme
retrouve des anomalies myogènes dans 61 % à 65 % des
myopathie hypothyroïdienne hypertrophique de l’adulte liée à une thyroîdite auto-immune d’hashimoto
cas (9), d’autant plus volontiers que l’hypothyroïdie
est plus prolongée (2), avec souvent en détection des
activités de repos : salves pseudo-myotoniques, mais
non myotoniques ou plus rarement des potentiels de
dénervation (liées à la dégénérescence myofibrillaire
segmentaire) (1, 3, 10). Elles sont diffuses, mais plus
marquées dans les muscles proximaux (10), peuvent être
présentes même si la faiblesse musculaire est peu
prononcée, et disparaissent avec le traitement. Un
syndrome canalaire, en particulier carpien, est parfois
associé (1), comme l’est pour certains une polyneuropathie
(3,10), même de façon fréquente (4), même si
son existence est discutée par d’autres (6). Sur le plan
histologique, bien que la biopsie musculaire puisse être
normale (8) ou presque (patient N° 1), peut-être alors
expliquée par la précocité de sa réalisation dans
l’évolution de la myopathie, un certain nombres de
lésions évocatrices mais non spécifiques ont été décrites
(5, 6, 8): en microscopie optique, une prédominance des
fibres de type 1, une atrophie des fibres de type 2, et une
augmentation du nombre de noyaux internes ; en
électronique, des dépôts de glycogène et de lipides, une
augmentation du nombre de mitochondries en région
périnucléaire et sous-sarcolemmique, une dilatation du
réticulum sarcoplasmique, une prolifération de tubules T
et une dégénérescence myofibrillaire focale. L’existence
de corps cristalloïdes et surtout de structures core-like et
targetoïdes en périphérie ou au centre des fibres de type 1
sont de découverte plus récente (1, 5, 8, 11). Nos deux
patients présentent par ailleurs une insuffisance rénale
modérée, observée de façon non inhabituelle et plus
ou moins marquée, au cours de l’hypothyroïdie : la
responsabilité de l’hyper-CKémie habituellement
associée est volontiers avancée par de nombreux auteurs
(12-14), mais son caractère souvent modéré à la
différence d’autres myopathies notamment héréditaires
non compliquée d’insuffisance rénale, doit faire discuter
d’autres mécanismes, comme celui de la baisse de la
filtration glomérulaire liée à l’hypothyroïdie (15),
rendant d’autant plus toxique l’élévation enzymatique.
L’hormonothérapie substitutive permet la régression
des anomalies cliniques et biologiques, mais parfois dans
un délai supérieur à un an (jusqu’à 33 % de symptômes
résiduels à cette date) (4). La physiopathologie reste
discutée. Le dysfonctionnement musculaire n’est pas du à
une infiltration tissulaire entravant le fonctionnement
cellulaire ou la commande nerveuse (hypothèses
infirmées par les données histologiques), mais semble
d’origine complexe, associant des troubles métaboliques
dominés par à une inhibition de l’activité oxydative
mitochondriale (oxydation ou incorporation des substrats
avec baisse du taux musculaire de la L-carnitine ;
dysfonction de la chaîne respiratoire), des altérations du
transport transmembranaire de certaines molécules
comme le lactate (avec baisse du nombre de pompes Na
+/K + ATPase dépendantes musculaires) ou une atteinte
des propriétés intrinsèques de la fibre musculaire
(modification de la chaîne légère de la myosine dans le
sens d’une diminution des fibres rapides de type 2)
85

(1, 5, 6, 16). La baisse de la triiodothyronine qui agirait
par l’intermédiaire de ses récepteurs nucléaires,
conduirait à une dérégulation de l’expression des gênes
codant, pour les protéines régulatrices de la fonction
respiratoire mitochondriale (baisse du taux musculaire
du facteur A de transcription musculaire (h-mtTFA)
(17), pour des protéines embryonnaires dont la
réactivation altérerait l’architecture musculaire (11) ou
encore, pour les protéines myofibrillaires rapides (5). La
ou les facteurs permettant d’expliquer le tropisme
musculaire ou rénal de l’atteinte chez certains
patients demeurent inconnues, qu’ils soient constitutionnels
(fragilité musculaire préexistante) ou
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environnementaux (activité physique soutenue,
co-morbidité…).
IV. CONCLUSION.
Le dosage des hormones thyroïdiennes doit rester
systématique devant toute pathologie musculaire
acquise quelle que soit sa présentation (élévation
isolée des CK, pseudo-myotonie, hypertrophie ou
atrophie musculaire, faiblesse, myalgie, intolérance
musculaire à l’exercice) mais aussi en cas d’insuffisance
rénale aiguë ou chronique avec élévation des CK
sans signes cliniques de myopathie.
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86 a. drouet

ANGIOMES HÉPATIQUES GÉANTS
À propos de huit cas
RÉSUMÉ
Les auteurs rapportent huit cas d’angiomes hépatiques
géants colligés dans le service de chirurgie générale de
l’hôpital militaire Avicenne à Marrakech. Notre travail
intéresse huit cas dont trois de sexe féminin, la
symptomatologie clinique était dominée par la douleur de
siège surtout épigastrique. L’imagerie médicale
(échographie, tomodensitométrie) a posé le diagnostic
dans tous les cas. Le traitement est essentiellement
chirurgical consistant en une hépatectomie typique réglée
dans sept cas, atypique dans un cas. Nous déplorons un
décès par une embolie pulmonaire. La morbidité est
marquée par une hémorragie de la tranche de section
hépatique.
Mots-clés : Angiomes hépatiques. Traitement.
I. INTRODUCTION.
L’angiome hépatique est la plus fréquente des tumeurs
bénignes du foie avec une prévalence de 2 % à 4 % chez
l’adulte (1). Il est, le plus souvent, asymptomatique et
découvert de façon fortuite généralement en échographie.
L’hémangiome de grande taille, beaucoup plus rare, peut se
manifester par des signes cliniques et biologiques et pose
surtout des problèmes diagnostiques et thérapeutiques.
II. OBSERVATIONS.
A) CAS N° 1.
Une femme, âgée de 42 ans, présente depuis dix mois des
douleurs abdominales épisodiques au niveau de l’hypochondre
droit et l’épigastre dans un contexte de
conservation de l’état général. À l’examen clinique, une
masse palpable, molle et sensible est située au niveau de
M. MOUJAHID, médecin capitaine, praticien confirmé. M.T. TAJDINE, médecin
capitaine, professeur assistant. A. ACHOUR, médecin capitaine, professeur
assistant. M. DAALI, médecin commandant, professeur agrégé.
Correspondance : M. MOUJAHID, service de chirurgie viscérale et vasculaire,
HIA du Val-de-Grâce, 74, Boulevard de Port Royal, 75005 Paris.
Fait clinique
M. MOUJAHID, M.T. TAJDINE, A. ACHOUR, M. DAALI
ABSTRACT
GIANT HEPATIC ANGIOMA. EIGHT CASES
REPORT
The authors bring eight cases of giant hepatic angioma
collected in the general surgical service of military
hospital Avicenne in Marrakech. Our work interest eight
cases of which tree womanly sexes. The seat pain
dominated the clinic symptomatology especially
epigastria. The medical image has posed the diagnosis in
all the cases. The treatment is essentially surgical
consistent within a typical hepatectomy adjusted in seven
cases, atypical in one cases. We regret one death by a
pulmonary embolism The mortality was marked by a
haemorrhage of the party of the section hepatic.
Keyword: Hepatic angioma. Treatment.
(Médecine et armées, 2005, 33, 4, 87-90)
l’hypochondre droit. L’échographie abdominale montre
des lésions tumorales des segments VII et VIII de
11x10 cm, hétérogène et hyperéchogène.
Au scanner abdominal, on découvre un aspect évoquant
un angiome géant du segment VIII. Les marqueurs
tumoraux sont normaux.
Une bisegmentectomie du segment VII et VIII est réalisée
avec des suites simples sans aucun signe de
récidive sur un recul de six ans.
B) CAS N° 2.
Un homme, âgé de 48 ans, est admis au service pour
une douleur de siège épigastrique évoluant depuis une
année avec, à l’examen clinique, une hépatomégalie
douloureuse à la palpation. L’échographie abdominale
montre une formation hypoéchogène hétérogène aux
dépens du segment I. L’examen tomodensitométrique
montre une volumineuse masse hépatique du segment I
de 9x8x7 cm, dont la cinétique vasculaire est en faveur
d’un angiome. Au bilan hépatique, on découvre une
discrète cytolyse. Nous avons opéré ce patient avec la
réalisation d’une simple ségmentectomie.
Les suites opératoires sont simples sans aucun
signe de récidive.
médecine et armées, 2005, 33, 4 87

C) CAS N° 3.
Un homme, âgé de 31 ans, est admis au service pour une
masse avec une tuméfaction abdominale augmentant
progressivement de volume et gênant le patient. À
l’examen clinique, on palpe une énorme masse siégeant
au niveau de l’hypochondre droit et de l’épigastre
dépassant l’ombilic en bas (fig. 1).
Figure 1. Voussure abdominale de siège épigastrique.
L’échographie abdominale montre une énorme masse
aux dépens des segments II, III et IV (18x11cm) évoquant,
soit une tumeur hépatique, soit un kyste hydatique du foie
vu le contexte épidémiologique dans notre pays.
Au scanner abdominal, c’est une grosse lésion hypodense
hépatique prenant le contraste de façon centripète
contenant des zones de fibrose (10x10 cm) et refoulant
l’estomac à gauche et le pancréas en arrière (fig. 2).
Le bilan biologique note une discrète cytolyse et les
marqueurs tumoraux sont normaux.
Une hépatectomie gauche est réalisée (fig. 3), les suites
sont marquées par une hémorragie sur la tranche
de section hépatique ayant nécessité une réintervention
avec une bonne évolution et un recul de quatre ans sans
aucun signe de récidive.
Figure 2. Scanner abdominal montrant une grosse lésion hypodense hépatique
gauche prenant le contraste en motte contenant des zones de fibroses de 10x10
cm, refoulant l’estomac à gauche et le pancréas en arrière.
Figure 3. Hépatectomie gauche pour un angiome géant du lobe gauche.
D) CAS N° 4.
Un homme, âgé de 54 ans, présente une sensation
de pesanteur très gênante évoluant depuis six mois avec
à l’examen clinique une hépatomégalie.
À l’échographie abdominale, on découvre une masse
hypoéchogène aux dépens des segments VI et VII.
L’examen tomodensitométrie montre une lésion
hépatique hypodense homogène de 9x8 cm avec
une opacification centripète de celle-ci après injection
du produit de contraste.
Au bilan hépatique, on note, une augmentation des
phosphatases alcalines, le dosage des marqueurs tumoraux
est normal.
Une résection hépatique atypique est réalisée avec
des suites simples.
E) CAS N° 5.
Un homme, âgé de 56 ans, présente des douleurs au
niveau de l’hypochondre droit évoluant depuis une année
et une sensibilité à la palpation de l’hypochondre droit.
L’échographie abdominale montre une volumineuse
lésion hyperéchogène homogène à limites nettes au
niveau des segments V et VI, et au scanner, une formation
angiomateuse homogène hétérogène avec une prise de
contraste homogène périphérique.
Une bisegmentectomie du segment V et VI est réalisée.
Le patient décède au 21e jour des suites d’une embolie
pulmonaire.
F) CAS N° 6.
Un homme, âgé de 37 ans, est admis pour une discrète
épigastralgie avec une hépatomégalie.
À l’échographie abdominale on découvre une énorme
formation hypoéchogène hétérogène du foie droit et au
scanner abdominal une formation angiomateuse du
segment V, VI et VII.
Au bilan biologique apparaît une discrète cholestase.
Les marqueurs tumoraux sont normaux. Une hépatectomie
réglée droite est réalisée avec des suites simples
sur un recul de quatre ans.
88 m. moujahid

G) CAS N° 7.
Une femme, âgée de 50 ans, est hospitalisée pour un
syndrome fébrile évoluant depuis deux mois avec une
anorexie et un amaigrissement important de 15 kg, à
l’examen clinique une hépatomégalie indolore.
Au bilan biologique, on note une vitesse de sédimentation
à 80 mm la première heure avec une perturbation du bilan
hépatique, une élévation du taux des phosphatases
alcalines et de dGT, pas d’hyper leucocytose ni de
cytolyse. Les marqueurs tumoraux étaient normaux.
À l’échographie abdominale, une hépatomégalie
avec une image d’écho structure hétérogène du
segment VII évoquant une tumeur maligne est découverte.
Au scanner, on voit une image hypodense du
segment VII de 6 cm de diamètre. Une hépatectomie
droite est réalisée et l’examen anatomo-pathologique
confirme la présence d’angiome hépatique caverneux
avec des remaniements centraux. Les suites sont
marquées par une apyrexie avec normalisation du bilan
hépatique deux mois après l’intervention. Trois ans après
l’hépatectomie la patiente est asymptomatique.
H) CAS N° 8.
Une femme, âgée de 47 ans, est hospitalisée pour une
tuméfaction de l’hypochondre droit et du flanc droit
évoluant depuis quatre ans, augmentant progressivement
de volume. À l’examen, elle est régulière lisse, ferme
et indolore. Les examens biologiques sont normaux
en dehors d’une CRP à 34. Les marqueurs tumoraux
sont normaux.
L’écho tomographie montre que la masse est de siège
hépatique de structure hétérogène, la lésion se développe
aux dépens de tout le foie droit et le lobe de spiegel.
Une hépatectomie droite est réalisée par digitoclasie sans
clampage pédiculaire avec ligature de la branche droite de
la veine porte, de l’artère hépatique et de la veine sushépatique
droite. À l’examen histologique, il s’agit d’un
hémangiome caverneux.
Les suites sont simples, la patiente est asymptomatique
deux ans après l’intervention.
III. DISCUSSION.
L’angiome hépatique est la plus fréquente des tumeurs
bénignes, asymptomatiques et de découverte fortuite
dans la majorité des cas, exceptionnellement symptomatiques
pour les angiomes géants qui posent de sérieux
problèmes diagnostiques pouvant être confondus
avec les tumeurs malignes primitives ou secondaires
et aussi thérapeutiques.
La définition des angiomes géants est variable : leur
taille doit être supérieure à 10 cm pour Edmonson et al.,
supérieure à 8 cm pour Scatarige et al., supérieure à 4cm
pour Adam et al. (2-4).
Mais dans la majorité des cas l’hémangiome du foie est dit
géant lorsqu’il mesure plus de 4 cm de diamètre (1, 5).
Les hémangiomes géants du foie représentent environ
20 % des angiomes du foie (5, 6), avec une prévalence
angiomes hépatiques géants
de2% à 4 % chez l’adulte. Il semble plus fréquent chez la
femme ; peut-être unique ou multiple, même volumineux
ses complications sont exceptionnelles (1,8 %) (7) et les
plus fréquentes sont mécaniques. Il peut s’agir d’hémorragie
intra tumorale ou intra péritonéale par rupture
spontanée ou traumatique, de compression des voies
biliaires intrahépatiques, de la veine porte, de la veine
cave ou de l’estomac ; exceptionnellement le syndrome
de Kasabach-Merrit à l’origine de thrombopénie et
fibrinopénie(8). Le plus souvent ces tumeurs hépatiques
sont silencieuses, de découverte fortuite à l’examen
clinique, lors d’explorations échographiques ou au cours
d’une intervention chirurgicale abdominale. Certains
hémangiomes peuvent se manifester par des signes
fonctionnels ; il s’agit le plus souvent d’un syndrome
douloureux abdominal à type de pesanteur de l’hypochondre
droit, exceptionnellement douleurs plus vives.
Bornman et al. (9) ont rapporté deux cas d’hémangiomes
hépatiques dont la symptomatologie était particulière,
associant des signes cliniques évoquant une cholécystite
(fièvre, frisson, douleur de l’hypochondre droit avec ou
sans hépatomégalie), alors que le taux de leucocytes
et le bilan hépatique étaient normaux. Le syndrome
inflammatoire associé à l’hémangiome permet d’évoquer
le diagnostic et régresse après la résection de la tumeur.
La triade clinicobiologique initialement décrite par
Bornman et al., Tallandier et al. et Pol et al. ont décrit en
association avec la triade classique, des anomalies du
bilan hépatique à type de cholestase anicterique sans
cytolyse, d’origine indéterminée(1, 5) ; comme c’est le
cas dans notre septième observation.
Le diagnostic morphologique d’hémangiome géant
du foie repose sur l’échographie hépatique et le scanner
hélicoïdal sans, puis avec, injection de produit de
contraste. En tomodensitométrie, le diagnostic d’angiome
hépatique géant peut être porté sur le remplissage
en mottes lors de l’injection de produit de contraste, le
caractère centripète de la prise de contraste est plus
inconstant et le remplissage est fréquemment incomplet
même sur les coupes tardives (10, 11).
En imagerie par résonance magnétique, l’aspect des
angiomes hépatiques géants ne diffère de celui des autres
angiomes que par des hétérogénéités fréquemment
observées sur les séquences pondérées en T1 et en T2 (12).
Les coupes sagittales et coronales de l’imagerie par
résonance magnétique peuvent permettre de faire le
diagnostic de lésion hépatique pédiculée. Dans notre
série, l’échographie et le scanner abdominal ont permis
de poser le diagnostic dans tous les cas. Le traitement est
essentiellement chirurgical, nous évoquerons surtout les
problèmes posés par la voie d’abord et par la technique
chirurgicale. Les voies d’abord abdominales pures
permettent l’exérèse de volumineuses tumeurs
hépatiques dans de bonnes conditions. La thracophrénolaparotomie
sur malade en décubitus latéral gauche
semble être préférable. Elle permet un contrôle plus facile
et plus sûr de la veine cave inférieure sus-hépatique,
elle facilite la dissection et le contrôle sus-hépatique
de la veine sus-hépatique droite. Pour la technique
89

d’hépatectomie utilisée, des exclusions vasculaires
prolongées en hypothermie avec perfusion du foie exclu
ont été réalisées par Fortner et coll.(13). Hugu et coll.(14)
ont montré qu’il était possible de réaliser de telles
exclusions vasculaires, d’une durée pouvant atteindre
une heure, sans qu’il soit nécessaire de perfuser le foie.
Le clampage associé de l’aorte permet, en augmentant la
post charge de compenser la diminution de la précharge
provoquée par le clampage veineux et d’assurer une
meilleure tolérance hémodynamique. Néanmoins, notre
série, comme celle de Michaud et coll, montre qu’il est
possible de réaliser l’exérèse de très volumineux
hémangiomes du foie dans de bonnes conditions de
sécurité sans exclusion vasculaire totale du foie. Il est
cependant souhaitable d’avoir la possibilité de réaliser
une exclusion vasculaire totale si des problèmes de
dissection ou de contrôle vasculaire la rendent
nécessaire. Ceci nécessite la présence d’un monitorage
permanent de la pression artérielle péri hépatique, de
la température centrale et des pressions artérielles et
capillaire pulmonaire, de s’assurer de pouvoir contrôler
non seulement le pédicule hépatique, mais aussi la veine
cave sous hépatique, la veine cave sus hépatique, la
veine surrénale droite, les veines diaphragmatiques
et l’aorte abdominale.
La section par digitoclasie, telle que l’a décrit Ton
That Tung avec clampage des pédicules glissoniens
et sus-hépatiques puis ligatures est un procédé sûr,
rapide et peu hémorragique (15). C’est lorsqu’ils
sont symptomatiques que ces angiomes géants peuvent
bénéficier d’une exérèse chirurgicale habituellement
non indiquée pour les angiomes hépatiques géants non
compliquées. Attitude appuyée par l’étude de Gilon et
al. qui ont repris les données de la littérature concernant
les angiomes hépatiques géants de 1966 à 1989 (16).
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Ils montrent que la mortalité (0,8 %) et la morbidité
postopératoire (13 %) relevées lors de l’exérèse d’angiome
hépatique géant sont trop importantes par rapport
au risque minime de rupture d’un angiome géant
asymptomatique chez 80 patients suivis pendant un total
de 3 à 4 années/patient. D’autres moyens thérapeutiques
s’avèrent nécessaires lors d’une contre indication
chirurgicale à cause de l’état du malade ou de la diffusion
des lésions, la radiothérapie est susceptible d’entraîner une
diminution de la taille de l’hémangiome. L’embolisation
artérielle peut diminuer le volume de la tumeur avant
l’intervention chirurgicale. Elle doit être élective et n’intéresser
que la branche de l’artère hépatique correspondant au
lobe hépatique que l’on se propose de réséquer, ceci afin de
ne pas risquer, après une résection hépatique majeure, une
insuffisance hépatocellulaire grave. Dans notre série, la
voie d’abord était abdominale pure permettant l'exérèse
totale de toutes les tumeurs dans de bonnes conditions de
sécurité. Nous avons réalisé une hépatectomie droite dans
trois cas, gauche dans un cas, une bisegmentectomie dans
deux cas, une résection segmentaire dans un cas et une
résection atypique dans un cas. Les suites postopératoires
sont simples dans sept cas. Nous déplorons un décès au
21 e jour de l’intervention suite à une embolie pulmonaire,
un cas d’hémorragie sur la tranche de section hépatique
ayant nécessité une réintervention pour hémostase avec une
bonne évolution. Aucun signe de récidive n’est constaté
chez tous nos patients.
IV. CONCLUSION.
L’angiome hépatique est la plus fréquente des tumeurs
hépatiques bénignes. Asymptomatiques dans la majorité
des cas, le diagnostic repose sur l’imagerie médicale. Le
traitement est essentiellement chirurgical se limitant
surtout aux formes symptomatiques.
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15. TonThat Tung. Les résections majeures et mineures du foie.
Paris : Masson édit. ; 1979.
16. Gilon D, Slater PE, Benbassat J. Can decision analysis help in the
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Gastroenterol 1991 ; 13 : 255-8.
90 m. moujahid

PSYCHIATRE AU KOSOVO
RÉSUMÉ
Cet article se propose de revenir sur les modalités
d’exercice du psychiatre militaire en opérations, à partir
de l’expérience de notre séjour au Kosovo durant l’hiver
fin 2003-début 2004 dans le cadre du 25 e mandat de
l’opération Trident. À partir d’une vignette clinique
concernant une jeune patiente militaire présentant un
syndrome de répétition traumatique, nous rappellerons
que le contexte particulier des missions extérieures peut
aussi être l’occasion privilégiée d’une rencontre avec des
patients présentant une souffrance morale ancienne.
Notre réflexion se propose aussi d’illustrer de quelle
façon l’initiation d’un travail psychothérapique réalisé
avec un praticien appartenant à l’institution militaire a
aidé la patiente à retrouver, en même temps qu’un espace
de parole, sa place au sein de cette communauté, et aussi
permis de poser les bases d’une prise en charge au long
cours après son retour en France.
Mots-clés : Abus sexuel. Armée. État de stress posttraumatique.
Kosovo. Mission extérieure.
I. INTRODUCTION.
Dès le début de l’intervention de la Kosovo Force
(KFOR) au Kosovo en 1999, une cellule médico-psychologique
a été installée au sein du Groupement
médico-chirurgical (GMC) déployé initialement en
Macédoine, puis au cœur de la ville de Mitrovica. Lorsque
nous sommes arrivés sur le territoire le 25novembre 2003
dans le cadre du 25e mandat de l’opération Trident, le
GMC avait déménagé depuis quelques mois au sein du
camp de Plana, à quelques kilomètres de Mitrovica. Lors
de ce séjour, ce camp hébergeait des militaires issus de la
légion étrangère puis de l’infanterie, une section de
chasseurs alpins, des personnels de différentes armes
chargés du soutien logistique, et un détachement de
l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT).
É. MÈLE, médecin principal, praticien certifié des HA.
Correspondance: É. MÈLE, Service de psychiatrie, HIA Percy, 101 avenue Henri
Barbusse, 92141 Clamart Cedex.
Psychiatrie
É. MÈLE
PSYCHIATRIST IN KOSOVO.
This paper intends to come back to practice within
military psychiatrists in missions, starting with the
experience of our stay in Kosovo from winter 2003 to
spring 2004, during the 25th ABSTRACT
mandate of the Trident
operation. From the case report of a young military
patient presenting post-traumatic stress disorder, we will
recall that the particular context of the external missions
can also be the favourable occasion to meet patients
suffering from old psychic suffering. Our reflection also
purposes to illustrate how the beginning of
psychotherapy with a practitioner belonging to the
military establishment helped the patient to recover a
place where to speak and at the same time, his place
within this community. Moreover it allowed posing the
bases of a long term engagement back in France.
Keywords: Army. External mission. Kosovo. Posttraumatic
stress disorder. Sexual abuse.
(Médecine et armées, 2005, 33, 5, 91-95)
II. CONDITIONS D’EXERCICE.
Le GMC occupait les deux étages d’un bâtiment dont le
rez-de-chaussée constituait la zone de travail, comprenant
les différents bureaux de consultation des médecins,
le secteur d’hospitalisation, le bloc chirurgical, et un
poste de secours régimentaire dirigé par un médecin de la
Légion étrangère, dont l’adjoint était un médecin de
l’ALAT, qui coordonnait par ailleurs les activités de
l’équipe EVASAN, le GMC étant situé à proximité
immédiate d’un héliport. Le premier étage du bâtiment
constituait la zone vie, où étaient logés les différents
personnels. S’y trouvait aussi le secrétariat de la cellule
soutien, dirigé par un officier du corps technique et
administratif du Service de santé des armées plus
particulièrement chargé des tâches administratives.
Nous avons partagé un bureau de consultation avec l’un
des deux chirurgiens de l’équipe, ce qui n’a pas entraîné
de difficultés particulières, les consultations étant le plus
souvent planifiées à l’avance, en tenant compte des
créneaux horaires réservés à chaque spécialité. La
médecine et armées, 2005, 33, 5 91
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éserve de médicaments psychotropes et les dossiers des
patients, rangés dans des armoires cadenassées, étaient
dans ce bureau. Lors de nos nombreux déplacements sur
le territoire, nous avions à notre disposition un véhicule
de type P4, ainsi qu’un moyen de transmission obligatoire
lors des sorties hors du camp.
Le GMC travaillait en étroite collaboration avec les
médecins des trois autres camps militaires français de
la région, soit le Belvédère et Osterode à Mitrovica,
et Novoselo, situé géographiquement entre Mitrovica et
Pristina. La base aérienne de Petrovec, en Macédoine,
y adressait aussi des patients, ainsi que les quatre
« points hauts » ou autres sites isolés qui dépendaient
cependant en première intention des postes de secours
régimentaires.
Le GMC entretenait aussi des rapports suivis, dans le
cadre de l’aide médicale gratuite (AMG) apportée aux
populations civiles, avec l’hôpital militaire marocain,
installé dans le centre de Mitrovica, dans des locaux jadis
occupés par les français, mais aussi avec l’hôpital serbe,
situé dans la partie nord de la ville et la clinique albanaise
dans sa zone sud. Des contacts avec les services médicaux
des différents contingents étrangers dispersés sur le
territoire étaient fréquents, de nombreux personnels
de la KFOR ou dépendant de l’ONU ayant recours aux
soins du chirurgien-dentiste du GMC.
Ce 25 e mandat avait pour particularité d’être le dernier
mandat du GMC bénéficiant de la présence d’un
psychiatre. Le contexte opérationnel s’est montré
relativement calme durant notre séjour, en dehors de
quelques incidents ayant entraîné des périodes d’alerte
de courte durée, sans retentissement notable sur l’activité
du GMC. Mais d’importantes tensions entre les
différentes communautés étaient cependant perceptibles
et se sont dramatiquement exprimées sous la forme
d’affrontements sanglants faisant de nombreuses
victimes, quelques jours à peine après notre départ.
III. ACTIVITÉ AU PROFIT DE LA KFOR.
Le nombre de consultations concernant des militaires
français a été de 79, ces consultations ayant été dispensées
au profit de 22 patients, dont certains avaient déjà été
reçus par notre prédécesseur. Deux d’entre eux ont dû être
hospitalisés au sein du GMC durant notre séjour, qui a
duré deux mois et demi. Six rapatriements sanitaires ont
été organisés sur cette même période, les deux patients
hospitalisés ayant été évacués selon cette modalité en
métropole. Les situations cliniques ayant nécessité
la mise en place de cette procédure correspondaient
à un état délirant évoluant depuis plusieurs mois chez un
jeune engagé de l’ALAT, à un trouble des conduites avec
alcoolisations répétées chez un personnel officier du 1er Régiment d’infanterie, à un trouble de l’adaptation
avec symptomatologie anxieuse en rapport avec des
difficultés familiales en métropole chez un commando de
l’air, à deux états dépressifs là encore en relation avec des
difficultés sur le plan familial mais aussi professionnel
pour l’un des personnels concernés et enfin à un trouble
anxieux aigu chez une jeune engagée, réactionnel à une
agression dont elle avait été victime de la part de l’un de
ses collègues de travail. Un suivi régulier a permis le
maintien sur le territoire jusqu’au terme de leur mission
de plusieurs patients qui, pour la majorité d’entre eux,
présentaient des troubles, essentiellement des troubles de
la personnalité, antérieurs à leur arrivée au Kosovo. Nous
avons proposé à certains d’entre eux, affecté en région
parisienne en métropole, de continuer à les suivre après
leur retour dans leurs unités d’origine. Enfin, certaines
consultations ponctuelles ont permis de dénouer des
situations jusque-là problématiques, sans que la nécessité
d’une prise en charge au long cours ne s’impose pour les
patients concernés. Nous n’avons pas été confronté
durant notre séjour à des conduites ou gestes suicidaires,
dont on connaît la gravité potentielle en contexte
opérationnel. Par contre, nous avons rencontré un certain
nombre de patients ayant présenté des troubles des
conduites de façon ponctuelle, le plus souvent des
épisodes d’alcoolisation aiguë, demeurés rares cependant
en cette période particulière des fêtes de fin d’année.
Notre activité en faveur du maintien de l’hygiène mentale
a essentiellement consisté en de nombreux déplacements
pour aller rendre visite à des personnels isolés, vivant
dans des conditions de confort souvent précaires, pour
des durées moyennes de cinq à six mois, dans des locaux
situés à distance des différents camps, et difficilement
accessibles en hiver. C’est ainsi que nous avons rencontré
à plusieurs reprises les transmetteurs des points hauts de
Vidomeric, Ravnagora et Sicavica, dont la mission était
d’assurer les communications radio sur le territoire, mais
aussi d’avoir une activité d’écoute et de renseignement.
Nous nous sommes aussi rendu dans les deux dépôts
d’essence situés près de la ville de Pristina, ainsi que dans
un monastère orthodoxe serbe gardé en permanence par
une section d’infanterie, parce que situé en territoire
albanais, près de la ville de Skanderei, berceau de
l’ex-UCK. Enfin, nous sommes aussi allé voir à plusieurs
reprises les sections occupant les trois postes de combat
situés à Mitrovica-Nord, du côté de la ville habité par la
population d’origine serbe, et installés à proximité du
pont séparant les deux communautés. Ces visites nous ont
permis de nombreux échanges informels avec les différentes
catégories de personnels occupant ces postes
isolés, et de prendre contact avec les représentants du
Service de santé, infirmiers et auxiliaires sanitaires, qui
partageaient leur quotidien souvent difficile. Nous avons
pu constater que ces déplacements étaient très appréciés,
permettant à chacun de partager un peu de son expérience
et d’évoquer, le cas échéant, les difficultés qu’il avait
connues durant son séjour.
Le rôle du psychiatre en opération extérieure nous
a semblé à la fois reconnu et apprécié tant par les
différents représentants du commandement que par
les personnels de terrain, et nombreux sont ceux qui
ont manifesté leurs regrets quant à la proche disparition
de notre spécialité au sein du GMC de Plana.
On peut aussi voir dans ce sentiment partagé par la
majorité d’entre eux le résultat du travail accompli,
dans un contexte parfois critique, par nos nombreux
prédécesseurs ayant séjourné sur le territoire.
92 é. mèle

IV. ACTIVITÉ AU PROFIT DES POPULATIONS
CIVILES.
Soixante-sept consultations ont été réalisées, en présence
d’un interprète, au profit des civils dans le cadre de
l’AMG, les patients étant d’origine albanaise dans leur
majorité. La plupart des 31 patients rencontrés dans ce
contexte étaient suivis depuis plusieurs mois, voire
plusieurs années au GMC. Les pathologies présentées par
ces consultants étaient sensiblement comparables à celles
rencontrées en métropole, même si de nombreux malades
ont été particulièrement marqués par la guerre dont le
souvenir hante encore toutes les mémoires de ceux qui
l’ont traversée… Là encore, la disparition du poste
de psychiatre au sein du GMC a été difficilement et
douloureusement acceptée, la misère sociale dans
laquelle les patients évoluent le plus souvent, le manque
d’infra-structures spécialisées et le coût des traitements
médicamenteux disponibles dans les pharmacies locales
étant autant d’écueils à des prises en charge adaptées et de
qualité. Au moment de notre départ, certains d’entre eux
ont été adressés à des thérapeutes civils qui les suivaient
avant qu’ils ne viennent consulter au GMC. D’autres, la
majorité, l’ont été au confrère psychiatre de l’hôpital
militaire marocain, dont la mission prioritaire était l’aide
médicale apportée aux populations locales.
V. RENCONTRE AVEC ÉLISE.
Le contexte particulier des opérations extérieures, qu’il
s’agisse de missions d’interposition, de maintien de
l’ordre ou de soutien humanitaire, amène souvent le
psychiatre militaire à prendre en charge des sujets qui
viennent d’être confrontés à des expériences traumatisantes
qui demeurent exceptionnelles dans nos sociétés
occidentales. Dans le cadre d’un séjour durant lequel la
situation semble stabilisée sur le plan militaire, sa
présence sur un théâtre d’opération peut être, comme
nous l’avons déjà signalé, l’occasion privilégiée d’une
rencontre avec des patients présentant une souffrance
psychique ancienne, ravivée lors d’un séjour prolongé
malgré tout éprouvant, vécu dans une ambiance
routinière, avec peu de loisirs et de sorties, cette ambiance
contrastant avec un climat d’hostilité persistant de la
part des différentes factions en place (1). Nous nous
proposons d’illustrer cette modalité particulière de
rencontre avec des personnels en souffrance, ce parfois
depuis longtemps, en évoquant l’histoire clinique
d’Élise, jeune militaire âgée de vingt ans, qui a consulté
un psychiatre pour la première fois l’hiver dernier, alors
qu’elle séjournait depuis trois mois au Kosovo.
Élise nous a été adressée par son médecin d’unité qui
l’avait lui-même rencontrée au décours d’une crise
d’angoisse associée à des manifestations somatiques
bruyantes, rattachée à des difficultés relationnelles avec
des collègues de travail, en particulier un cadre décrit
comme autoritaire et particulièrement sévère avec la
patiente. Originaire de la région parisienne où elle a
grandi dans une cité défavorisée, Élise est une grande et
psychiatrie au kosovo
mince jeune fille au regard intense, au visage très
expressif qui ne dissimule rien des sentiments et des
émotions qui l’animent, et la submergent parfois.
Militaire depuis un an, elle exerce la fonction de secrétaire
au sein de son régiment spécialisé dans les transmissions.
Son père, machiniste à la RATP, est d’origine guadeloupéenne;
sa mère, cuisinière dans une cantine scolaire, est
réunionnaise. Élise est née et a grandi en métropole, ainsi
que ses deux jeunes sœurs âgées de seize et dix-huit ans.
Elle décrit une enfance et une adolescence difficiles,
placées sous le signe d’une violence intra-familiale
contre laquelle elle s’est très tôt révoltée. « J’étais tapée
par mes parents, ils sont sans pitié, confie-t-elle, mais ce
n’est pas pour autant que je suis une enfant battue: c’est
quelque chose de très répandu dans les îles, on y a la vie
dure et l’éducation y est stricte »… Elle rapporte
cependant les sentiments de honte ressentis lorsqu’elle
était frappée en public, lors des réunions de famille ou
dans la rue… À l’adolescence, elle se décrit comme un
« garçon manqué » : « J’aimais bien me battre, je
protégeais mes sœurs… Je séchais les cours, je faisais les
quatre-cents coups au lycée, je voulais alors tout
détruire », ajoute-t-elle… Les premières relations
sentimentales, vers l’âge de seize ans, sont aussi marquées
par la violence, Élise fréquentant des garçons qui euxaussi
la battaient… Elle s’en étonne : « Je ne comprends
pas, quand j’étais plus jeune, je me disais que si un
homme me battait, je partirais, je ne resterais pas avec
lui »… À dix-sept ans, elle réalise en quelques mois
plusieurs tentatives de suicide en absorbant des
médicaments en quantités importantes, alors que
l’ambiance est devenue très tendue à la maison. C’est
aussi l’époque durant laquelle elle commence à
consommer beaucoup de cannabis, multipliant les
conduites à risque : c’est ainsi qu’elle se souvient s’être
jetée devant une voiture, qui l’évita de justesse, après en
avoir fumé… À la même époque, elle rencontre un garçon
plus âgé qu’elle, petit caïd et revendeur de drogue dans
son quartier, avec qui elle va entamer une liaison. Elle se
souvient avoir vendu du cannabis pour lui, pour tenter
d’échapper à sa violence et, là-encore, aux coups… À 18 ans,
alors qu’elle est en terminale, Élise s’aperçoit qu’elle est
enceinte. « Au début, je ne voulais pas de cet enfant, je
fumais du shit, je buvais de l’alcool, je faisais tout pour le
perdre »… Mais finalement, après quelques semaines de
réflexion, elle décide de garder le bébé, et d’en parler à ses
parents : elle est alors chassée du domicile familial puis
renvoyée de son lycée, doit trouver refuge dans un foyer,
où elle n’échappera pas à la violence de son ami qui devait
lui donner à plusieurs reprises des coups de pied dans
l’abdomen, en lui disant: « Si tu ne veux pas avorter, moi
je vais te faire avorter »… C’est lors d’une échographie
de contrôle à quatre mois de grossesse qu’Élise devait
apprendre que l’enfant qu’elle portait était mort… On lui
prescrivit alors un traitement médicamenteux afin de
permettre l’évacuation du fœtus, qu’elle prit alors qu’elle
était chez ses parents, ces derniers ayant finalement fini
par accepter son retour au domicile. Élise décrit ainsi ce
moment: «J’ai d’abord commencé à beaucoup saigner…
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Je me suis alors isolée dans les toilettes… J’avais très mal
au ventre… J’ai senti quelque chose de gros qui sortait…
Je ne voulais pas regarder, mais je l’ai vu quand même…
Il y avait plein de sang partout, c’était dégueulasse…
Après, j’ai continué de saigner… J’avais mal comme si
on me donnait des coups de couteau dans le ventre, j’ai
vraiment cru que j’allais mourir… Finalement, je l’ai jeté
au vide-ordures… ». Dans les suites de cet épisode
dramatique, Élise devait dénoncer les activités de dealer
de son ami à la police, ne pouvant cependant se résoudre à
rapporter les mauvais traitements qu’il lui avait fait subir.
Elle demeurait envahie par la culpabilité d’avoir fumé du
cannabis et consommé de l’alcool au début de sa grossesse,
se présentant comme seule responsable de la perte
de son enfant : « Je me cognais la tête contre les murs »
nous dit-elle, « je voulais me punir, je n’avais rien fait de
bien dans ma vie ». Peu de temps après, Élise décidait,
après avoir échoué au baccalauréat, de s’engager dans
l’armée, pour tenter de « faire de l’humanitaire,
m’occuper d’enfants », souligne-t-elle. Enfin, on se
montrait fier d’elle dans son entourage – ses parents, mais
aussi ses sœurs, les copains de la cité – mais très vite devait
poindre un sentiment d’ennui et une déception devant la
nature des tâches confiées, encore plus après son arrivée
au Kosovo, où elle espérait pouvoir enfin satisfaire son
désir d’aider les autres… Et c’est justement au Kosovo,
juste après qu’un supérieur hiérarchique lui ait reproché
en public son manque de rigueur dans son travail et remis
en cause le bien-fondé de la présence de personnels
féminins sur le territoire, qu’Élise devait présenter les
premiers symptômes d’un authentique syndrome
de répétition traumatique. Elle décrit alors l’apparition de
reviviscences de la scène de son avortement, reviviscences
déclenchées chaque fois qu’elle voyait du sang ou
tout ce qui pouvait ressembler à « la chose » qu’elle avait
aperçue ce jour-là… Elle rapporte aussi des cauchemars,
survenant presque chaque nuit, la réveillant en sursaut le
visage souvent marqué de griffures, cauchemars durant
lesquels elle entend les cris d’un bébé qui pleure, qui
l’attirent vers un trou «comme si je l’y avais abandonné»,
précise-t-elle… La moindre contrariété, le moindre bruit
inattendu génèrent un déferlement neuro-végétatif avec
des palpitations, des accès de tremblements, souvent
accompagnés de crises de larmes… Si elle n’exprime pas
d’idéations suicidaires, Élise confie qu’elle a souvent le
désir de partir « loin, ailleurs », avec son enfant… Elle
ajoute qu’elle ne se sépare jamais des résultats positifs de
son test de grossesse et du compte-rendu de l’échographie
abdominale réalisée à trois mois de grossesse…
C’est au bout de quelques entretiens qu’Élise devait
évoquer une autre période marquante de sa vie, correspondant
au séjour d’un oncle maternel en métropole
pendant un an, à l’occasion de son service militaire. Élise
était alors âgée de sept ans, et raconte comment elle a subi
à cette époque des abus sexuels répétés de la part de cet
oncle, abus dont elle n’a jamais parlé dans sa famille. Elle
explique comment, de longues années après, elle a
remarqué un comportement inhabituel chez la fillette de
cet oncle, qui porte le même prénom qu’elle : « Élise
n’était pas très vivante… Elle se penchait par la fenêtre…
Ça se voyait dans ses yeux… ». Élise devait alors
provoquer les confidences de sa jeune cousine, ce qui
entraîna une procédure judiciaire et, l’inceste étant avéré
et prouvé, une condamnation de l’oncle à dix ans d’emprisonnement.
« Au début, ils ne nous ont pas crues »,
raconte Élise, qui, là encore, si elle a pu témoigner en
faveur de sa cousine lors du procès, n’a pu se résoudre à
évoquer les abus qu’elle avait elle-même subis. Elle
précise: « Je m’en voulais trop de m’être laissée faire, et
puis je redoutais que mes parents ne me croient pas… Un
jour, ma mère m’a dit que les gens qui se font violer et qui
ne disent rien, c’est qu’ils aiment ça… Je ne porterai pas
plainte, car je ne veux pas non plus que mes parents s’en
veuillent… ». Élise a encore des « flash » en relation avec
cette période de son enfance et les violences subies.
« C’est bizarre, dit-elle, j’ai envie de taper les pères trop
proches de leur enfant », avant d’ajouter: « Je veux avoir
des enfants, mais pas de mari ». Depuis trois mois, Élise a
une liaison avec un jeune militaire de son unité, qui l’aime
et la respecte, à qui elle a pu confier ce qu’elle avait subi
durant son enfance, et qui l’a aussi encouragée à réaliser
un travail psychothérapique. Elle s’en veut de ne pas être
tout le temps très douce et gentille avec lui : « Je fais
exprès de l’énerver… En fait, je crois que j’aime bien
m’énerver », conclut-elle.
L’itinéraire d’Élise illustre bien sûr la problématique des
patients victimes d’abus sexuels durant leur enfance qui,
comme l’a souligné Ferrari (2), implique son cortège de
sentiments de honte et de dévalorisation compromettant
gravement les capacités d’engagement des victimes dans
une relation affective de confiance. Les troubles du
comportement d’Élise, avec en particulier la fréquence de
ses passages-à-l’acte hétéroagressifs, où l’on peut voir la
résultante d’une identification à l’agresseur selon les
modalités décrites par Sandor Ferenczi dans les années 20
(3, 4), ainsi que les troubles des conduites présentés tout
au long de son adolescence, sont le reflet d’un trouble
narcissique ancien et profond. On sait que le fait
d’assumer une fonction parentale satisfaisante s’avère
souvent difficile, voire impossible chez les anciennes
victimes d’abus sexuels, ce qu’illustrent les hésitations
d’Élise au début de sa grossesse quant à la poursuite ou
l’interruption de celle-ci, ainsi que sa crainte constante et
envahissante quant aux relations entre le futur père de son
enfant et celui-ci, résumée par la formule: « Je veux avoir
des enfants, mais pas de mari »… Le traumatisme de
l’avortement durant lequel Élise a été non seulement
confrontée au réel de la mort de son enfant mais aussi à sa
propre mort est venu se rajouter aux nombreux traumatismes
de l’enfance, ébranlant encore davantage des
fondations déjà bien fragiles. Dans cette perspective, la
question de l’engagement dans l’armée s’est imposée
chez cette jeune fille en perte de repères, dans l’attente
d’une vie plus calme et ordonnée au sein de cette
institution après les années de chaos traversées, une vie
qu’elle espérait consacrer à l’humanitaire et aux enfants.
Elle avait aussi le désir, au sein de sa nouvelle famille
d’élection, de trouver un peu de la chaleur humaine et de
94 é. mèle

la solidarité qui lui avaient jusqu’ici cruellement manqué.
Et c’est justement au moment de l’effondrement de cet
idéal, alors que sa présence et la qualité de son travail sont
remis en cause par l’un de ses cadres, que resurgissent les
fantômes du passé et l’image de cet enfant mort avant de
naître, dont le deuil n’avait pu se faire jusqu’alors.
Comme l’écrit Lebigot, « quand il arrive que ses
croyances ont fait naufrage, qu’il n’a que du réel en face
de lui, il ne reste plus comme refuge mental (au sujet) que
son groupe d’appartenance, si c’est encore possible» (5).
La rencontre d’Élise avec un psychiatre appartenant à ce
groupe a en ce sens été très importante, lui permettant de
renouer ainsi son lien avec la communauté militaire tout
en y trouvant un espace de parole à l’intérieur duquel ont
pu commencer à se dire et se réfléchir les traumatismes
antérieurs. La dizaine d’entretiens réalisés avec Élise a
permis une atténuation significative de la symptomatologie
psychotraumatique aiguë qu’elle présentait
jusqu’ici, en même temps que s’amorçait une élaboration
symbolique du trauma et son insertion dans la chaîne
signifiante de la patiente (6), à travers l’évocation de son
histoire par la parole mais aussi par l’écriture, Élise ayant
débuté parallèlement aux consultations le récit de la vie
d’un bébé dans le ventre de sa mère. La reconnaissance de
la souffrance d’Élise a aussi permis, avec la distinction
claire de sa position de victime – victime de l’oncle
incestueux mais aussi de l’ex-ami responsable de la mort
de l’enfant – qu’elle commence à se dégager de la culpabilité
massive qui lui interdisait toute forme de plaisir
dans l’accomplissement de sa vie affective. Lors
des derniers entretiens, elle évoqua le désir nouveau
pour elle d’être féminine, de plaire, de se maquiller,
désir témoignant de la restauration progressive de
l’image dépréciée d’elle-même avec laquelle elle vivait
depuis de longues années et nous confia, lors de
1. Plouznikoff M. Missions d’interposition en ex-Yougoslavie. In :
Briole G, Lafont B, Lebigot F eds. Psychiatrie militaire en
situation opérationnelle. Paris : ADDIM, 1998 : 63-72.
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Ferenczi S ed. Psychanalyse IV. Paris : Payot, 1982 : 125-35.
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psychiatrie au kosovo
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
notre dernière rencontre avec elle, son envie de continuer
le travail psychothérapique initié au Kosovo après
son retour en métropole.
VI. CONCLUSION.
Le psychiatre militaire est au service d’un groupe, d’une
communauté à laquelle il appartient, dont il partage
l’uniforme et les conditions de vie parfois éprouvantes
lors d’une opération extérieure. Cette appartenance à un
groupe, l’accomplissement d’une mission commune
dans une zone géographique limitée durant une durée
déterminée peuvent permettre, comme nous avons essayé
de le montrer, de faciliter certaines rencontres qui seraient
plus improbables en d’autres circonstances. Et il est
intéressant de constater que c’est justement en des
circonstances durant lesquelles l’individu aurait
tendance à s’effacer devant le groupe et l’idéal qui
l’anime que peut s’instaurer un lien thérapeutique qui va
permettre, comme l’écrit Briole, de « viser à la singularité
du sujet en lui permettant de se dégager des idéaux
du groupe », « afin de rendre possible que se poursuive
avec le patient une élaboration dans des entretiens qui
prendront en compte sa souffrance, feront préciser les
conditions exactes de l’événement, le dirigeront sur le
trajet qu’il doit faire dans son histoire personnelle et
l’aideront à replacer le traumatisme dans le cours de sa
vie où il peut trouver à le lier » (7). C’est justement ce
travail, souvent long et difficile, qui permettra au sujet
en souffrance de retrouver sa place, non seulement
au sein de la collectivité militaire, comme pour Élise,
mais aussi et surtout parmi la communauté des vivants,
dont la rencontre avec le traumatisme et le réel de la mort
l’avait un temps exclu.
Psychanalyse IV. Paris : Payot, 1982 : 139-47.
5. Lebigot F. Nouvelles missions, nouveaux facteurs pathogènes. In :
Briole G, Lafont B, Lebigot F eds. Psychiatrie militaire en
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GÉNÉRALITÉS
L'article proposé pour parution dans Médecine et Armées, relate un
travail original et spécifique à la médecine dans les armées (fait médical, chirurgical,
pharmaceutique, vétérinaire, historique, médico-administratif, épidémiologique…).
PRÉSENTATION DU MANUSCRIT
• Le manuscrit est fourni:
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prénom en lettres capitales accentuées (avec trait d'union pour les prénoms composés)
séparés par un point.
– le nom du ou des auteurs, précédé des initiales du prénom des auteurs suivis du
grade et du titre principal;
– le nom, l'adresse et les coordonnées téléphoniques, de télécopie ou E-mail de
l'auteur destinataire des correspondances, des épreuves à corriger.
• La deuxième page est réalisée selon les règles avec:
– le titre en français en lettres capitales accentuées;
– le titre en anglais ;
– le résumé en français de 15 lignes maximum sans abréviation ni référence;
– suivi de quatre à cinq mots-clés répertoriés, classés par ordre alphabétique et
séparés par un point;
– le résumé en anglais suivi des mots-clés répertoriés, classés par ordre alphabétique
et séparés par un point.
• Le texte:
– débute à la troisième page;
– est concis, précis et les évènements passés sont écrits au passé composé ;
– les abréviations sont en nombre limité et exclues du titre et des résumés et sont
explicites lors du premier emploi ; le terme entier est précédé de l'abréviation mise
entre parenthèses lors de la première apparition dans le texte;
– la terminologie est respectée (symbole, unité, nombre écrit en chiffres sauf ceux
inférieurs à dix sept, lorsqu'ils commencent une phrase ou lors d'énumérations
fréquentes dans le texte, médicaments).
– La présentation est au carré (texte justifié) sans retrait ni interligne, ni gras dans le
texte ni mot souligné et selon le plan:
I. CHAPITRE.
A) SECTION.
1. Article.
a) Paragraphe.
– alinéa;
- sous alinéa,
les puces • peuvent être utilisées sans renvois de bas de page.
• Les figures (graphiques, illustrations et photographies):
– sont en nombre limité;
– sont numérotées en chiffres arabes;
– sont appelées précisément dans le texte, placées entre parenthèses par ordre
d'apparition ;
– les photos sont fournies en trois exemplaires (idem pour les radiographies)
respectent l'anonymat des patients et peuvent être remplacées par des fichiers
numériques (sous format JPEG);
– les diapositives sont accompagnées d'un tirage papier;
– au verso des figures l'orientation est indiquée;
– les légendes sont dactylographiées sur une feuille à part expliquant les unités
utilisées (pour les graphiques).
• Les tableaux:
– sont en nombre limité;
– sont numérotés en chiffres romains;
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RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS
– sont fournis sur une seule page avec leur titre et leur numéro;
– sont précisément appelés dans le texte, placés entre parenthèses par ordre d'apparition;
– doivent se suffirent à eux même sans que l'on doive se référer au texte.
• Les remerciements:
– sont placées en fin de texte.
• Les références bibliographiques:
– sont numérotées en chiffres arabes placés entre parenthèses (dans le texte, les
tableaux et les figures) dans l'ordre d'apparition;
– les chiffres sont séparés par des virgules, mais au-delà de deux chiffres successifs
seuls les deux extrêmes sont présentés, séparés par un trait d'union;
– les noms des auteurs, séparés par une virgule, sont mentionnés jusqu'à six, au-delà,
le dernier des six est suivi de la mention « et al. ».
– les noms des revues sont conformes aux listes officielles référencées.
LES RÉFÉRENCES
Les références comportent obligatoirement, dans l'ordre suivant:
– noms des auteurs en minuscules accentuées (première lettre en capitale accentuée)
suivis des initiales des prénoms en majuscules accentuées séparés par une virgule, le
dernier étant suivi de la mention « et al. »;
– titre intégral dans la langue de publication (caractères latins) et d'un point ; suivi de:
À propos d'un article extrait de revue:
– nom de la revue suivi de l'année de parution, puis d'un point virgule;
– tome, pouvant être suivi du numéro entre parenthèses, puis deux points;
– numéros de la première page et de la dernière abrégée au plus petit chiffre explicite,
séparés par un trait d'union et point final.
À propos d'un livre:
– ville de l'éditeur puis deux points;
– éditeur suivi d'un point virgule;
– année d'édition et éventuellement du nombre de pages suivi d'un point final.
À propos d'un chapitre extrait d'un livre:
– titre du chapitre et point;
– puis « in : » suivi du ou des noms et initiales des prénoms du ou des coordinnateurs
suivis de « ed » ou « eds » et d'un point;
– titre du livre et point;
– ville de l'éditeur puis deux points;
– maison d'édition et virgule;
– année d'édition et deux points;
– numéros de la première page et de la dernière abrégée au plus petit chiffre explicite,
séparés par un trait d'union et point final.
À propos d'une thèse:
– ville suivie de deux points et de l'université puis d'un point virgule;
– année de la thèse et nombre de pages et point final.
COMITÉ DE LECTURE
Les articles sont soumis anonymement pour approbation à la lecture de deux lecteurs
membres du comité ou de deux lecteurs choisis pour leur compétence en la matière.
Le comité de lecture se réserve le droit de demander un complément de bibliographie.
Les textes, publiés ou non, ne sont pas retournés à l'auteur, à l'exception des
illustrations.
CORRECTION DES ÉPREUVES
Les auteurs reçoivent, avant publication, les épreuves d'imprimerie sous forme papier
ou fichier PDF via Internet ou Lotus qu'ils devront vérifier dans les délais indiqués
dans la lettre d'accompagnement et conformément aux observations précisées.
Le retour dans les huit jours est impératif. Passé ce délai, le texte sera publié tel quel
sous la responsabilité de son auteur.
OBLIGATIONS LÉGALES
Les manuscrits originaux ne doivent avoir fait l'objet d'aucune publication antérieure,
ni être en cours de publication dans une autre revue. Les opinions, exprimées dans les
articles ou reproduites dans les analyses, n'engagent que leurs auteurs, notamment
pour les médicaments. Les règles concernant l'exercice du droit d'expression dans les
armées doivent être observées, particulièrement lorsqu'il s'agit d'informations
nominatives ou protégées. En outre, le respect des dispositions de la loi du 11 mars
1957 modifiée, relative à la propriété littéraire et artistique, s'impose.
Toute correspondance doit être adressée à : M. le rédacteur en chef, secrétariat « Médecine et Armées »
1, place Alphonse Laveran, 75230 Paris Cedex 05 – Tél. : 01 40 51 47 44 – Fax : 01 40 51 51 76 – Email : mmed.arm@dial.oleane.com