Sommaire - CCIFR

Sommaire - CCIFR Sommaire - CCIFR

22.06.2013 Views

52 Mikhaïl Vinogradov officielles existantes que du système réel de gestion et de prise de décisions d’ordre financier : son affaiblissement engendrera une rupture catastrophique des équilibres, une « guerre généralisée », une révision totale des sphères d’influence et de compétences, une criminalisation et une plongée dans le chaos. Une part importante des partisans de cette approche exprime en coulisses sa crainte que le « Poutine version 2.0 » apparu en 2012 ne perde conscience de l’importance de maintenir le système en place, cherchant même à l’agiter à des fins tactiques. L’approche fataliste. On admet volontiers un démontage à venir du système politique où « au début, à la suite d’une révolution, le pouvoir sera pris par Navalny, puis par des généraux ou des nationalistes, où le pouvoir affaibli passera de mains en mains ». En même temps, tant que le régime politique existant est fort et relativement efficace, il n’y a aucune raison de participer à sa liquidation, il faut simplement savoir s’adapter aux réalités qui feront leur apparition. Dans les rangs de l’opposition, la ligne de démarcation se situe le plus souvent au niveau de l’attitude face à l’histoire. Pour certains, les années 1980 servent de guide évident pour l’action et d’indicateur en vue d’obtenir des résultats. Pour d’autres, c’est une abstraction : une période qu’ils n’ont pas connue de par leur âge, pas ressentie en raison de leur parcours ou pas utilisée faute d’avoir été compétitifs. En fait, les premiers croient intuitivement en la force croissante de la contestation de l’année 2012, ils la comparent à l’année 1990 (où, malgré de renforcement formel des positions des « démocrates », on a assisté à une réduction progressive de leurs initiatives), suivie inévitablement de l’année 1991. Ils font leur la phrase du poète russe Harms selon laquelle « la vie a vaincu la mort par un moyen inconnu de la science ». Sur le plan intérieur, ils ne sont pas tellement prêts à réfléchir aux moyens permettant d’obtenir la victoire, mais ils sont concentrés sur les réflexions autour des possibilités d’éviter d’en gaspiller les fruits. Les « sceptiques », au contraire, ne sont pas portés sur les analogies historiques, ou bien ont conscience de leur propre vulnérabilité. Ils sont sujets à des hésitations et à la dépression et, à l’instar des partisans du pouvoir, ils assistent aux divergences au sein de l’opposition, à la « baisse de la contestation » et à leur propre impuissance en se disant que « tôt ou tard, tout s’arrangera plus ou moins bien ». Dans la deuxième moitié de l’année 2012, ce sont justement ces humeurs qui ont dominé dans les rangs de l’opposition. Tout cela a donné naissance à une situation paradoxale. D’une manière ou d’une autre, la plupart des acteurs de la vie politique ont considéré les relations entre le pouvoir et les habitants contestataires de Moscou comme une intrigue cruciale. Cependant, dans la mesure où l’échec de la période soviétique, pour des raisons diverses, a causé un traumatisme psychologique pour une bonne part de la classe dirigeante (laissant dans certains cas des symptômes), l’élite a eu RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

2012, année de transition ou de rupture ? tendance à surévaluer le potentiel et les perspectives de la contestation. De leur côté, à l’inverse, les opposants de base et ceux de la première ligne ont sousestimé les résonnances possibles de leurs propres actions. C’est dans ce contexte que se sont déroulés les événements politiques de l’année 2012. Il n’y a aucune raison de s’attendre à des changements dans les mois à venir. L’ É N I G M E D U P R O G R A M M E D E P O U T I N E Pendant la campagne électorale de Vladimir Poutine, son état-major de campagne tenta de promouvoir la parution d’un « Poutine 2.0 », soit, par analogie avec les logiciels, un nouveau modèle de président, plus moderne et correspondant aux attentes et demandes des utilisateurs « avancés ». Le terme fut reconnu par les experts comme manqué, et pour de nombreux critiques, le président russe demeure reste un « homme du XXe siècle » : avec une disposition intérieure de service à la patrie et à l’État et des concepts spécifiques quant aux méthodes contemporaines de lutte dans un contexte de concurrence et aux limites de l’admissible concernant le dialogue avec les opposants. Or, bien que le « rajeunissement » de l’image de Poutine ait échoué, l’homme revint sensiblement changé au poste de chef de l’État. Il est encore difficile de dire à quel point la tendance contestatrice de 2012 a provoqué la résolution de Poutine de « se venger » de l’« humiliation de la place Bolotnaïa » et des quatre ans de Medvedev, et à quel point il s’agit là d’une technique bien claire. Pas plus que Gorbatchev qui, à la fin des années 1980, ne donna pas de signal clair sur ses prises de position, Poutine ne s’est empressé de tirer des conclusions précises. Sans mettre de frein à l’approche « guékatchépiste » et étant porteur de beaucoup d’idées tout à fait sujettes à discussions, il conserve en même temps une rhétorique relativement équilibrée, qui s’est manifestée, par exemple, dans son allocution de 2012 à l’Assemblée fédérale. La tactique particulière apparue chez Poutine vis-à-vis de la contestation est aussi intéressante. Si les structures politiques du pouvoir fédéral comptent en général sur une baisse de la contestation, on peut noter, dans l’action des représentants des « structures de force », une incitation à la multiplication des interventions en créant des prétextes qui servent de caisse de résonance aux mobilisations de l’opposition. Il suffit de se souvenir de la formule sur les « Bandar-Log » en décembre 2011, des perquisitions effectuées chez Alexeï Navalny et Ksenia Sobtchak à la veille des manifestations du 12 juin 2012, de la promotion de la loi « anti-adoption des orphelins », etc.. On peut penser que l’incitation au « pic » des manifestations vise à démontrer que, même au maximum de son activité, l’opposition n’est pas en mesure d’atteindre ses objectifs ni d’élaborer une stratégie efficace une fois devenue membre à part entière du processus politique. RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 53

52<br />

Mikhaïl Vinogradov<br />

officielles existantes que du système réel de gestion et de prise de décisions<br />

d’ordre financier : son affaiblissement engendrera une rupture catastrophique des<br />

équilibres, une « guerre généralisée », une révision totale des sphères d’influence<br />

et de compétences, une criminalisation et une plongée dans le chaos. Une part<br />

importante des partisans de cette approche exprime en coulisses sa crainte que<br />

le « Poutine version 2.0 » apparu en 2012 ne perde conscience de l’importance<br />

de maintenir le système en place, cherchant même à l’agiter à des fins tactiques.<br />

L’approche fataliste. On admet volontiers un démontage à venir du système<br />

politique où « au début, à la suite d’une révolution, le pouvoir sera pris par<br />

Navalny, puis par des généraux ou des nationalistes, où le pouvoir affaibli passera<br />

de mains en mains ». En même temps, tant que le régime politique existant est<br />

fort et relativement efficace, il n’y a aucune raison de participer à sa liquidation,<br />

il faut simplement savoir s’adapter aux réalités qui feront leur apparition.<br />

Dans les rangs de l’opposition, la ligne de démarcation se situe le plus souvent<br />

au niveau de l’attitude face à l’histoire. Pour certains, les années 1980 servent<br />

de guide évident pour l’action et d’indicateur en vue d’obtenir des résultats.<br />

Pour d’autres, c’est une abstraction : une période qu’ils n’ont pas connue de par<br />

leur âge, pas ressentie en raison de leur parcours ou pas utilisée faute d’avoir<br />

été compétitifs. En fait, les premiers croient intuitivement en la force croissante<br />

de la contestation de l’année 2012, ils la comparent à l’année 1990 (où, malgré<br />

de renforcement formel des positions des « démocrates », on a assisté à une<br />

réduction progressive de leurs initiatives), suivie inévitablement de l’année 1991.<br />

Ils font leur la phrase du poète russe Harms selon laquelle « la vie a vaincu la<br />

mort par un moyen inconnu de la science ». Sur le plan intérieur, ils ne sont pas<br />

tellement prêts à réfléchir aux moyens permettant d’obtenir la victoire, mais ils<br />

sont concentrés sur les réflexions autour des possibilités d’éviter d’en gaspiller<br />

les fruits. Les « sceptiques », au contraire, ne sont pas portés sur les analogies<br />

historiques, ou bien ont conscience de leur propre vulnérabilité. Ils sont sujets<br />

à des hésitations et à la dépression et, à l’instar des partisans du pouvoir, ils<br />

assistent aux divergences au sein de l’opposition, à la « baisse de la contestation »<br />

et à leur propre impuissance en se disant que « tôt ou tard, tout s’arrangera plus<br />

ou moins bien ». Dans la deuxième moitié de l’année 2012, ce sont justement ces<br />

humeurs qui ont dominé dans les rangs de l’opposition.<br />

Tout cela a donné naissance à une situation paradoxale. D’une manière ou<br />

d’une autre, la plupart des acteurs de la vie politique ont considéré les relations<br />

entre le pouvoir et les habitants contestataires de Moscou comme une intrigue<br />

cruciale. Cependant, dans la mesure où l’échec de la période soviétique, pour des<br />

raisons diverses, a causé un traumatisme psychologique pour une bonne part<br />

de la classe dirigeante (laissant dans certains cas des symptômes), l’élite a eu<br />

RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!