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32 Evguenia Obitchkina soviétique en pleine décomposition. Estimant que la politique impulsée par le leader soviétique annonçait une « révolution d’ampleur planétaire », le président français considérait qu’il ne fallait pas réagir aux bouleversements en cours en URSS de la même façon « qu’à un changement de gouvernement au Guatemala » — ce que Washington, selon lui, ne comprenait pas. Après la dissolution du Pacte de Varsovie, et parallèlement à la création de l’Union européenne sur la base de la Communauté économique européenne, Mitterrand a avancé l’idée d’une Confédération européenne censée réunir les pays de l’Europe post-communiste, y compris l’Union soviétique — sans détailler la forme que prendraient les relations entre cette Confédération et l’UE. La proposition de Mitterrand était à l’unisson de l’idée de « maison européenne commune » chère à Gorbatchev, et a d’ailleurs été entérinée dans l’Accord d’entente et de coopération entre la France et la Russie signé à Rambouillet le 29 octobre 1990. Mais l’idée d’une Confédération fut rejetée par les leaders est-européens, qui aspiraient à l’intégration de leurs pays dans le bloc des démocraties libérales à travers l’adhésion à l’OTAN et à l’UE. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les relations entre Paris et Moscou connurent plusieurs étapes épousant aussi bien la dynamique globale des liens entre la Russie et l’Occident que le processus d’établissement de la Russie en tant que sujet de la politique mondiale. Chacune de ces étapes a également correspondu aux changements de priorités d’une politique étrangère française à la recherche de nouveaux leviers d’influence régionale et internationale. La dissolution de l’URSS a renforcé le rapport paternaliste de l’Occident envers la Russie, ce qui s’est reflété dans les relations franco-russes. La combinaison de la chute du système soviétique et de l’aspiration d’une Russie affaiblie à converger avec l’Occident a conféré au président français le rôle « leader » dans le couple Paris-Moscou. Cette évolution fut illustrée par l’Accord franco-russe de 1992 : la France s’engageait à contribuer au rapprochement de la Russie et de la CEE et à son intégration dans les institutions financières internationales à la condition que les normes de la démocratie et des droits de l’homme y soient respectées. À cette époque, l’Occident incarnait pour la Russie non seulement un modèle civilisationnel mais aussi, et avant tout, une source susceptible de lui apporter l’assistance financière nécessaire à son rétablissement économique. De ce point de vue, la France était un partenaire bienveillant. Lors d’un sommet du G7 tenu à Munich en juillet 1992, Mitterrand s’opposa au durcissement des exigences du FMI à l’égard de Moscou, de crainte qu’un refus du Fonds ne provoque l’effondrement définitif de l’État russe et une série de cataclysmes sociaux. Pour le président français, la Russie restait un acteur important des relations internationales. Ainsi, il a toujours insisté pour qu’elle soit invitée à participer au processus de règlement politique des conflits de l’ex-Yougoslavie. Lors du sommet de la CSCE RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013
Vu de Moscou tenu à Budapest en 1994, Mitterrand fut le seul à se montrer compréhensif à l’égard du président Eltsine, hostile à l’élargissement de l’OTAN à l’Est. Le locataire du palais de l’Élysée alla jusqu’à qualifier cet élargissement d’« inutile et dangereux ». Cependant, le président français n’a pas soutenu l’idée, émise par George Bush Sr., d’inclure Moscou dans le G7. Il était clair que, à ses yeux, la Russie avait perdu le statut de puissance mondiale. Au milieu des années 1990, la diplomatie russe dirigée par Evgueni Primakov s’est fixé pour objectif de rétablir l’influence internationale du pays et de surmonter le « complexe du vaincu ». Dans ce contexte, Moscou a particulièrement apprécié les propos du nouveau président français Jacques Chirac : « Tout ce qui consisterait à ne pas vouloir reconnaître la grandeur de la Russie et de son peuple conduirait à faire une erreur majeure sur le plan de la vision du monde de demain. » De cette façon, Paris participait à l’incorporation de la Russie dans le club d’élite des puissances industrielles développées. D’ailleurs, Chirac se déclara également favorable à l’adhésion de la Russie à l’OMC et au Club de Paris. La période 1995- 1999, placée sous le signe des rapports de confiance établis par Chirac et Eltsine, a indiscutablement été celle du « partenariat privilégié » entre la France et la Russie. En 1996, pour permettre la vente en France d’obligations russes de court terme (GKO), les deux pays ont signé un accord sur le remboursement des « emprunts russes » (datant de l’époque tsariste) aux créanciers français. C’est à cette époque que fut créée la Commission bilatérale sur la coopération économique, scientifique et technique, co-présidée par les Premiers ministres des deux pays, et qu’il fut décidé de fonder une structure de coordination des relations : la Commission intergouvernementale franco-russe pour les questions de coopération bilatérale au niveau des chefs de gouvernement. L’année s’acheva par l’adoption du plan d’action de l’UE en faveur de Moscou, activement promu par la France. Enfin, notons que Paris a soutenu la demande russe d’adhésion au Conseil de l’Europe. Mais dès le milieu des années 1990, certains signaux avaient commencé d’indiquer qu’une collaboration étroite avec Moscou ne correspondait pas à la nouvelle configuration européenne. La ligne de démarcation entre l’ouest et l’est de l’Europe n’avait pas disparu : elle avait simplement été repoussée plus à l’est, jusqu’aux frontières de la Russie. L’intégration des pays d’Europe orientale dans la communauté occidentale se produisait parallèlement à leur rupture avec Moscou. Ce phénomène renforçait le vecteur atlantique du développement de l’Union européenne plus que le vecteur européen et continental, ce qui n’arrangeait ni la Russie, ni la France. Cette dernière se montrait réservée à l’égard de l’élargissement de l’OTAN vers l’est, auquel la Russie était résolument hostile. Au moment du sommet de Madrid de l’Alliance, à l’été 1997, Eltsine et Chirac, chacun à sa manière, se sont opposés à l’atlantisation de l’Europe téléguidée depuis les États- RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 33
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leader soviétique annonçait une « révolution d’ampleur planétaire », le président<br />
français considérait qu’il ne fallait pas réagir aux bouleversements en cours en<br />
URSS de la même façon « qu’à un changement de gouvernement au Guatemala »<br />
— ce que Washington, selon lui, ne comprenait pas. Après la dissolution du Pacte<br />
de Varsovie, et parallèlement à la création de l’Union européenne sur la base<br />
de la Communauté économique européenne, Mitterrand a avancé l’idée d’une<br />
Confédération européenne censée réunir les pays de l’Europe post-communiste, y<br />
compris l’Union soviétique — sans détailler la forme que prendraient les relations<br />
entre cette Confédération et l’UE. La proposition de Mitterrand était à l’unisson<br />
de l’idée de « maison européenne commune » chère à Gorbatchev, et a d’ailleurs<br />
été entérinée dans l’Accord d’entente et de coopération entre la France et la Russie<br />
signé à Rambouillet le 29 octobre 1990. Mais l’idée d’une Confédération fut rejetée<br />
par les leaders est-européens, qui aspiraient à l’intégration de leurs pays dans le<br />
bloc des démocraties libérales à travers l’adhésion à l’OTAN et à l’UE.<br />
Après l’effondrement de l’Union soviétique, les relations entre Paris et Moscou<br />
connurent plusieurs étapes épousant aussi bien la dynamique globale des liens<br />
entre la Russie et l’Occident que le processus d’établissement de la Russie en tant<br />
que sujet de la politique mondiale. Chacune de ces étapes a également correspondu<br />
aux changements de priorités d’une politique étrangère française à la recherche de<br />
nouveaux leviers d’influence régionale et internationale.<br />
La dissolution de l’URSS a renforcé le rapport paternaliste de l’Occident envers<br />
la Russie, ce qui s’est reflété dans les relations franco-russes. La combinaison de<br />
la chute du système soviétique et de l’aspiration d’une Russie affaiblie à converger<br />
avec l’Occident a conféré au président français le rôle « leader » dans le couple<br />
Paris-Moscou. Cette évolution fut illustrée par l’Accord franco-russe de 1992 : la<br />
France s’engageait à contribuer au rapprochement de la Russie et de la CEE et à son<br />
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normes de la démocratie et des droits de l’homme y soient respectées.<br />
À cette époque, l’Occident incarnait pour la Russie non seulement un modèle<br />
civilisationnel mais aussi, et avant tout, une source susceptible de lui apporter<br />
l’assistance financière nécessaire à son rétablissement économique. De ce point<br />
de vue, la France était un partenaire bienveillant. Lors d’un sommet du G7 tenu à<br />
Munich en juillet 1992, Mitterrand s’opposa au durcissement des exigences du FMI<br />
à l’égard de Moscou, de crainte qu’un refus du Fonds ne provoque l’effondrement<br />
définitif de l’État russe et une série de cataclysmes sociaux. Pour le président<br />
français, la Russie restait un acteur important des relations internationales.<br />
Ainsi, il a toujours insisté pour qu’elle soit invitée à participer au processus de<br />
règlement politique des conflits de l’ex-Yougoslavie. Lors du sommet de la CSCE<br />
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