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Vu de Moscou<br />
précisément à cette époque qu’a été conclu l’accord « gaz contre gazoducs », selon<br />
lequel la France obtenait du gaz sibérien et l’Union soviétique des équipements<br />
de pointe pour ses stations de pompage. Ainsi, le vecteur de la politique n’avait<br />
pas changé : aux yeux de Moscou, la France était toujours un pays privilégiant ses<br />
intérêts nationaux à la solidarité transatlantique.<br />
Mais la dynamique des relations bilatérales continuait de dépendre du climat<br />
global des relations entre l’Est et l’Ouest. Les périodes de rapprochement succédaient<br />
aux refroidissements, ce qui nourrissait le scepticisme des observateurs à propos des<br />
sempiternelles déclarations sur les « relations privilégiées » de Moscou et Paris. Un<br />
scepticisme particulièrement vivace parmi les experts français, largement acquis<br />
à un paradigme civilisationnel transatlantique datant de l’époque de la Guerre<br />
froide. Au centre de cette vision du monde, il y a le noyau transatlantique que<br />
forment les États-Unis et l’Europe occidentale. L’URSS/Russie n’appartenant pas<br />
à cet ensemble, il convient d’avoir avec elle des relations conformes aux standards<br />
occidentaux et aux intérêts d’un bloc occidental nécessairement solidaire.<br />
Ce scepticisme est si profondément enraciné qu’il est susceptible de refroidir<br />
l’enthousiasme des analystes et des praticiens russes des relations franco-russes.<br />
Ceux-ci sont pour la plupart non seulement d’excellents connaisseurs de la<br />
France, mais aussi de grands francophiles. Néanmoins, leur adhésion à l’idée d’un<br />
partenariat privilégié ne découle pas seulement de la sympathie qu’ils éprouvent<br />
à l’égard de la France. Elle reflète les priorités réelles de la politique étrangère de<br />
Moscou, qui se languit de l’Europe. L’abandon de la vision du monde héritée de la<br />
Guerre froide pourrait conférer une nouvelle dimension à une coopération russofrançaise<br />
enfin débarrassée de l’ambiguïté qui l’a marquée jusqu’à présent.<br />
L E C O M P L E X E E T C O M M E N T L E S U R M O N T E R<br />
À l’été 1990, dans un entretien accordé au Figaro, Zbigniew Brzezinski a nommé<br />
les deux vainqueurs de la Guerre froide : les États-Unis et l’Allemagne. Et deux<br />
vaincus : l’URSS et la France. Ces deux pays, expliquait-il, étaient des adversaires<br />
historiques du renforcement de l’Allemagne en Europe et devaient donc être<br />
considérés comme des victimes potentielles de la réunification allemande. Mais<br />
cette analyse était, en réalité, tournée vers le passé. Cette vision des choses rejetait<br />
dès le départ la possibilité de la construction d’une Europe dénuée de lignes de<br />
partage. Ce n’est pas le désespoir partagé par deux « vaincus » qui a rapproché<br />
Mikhaïl Gorbatchev et François Mitterrand, mais la volonté de bâtir une « maison<br />
européenne commune ». La réunification allemande a été non la raison d’être, mais<br />
la toile de fond de leur étroite collaboration diplomatique.<br />
Impressionné par le courage de Gorbatchev, Mitterrand mettait en garde<br />
les autres leaders mondiaux contre toute intimidation à l’égard d’une Union<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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