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22.06.2013 Views

22 Anne de Tinguy Les médias confirment et alimentent ces regards : ils dénoncent fréquemment une Russie minée par la corruption et les mafias (à titre d’exemple, Books – L’actualité par les livres du monde de novembre 2011 est consacré à « Russie L’État mafia »), par la monopolisation du pouvoir, les atteintes à la liberté de la presse et aux droits de l’homme, l’arbitraire en Tchétchénie, la violence comme moyen de règlement des conflits, l’essor du nationalisme et de la xénophobie, etc. Le regard n’est pas que négatif. La Russie continue à être perçue comme exerçant une influence dans le monde. Lors de l’enquête 2010 du German Marshall Fund, six Français sur dix estiment « probable ou très probable » un « fort leadership de la Russie dans les affaires mondiales dans cinq ans ». Celle-ci est fréquemment présentée dans les médias comme faisant partie des BRICs et des pays émergents moteurs de la croissance mondiale. Elle continue en outre à exercer une attraction sur les Français. L’intérêt des médias ne se dément pas. La culture russe est très prisée. Le nombre de Français qui se rendent en Russie pour des raisons privées ou professionnelles pour de courts séjours a été multiplié par six au cours des quinze dernières années. La progression est à relativiser (ils étaient peu nombreux au début des années 1990), mais elle témoigne de l’attention portée à la patrie de Pouchkine et de Tolstoï. D’autres images que celles ci-dessus mentionnées sont par ailleurs véhiculées. Celles qui le sont par la littérature de ces dernières années sont diversifiées. La Sibérie est ainsi par exemple au cœur de plusieurs récits et romans récents : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, Les nuits de Vladivostok de Christian Garcin et, à la suite du « Transsibérien des écrivains » organisé en 2010 dans le cadre de l’Année croisée France-Russie, Sibérie d’Olivier Rolin, Sibir de Danièle Sallenave et Transsibérien de Dominique Fernandez qui décrit la splendeur de la nature et « un pays où s’unissent, dans un contraste d’énergies stimulant, la joie de vivre, la dévotion aux poètes et le souvenir de la tragédie ». RU S S O P H I L I E E T P R A G M AT I S M E D E S É L I T E S D I R I G E A N T E S Les élites dirigeantes, nombreuses à se montrer russophiles et/ou pragmatiques à l’égard de la Russie, véhiculent en outre sur celle-ci un regard bien différent de celui qui vient d’être noté. Le président Chirac (1995-2007) a pour la culture russe et pour ce pays un « attachement et une admiration » qu’il lie à son apprentissage de la langue russe. À ses yeux, la Russie est un « très grand pays », « héritier d’une grande histoire et façonné par une culture séculaire ». Elle fait partie « des grandes nations » et des « grands pôles politiques » du monde, elle doit donc y jouer « un rôle éminent, conforme à son rang ». Elle est également une « grande amie de la France », qui « nous est proche par l’Histoire, la culture et la géographie ». Hubert Védrine, son ministre des affaires étrangères pendant la période de cohabitation RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

Ambivalence et distanciation (1997-2002), estime lui aussi que « la Russie reste un grand pays (qui doit être) reconnu comme une puissance qui compte dans le monde ». Cette perception de la Russie s’est traduite par une volonté d’intensifier le partenariat bilatéral, d’encourager l’ancrage de la Russie dans l’espace euro-atlantique – ce qui passe, estimait Jacques Chirac, par une association de la Russie aux affaires européennes, en particulier par la définition de la nouvelle architecture de sécurité en Europe au moment où l’Alliance Atlantique s’élargissait vers l’Est – et de renforcer avec et grâce à elle l’Europe et le monde multipolaire. À ses yeux, une Europe forte est bipolaire, la Russie, chef de file de la Communauté des États indépendants (CEI), en étant l’un des deux pôles. Le regard du président Sarkozy (2007-12) relève davantage du pragmatisme que de la russophilie, mais il reste globalement positif. La Russie est, à ses yeux, « un acteur majeur, un pays puissant, qui a des responsabilités internationales », un « grand partenaire de l’Europe, qui ne peut pas être ignoré ». Le successeur de Jacques Chirac estime lui aussi que « la place de la Russie est aux côtés des Grands du monde ». Ce discours se traduit par une très grande attention accordée à la relation avec la Russie. En 2008, Nicolas Sarkozy se rallie à la position russe sur l’éventuelle intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Alliance Atlantique et, au moment de la présidence française de l’UE, il exerce lors de la guerre russogéorgienne une médiation qui débouche sur un cessez-le-feu. En 2011, il accepte la vente à la Russie du bâtiment Mistral, en affirmant sa volonté, vingt ans après la fin de la Guerre froide, de « faire confiance » à la Russie. Tout en projetant une image positive de la Russie, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à évoquer les différends existant. Au début de son mandat, il critique « la brutalité » de la Russie sur la scène mondiale et rappelle que, sur la question des droits de l’homme, les désaccords entre les deux États sont fondamentaux. Au même moment, les auteurs du « Livre blanc de la politique étrangère et européenne de la France » indiquent que la Russie « suit une trajectoire spécifique qui est une source d’interrogations ». Ces réserves n’empêchent pas le chef de l’État de soutenir et même dans certains cas de ménager Moscou : les deux États ont des intérêts communs et, dans plusieurs dossiers, la Russie est perçue comme un partenaire incontournable. Il est vraisemblable que le regard de François Hollande, élu en mai 2012, sera lui aussi avant tout pragmatique. Ses premières prises de position ne se démarquent guère de celles de son prédécesseur. Il estime que « la Russie doit prendre toute la place qui lui revient dans les équilibres européens », mais rappelle que cela ne peut se faire qu’en tenant compte « des principes du respect des droits de la personne, des libertés publiques, de l’indépendance des médias et de l’État de droit auxquels la Russie a souscrit » et appelle l’UE à la « vigilance » dans ses rapports avec Moscou. RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 23

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Anne de Tinguy<br />

Les médias confirment et alimentent ces regards : ils dénoncent fréquemment une<br />

Russie minée par la corruption et les mafias (à titre d’exemple, Books – L’actualité<br />

par les livres du monde de novembre 2011 est consacré à « Russie L’État mafia »),<br />

par la monopolisation du pouvoir, les atteintes à la liberté de la presse et aux droits<br />

de l’homme, l’arbitraire en Tchétchénie, la violence comme moyen de règlement<br />

des conflits, l’essor du nationalisme et de la xénophobie, etc.<br />

Le regard n’est pas que négatif. La Russie continue à être perçue comme exerçant<br />

une influence dans le monde. Lors de l’enquête 2010 du German Marshall Fund,<br />

six Français sur dix estiment « probable ou très probable » un « fort leadership de<br />

la Russie dans les affaires mondiales dans cinq ans ». Celle-ci est fréquemment<br />

présentée dans les médias comme faisant partie des BRICs et des pays émergents<br />

moteurs de la croissance mondiale. Elle continue en outre à exercer une attraction<br />

sur les Français. L’intérêt des médias ne se dément pas. La culture russe est très<br />

prisée. Le nombre de Français qui se rendent en Russie pour des raisons privées<br />

ou professionnelles pour de courts séjours a été multiplié par six au cours des<br />

quinze dernières années. La progression est à relativiser (ils étaient peu nombreux<br />

au début des années 1990), mais elle témoigne de l’attention portée à la patrie de<br />

Pouchkine et de Tolstoï. D’autres images que celles ci-dessus mentionnées sont par<br />

ailleurs véhiculées. Celles qui le sont par la littérature de ces dernières années sont<br />

diversifiées. La Sibérie est ainsi par exemple au cœur de plusieurs récits et romans<br />

récents : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, Les nuits de Vladivostok<br />

de Christian Garcin et, à la suite du « Transsibérien des écrivains » organisé en<br />

2010 dans le cadre de l’Année croisée France-Russie, Sibérie d’Olivier Rolin, Sibir<br />

de Danièle Sallenave et Transsibérien de Dominique Fernandez qui décrit la<br />

splendeur de la nature et « un pays où s’unissent, dans un contraste d’énergies<br />

stimulant, la joie de vivre, la dévotion aux poètes et le souvenir de la tragédie ».<br />

RU S S O P H I L I E E T P R A G M AT I S M E<br />

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Les élites dirigeantes, nombreuses à se montrer russophiles et/ou pragmatiques<br />

à l’égard de la Russie, véhiculent en outre sur celle-ci un regard bien différent de<br />

celui qui vient d’être noté. Le président Chirac (1995-2007) a pour la culture russe<br />

et pour ce pays un « attachement et une admiration » qu’il lie à son apprentissage<br />

de la langue russe. À ses yeux, la Russie est un « très grand pays », « héritier d’une<br />

grande histoire et façonné par une culture séculaire ». Elle fait partie « des grandes<br />

nations » et des « grands pôles politiques » du monde, elle doit donc y jouer « un<br />

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France », qui « nous est proche par l’Histoire, la culture et la géographie ». Hubert<br />

Védrine, son ministre des affaires étrangères pendant la période de cohabitation<br />

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