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L’avenir des sociétés post-impériales du XXIe siècle<br />
nationalisme russe qui s’est réveillé. Alors, se sont mis en marche les mécanismes<br />
du « pendule ethno-politique » : les cycles d’activité des mouvements apparaissant<br />
au nom de minorités ethniques ont suscité l’activation des mouvements au nom de<br />
la majorité ethnique russe, dont l’essor a à son tour donné un coup de pouce à une<br />
nouvelle recrudescence de l’activité des minorités.<br />
La mobilisation ethnique et religieuse de la population comme produit des<br />
conditions post-impériales a engendré à son tour de nombreux problèmes, à savoir<br />
avant tout des conflits ethniques et religieux au sein de la Fédération de Russie. La<br />
situation est devenue particulièrement tendue dans le Nord-Caucase. Dans son<br />
rapport d’octobre 2012, l’organisation non-gouvernementale International Crisis<br />
Group considère la confrontation actuelle entre les organes officiels de maintien<br />
de l’ordre de Russie et les groupements armés illégaux dans la région comme « le<br />
conflit le plus sanglant de l’Europe contemporaine ». Selon une étude toute fraîche<br />
de Vitaly Bélozérov, la Russie compte parmi les dix pays ayant subi le plus grand<br />
nombre d’attentats entre 1990 et 2012, et elle occupe la troisième place en nombre<br />
de victimes d’attentats, derrière seulement l’Irak et le Pakistan.<br />
La xénophobie en Russie, essentiellement dans ses régions centrales, dépasse<br />
par son ampleur celle de l’Europe et, par sa nature, s’en distingue complètement.<br />
Tous les services russes d’analyse sociologique montrent que la cible principale<br />
de la xénophobie des habitants des grandes villes n’est pas l’immigré comme en<br />
Europe, mais un citoyen russe originaire du Nord-Caucase. Le niveau d’hostilité<br />
à leur encontre est cinq ou six fois plus élevé qu’envers les personnes originaires<br />
d’Asie Centrale, qui composent la majorité des immigrés aujourd’hui. Les peuples<br />
du Nord-Caucase inclus dans l’Empire russe dès le XIXe siècle sont exclus<br />
aujourd’hui de l’image unie du « Nous » russe dans la conscience de la majorité de<br />
la population. Cette image (la « communauté imaginée » que Benedict Anderson<br />
considérait comme l’essence d’une nation) n’a pas en Russie de traits bien délimités.<br />
En 1970, le politologue américain Dankwart Rustow a formulé l’idée selon<br />
laquelle « l’unité nationale est la seule condition préalable à la démocratie », toutes<br />
ses autres composantes n’apparaissant qu’au cours du processus de démocratisation.<br />
Mais le processus lui-même ne peut pas s’initier avant la formation d’une nation,<br />
sujet principal d’une politique démocratique. Il aura fallu presque un demi-siècle<br />
pour qu’on commence à comprendre en Russie la réalité de cette idée fondamentale,<br />
ainsi que celle de l’aphorisme d’Ivor Jennings : « Le peuple ne peut pas décider tant<br />
qu’il n’y a personne pour décider qui est le peuple. »<br />
L E S P R I N C I P E S D E L A C O N S O L I DAT I O N NAT I O NA L E<br />
Pour la Russie, la consolidation nationale n’est pas seulement un préalable à la<br />
démocratisation mais aussi une condition de simple survie. Comment pourvoir à<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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