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196 L'immigration en Russie L’immigration en Russie, perception et conséquences socio-politiques Anatoli Vichnevski La Russie n’a jamais été un pays d’immigration. Bien qu’il y ait eu des périodes depuis le règne de Catherine II où des étrangers fussent venus en Russie, leur place dans le bilan démographique est demeurée insignifiante. À l’époque soviétique, la Russie dans ses frontières actuelles était plutôt un pays d’émigration : d’une émigration, évidemment, non hors de l’URSS mais depuis la République fédérative soviétique socialiste de Russie vers d’autres républiques de l’Union. C’est à partir du milieu des années 1970 que la situation a commencé à changer, lorsque le nombre de ceux qui pénétraient en Fédération de Russie s’est mis à dépasser celui de ceux qui la quittaient. En 16 ans (1975-1990), l’accroissement de population dû à l’immigration en Russie (de l’ordre de 2,7 millions de personnes) a atteint un volume comparable à la perte due à l’émigration survenue durant les 20 années précédentes (1955-1974). Une part de l’immigration de cette période était le fait d’habitants originaires des républiques de l’Union. Pour la seule période située entre les deux recensements de 1979 et 1989, le nombre de Moldaves en Russie a crû de 69% (contre 11% seulement en Moldavie elle-même), celui des Géorgiens et des Arméniens de 64% (contre 10 et 13% dans leurs républiques respectives), celui des Azerbaïdjanais a été multiplié par 2,2 (contre 24%), celui des Ouzbeks et des Turkmènes par 1,8 (contre 34%), celui des Kirghizes par 2,9 (33%), et celui des Tadjiks par 2,1% (46%). Mais en valeur absolue, cette arrivée d’individus étrangers était peu importante et elle était essentiellement constituée de migrants, c’est-à-dire de Russes ethniques ayant précédemment quitté la Russie et de leurs descendants. L’immigration de retour s’est brusquement activée après la chute de l’Union soviétique. L’afflux d’immigrants des années 1990 (1991-2001) apporta au pays presque 5 millions de nouveaux habitants. Parmi eux, 69% étaient des représentants Anatoli Vichnevski, Directeur de l’Institut de démographie du Haut Collège d’économie (Moscou). RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013
L'immigration en Russie de peuples et de groupes ethniques de la Fédération de Russie (59% de Russes) – en ajoutant à ce nombre les Ukrainiens et les Biélorusses, on dépasse 84%. L’accroissement de population des représentants d’autres peuples, avant tout des Arméniens et des Azerbaïdjanais, souvent complètement russifiés, a représenté environ 700 000 personnes. La hausse de l’accroissement migratoire a coïncidé avec le changement du rôle qu’il a joué dans l’équilibre démographique du pays. Jusqu’au début des années 1990, la population de la Russie augmentait essentiellement grâce à l’accroissement naturel (nombre de naissances supérieur à celui des décès), cependant l’apport de l’immigration a commencé à se faire ressentir et, dans la deuxième moitié des années 1980, elle représentait déjà plus d’un cinquième de l’accroissement démographique total. Mais en 1992, l’accroissement naturel a laissé la place à une baisse naturelle, et l’immigration est devenu le seul facteur, et d’une importance particulièrement grande, de croissance démographique. Bien que l’immigration de la période post-soviétique, même dans la période d’afflux migratoire des années 1990, n’ait pu compenser la baisse démographique naturelle, elle en a sérieusement atténué les conséquences. Selon les chiffres officiels, la baisse démographique naturelle de la Russie de 1993 à 2011 aura été de 13,2 millions de personnes, la population ayant baissé de 5,5 millions de personnes pendant la même période ; en d’autres termes, cette perte aura été compensée à hauteur de 58% (soit 7,7 millions de personnes) par l’immigration. Parallèlement à la demande « démographique » d’immigration – et même un peu plus tôt – est apparue une demande d’immigration économique liée à la situation du marché du travail. Dès les années 1970-1980, il était déjà fortement question en URSS de la nécessité de faire venir dans les zones « à main-d’œuvre insuffisante », en l’occurrence la région centrale de la Russie, la Sibérie, l’Extrême- Orient russe, des populations en provenance d’autres parties de l’URSS, notamment de l’Asie centrale surpeuplée. C’est ainsi, par exemple, que lors du XXVIe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1981 a été mentionnée la « situation des ressources en main-d’œuvre dans un certain nombre de secteurs. La mise en œuvre des programmes de conquête de la Sibérie occidentale, de la zone BAM (Baïkal-Amour-Magistral), et d’autres secteurs de la partie asiatique du pays a suscité un afflux de populations. D’ailleurs, les personnes préfèrent toujours à l’heure actuelle se déplacer du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest bien qu’il soit plus logique pour la main d’œuvre de faire le mouvement inverse… En Asie centrale, dans certains secteurs du Caucase, on constate au contraire un excès de main-d’œuvre, surtout en zone rurale. Ce qui signifie qu’il est nécessaire d’inciter de manière plus active la population de ces zones à contribuer à la conquête des nouveaux territoires du pays. » RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 197
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L'immigration en Russie<br />
L’immigration en Russie,<br />
perception et conséquences socio-politiques<br />
Anatoli Vichnevski<br />
La Russie n’a jamais été un pays d’immigration. Bien qu’il y ait eu des périodes<br />
depuis le règne de Catherine II où des étrangers fussent venus en Russie, leur place<br />
dans le bilan démographique est demeurée insignifiante. À l’époque soviétique,<br />
la Russie dans ses frontières actuelles était plutôt un pays d’émigration : d’une<br />
émigration, évidemment, non hors de l’URSS mais depuis la République fédérative<br />
soviétique socialiste de Russie vers d’autres républiques de l’Union.<br />
C’est à partir du milieu des années 1970 que la situation a commencé à changer,<br />
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population dû à l’immigration en Russie (de l’ordre de 2,7 millions de personnes) a<br />
atteint un volume comparable à la perte due à l’émigration survenue durant les 20<br />
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Une part de l’immigration de cette période était le fait d’habitants originaires<br />
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de 1979 et 1989, le nombre de Moldaves en Russie a crû de 69% (contre 11%<br />
seulement en Moldavie elle-même), celui des Géorgiens et des Arméniens de 64%<br />
(contre 10 et 13% dans leurs républiques respectives), celui des Azerbaïdjanais a été<br />
multiplié par 2,2 (contre 24%), celui des Ouzbeks et des Turkmènes par 1,8 (contre<br />
34%), celui des Kirghizes par 2,9 (33%), et celui des Tadjiks par 2,1% (46%). Mais<br />
en valeur absolue, cette arrivée d’individus étrangers était peu importante et elle<br />
était essentiellement constituée de migrants, c’est-à-dire de Russes ethniques ayant<br />
précédemment quitté la Russie et de leurs descendants.<br />
L’immigration de retour s’est brusquement activée après la chute de l’Union<br />
soviétique. L’afflux d’immigrants des années 1990 (1991-2001) apporta au pays<br />
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Anatoli Vichnevski, Directeur de l’Institut de démographie du Haut Collège d’économie<br />
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