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146 Timofeï Bordatchev le texte du Concept stratégique de Lisbonne : « Les citoyens de nos États s’appuient sur le fait que l’OTAN (…) déploiera ses forces militaires puissantes quand et là où ce sera nécessaire pour assurer notre sécurité… » 33 ans après que le grand général eut ostensiblement pris ses distances vis-à-vis de ses partenaires en Europe et outre Atlantique, la Vème République qu’il avait fondée est revenue dans une OTAN désormais toute différente. Une organisation internationale qui demeure l’unique exemple d’alliance militaire en temps de paix et dont on ne peut trouver d’analogue que dans l’Antiquité, lorsque s’affrontaient la puissance navale d’Athènes et les troupes du Péloponnèse. Un bloc militaire qui, après la disparition de son adversaire – l’URSS et les pays du pacte de Varsovie –, s’est trouvé face à un nouveau défi, celui de devoir acquérir une nouvelle identité et raison d’être. Une alliance politique entre les pays les plus proches en matière de structure intérieure, qui soit plus apte, au moins pour soi et pour ses participants, à s’acquitter de cette tâche. Dans l’ensemble, la question de savoir s’il y a une raison d’être dans le monde contemporain pour les alliances militaires est conditionnée à l’explication de deux problématiques, au moins : l’avenir des institutions internationales en tant que telles et le rôle croissant de la puissance militaire. L A S I M P L I C I T É D É S A R M A N T E D E L A G U E R R E F R O I D E Il convient de comprendre avant tout si cette coopération formalisée entre États dans le domaine de la défense et de la sécurité a, en soi, un avenir ou pas. Les États-Unis ont douté de la nécessité de ces institutions pour une interaction militaire efficace dans la première moitié de la dernière décennie. La « coalition des volontaires » alors proclamée rejetait dans les faits l’utilité d’alliances permanentes pour des opérations militaires en commun. Cependant, dans le cas de l’Afghanistan, Washington consentit malgré tout à mener des opérations sous le drapeau de l’ONU. Or, après l’arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama, l’intérêt de l’alliance n’était déjà plus mis en doute, que ce soit dans la campagne contre Mouammar Kadhafi en 2011 ou à propos d’une éventuelle intervention en Syrie. Néanmoins, le fond du problème est plus complexe que les aspects tactiques de la coopération avec les alliés européens pour telle ou telle administration des États- Unis. Ce n’est pas par hasard si toutes les autres tentatives de création d’alliances militaires en temps de paix, notamment la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), n’ont pas donné de résultats tangibles. L’OTAN est le prolongement unique d’une époque unique : époque de dure opposition idéologique et de décisions simples. La Guerre froide aura été, en fait, une exception dans l’Histoire. Le caractère exceptionnel et déviant de ce type de relations entre des grandes puissances concurrentes est lié à au moins RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

Raison d’être trois facteurs : le caractère létal de la confrontation mutuelle, la propension des parties à la symétrie des forces, et, enfin, le nombre limité de menaces et de défis à la sécurité. Le contexte international exceptionnellement fluctuant du XXIe siècle, par la nature des relations entre les États, est beaucoup plus proche de l’étape précédente de l’Histoire de l’humanité que de la période 1945-1991, très brève historiquement et pendant laquelle ont surgi les institutions internationales aujourd’hui en vigueur. Dans aucune des périodes précédentes les États dominants n’ont eu à agir dans des circonstances aussi simples. Jamais auparavant les élites n’ont eu à faire face à un nombre si restreint de tâches analytiques et pratiques. Le système de la sécurité internationale (la dissuasion) pendant la Guerre froide était, en comparaison avec les périodes précédentes et suivantes, particulièrement simple. Les instruments méthodologiques et théoriques qu’elle a engendrés étaient élémentaires. Dans le domaine de la réflexion politique et de la science, la Guerre froide a constitué un ensemble de décisions et de réactions schématiques appliqués dans une situation unique et sans précédent. Aujourd’hui, il faut renoncer au style de réflexion de cette époque et élaborer des modes de décision politiques, juridiques, internationaux et institutionnels plus pérennes. Personne ne contestera que les relations internationales reposaient auparavant sur une hostilité séculaire. Ce fut le cas entre le Moyen Empire d’Égypte et les Hittites, Rome et Parthes, puis, après la période de pouvoir personnifié du Moyen Âge, entre l’Angleterre, la France et l’Espagne au XVIe siècle, entre les belligérants de la Guerre de Trente ans issus des signataires des Traités de Westphalie, les puissances européennes du XVIIe siècle et, enfin, les pays maintenant l’équilibre au XIXe siècle. De plus, dans aucun des systèmes d’avant le XXe siècle les adversaires potentiels, en cherchant toujours à atteindre un équilibre des forces, ne se sont fixé pour objectif une destruction mutuelle. Ainsi l’hostilité ne s’est-elle pas transformée en menace existentielle pour la survie de l’adversaire mais a servi en règle générale de base de reconnaissance mutuelle. Elle fut le facteur principal, bien que négatif, de construction du dialogue politique et du compromis. Les exemples les plus marquants de ces compromis sont les Traités de Westphalie de 1648, puis le Congrès de Vienne de 1815 qui se transforma par la suite en système informel de l’équilibre européen au XIXe siècle. Ce n’est pas par hasard que dans ces cas précis la période sans guerres générales en Europe a duré 108 ans d’abord (1648-1756), puis 99 ans (1815-1914). Tous les conflits de ces périodes « de paix » avaient un caractère régional et suivaient un objectif consistant à corriger des déséquilibres des forces et non à procéder à une révision du système international dans son ensemble. RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 147

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Timofeï Bordatchev<br />

le texte du Concept stratégique de Lisbonne : « Les citoyens de nos États s’appuient<br />

sur le fait que l’OTAN (…) déploiera ses forces militaires puissantes quand et là où<br />

ce sera nécessaire pour assurer notre sécurité… » 33 ans après que le grand général<br />

eut ostensiblement pris ses distances vis-à-vis de ses partenaires en Europe et outre<br />

Atlantique, la Vème République qu’il avait fondée est revenue dans une OTAN<br />

désormais toute différente.<br />

Une organisation internationale qui demeure l’unique exemple d’alliance<br />

militaire en temps de paix et dont on ne peut trouver d’analogue que dans<br />

l’Antiquité, lorsque s’affrontaient la puissance navale d’Athènes et les troupes du<br />

Péloponnèse. Un bloc militaire qui, après la disparition de son adversaire – l’URSS<br />

et les pays du pacte de Varsovie –, s’est trouvé face à un nouveau défi, celui de<br />

devoir acquérir une nouvelle identité et raison d’être. Une alliance politique entre<br />

les pays les plus proches en matière de structure intérieure, qui soit plus apte, au<br />

moins pour soi et pour ses participants, à s’acquitter de cette tâche.<br />

Dans l’ensemble, la question de savoir s’il y a une raison d’être dans le monde<br />

contemporain pour les alliances militaires est conditionnée à l’explication de deux<br />

problématiques, au moins : l’avenir des institutions internationales en tant que<br />

telles et le rôle croissant de la puissance militaire.<br />

L A S I M P L I C I T É D É S A R M A N T E D E L A G U E R R E F R O I D E<br />

Il convient de comprendre avant tout si cette coopération formalisée entre<br />

États dans le domaine de la défense et de la sécurité a, en soi, un avenir ou pas.<br />

Les États-Unis ont douté de la nécessité de ces institutions pour une interaction<br />

militaire efficace dans la première moitié de la dernière décennie. La « coalition des<br />

volontaires » alors proclamée rejetait dans les faits l’utilité d’alliances permanentes<br />

pour des opérations militaires en commun. Cependant, dans le cas de l’Afghanistan,<br />

Washington consentit malgré tout à mener des opérations sous le drapeau de l’ONU.<br />

Or, après l’arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama, l’intérêt de l’alliance n’était<br />

déjà plus mis en doute, que ce soit dans la campagne contre Mouammar Kadhafi en<br />

2011 ou à propos d’une éventuelle intervention en Syrie.<br />

Néanmoins, le fond du problème est plus complexe que les aspects tactiques de<br />

la coopération avec les alliés européens pour telle ou telle administration des États-<br />

Unis. Ce n’est pas par hasard si toutes les autres tentatives de création d’alliances<br />

militaires en temps de paix, notamment la Politique européenne de sécurité et de<br />

défense (PESD), n’ont pas donné de résultats tangibles.<br />

L’OTAN est le prolongement unique d’une époque unique : époque de dure<br />

opposition idéologique et de décisions simples. La Guerre froide aura été, en<br />

fait, une exception dans l’Histoire. Le caractère exceptionnel et déviant de ce<br />

type de relations entre des grandes puissances concurrentes est lié à au moins<br />

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