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134 Yves Boyer la tête de l’État depuis la fin de la Guerre froide. Il est aussi fonction de nombreux paramètres historiques, militaires, économiques et technologiques qui confèrent à la politique de défense française un particularisme certain et qu’elle maintient d’autant plus aisément que le modèle d’organisation politico-militaire français se distingue clairement de l’ensemble de ses partenaires européens. Il sert de protection contre toute emprise excessive de l’OTAN ou contre une immixtion américaine sur les affaires qui sont du ressort de la défense. L E « M O D È L E F R A N Ç A I S » Une des caractéristiques les plus originales du « modèle français », qui explique que, toutes choses égales par ailleurs, la France ne peut exclusivement mener une politique d’alignement sur l’OTAN ou sur les États-Unis, tient à ce que les questions stratégiques et militaires sont étroitement corrélées avec l’autorité considérable exercée, en France, par l’État centralisateur. Ce phénomène touche, par exemple, les industries de défense et de haute technologie dont les principaux responsables appartiennent à la sphère étatique ou s’en sont dégagés tout en restant issus des « grands corps » de l’État, une spécificité qui n’existe qu’en France. La nomenklatura qui détient les rênes du pouvoir politique, économique, industriel et financier français est issue des grandes Écoles (l’École polytechnique, connue sous l’abréviation de l’X, et l’École nationale d’administration, ENA). Une telle filiation où s’entrecroisent intérêts publics et gouvernance des entreprises privées, notamment celles dans lesquelles coexistent capitaux publics et privés, facilite grandement la préservation, quand il le faut, des intérêts français. Cette réalité pèse d’un poids considérable dans le domaine des industries de haute technologie dont les dirigeants scrutent avec vigilance les projets collaboratifs menés dans le cadre de l’OTAN lorsque ces derniers pourraient manifester une empreinte trop forte des industries de défense américaines. Pour ce qui touche au domaine militaire stricto sensu, l’organisation des pouvoirs en France, telle qu’elle résulte de la Constitution de la Ve République, confère au président de la République un poids sans équivalent dans les autres démocraties occidentales. Le chef de l’État est chef des Armées. Il fixe les grands traits de la stratégie et de la politique militaires de la France à l’occasion des Conseils de défense, qu’il préside. Ses directives sont ultérieurement approuvées par le Parlement, dont la défiance ne s’est jamais manifestée après les premiers tiraillements rencontrés, dans les années 1960, au début de la mise en place de la Force de frappe. Il s’assure de leur mise en œuvre en s’appuyant sur l’état-major particulier qui siège à l’Elysée. « Garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités… » au terme de l’article 5 de la Constitution, il veille au maintien du principe d’autonomie, y compris dans le cadre du respect RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

Pourquoi l’autonomie n'affaiblit pas l’Alliance atlantique des engagements internationaux de la France, dont ceux qui touchent à l’Alliance atlantique. Cette position de principe guide l’action du ministre de la défense. C’est ainsi que, quelques mois après sa prise de fonction à la tête du ministère de la défense, Jean-Yves Le Drian a tenu à indiquer « vigoureusement » au Secrétaire général de l’OTAN que la France restait souveraine en matière de choix militaires. Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de presse, M. Le Drian a rappelé que Paris était « défavorable au renforcement des financements en commun de nouvelles capacités, parce que l’Alliance est une alliance de nations souveraines. Chacun est libre du choix de ses capacités, en coopération ou pas, et du choix de l’emploi de ses capacités. » La place prééminente qu’occupe le président de la République lui confère une marge de manœuvre opérationnelle étendue. Il peut ainsi décider de l’engagement de forces françaises sans accord préalable du Parlement, même si ce dernier est appelé à se prononcer ensuite sur des opérations militaires d’ampleur significative. Cette grande latitude d’action se manifeste tout particulièrement à l’occasion d’engagements en Afrique. C’est ainsi que l’opération Épervier en place au Tchad depuis 1986 ou l’opération Boali en République Centrafricaine depuis 2002 n’ont pas fait l’objet d’un vote particulier de la représentation nationale. Cette dernière opération et les conséquences qu’elle a impliquées sont caractéristiques des mécanismes français d’emploi de la force sous l’égide du président de la République. C’est ainsi qu’en 2007, un faible contingent français en poste à Birao, près de la frontière soudanaise, était menacé par un important groupe de rebelles venus du Soudan. La chute de Birao aurait vraisemblablement provoqué la déstabilisation du Tchad et de la République Démocratique du Congo. L’étatmajor particulier du président de la République en fut immédiatement avisé. La décision fut prise d’ordonner à l’État-major des Armées (EMA) d’envoyer des parachutistes en provenance du Gabon et de Djibouti afin qu’ils se portent au secours du poste de Birao. Cette opération de faible ampleur mais primordiale quant à ses résultats illustre les marges de manœuvre offertes au chef de l’Etat : elles lui permettent une grande réactivité en l’affranchissant a priori des contraintes liées à une autorisation parlementaire. Cette prééminence, l’Élysée peut l’exercer dans la mesure où elle est soutenue et épaulée par un appareil d’État politicomilitaire original où dominent deux structures. La première, l’État-major des Armées, prépare et conduit les opérations et veille à la préparation des forces sous les ordres du président. La seconde, la Direction générale de l’armement (DGA), est chargée de définir et de procurer aux forces les équipements nécessaires à l’exécution de leurs missions. EMA et DGA sont ensemble garants de la cohérence de l’architecture de défense française en réponse aux directives émanant du chef de l’État et approuvées par la représentation nationale. C’est RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 135

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Yves Boyer<br />

la tête de l’État depuis la fin de la Guerre froide. Il est aussi fonction de nombreux<br />

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à la politique de défense française un particularisme certain et qu’elle maintient<br />

d’autant plus aisément que le modèle d’organisation politico-militaire français<br />

se distingue clairement de l’ensemble de ses partenaires européens. Il sert de<br />

protection contre toute emprise excessive de l’OTAN ou contre une immixtion<br />

américaine sur les affaires qui sont du ressort de la défense.<br />

L E « M O D È L E F R A N Ç A I S »<br />

Une des caractéristiques les plus originales du « modèle français », qui explique<br />

que, toutes choses égales par ailleurs, la France ne peut exclusivement mener<br />

une politique d’alignement sur l’OTAN ou sur les États-Unis, tient à ce que les<br />

questions stratégiques et militaires sont étroitement corrélées avec l’autorité<br />

considérable exercée, en France, par l’État centralisateur. Ce phénomène touche,<br />

par exemple, les industries de défense et de haute technologie dont les principaux<br />

responsables appartiennent à la sphère étatique ou s’en sont dégagés tout en restant<br />

issus des « grands corps » de l’État, une spécificité qui n’existe qu’en France. La<br />

nomenklatura qui détient les rênes du pouvoir politique, économique, industriel<br />

et financier français est issue des grandes Écoles (l’École polytechnique, connue<br />

sous l’abréviation de l’X, et l’École nationale d’administration, ENA). Une telle<br />

filiation où s’entrecroisent intérêts publics et gouvernance des entreprises privées,<br />

notamment celles dans lesquelles coexistent capitaux publics et privés, facilite<br />

grandement la préservation, quand il le faut, des intérêts français. Cette réalité pèse<br />

d’un poids considérable dans le domaine des industries de haute technologie dont<br />

les dirigeants scrutent avec vigilance les projets collaboratifs menés dans le cadre<br />

de l’OTAN lorsque ces derniers pourraient manifester une empreinte trop forte des<br />

industries de défense américaines.<br />

Pour ce qui touche au domaine militaire stricto sensu, l’organisation des<br />

pouvoirs en France, telle qu’elle résulte de la Constitution de la Ve République,<br />

confère au président de la République un poids sans équivalent dans les autres<br />

démocraties occidentales. Le chef de l’État est chef des Armées. Il fixe les grands<br />

traits de la stratégie et de la politique militaires de la France à l’occasion des<br />

Conseils de défense, qu’il préside. Ses directives sont ultérieurement approuvées<br />

par le Parlement, dont la défiance ne s’est jamais manifestée après les premiers<br />

tiraillements rencontrés, dans les années 1960, au début de la mise en place de la<br />

Force de frappe. Il s’assure de leur mise en œuvre en s’appuyant sur l’état-major<br />

particulier qui siège à l’Elysée. « Garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité<br />

du territoire et du respect des traités… » au terme de l’article 5 de la Constitution,<br />

il veille au maintien du principe d’autonomie, y compris dans le cadre du respect<br />

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