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126 Iouri Roubinski Entre temps, les approches des partenaires concernant la façon de résoudre la crise divergèrent nettement. Pour Merkel, la condition sine qua non pour la surmonter était avant tout la stabilité financière sur la base du Pacte de discipline budgétaire signé dans le cadre de l’Union européenne à son initiative avec le soutien actif de l’ancien président Sarkozy. Sans renoncer à fournir une aide aux pays connaissant une situation tragique, la chancelière exigea de leurs gouvernements des garanties sous forme de plans de rigueur. De là découle l’opposition déterminée de la partie allemande à l’attribution automatique de cette aide, opposition, par exemple, à l’émission d’eurobonds – ces obligations garanties par tous les pays de la zone euro et avant tout par le plus solvable d’entre eux, l’Allemagne – par la Banque centrale européenne,. « Tant que je serai en vie, il n’y aura pas d’eurobonds ! » affirmait Merkel d’un ton péremptoire. La même logique présidait à son souhait de donner une nouvelle impulsion à l’intégration européenne en complétant l’union financière et économique existante d’une dimension fiscale et de crédit et en attribuant de nouvelles prérogatives aux organes de supervision du système bancaire de l’Union européenne. En même temps, le point central du programme électoral de Hollande consistait en une stimulation de la croissance économique en vue de régler le problème social le plus important de la France, c’est-à-dire le chômage. Dans la mesure où cela présupposait un rôle actif de l’État, y compris dans le domaine financier, le candidat socialiste critiqua les concessions, trop importantes à ses yeux, de son prédécesseur à l’Allemagne, et promit de reprendre les négociations sur le Pacte de discipline budgétaire afin d’y intégrer des mesures de relance. Ces divergences ne s’expliquaient pas du tout par des motifs idéologiques ou d’appartenance politique, qui n’avaient d’ailleurs pas le moins du monde gêné l’action de Giscard d’Estaing et de Schmidt ou de Mitterrand et de Kohl, mais plutôt par des facteurs objectifs. L’évolution de l’équilibre des forces entre les membres du tandem, déterminée par la réunification de l’Allemagne, s’accéléra sensiblement sur fond de crise mondiale naissante en 2008. La France se révéla plus sensible que l’Allemagne aux conséquences de cette crise, non seulement d’ailleurs en raison d’un potentiel démographique ou matériel plus limité mais pour des raisons structurelles. Les échanges commerciaux de la France sont en déficit chronique alors que ceux de l’Allemagne sont positifs et inspirent l’optimisme, reflétant la différence de compétitivité entre les deux plus grandes économies de l’Union européenne. La part de la production industrielle dans le PIB de l’Allemagne est de 27%, alors qu’il est deux fois moindre pour la France. Améliorer l’efficacité de l’économie de marché sociale de l’Allemagne a été possible grâce à la modernisation des relations sociales et de la politique fiscale entreprise sous le chancelier Schröder et poursuivies par Merkel. En France, de telles réformes en faveur desquelles se prononçait la droite à l’époque du président Sarkozy se sont heurtées à la résistance farouche des socialistes RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

Roses et épines du tandem franco-allemand et de leurs alliés, tenants de principes étatistes et égalitaires. Leur arrivée au pouvoir a logiquement conduit à des ratés au sein du couple franco-allemand. Hollande se retrouva à jouer le rôle délicat d’intermédiaire entre les pays relativement stables et riches de l’Europe du nord, fidèles à leur stratégie néo-libérale et monétariste (Allemagne, Pays-Bas, Finlande), et les États méditerranéens frappés par la crise, et à chercher, conformément à son style politique, des compromis. Lors de la préparation des deux sommets les plus importants de l’Union européenne, en juin et en octobre 2012, la partie française élargit pour la première fois leur format en invitant les chefs de gouvernement des deux États les plus importants de l’Europe du sud : Mario Monti pour l’Italie et Manuel Rajoy pour l’Espagne. En soutenant leur demande d’aide financière, Hollande s’efforça de neutraliser le risque de transformer le contributeur principal, l’Allemagne, en acteur-clé parmi les 27 États de l’Union européenne. « Le rééquilibrage de la relation francoallemande, entrepris par François Hollande, est une nécessité », souligna Hubert Védrine, ancien conseiller diplomatique de Mitterrand puis ministre français des affaires étrangères de 1997 à 2002. Le couple franco-allemand se transforme alors de plus en plus souvent en quatuor. Ceci donna des résultats. Les critiques émises par les médias allemands à l’égard du programme économique populiste des socialistes français s’atténuèrent à mesure que Hollande apportait des corrections à beaucoup de ses promesses de campagne. Après d’âpres négociations lors des sommets de l’UE en juin et octobre 2012, un accord fut conclu sur les questions les plus épineuses. Les moyens mis en place par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI sauvèrent la Grèce de la faillite en échange de la mise en place par Athènes d’une politique économique de rigueur. Les banques espagnoles en déroute bénéficièrent aussi de crédits solides. Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, promit de prendre des mesures censées faire baisser les taux d’intérêts pour les obligations d’État des pays à problèmes sur les marchés financiers mondiaux. La menace d’un effondrement de la zone euro recula. L’idée allemande de créer une union bancaire ayant vocation à superviser six mille établissements de crédit en Europe se précisa. Dans le même temps, Hollande dut renoncer à renégocier le Pacte de discipline budgétaire et obtint que le parlement français signe le texte dans sa forme originelle. La stimulation de la croissance économique et de l’emploi à l’échelle de l’Union européenne qu’il avait promise revint à la création d’un fonds commun assez modeste de financement de projets d’investissements doté à hauteur de 120 milliards d’euros (soit 1% du PIB cumulé des 27 pays de l’UE). Lors du sommet suivant, en décembre 2012, Berlin et Paris exposèrent de nouvelles divergences. Cette fois, le désaccord portait sur le budget de l’Union RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 127

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Entre temps, les approches des partenaires concernant la façon de résoudre la crise<br />

divergèrent nettement. Pour Merkel, la condition sine qua non pour la surmonter était<br />

avant tout la stabilité financière sur la base du Pacte de discipline budgétaire signé dans<br />

le cadre de l’Union européenne à son initiative avec le soutien actif de l’ancien président<br />

Sarkozy. Sans renoncer à fournir une aide aux pays connaissant une situation tragique, la<br />

chancelière exigea de leurs gouvernements des garanties sous forme de plans de rigueur.<br />

De là découle l’opposition déterminée de la partie allemande à l’attribution<br />

automatique de cette aide, opposition, par exemple, à l’émission d’eurobonds – ces<br />

obligations garanties par tous les pays de la zone euro et avant tout par le plus<br />

solvable d’entre eux, l’Allemagne – par la Banque centrale européenne,. « Tant que<br />

je serai en vie, il n’y aura pas d’eurobonds ! » affirmait Merkel d’un ton péremptoire.<br />

La même logique présidait à son souhait de donner une nouvelle impulsion à<br />

l’intégration européenne en complétant l’union financière et économique existante<br />

d’une dimension fiscale et de crédit et en attribuant de nouvelles prérogatives aux<br />

organes de supervision du système bancaire de l’Union européenne.<br />

En même temps, le point central du programme électoral de Hollande consistait<br />

en une stimulation de la croissance économique en vue de régler le problème<br />

social le plus important de la France, c’est-à-dire le chômage. Dans la mesure où<br />

cela présupposait un rôle actif de l’État, y compris dans le domaine financier, le<br />

candidat socialiste critiqua les concessions, trop importantes à ses yeux, de son<br />

prédécesseur à l’Allemagne, et promit de reprendre les négociations sur le Pacte de<br />

discipline budgétaire afin d’y intégrer des mesures de relance.<br />

Ces divergences ne s’expliquaient pas du tout par des motifs idéologiques ou<br />

d’appartenance politique, qui n’avaient d’ailleurs pas le moins du monde gêné l’action<br />

de Giscard d’Estaing et de Schmidt ou de Mitterrand et de Kohl, mais plutôt par des<br />

facteurs objectifs. L’évolution de l’équilibre des forces entre les membres du tandem,<br />

déterminée par la réunification de l’Allemagne, s’accéléra sensiblement sur fond de<br />

crise mondiale naissante en 2008. La France se révéla plus sensible que l’Allemagne<br />

aux conséquences de cette crise, non seulement d’ailleurs en raison d’un potentiel<br />

démographique ou matériel plus limité mais pour des raisons structurelles. Les<br />

échanges commerciaux de la France sont en déficit chronique alors que ceux<br />

de l’Allemagne sont positifs et inspirent l’optimisme, reflétant la différence de<br />

compétitivité entre les deux plus grandes économies de l’Union européenne. La part<br />

de la production industrielle dans le PIB de l’Allemagne est de 27%, alors qu’il est deux<br />

fois moindre pour la France. Améliorer l’efficacité de l’économie de marché sociale<br />

de l’Allemagne a été possible grâce à la modernisation des relations sociales et de la<br />

politique fiscale entreprise sous le chancelier Schröder et poursuivies par Merkel.<br />

En France, de telles réformes en faveur desquelles se prononçait la droite à<br />

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