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106 Olga Boutorina Avec le début de la crise économique mondiale, les motivations cachées se sont révélées au grand jour. Les Européens se sont sentis dupés. « Pourquoi les autorités ne nous ont-elles pas prévenus que l’introduction d’une monnaie unique exigerait des sacrifices aussi importants ? Eh bien, puisque les dirigeants nous ont menés en bateau, qu’ils reprennent leur monnaie unique tant vantée et que tout redevienne comme avant ! » C’est à peu près ainsi, avec une rage impuissante, qu’a réagi le Grec lambda à l’annonce par le gouvernement de sévères mesures d’austérité. Il est vrai que les citoyens n’avaient pas été pleinement informés et consultés comme l’auraient voulu les principes de la démocratie. Mais pour être juste, il faut reconnaître que tous les grands projets ont été, à divers degrés, imposés à la société. Généralement, les gouvernants n’ont ni l’énergie ni le temps nécessaires pour obtenir un soutien unanime. Malheureusement, les idéaux de la démocratie ne correspondent que rarement à la pratique. Le second argument – le fait que sans une monnaie unique le marché intérieur de l’Union européenne n’existerait plus aujourd’hui — aurait pu rendre un fier service aux organes de l’UE et aux gouvernements nationaux s’il avait été implanté dans la conscience collective en temps utile. S’ils avaient su que sans l’euro les progrès accomplis au cours du dernier demi-siècle auraient été réduits à néant, peut-être les individus qui ont cassé des vitrines et mis le feu à des voitures dans les rues des villes européennes auraient-ils réfléchi à deux fois avant de se livrer à ces dégradations. Si cette perception avait été ancrée dans les esprits, les leaders auraient pu s’entendre plus rapidement sur les actions à entreprendre d’urgence pour sauver l’euro, et auraient eu moins de difficulté à convaincre les électeurs du bien-fondé de leurs décisions. Pourquoi cet argument n’est-il toujours pas avancé ? C’est difficile à dire. Les dirigeants ne croient probablement pas beaucoup à la capacité de la population à entendre la voix de la raison et à passer de l’émotion à la rationalité – surtout dans le contexte actuel, où le chômage bat des records, les aides sociales sont réduites, la déception et l’inquiétude croissent au sein de la société. Comme il fallait s’y attendre, le sauvetage, l’homogénéisation et l’amélioration du fonctionnement du marché commun européen ont profité aux acteurs les plus forts et nui aux plus faibles. Entre 1999 et 2007, les exportations de l’Allemagne vers les autres pays de l’Union européenne ont augmenté d’une fois et demie par rapport au PIB national. Grâce à la qualité de ses produits, l’Allemagne a toujours enregistré, depuis l’entrée en vigueur de la monnaie unique, une inflation inférieure à la moyenne de la zone euro. Entre 1999 et 2010, les prix ont globalement augmenté de 19 % en Allemagne et de 25 % en moyenne dans la zone euro. Ce qui signifie que la compétitivité-prix des exportations allemandes vers les autres États de l’UE a augmenté. En Grèce, sur cette même période, les prix ont augmenté de 43 % ; en Espagne, de 36 % ; au Portugal de 31 % ; en Italie, de 28 %. RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013

À l'épreuve du marché L’inflation élevée et durable propre aux pays de l’Europe du Sud y a formé un type particulier d’économie, doté de ses propres règles et mécanismes. Le passage à une monnaie unique visait, entre autres, à remédier à cette tare et à instaurer dans tous les États de la zone euro un modèle de développement durable. Concrètement, il s’agissait du modèle allemand, fondé sur une monnaie forte capable de préserver le pouvoir d’achat avec des taux d’intérêt durablement bas et une épargne durablement haute — deux conditions nécessaires pour les investissements. Avec le passage à l’euro, les pays de la périphérie ont obtenu une monnaie d’une qualité bien supérieure à leurs anciennes monnaies nationales. Mais les autres éléments de leur mécanisme économique ne se sont pas « germanisés » d’eux-mêmes pour autant. L’inflation était désormais sous contrôle, puisque seule la BCE était autorisée à émettre de la monnaie. Mais les dépenses superflues n’ont pas disparu. Les biens et services grecs, portugais ou encore espagnols se renchérissaient progressivement par rapport aux produits des pays du noyau européen. Auparavant, pour endiguer une perte de compétitivité, les autorités nationales avaient recours à la dévaluation, c’est-à-dire qu’elles transféraient les conséquences négatives de leur politique inefficace sur leurs partenaires de l’UE et sur les pays tiers. Avec l’introduction de la monnaie unique, ce « bonus à la fraude » a pris fin. L’Allemagne, les Pays-Bas et quelques autres États dotés d’une monnaie stable ont été débarrassés de cet impôt extérieur qui réapparaissait à intervalles réguliers. Mais les pays faibles sont restés seuls face aux résultats de leur politique. Dans une économie inflationniste, les milieux d’affaires et la population s’accoutument à voir la valeur de l’argent baisser en permanence. Par conséquent, conserver son épargne en monnaie nationale n’a pas de sens : il faut le faire en monnaie étrangère, ou sous la forme de biens matériels. De plus, lorsque la valeur de l’argent est en baisse, c’est celui qui a souscrit un emprunt le premier qui est avantagé. Pour dire les choses simplement, une monnaie stable incite à épargner et à faire des projets à long terme, tandis qu’une monnaie instable incite à emprunter et à faire des projets à court terme. En passant à l’euro, la Grèce et les autres États de la périphérie de l’UE ont obtenu une monnaie de qualité, mais ont conservé leurs anciennes pratiques — d’autant plus qu’ils ont bénéficié d’une manne sans précédent sous la forme de taux d’intérêt bas. Emprunter est devenu moins cher, et la quantité d’emprunteurs a explosé. Avant, les banques allemandes n’octroyaient pas aux Grecs de crédits en drachmes, de crainte de voir la monnaie hellène perdre de sa valeur. C’est-à-dire qu’un mécanisme de stabilisation automatique de l’économie se mettait en action : le risque monétaire limitait la hauteur du crédit. Avec le passage à l’euro, cette limitation a disparu. Les marchés ont commis l’erreur de confondre le risque monétaire avec le risque-pays, et se sont mis à sous-estimer RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013 107

À l'épreuve du marché<br />

L’inflation élevée et durable propre aux pays de l’Europe du Sud y a formé<br />

un type particulier d’économie, doté de ses propres règles et mécanismes. Le<br />

passage à une monnaie unique visait, entre autres, à remédier à cette tare et<br />

à instaurer dans tous les États de la zone euro un modèle de développement<br />

durable. Concrètement, il s’agissait du modèle allemand, fondé sur une monnaie<br />

forte capable de préserver le pouvoir d’achat avec des taux d’intérêt durablement<br />

bas et une épargne durablement haute — deux conditions nécessaires pour les<br />

investissements. Avec le passage à l’euro, les pays de la périphérie ont obtenu une<br />

monnaie d’une qualité bien supérieure à leurs anciennes monnaies nationales.<br />

Mais les autres éléments de leur mécanisme économique ne se sont pas<br />

« germanisés » d’eux-mêmes pour autant.<br />

L’inflation était désormais sous contrôle, puisque seule la BCE était autorisée à<br />

émettre de la monnaie. Mais les dépenses superflues n’ont pas disparu. Les biens et<br />

services grecs, portugais ou encore espagnols se renchérissaient progressivement<br />

par rapport aux produits des pays du noyau européen. Auparavant, pour endiguer<br />

une perte de compétitivité, les autorités nationales avaient recours à la dévaluation,<br />

c’est-à-dire qu’elles transféraient les conséquences négatives de leur politique<br />

inefficace sur leurs partenaires de l’UE et sur les pays tiers. Avec l’introduction de<br />

la monnaie unique, ce « bonus à la fraude » a pris fin. L’Allemagne, les Pays-Bas et<br />

quelques autres États dotés d’une monnaie stable ont été débarrassés de cet impôt<br />

extérieur qui réapparaissait à intervalles réguliers. Mais les pays faibles sont restés<br />

seuls face aux résultats de leur politique.<br />

Dans une économie inflationniste, les milieux d’affaires et la population<br />

s’accoutument à voir la valeur de l’argent baisser en permanence. Par conséquent,<br />

conserver son épargne en monnaie nationale n’a pas de sens : il faut le faire en<br />

monnaie étrangère, ou sous la forme de biens matériels. De plus, lorsque la valeur<br />

de l’argent est en baisse, c’est celui qui a souscrit un emprunt le premier qui est<br />

avantagé. Pour dire les choses simplement, une monnaie stable incite à épargner et<br />

à faire des projets à long terme, tandis qu’une monnaie instable incite à emprunter<br />

et à faire des projets à court terme. En passant à l’euro, la Grèce et les autres États<br />

de la périphérie de l’UE ont obtenu une monnaie de qualité, mais ont conservé<br />

leurs anciennes pratiques — d’autant plus qu’ils ont bénéficié d’une manne sans<br />

précédent sous la forme de taux d’intérêt bas. Emprunter est devenu moins cher, et<br />

la quantité d’emprunteurs a explosé. Avant, les banques allemandes n’octroyaient<br />

pas aux Grecs de crédits en drachmes, de crainte de voir la monnaie hellène<br />

perdre de sa valeur. C’est-à-dire qu’un mécanisme de stabilisation automatique de<br />

l’économie se mettait en action : le risque monétaire limitait la hauteur du crédit.<br />

Avec le passage à l’euro, cette limitation a disparu. Les marchés ont commis l’erreur<br />

de confondre le risque monétaire avec le risque-pays, et se sont mis à sous-estimer<br />

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