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À l'épreuve du marché<br />
plusieurs avantages stratégiques. L’expansion du marché intérieur devait<br />
générer des économies d’échelle, offrir de nouveaux débouchés aux compagnies<br />
européennes et accroître leur rentabilité, et donc contribuer au développement<br />
durable et à la création de nouveaux emplois pérennes. L’homogénéisation<br />
des prix au sein de l’UE était censée améliorer le niveau de vie des Européens<br />
et faciliter la conduite des affaires. Des marchés financiers plus vastes, plus<br />
volumineux et plus liquides faisaient miroiter la perspective de taux d’intérêt plus<br />
bas, tandis que la Banque centrale européenne s’engageait à assurer la stabilité<br />
des prix à long terme. En outre, les Européens allaient percevoir un bénéfice<br />
supplémentaire avec la suppression des coûts et des risques liés au change.<br />
Pendant la ratification du Traité de Maastricht et lors du processus du passage<br />
à l’euro, les leaders de l’UE n’ont cessé de marteler tous ces arguments. Mais la<br />
campagne publicitaire déployée à cette occasion a soigneusement évité d’aborder<br />
certains aspects fâcheux. Les experts savaient parfaitement que la suppression<br />
des barrières conduirait à un durcissement de la concurrence. D’ailleurs, l’un<br />
des premiers numéros de la publication interne de la BCE posait, en couverture,<br />
cette question : « Les employés de banque des années 1990 sont-ils les mineurs<br />
des années 1950 ? » Les parallèles entre l’union monétaire et la Communauté<br />
européenne du charbon et de l’acier (CECA) étaient évidents. Bien sûr, en<br />
augmentant la concurrence, l’intégration provoquerait un assainissement de<br />
l’économie. Mais cela impliquait qu’il y aurait des perdants. Prudemment, les<br />
organes de l’UE n’en parlaient pas, afin de ne pas nuire au soutien massif dont<br />
bénéficiait le projet.<br />
De la même façon, il n’a jamais été explicité au grand public que le passage<br />
à l’euro avait pour objectif non pas de compléter le marché unique de l’Union<br />
européenne, mais de le sauver. La suppression de tous les obstacles à la<br />
circulation des capitaux (une mesure incluse dans le Programme de 1992) sapait<br />
lentement mais sûrement le mécanisme de flottaison générale des monnaies. La<br />
crise du Système monétaire européen en 1992-1993 n’a fait que le confirmer.<br />
Un commerce normal au sein de l’UE était impossible sans taux de change fixe.<br />
Tout simplement parce que les fournisseurs n’avaient pas intérêt à effectuer des<br />
transactions dans une monnaie étrangère en baisse, de même que les acheteurs<br />
n’avaient pas intérêt à effectuer des transactions dans une monnaie étrangère<br />
en hausse. Une situation similaire était déjà apparue du temps de la CEE, après<br />
l’effondrement du système de Bretton Woods ; à l’époque, c’est le « serpent<br />
monétaire » qui avait tiré la Communauté d’affaire. Mais il aurait été extrêmement<br />
difficile de faire comprendre tout cela au grand public. Jacques Delors et son<br />
équipe préférèrent ne pas alarmer l’homme de la rue et ne pas le déconcerter en<br />
lui exposant tous ces complexes calculs économiques.<br />
RUSSIA IN GLOBAL AFFAIRS • VOL. 11 • NUMERO SPECIAL • 2013<br />
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