22.06.2013 Views

Bonhomme Miroir Crane - Julien Bonhomme

Bonhomme Miroir Crane - Julien Bonhomme

Bonhomme Miroir Crane - Julien Bonhomme

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

l’esprit, c’est-à-dire une mort passagère et une folie réglée. Poussée trop loin, elle peut donc<br />

devenir mort irréversible ou folie incontrôlée 46 .<br />

Toute la nuit durant, le banzi doit fixer intensément le miroir qui lui fait face, sans<br />

détourner le regard ni trop ciller. Les visions sont en effet le fruit d’une focalisation attentive<br />

sur l’image du miroir. L’eboga est pour cela un auxiliaire de choix : puissant stimulant de la<br />

vigilance, il empêche le sommeil et excite la pensée. L’initiation visionnaire du Bwete se situe<br />

ainsi à l’opposé des rituels initiatiques de possession où les femmes sont prises de crises<br />

violentes 47 . Rapidement après les premières bouchées d’eboga, les initiés impatients exhortent<br />

le banzi à voir et surtout à parler – les deux exigences les plus impérieuses de l’initiation. La<br />

plupart des opérations rituelles accomplies au cours de la nuit ont d’ailleurs pour dessein de<br />

favoriser les visions du novice : torche passée tout autour de lui pour éclairer son chemin et en<br />

chasser les mauvais esprits, collyre (à base de piment) pour lui dessiller les yeux, feuille ou<br />

pagne noir déchiré au-dessus de sa tête pour dégager les obstacles. Enfin, l’arc musical<br />

mongɔngɔ joue en permanence ses mélodies entêtantes pour guider le banzi. En cas de<br />

blocage, un tiers (initié ou parent) peut même manger l’eboga à son tour pour tenter d’aller<br />

ouvrir le chemin du novice. Les échecs visionnaires complets – rares mais possibles – sont<br />

interprétés en termes de résistance intentionnelle : soit le néophyte est tenu pour<br />

personnellement responsable de son échec, en raison de son manque de courage à manger<br />

l’eboga (sous-entendu comme une femme), ou de sa propre malveillance et de son impureté<br />

(sous-entendu comme un sorcier) ; soit un tiers est suspecté d’entraver volontairement son<br />

voyage initiatique et de chercher à le tuer. Mais sous l’effet conjugué de la pression<br />

collective, de l’eboga et de la focalisation sur le miroir, le banzi finit généralement par voir,<br />

ou du moins par parler.<br />

46 De tels accidents, heureusement fort rares, sont toujours interprétés en termes sorcellaires, du moins par la<br />

famille du postulant qui accuse le père initiateur d’avoir empoisonné son parent.<br />

47 Le champ thérapeutico-religieux gabonais est en effet structuré par un contraste très net entre vision masculine<br />

et possession féminine (Mary 1983a).<br />

-31-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!