Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise
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l’évolution économique aux yeux de Hayek que d’une analyse tardive. Ce qui s’explique par le fait que c’est principalement l’analyse de la question de la supériorité de l’ordre social spontané sur les ordres calculés qui ait focalisé l’attention de Hayek. Mais s’il n’a pas légué un cadre de recherche évolutionniste bien défini, Hayek (1988) en a néanmoins tracé les grandes lignes, en soulignant notamment le rôle central qu’y joue le facteur d’adaptation continue aux contingences (p. 25). Hayek insiste également de même sur la nécessité de distinguer l’évolution culturelle de l’évolution biologique. Il souligne que dans l’évolution culturelle, la sélection opère directement sur des règles apprises et transmises alors que l’évolution biologique opère sur des règles (ou caractéristiques) innées. De surcroît, l’évolution culturelle se réalise non pas par la transmission des caractéristiques des parents biologiques uniquement, mais par la transmission des caractéristiques d’une multitude de parents (la tradition sociale). Nous allons d’abord situer l’évolutionnisme culturel Hayekien dans le cadre général autrichien (§3.2.1) avant d’en retracer les grandes lignes (§3.2.2) et de confronter l’idée de l’évolution chez Hayek et Schumpeter (§3.2.3). 3.2.1 Hayek et la pensée autrichienne Le courant autrichien, dans lequel nous pouvons situer globalement la pensée de Friedrich Hayek, considère que le “problème économique” n’est ni technique ni technologique, et encore moins un problème de maximisation. Le problème économique est plutôt celui de l’émergence de plusieurs alternatives productives, alors que la connaissance qui leur correspond n’est ni donnée ex ante ni constante, mais plutôt dispersée dans les esprits innombrables des agents économiques qui la transforment et la génèrent continuellement. L’approche néoclassique en terme de maximisation ou d’optimisation n’est plus dès lors (par rapport à la conception autrichienne) qu’un cas spécifique, d’importance relativement minime, comparé à la complexité et la richesse de l’économie réelle (Hayek, 1937, p. 33). L’économie autrichienne rompt ainsi avec le modèle néo-classique sur l’analyse en terme d’équilibre où l’information est donnée (soit de façon certaine, soit de façon probabiliste) et où les différentes variables sont parfaitement ajustées. Du point de vue autrichien, le principal désavantage de cette méthodologie est que l’équilibre tient un rôle de voile qui empêche de découvrir la direction véritable dans les relations de causes à effets des lois économiques. Dans le monde néoclassique idyllique, l’entrepreneurship n’a aucun rôle à jouer. Par contre, dans le monde réel, constamment en déséquilibre, l’entrepreneurship revêt une importance capitale comme principale force coordonnatrice. L’approche autrichienne considère que l’entrepreneurship ne fait pas que créer et transmettre de l’information, mais, de façon plus importante, il alimente la coordination entre les comportements inadaptés des acteurs dans la société. De façon concrète, toute incoordination sociale se présente comme une occasion de gain qui reste latente jusqu’à ce qu’elle soit découverte par des entrepreneurs. L’entrepreneurship consiste, à travers un processus de search continu, à constituer de nouvelles combinaisons de production et d’échange. Lorsque l’entrepreneur se rend compte de l’existence d’une occasion de gain et agit pour en tirer profit, celle-ci disparaît dans un processus spontané de Comme l’a joliment écrit Oakeshott (1962, p. 21 ; cité par Gloria, 1996, p. 11), l’œuvre entière de Hayek, a été “a plan to resist all planning”.
coordination créant de nouvelles opportunités productives, et ainsi de suite. De cette manière, aux yeux du courant autrichien, la nature coordinatrice de l’entrepreneurship est le seul facteur qui rend possible l’existence de la théorie économique en tant que science. Ce qui explique pourquoi les économistes autrichiens se sont intéressés à l’étude de la compétition comme réalité dynamique, alors que les économistes néoclassiques se concentrent sur les modèles d’équilibre qui sont typiques de la statique comparée. Un autre aspect intéressant des positions divergentes des deux écoles concerne l’utilisation du formalisme mathématique dans l’analyse économique. Depuis les origines du courant autrichien, son fondateur Carl Menger a pris soin de souligner que l’avantage du langage verbal est qu’il permet d’exprimer l’essence des phénomènes économiques, ce que le langage mathématique, utile pour l’axiomatisation des phénomènes quantitatifs, ne peut faire. Dans une lettre à Walras écrite en 1884, Menger se demande : Ce ne sont pas uniquement des rapports de grandeurs, que nous rechercherons mais aussi l’essence des phénomènes économiques. Mais comment parviendrons-nous maintenant à connaître cette essence, par exemple l’essence de la valeur, du taux de la rente foncière, du gain de l’entrepreneur, de la répartition du travail, du bimétallisme, etc., d’une manière mathématique ? La méthode mathématique, si même elle était purement et simplement justifiée, ne serait en tout cas pas adéquate à la solution de la partie sus-mentionnée du problème économique. (Lettre de Carl Menger à Léon Walras, février 1884 ; in Antonelli, 1953, p. 280). 44 Ce cadre autrichien global nous permet de situer l’évolutionnisme culturel Hayekien dans ses traits généraux et de mieux saisir particulièrement la dimension entrepreneuriale. Nous allons à présent considérer l’évolutionnisme culturel Hayekien dans ses traits spécifiques. 3.2.2 L’évolutionnisme culturel Hayekien Nous avons dit supra que des bribes de l’évolutionnisme culturel Hayekien se retrouvent tout au long de son œuvre, même la plus ancienne. Trois principaux travaux semblent cependant encapsuler les principales idées évolutionnistes chez Hayek. Avant de systématiser sa perspective évolutionniste dans The Fatal Conceit (1988), Hayek analyse les mécanismes de l’évolution culturelle principalement dans le chapitre 4 des Studies in Philosophy, Politics and Economics (1967) intitulé “Notes on the Evolution of Systems of Rules of Conduct” ainsi que dans le premier volume de Law, Legislation and Liberty (1973). L’évolutionnisme culturel Hayekien part de l’idée que le comportement instinctif ne suffit à coordonner les actions individuelles que dans les petits groupes primitifs, où les membres ont des objectifs communs 44 Le formalisme mathématique est particulièrement adapté, comme le reconnaît Walras lui-même, lorsqu’il s’agit de déterminer des rapports quantitatifs et pour exprimer des états d’équilibre comme ceux qu’étudient généralement les économistes néoclassiques. « J’avoue que je ne comprends pas bien comment la méthode mathématique de recherche ne serait pas la méthode mathématique d’exposition et réciproquement. Mais vous paraissez accorder que la méthode mathématique est une méthode de recherche quant il s’agit de déterminer des rapports quantitatifs. Et cela me suffit; car je crois que les rapports des prix avec leurs éléments constitutifs sont des rapports de cette espèce. » (Lettre de Léon Walras à Carl Menger, 2 juillet 1883, in Antonelli, 1953, p. 275-276). Comme le soulignera souvent Carl Menger dans ses correspondances ultérieures avec Léon Walras, le “problème économique” n’est pas un problème de rapports quantitatifs. Il a’agit plutôt de comprendre et de prédire une réalité temporelle subjective basée sur la créativité et les découvertes entrepreneuriales, qui ne sont pas simultanées et encore moins nécessaires.
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une méthode de recherche quant il s’agit de déterminer des rapports quantitatifs. Et cela me suffit; car je crois que les<br />
rapports des prix avec leurs éléments constitutifs sont des rapports de c<strong>et</strong>te espèce. » (L<strong>et</strong>tre de Léon Walras à Carl Menger, 2<br />
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