Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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2.3.1.4 Le verrouillage L’analyse par David (1985) de l’évolution des claviers de machines à écrire aux Etats-Unis et de leur standardisation progressive souligne le caractère essentiellement historique du processus qui a conduit au triomphe d’un certain clavier, le clavier standard QWERTY. Le terme historique est compris dans deux sens : premièrement, le rôle crucial de certains événements (des accidents historiques) qui peuvent faire basculer d’un côté ou de l’autre l’ensemble du processus ; et, deuxièmement, le fait que le processus soit toujours lié au passé et exclut tout retour en arrière. C’est entre 1890 et 1900 que le destin des futurs claviers des machines à écrire (et des ordinateurs) est scellé, verrouillant le sens de l’évolution en faveur du clavier QWERTY, ce que David explique par le fait que les machines à écrire n’étaient déjà plus qu’un élément particulier d’un système plus vaste et plus complexe. David (1985) décrit comment le clavier QWERTY est né dans des circonstances tout à fait particulières. Techniquement, il correspondait à un texte que la dactylo ne pouvait voir apparaître à mesure qu’elle tapait. Mais également à tout un travail de perfectionnement d’un clavier originel bien peu satisfaisant. Il fallut en tout six années de mise au point, à Christopher Latham Sholes, un des trois inventeurs du clavier initial, pour obtenir une disposition des touches plus satisfaisante, permettant d’obtenir un rythme de frappe plus rapide. Trois éléments se renforçant mutuellement, allaient alors verrouiller le sens de l’évolution : l’interdépendance technique entre certains types de claviers et les compétences des dactylos formées sur ces claviers. Tout changement de clavier nécessitant une reconversion de la main-d’œuvre. A cela s’ajoutait le système des économies d’échelle sous deux formes : production des machines et formation/recrutement des opérateurs et la quasiirréversibilité des investissements. Ce processus de verrouillage peut être interprété à travers la base de connaissance sous-jacente au système (Winter, 1987b). Le savoir-faire des dactylos est largement composé de connaissances difficilement transmissibles sous une forme codifiée, ce qui augmente les coûts de reconversion. Winter (1987b) explique ainsi que ce sont les routines et les compétences du passé ainsi que la mémoire sociale qui déterminent le devenir des nouvelles routines et des innovations (p. 616). Le fait que le processus de verrouillage soit largement tacite implique qu’il est très difficile de pourvoir revenir en arrière ou bien déverrouiller une technologie sélectionnée (Ibid.). Finalement, si l’analyse évolutionniste a bien réussi à rendre compte des dimensions historiques de verrouillage et de dépendance de sentier, l’idée du changement y est en revanche moins explicitée. La voie ouverte par March (1991), en termes d’exploration/exploitation, permet d’appréhender la richesse et la complexité de ce dilemme. Nous allons revenir sur ces concepts retracés ici pour décrire deux principaux apports théoriques de l’évolutionnisme néo-Schumpeterien en termes d’analyse de l’innovation et de la connaissance. 2.3.2 Les principaux apports théoriques 2.3.2.1 Analyse de l’innovation L’analyse économique standard traite l’innovation et le changement technique comme des phénomènes exogènes, ce qui aboutit à une dichotomie entre le fait technologique et le fait productif. Dans l’analyse

microéconomique de la firme, celle-ci est conçue comme un producteur qui opère des choix optimisateurs entre différentes alternatives. On suppose donc que le producteur connaît et maîtrise parfaitement l’ensemble des techniques disponibles. Le patrimoine technologique est alors représentable sous la forme d’un annuaire technique dans lequel le producteur peut puiser pour choisir les techniques les plus efficientes. L’analyse évolutionniste de l’innovation remet largement cette vision en cause. Les auteurs évolutionnistes partent d’une constatation simple : la technologie qui est le résultat d’une expérience accumulée par les firmes est nécessairement spécifique à celles qui la mettent en œuvre : [L]e choix d’une technologie engendre des rétroactions positives, liées par exemple aux effets d’apprentissage par l’usage et aux externalités positives de réseaux, qui déterminent les améliorations incrémentales autour de cette technologie et augmentent la probabilité que la technologie considérée soit choisie ultérieurement. L’innovation est un processus dynamique, endogène, cumulatif et indissociable du processus de diffusion, des mécanismes d’apprentissage, des rendements dynamiques d’échelle et des structures d’interdépendance entre les agents. (Dang, 1996, p. 4). Le caractère cumulatif de l’innovation est relié à la répétition et à l’expérimentation qui vont, au-delà de la détermination du système, influer sur les choix technologiques et les trajectoires adoptées (Dosi et Metcalfe, 1991, p. 41). Les auteurs évolutionnistes distinguent entre les environnements de sélection faible et ceux de sélection forte. Dans le premier cas, l’accent est mis sur le développement phylogénétique. La firme ne possède ni compétence technique, ni compétences organisationnelles (notamment la capacité à tisser des liens étroits avec des clients et des fournisseurs) autres que la capacité à recourir à des mécanismes contractuels standards. Dans le second cas, ce qui fait la différence est la vitesse de l’apprentissage et le degré d’étroitesse du sentier. La spécialisation est associée à une forte contrainte de sentier et un apprentissage rapide, alors que l’intégration verticale est plus cohérente avec un apprentissage lent. Ces travaux montrent que dans un univers de sélection étroite et des contraintes de sentier qui s’entrecroisent, il peut y avoir émergence de firmes-réseaux impliquant des apprentissages conjoints. Les innovations sont par conséquent très imprégnées par les facteurs de dépendance de sentier et d’encastrement dans des contextes historiques, culturels et organisationnels spécifiques.

microéconomique de la firme, celle-ci est conçue comme un producteur qui opère des choix optimisateurs<br />

entre différentes alternatives. On suppose donc que le producteur connaît <strong>et</strong> maîtrise parfaitement<br />

l’ensemble des techniques disponibles. Le patrimoine technologique est alors représentable sous la forme<br />

d’un annuaire technique dans lequel le producteur peut puiser pour choisir les techniques les plus<br />

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accumulée par les firmes est nécessairement spécifique à celles qui la m<strong>et</strong>tent en œuvre :<br />

[L]e choix d’une technologie engendre des rétroactions positives, liées par exemple aux eff<strong>et</strong>s d’apprentissage par l’usage <strong>et</strong><br />

aux externalités positives de réseaux, qui déterminent les améliorations incrémentales autour de c<strong>et</strong>te technologie <strong>et</strong><br />

augmentent la probabilité que la technologie considérée soit choisie ultérieurement. L’innovation est un processus dynamique,<br />

endogène, cumulatif <strong>et</strong> indissociable du processus de diffusion, des mécanismes d’apprentissage, des rendements dynamiques<br />

d’échelle <strong>et</strong> des structures d’interdépendance entre les agents. (Dang, 1996, p. 4).<br />

Le caractère cumulatif de l’innovation est relié à la répétition <strong>et</strong> à l’expérimentation qui vont, au-delà de<br />

la détermination du système, influer sur les choix technologiques <strong>et</strong> les trajectoires adoptées (Dosi <strong>et</strong><br />

M<strong>et</strong>calfe, 1991, p. 41). Les auteurs évolutionnistes distinguent entre les environnements de sélection<br />

faible <strong>et</strong> ceux de sélection forte. Dans le premier cas, l’accent est mis sur le développement<br />

phylogénétique. La firme ne possède ni compétence technique, ni compétences organisationnelles<br />

(notamment la capacité à tisser des liens étroits avec des clients <strong>et</strong> des fournisseurs) autres que la capacité<br />

à recourir à des mécanismes contractuels standards. Dans le second cas, ce qui fait la différence est la<br />

vitesse de l’apprentissage <strong>et</strong> le degré d’étroitesse du sentier. La spécialisation est associée à une forte<br />

contrainte de sentier <strong>et</strong> un apprentissage rapide, alors que l’intégration verticale est plus cohérente avec<br />

un apprentissage lent. Ces travaux montrent que dans un univers de sélection étroite <strong>et</strong> des contraintes de<br />

sentier qui s’entrecroisent, il peut y avoir émergence de firmes-réseaux impliquant des apprentissages<br />

conjoints. Les innovations sont par conséquent très imprégnées par les facteurs de dépendance de sentier<br />

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