Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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1.3.2 “Monsieur” Lamarck ou “Mister” Darwin? La théorie évolutionniste en biologie se base sur un jeu d’information. Que ce soit d’une génération à une autre, entre différentes parties d’un organisme ou entre un organisme et son environnement, c’est un jeu de signaux qui permet d’expliquer toute la logique du vivant. Les interprétations Lamarckiennes et Darwiniennes diffèrent cependant quant aux modalités de transfert et de transformation de cette information. 1.3.2.1 Le Darwinisme Pour Charles Robert Darwin, l’évolution des espèces vivantes est une évolution biologique qui repose essentiellement sur le phénomène de la sélection naturelle. Selon Darwin, les populations qui composent une espèce vivante sont constituées d’individus apparemment semblables mais qui, en réalité, diffèrent par leurs caractères biologiques. Ainsi, l’aptitude à survivre et à laisser des descendants exerce ses effets sur des populations morphologiquement semblables mais biologiquement hétérogènes. Selon Darwin, largement influencé par la doctrine démographique de Malthus, la nature procède au tri systématique des plus aptes, ceux qui, à cause de leurs caractères biologiques, vont s’adapter, et donc subsister et se reproduire. Si la girafe possède un long cou, dans la théorie Darwinienne, c’est que parmi les giraffidés certains étaient biologiquement prêts à s’adapter à de nouvelles conditions écologiques contraignantes, et non pas à cause de leurs efforts d’adaptation volontaires. La théorie Darwinienne postule que la sélection par variation dans les conditions de survie et de reproductivité des organismes dans leur environnement mène graduellement vers l’évolution des espèces et la diversité de formes de vie. Nous pouvons synthétiser cette théorie en quatre points principaux : (i) la variation : il y a des variations dans les caractéristiques morphologiques, physiologiques et béhavioristes des organismes ; (ii) l’hérédité : les caractéristiques sont héritées partiellement, afin que la progéniture ressemble aux parents ; (iii) la prolifération : les organismes se multiplient et se reproduisent ; et (iv) la sélection naturelle : certains caractères sont plus enclins à survivre que d’autres. Les organismes qui possèdent ces caractères salvateurs produiront donc plus de progéniture. Une telle explication, en consacrant le pouvoir toutpuissant du mécanisme de sélection naturelle, rejette par conséquent tout rôle au pouvoir d’adaptation volontaire aux circonstances particulières de temps et d’espace dans le processus d’évolution : La sélection naturelle est un mécanisme dont le fonctionnement demeure identique quelles que soient les circonstances particulières de temps et de lieu. Une telle attitude théorique conçoit le temps comme une dimension extérieure au devenir. Le temps n’est que la condition parfaitement neutre d’exercice de la sélection naturelle. Il n’existe aucune exaltation ontologique du temps chez Darwin (…). La conception du temps comme force créatrice, la vision de la temporalité comme une dimension fondamentale des êtres vivants sont des dispositions étrangères à Darwin. (Ege, 1993, p. 483). Pour les néo-Darwiniens, la sélection naturelle est aveugle, même si la nature est caractérisée par un certain degré d’auto-organisation. Le néo-Darwinisme actuel affirme que les caractères biologiques différents sur lesquels s’exerce la sélection naturelle résultent de mutations génétiques dues au hasard, et que ce sont ces mutations génétiques qui sont transmissibles génétiquement, et non pas les modifications

acquises par l’action du milieu qui, elles, sont biologiquement intransmissibles. En n’invoquant rien d’autre que les circonstances aléatoires, cette explication ne repose en rien sur le succès plus ou moins grand obtenu par les individus dans leurs tentatives de s’adapter à leur environnement (Lagueux, 1999). 1.3.2.2 Le Lamarckisme Bien avant Darwin, Jean-Baptiste Lamarck avait observé que les animaux changeaient sous la pression de l’environnement et il a suggéré qu’ils pourraient transmettre de tels changements à leur progéniture. Le changement du milieu et la tendance adaptative ont pour effet de modifier les besoins des espèces vivantes et, en conséquence, de modifier leur comportement. Ce qui entraîne l’usage de certaines parties de l’organisme et le non-usage de certaines autres, l’usage ou le non-usage ayant un effet positif ou négatif sur le développement des organes. Les modifications ainsi obtenues deviennent héréditaires et sont donc transmises à la progéniture. Toutefois, il ne s’agit que de modifications fondamentales qui sont acquises en réponse à des défis intenses et persistants du milieu écologique, poursuivis pendant des générations (par exemple le cou de la girafe). Le principe de vie décrit par Lamarck serait issu de deux composantes agissant simultanément : une montée croissante vers la complexité et une adaptation continuelle des êtres vivants à leur milieu. Le Lamarckisme est une théorie qui explique l’évolution des êtres vivants, (i) par leur adaptation volontaire au milieu et (ii) par l’hérédité des caractères acquis. C’est ainsi que Lamarck est souvent associé à l’idée d’hérédité des caractères acquis, présentée pour la première fois en 1801 (le premier livre de Darwin traitant de la sélection naturelle a été édité en 1859). Et c’est ce qui explique que ce soit l’hypothèse Lamarckienne (Zuscovitch, 1993) qui reçoive le plus d’adhésion dans la sphère économique, où on conçoit plus facilement la possibilité d’héritage de caractéristiques ou de compétences acquises et entreposées d’une manière ou d’une autre dans la mémoire collective : routines, traditions, normes apprises du passé, etc. La démonstration du caractère Lamarckien de l’évolution culturelle peut se faire de manière simple et directe. Les caractéristiques culturelles, règles de conduites, technologies ou connaissances, ne sont manifestement pas innées ou transmises génétiquement. Donc, l’évolution culturelle est nécessairement d’une certaine manière Lamarckienne, car ce qui est transmis par la culture est acquis. Aussi évidente que puisse sembler cette démonstration, c’est oublier que la simple hérédité des caractères acquis pose en elle-même des problèmes importants. Il n’est en effet pas avantageux que toutes les caractéristiques acquises au cours de l’existence soient héritées par les descendants. Il est même préférable que la plupart d’entre elles ne le soient pas. Pour qu’il y ait évolution, seulement certaines caractéristiques acquises doivent être héritées. Mais lesquelles ? Comment s’assurer que seules les caractéristiques qui sont “utiles” seront héritées et que le mécanisme de réplication ne transmettra pas également une grande quantité de caractéristiques pernicieuses de génération en génération ? La réponse de Lamarck consiste à postuler que ne seront hérités que les caractères qui découlent des efforts faits par les organismes afin de s’adapter à leur environnement. Ainsi, les caractères acquis seraient précisément ceux qui sont “utiles” à l’organisme. Autrement dit, le cœur du Lamarckisme est l’idée que les mutations ne sont pas le fait du hasard, mais qu’elles sont au contraire guidées par l’adaptation volontaire (consciente ou inconsciente) à l’environnement (ce sont précisément ces apprentissages qui constituent les caractéristiques acquises héritées). Cette boucle de rétroaction Lamarckienne entre les mécanismes d’apprentissage, de sélection et d’hérédité permet de comprendre facilement la plus grande rapidité de l’évolution culturelle par rapport à l’évolution biologique. Parce qu’elles sont guidées par les efforts des individus pour s’adapter aux défis de leur environnement, les variations dont se nourrit l’évolution culturelle seront vraisemblablement, dès l’origine, plus proches du but poursuivi que les mutations Darwiniennes dues au hasard. Mais bien que les deux approches, Lamarckienne et Darwinienne, semblent être clairement distinctes, et même exclusives l’une de l’autre, plusieurs tentatives actuelles en économie tentent de les combiner dans

1.3.2 “Monsieur” Lamarck ou “Mister” Darwin?<br />

La théorie évolutionniste en biologie se base sur un jeu d’information. Que ce soit d’une génération à une<br />

autre, entre différentes parties d’un organisme ou entre un organisme <strong>et</strong> son environnement, c’est un jeu<br />

de signaux qui perm<strong>et</strong> d’expliquer toute la logique du vivant. Les interprétations Lamarckiennes <strong>et</strong><br />

Darwiniennes diffèrent cependant quant aux modalités de transfert <strong>et</strong> de transformation de c<strong>et</strong>te<br />

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1.3.2.1 Le Darwinisme<br />

Pour Charles Robert Darwin, l’évolution des espèces vivantes est une évolution biologique qui repose<br />

essentiellement sur le phénomène de la sélection naturelle. Selon Darwin, les populations qui composent<br />

une espèce vivante sont constituées d’individus apparemment semblables mais qui, en réalité, diffèrent<br />

par leurs caractères biologiques. Ainsi, l’aptitude à survivre <strong>et</strong> à laisser des descendants exerce ses eff<strong>et</strong>s<br />

sur des populations morphologiquement semblables mais biologiquement hétérogènes. Selon Darwin,<br />

largement influencé par la doctrine démographique de Malthus, la nature procède au tri systématique des<br />

plus aptes, ceux qui, à cause de leurs caractères biologiques, vont s’adapter, <strong>et</strong> donc subsister <strong>et</strong> se<br />

reproduire. Si la girafe possède un long cou, dans la théorie Darwinienne, c’est que parmi les giraffidés<br />

certains étaient biologiquement prêts à s’adapter à de nouvelles conditions écologiques contraignantes, <strong>et</strong><br />

non pas à cause de leurs efforts d’adaptation volontaires. La théorie Darwinienne postule que la sélection<br />

par variation dans les conditions de survie <strong>et</strong> de reproductivité des organismes dans leur environnement<br />

mène graduellement vers l’évolution des espèces <strong>et</strong> la diversité de formes de vie. Nous pouvons<br />

synthétiser c<strong>et</strong>te théorie en quatre points principaux : (i) la variation : il y a des variations dans les<br />

caractéristiques morphologiques, physiologiques <strong>et</strong> béhavioristes des organismes ; (ii) l’hérédité : les<br />

caractéristiques sont héritées partiellement, afin que la progéniture ressemble aux parents ; (iii) la<br />

prolifération : les organismes se multiplient <strong>et</strong> se reproduisent ; <strong>et</strong> (iv) la sélection naturelle : certains<br />

caractères sont plus enclins à survivre que d’autres. Les organismes qui possèdent ces caractères<br />

salvateurs produiront donc plus de progéniture. Une telle explication, en consacrant le pouvoir toutpuissant<br />

du mécanisme de sélection naturelle, rej<strong>et</strong>te par conséquent tout rôle au pouvoir d’adaptation<br />

volontaire aux circonstances particulières de temps <strong>et</strong> d’espace dans le processus d’évolution :<br />

La sélection naturelle est un mécanisme dont le fonctionnement demeure identique quelles que soient les circonstances<br />

particulières de temps <strong>et</strong> de lieu. Une telle attitude théorique conçoit le temps comme une dimension extérieure au devenir. Le<br />

temps n’est que la condition parfaitement neutre d’exercice de la sélection naturelle. Il n’existe aucune exaltation ontologique<br />

du temps chez Darwin (…). La conception du temps comme force créatrice, la vision de la temporalité comme une dimension<br />

fondamentale des êtres vivants sont des dispositions étrangères à Darwin. (Ege, 1993, p. 483).<br />

Pour les néo-Darwiniens, la sélection naturelle est aveugle, même si la nature est caractérisée par un<br />

certain degré d’auto-organisation. Le néo-Darwinisme actuel affirme que les caractères biologiques<br />

différents sur lesquels s’exerce la sélection naturelle résultent de mutations génétiques dues au hasard, <strong>et</strong><br />

que ce sont ces mutations génétiques qui sont transmissibles génétiquement, <strong>et</strong> non pas les modifications

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