Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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22.06.2013 Views

posture épistémologique qui peut parfaitement être implicite à l’analyse, sans aucune référence explicite au modèle biologique. Il est connu que Schumpeter était particulièrement hostile envers les tentatives d’appliquer des analogies Darwiniennes à l’analyse économique : Ici prennent place également la variété des idées d’évolution, qui a son centre chez Darwin – du moins, lorsqu’on la transpose simplement dans notre domaine – et le préjugé psychologique, dans la mesure où, sans se référer à un cas individuel, on voit dans un mobile et un acte de volonté plus qu’un réflexe du développement social ; par là certes est facilitée notre compréhension de ces faits. Mais si l’idée d’évolution est si discréditée chez nous, si l’historien pour des raisons de principe la rejette continuellement, c’est encore pour un autre motif. A l’influence d’un mystique peu scientifique, qui nimbe de la façon la plus variée l’idée d’évolution, s’ajoute aussi l’influence du dilettantisme : toutes les généralisations prématurées et insuffisamment fondées, où le mot évolution joue un rôle, ont fait à beaucoup d’entre nous perdre toute patience à l’égard du mot, du concept et de la chose. (Schumpeter, 1935, p. 82). 7 Cette hostilité peut être expliquée par le fait qu’il était exacerbé par les tentatives de ses contemporains de faire un mélange de biologie et de sciences sociales. Il en est ainsi arrivé à abandonner complètement (pendant un temps) l’usage du concept “évolution”. Il reviendra sur sa position par la suite et reprendra l’usage du concept tout en nuançant cet usage : [A]lthough this term is objectionable on several counts, it comes nearer to expressing our meaning than does any other. (Schumpeter, 1939, p. 86). L’hostilité de Schumpeter envers l’usage des métaphores ou analogies biologiques doit donc être comprise dans son contexte historique. Comme le souligne Hodgson (1997b), les sciences sociales durant la période 1914-1950 étaient marquées par une montée en puissance du positivisme qui rendait l’usage de métaphores ou d’analogies biologiques extrêmement impopulaires durant cette période : Like many other scientists of his time, he regarded metaphors as mere literary ornaments. It was typically suggested that they should be removed to reveal the essential theory below. For Schumpeter and other positivists, theory is based on fact, rather than on metaphor. (Hodgson, 1997b, p. 134). La position de Schumpeter vis-à-vis des analogies biologiques peut à cet égard être rapprochée de celle de Penrose (Cf. infra) dans le sens du rejet de l’usage des métaphores naturalistes sans aucune structuration théorique. 1.2.2.2.5 Schumpeter aux sources du néo-Schumpeterianisme ? 7 En raison (principalement) de cette opposition à l’usage des analogies biologiques pour comprendre l’évolution économique, Foster (2000) argue pour la démarcation entre les travaux de Schumpeter et les théories “néo-Scumpeteriennes” plus portées vers des analyses en termes d’auto-organisation, au premier rang desquelles il place la contribution de Metcalfe (1998) : “The Metcalfe (1998) model is a considerable achievement because it offers an explanation of a crucial aspect of economic evolution and relies upon an alternative definition of equilibrium to the ‘balance of forces’ one preferred by most economists (…). [W]e should look upon the Metcalfe (1998) model as only a beginning in the quest to discover a general characterisation of economic self-organisation within which creative, cooperative and competitive processes can be analysed. To begin this quest, we need look no further than the remarkable insights of Joseph Schumpeter.” (Foster, 2000, p. 327).

Schumpeter était-il donc évolutionniste ? Quel est le degré d’authenticité du rattachement que revendiquent Nelson et Winter à Schumpeter ? [T]he invocation of Schumpeter’s name by the new wave of evolutionary theorists is both misleading and mistaken (…). These authors make repeated claims that that their work is in a “Schumpeterian” or “neo-Schumpeterian” mould. There are superficial similarities (…). But at a deeper level there is a complete divergence. (Hodgson, 1993, p. 149). La position de Geffroy Hodgson est très éclairante à cet effet. Si Hodgson (1993) relativisait ce rattachement en 1993, il revint sur sa position quelques années plus tard (1997) en attestant de l’authenticité de l’évolutionnisme Schumpeterien : … Schumpeter was (a) one of the greatest economists of the twentieth century and (b) he may legitimately be described as an ‘evolutionary economist’. (Hodgson, 1997b, p. 144). Le revirement de Hodgson nous paraît caractéristique de cette ambiguïté persistante quant à la position de Schumpeter vis-à-vis de l’évolution. Toujours est-il que Nelson et Winter trouvent dans la focalisation Schumpeterienne sur la compétition technologique comme force motrice du développement capitaliste un piédestal théorique qui va les amener à revendiquer explicitement la filiation Schumpeterienne : [T]he term ‘neo-Schumpeterian’ would be as appropriate a designation for our entire approach as ‘evolutionary’. More precisely, it could reasonably be said that we are evolutionary theorists for the sake of being neo-Schumpeterians. (Nelson et Winter, 1982, p. 39). Ce que Nelson et Winter ont retenu de Schumpeter, c’est principalement sa conception du rôle de l’innovation dans le changement économique (mais sans son moteur, l’entrepreneur-innovateur). C’est ce qui permet de comprendre, pourquoi en qualifiant leur conceptualisation de “néo-Schumpeterienne” ils se démarquent de l’auteur autrichien sur un certain nombre de points 8 . Ils vont ainsi estimer que, par opposition au terme “révolutionnaire”, le terme “évolutionnaire” est synonyme de changements lents et continus, étalés dans la durée, en minimisant de la sorte le rôle des discontinuités majeures dans l’évolution économique, un point essentiel chez Schumpeter, au profit de la graduation de l’évolution. Ils ne vont pas également reprendre la définition de Schumpeter de la notion-clé de routines. Ce dernier définit en effet les routines dans un sens large assez proche des auteurs institutionnalistes : [O]n n’a pas besoin d’une direction du chef dans ces choses quotidiennes au sens le plus large (…)… même au haut de la hiérarchie, un travail n’est qu’un travail quotidien comme tout autre ; il est comparable au service d’une machine présente et qui peut être utilisée ; tout le monde connaît et peut accomplir son travail quotidien dans la forme accoutumée, et se met de soimême à son exécution ; le « directeur » a sa routine comme tout le monde a la sienne ; et sa fonction de contrôle n’est qu’un de ses travaux routiniers, elle est la correction d’aberrations individuelles, elle est tout aussi peu une « force motrice » qu’une loi 8 Sturgeon (2002) souligne que l’affiliation à Schumpeter tend aujourd’hui à se relâcher encore plus. Les tendances de recherches évolutionnistes actuelles tendent en effet à rompre avec la vision oligopolistique de la firme géante Schumpeterienne pour se diriger vers un nouveau paradigme : les réseaux de production modulaires. “With modular production networks, dominant firms are no longer buffered from competitive pressure by large scale in-house fixed capital. Barriers to new entrants are lowered because competitors can tap the same set of suppliers and therefore gain access to leading-edge, global-scale production capacity used by established firms.” (Sturgeon, 2002, p. 466).

Schump<strong>et</strong>er était-il donc évolutionniste ? Quel est le degré d’authenticité du rattachement que<br />

revendiquent Nelson <strong>et</strong> Winter à Schump<strong>et</strong>er ?<br />

[T]he invocation of Schump<strong>et</strong>er’s name by the new wave of evolutionary theorists is both misleading and mistaken<br />

(…). These authors make repeated claims that that their work is in a “Schump<strong>et</strong>erian” or “neo-Schump<strong>et</strong>erian”<br />

mould. There are superficial similarities (…). But at a deeper level there is a compl<strong>et</strong>e divergence. (Hodgson, 1993,<br />

p. 149).<br />

La position de Geffroy Hodgson est très éclairante à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. Si Hodgson (1993) relativisait ce<br />

rattachement en 1993, il revint sur sa position quelques années plus tard (1997) en attestant de<br />

l’authenticité de l’évolutionnisme Schump<strong>et</strong>erien :<br />

… Schump<strong>et</strong>er was (a) one of the greatest economists of the twenti<strong>et</strong>h century and (b) he may legitimately be described as an<br />

‘evolutionary economist’. (Hodgson, 1997b, p. 144).<br />

Le revirement de Hodgson nous paraît caractéristique de c<strong>et</strong>te ambiguïté persistante quant à la position de<br />

Schump<strong>et</strong>er vis-à-vis de l’évolution. Toujours est-il que Nelson <strong>et</strong> Winter trouvent dans la focalisation<br />

Schump<strong>et</strong>erienne sur la compétition technologique comme force motrice du développement capitaliste un<br />

piédestal théorique qui va les amener à revendiquer explicitement la filiation Schump<strong>et</strong>erienne :<br />

[T]he term ‘neo-Schump<strong>et</strong>erian’ would be as appropriate a designation for our entire approach as ‘evolutionary’. More<br />

precisely, it could reasonably be said that we are evolutionary theorists for the sake of being neo-Schump<strong>et</strong>erians. (Nelson <strong>et</strong><br />

Winter, 1982, p. 39).<br />

Ce que Nelson <strong>et</strong> Winter ont r<strong>et</strong>enu de Schump<strong>et</strong>er, c’est principalement sa conception du rôle de<br />

l’innovation dans le changement économique (mais sans son moteur, l’entrepreneur-innovateur). C’est ce<br />

qui perm<strong>et</strong> de comprendre, pourquoi en qualifiant leur conceptualisation de “néo-Schump<strong>et</strong>erienne” ils se<br />

démarquent de l’auteur autrichien sur un certain nombre de points 8 . Ils vont ainsi estimer que, par<br />

opposition au terme “révolutionnaire”, le terme “évolutionnaire” est synonyme de changements lents <strong>et</strong><br />

continus, étalés dans la durée, en minimisant de la sorte le rôle des discontinuités majeures dans<br />

l’évolution économique, un point essentiel chez Schump<strong>et</strong>er, au profit de la graduation de l’évolution. Ils<br />

ne vont pas également reprendre la définition de Schump<strong>et</strong>er de la notion-clé de routines. Ce dernier<br />

définit en eff<strong>et</strong> les routines dans un sens large assez proche des auteurs institutionnalistes :<br />

[O]n n’a pas besoin d’une direction du chef dans ces choses quotidiennes au sens le plus large (…)… même au haut de la<br />

hiérarchie, un travail n’est qu’un travail quotidien comme tout autre ; il est comparable au service d’une machine présente <strong>et</strong><br />

qui peut être utilisée ; tout le monde connaît <strong>et</strong> peut accomplir son travail quotidien dans la forme accoutumée, <strong>et</strong> se m<strong>et</strong> de soimême<br />

à son exécution ; le « directeur » a sa routine comme tout le monde a la sienne ; <strong>et</strong> sa fonction de contrôle n’est qu’un de<br />

ses travaux routiniers, elle est la correction d’aberrations individuelles, elle est tout aussi peu une « force motrice » qu’une loi<br />

8 Sturgeon (2002) souligne que l’affiliation à Schump<strong>et</strong>er tend aujourd’hui à se relâcher encore plus. Les tendances de<br />

recherches évolutionnistes actuelles tendent en eff<strong>et</strong> à rompre avec la vision oligopolistique de la firme géante<br />

Schump<strong>et</strong>erienne pour se diriger vers un nouveau paradigme : les réseaux de production modulaires. “With modular<br />

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Barriers to new entrants are lowered because comp<strong>et</strong>itors can tap the same s<strong>et</strong> of suppliers and therefore gain access to<br />

leading-edge, global-scale production capacity used by established firms.” (Sturgeon, 2002, p. 466).

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