Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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Pour Nelson (1987b), c’est la connotation de changement irréversible qui est la plus prégnante dans l’usage de Schumpeter du concept “évolution”. Comment Schumpeter définit-il lui-même l’évolution économique ? Dans Business Cycles, il la définit de la manière suivante : The changes in the economic process brought about by innovation, together with their effects, and the response to them by economic system, we shall designate by the term Economic Evolution. Although this term is objectionable on several counts, it comes nearer to expressing our meaning than does any other… (Schumpeter, 1939, p. 86). Dans la préface écrite spécialement pour l’édition japonaise de la Théorie de l’Evolution Economique, Schumpeter explicite cette vision de l’évolution économique : J’ai tenté, en écrivant ce livre, de construire un modèle théorique du processus du changement économique dans le temps, ou, peut-être plus clairement encore, de répondre à la question de savoir comment le système économique engendre la force qui le transforme sans cesse. (cité par LeDuc, 1950, p. 446). Ces références à la nature endogène du changement économique signifient-elles pour autant une posture authentiquement évolutionniste ? Foster (2000) répond par l’affirmative en soutenant que, malgré son rattachement initial à l’équilibre général, l’évolution économique chez Schumpeter se situe horséquilibre. Il cite (p. 320) ce passage de Schumpeter en soulignant sa fin (there is no equilibrium at all) : [W]e will not postulate the existence of states of equilibrium where none exist, but only where the system is moving towards one. When, for instance, existing states are in the act of being disturbed, say, by... a “mania” of railroad building, there is very little sense in speaking of an ideal equilibrium coexisting with all that disequilibrium. It seems much more natural to say that while such a factor acts there is no equilibrium at all. (Schumpeter, 1939, p. 70). Hodgson (1993), par contre, pense que malgré ses références aux processus évolutionnaires, la conception Schumpeterienne de l’évolution [f]orms an adjunct of Walrasian equilibrium, and represents an ostensible but ultimately unsatisfactory attempt to reconcile general equilibrium theory with notions of variety and change. (Hodgson, 1993, p. 150). Cette vision est corroborée par de nombreuses autres objections qui ont été (et continuent à être) avancées à l’encontre de la conceptualisation de Schumpeter de l’évolution économique. LeDuc (1950) considère ainsi que l’introduction de Schumpeter du mouvement et du temps dans le modèle Walrasien ne permet pas de remédier à ses lacunes profondes : [A] la représentation d’un ‘équilibre sans mouvement’ succède celle d’un ‘circuit sans évolution’. (LeDuc, 1950, p. 449). Plus récemment, Arena et Lazaric (2003) pensent également que l’évolutionnisme présumé de Schumpeter, et revendiqué par le courant néo-Schumpeterien, n’est que superficiel : Si l’interprétation que proposent Nelson et Winter de l’approche de Schumpeter est usuelle, elle n’en est pas moins réductrice. D’un côté, elle sous-estime la contribution de Schumpeter à l’analyse économique. Si la théorie des

phénomènes concurrentiels et des processus d’innovation proposée par Schumpeter a fréquemment inspiré les économistes évolutionnistes modernes, elle est trop souvent isolée des autres développements de l’auteur, pourtant fondamentaux pour qui veut comprendre la richesse de ses apports : ainsi le phénomène du leadership industriel des entreprenreus-innovateurs souligné par Nelson et Winter ([1982], p. 275) ne peut pas être dissocié de sa signification sociologique. La théorie de l’entrepreneur et de la concurrence Schumpeterienne n’apparaît pas prioritairement comme une version économique de la théorie de la sélection naturelle mais comme une explication socio-économique des conditions particulières qui permettent à un idéal-type social de devenir prédominant dans un contexte sociologique et historique particulier. (Arena et Lazaric, 2003, p. 336). [L]’approche de Schumpeter ne saurait être assimilée à une approche essentiellement évolutionniste mais plutôt à une variante originale de la tradition institutionnaliste. Cette interprétation se fonde sur deux constatations. Il est d’abord évident que, dans plusieurs de ses travaux, Schumpeter a fait preuve d’un grand scepticisme, voire d’une hostilité à l’égard des analyses de type évolutionniste ou « biologiste » (…). On peut ensuite montrer que la dynamique schumpeterienne ne peut être réduite à une analyse économique des processus de sélection des firmes mais qu’elle requiert une méthodologie particulière associant histoire, sociologie et analyse économique. (Arena et Lazaric, 2003, p. 336). 6 Si Schumpeter avait finalement recours au concept “évolutionniste”, c’était simplement pour signifier le processus inverse de “stationnaire”. Ce dont Schumpeter traita essentiellement, c’est des processus fonctionnels, c’est-à-dire du développement économique, beaucoup plus que de l’évolution économique proprement dit. Il semblait même donner au développement économique la même signification que l’évolution économique, comme en témoigne ce passage : [P]ar évolution, nous comprendrons seulement ces modifications du circuit de la vie économique, que l’économie engendre d’elle-même, modifications seulement éventuelles de l’économie nationales “abandonnée à elle-même” et ne recevant pas d’impulsion extérieure. (Schumpeter, 1935, p. 89). A notre sens, en l’absence de profit et d’incertitude radicale dans le monde Walrasien, il est difficile de voir comment la fonction entrepreneuriale Schumpeterienne peut prendre place. Le problème économique de la coordination des plans des agents dans un monde d’incertitude radicale n’apparaît pas chez Schumpeter comme il apparaîtra par la suite chez Hayek. Le noyau du problème économique, la connaissance, semble occulté chez Schumpeter. Mais surtout, le fait que l’équilibre général demeure le point de référence au circuit Schumpeterien réduit celui-ci nécessairement à un perpétuel recommencement (avec le même point de départ et d’arrivée). Or, on le sait, l’évolution n’est pas (et ne peut être) finalisée. 1.2.2.2.4 Schumpeter et les analogies biologiques Notons tout d’abord que l’absence d’analogies biologiques ou de langage biologique dans l’œuvre de Schumpeter, et même son refus d’une telle approche, ne nous semble pas un facteur discriminant pour discuter de sa position évolutionniste. L’évolutionnisme, comme nous le verrons plus loin (§1.3), est une 6 Arena et Lazaric relèvent ici l’opposition de Schumpeter aux analogies biologiques sur laquelle nous reviendrons dans la sous-section suivante.

phénomènes concurrentiels <strong>et</strong> des processus d’innovation proposée par Schump<strong>et</strong>er a fréquemment inspiré les<br />

économistes évolutionnistes modernes, elle est trop souvent isolée des autres développements de l’auteur,<br />

pourtant fondamentaux pour qui veut comprendre la richesse de ses apports : ainsi le phénomène du leadership<br />

industriel des entreprenreus-innovateurs souligné par Nelson <strong>et</strong> Winter ([1982], p. 275) ne peut pas être dissocié<br />

de sa signification sociologique. La théorie de l’entrepreneur <strong>et</strong> de la concurrence Schump<strong>et</strong>erienne n’apparaît pas<br />

prioritairement comme une version économique de la théorie de la sélection naturelle mais comme une explication<br />

socio-économique des conditions particulières qui perm<strong>et</strong>tent à un idéal-type social de devenir prédominant dans<br />

un contexte sociologique <strong>et</strong> historique particulier. (Arena <strong>et</strong> Lazaric, 2003, p. 336).<br />

[L]’approche de Schump<strong>et</strong>er ne saurait être assimilée à une approche essentiellement évolutionniste mais plutôt à<br />

une variante originale de la tradition institutionnaliste. C<strong>et</strong>te interprétation se fonde sur deux constatations. Il est<br />

d’abord évident que, dans plusieurs de ses travaux, Schump<strong>et</strong>er a fait preuve d’un grand scepticisme, voire d’une<br />

hostilité à l’égard des analyses de type évolutionniste ou « biologiste » (…). On peut ensuite montrer que la<br />

dynamique schump<strong>et</strong>erienne ne peut être réduite à une analyse économique des processus de sélection des<br />

firmes mais qu’elle requiert une méthodologie particulière associant histoire, sociologie <strong>et</strong> analyse économique.<br />

(Arena <strong>et</strong> Lazaric, 2003, p. 336). 6<br />

Si Schump<strong>et</strong>er avait finalement recours au concept “évolutionniste”, c’était simplement pour signifier le<br />

processus inverse de “stationnaire”. Ce dont Schump<strong>et</strong>er traita essentiellement, c’est des processus<br />

fonctionnels, c’est-à-dire du développement économique, beaucoup plus que de l’évolution économique<br />

proprement dit. Il semblait même donner au développement économique la même signification que<br />

l’évolution économique, comme en témoigne ce passage :<br />

[P]ar évolution, nous comprendrons seulement ces modifications du circuit de la vie économique, que l’économie<br />

engendre d’elle-même, modifications seulement éventuelles de l’économie nationales “abandonnée à elle-même”<br />

<strong>et</strong> ne recevant pas d’impulsion extérieure. (Schump<strong>et</strong>er, 1935, p. 89).<br />

A notre sens, en l’absence de profit <strong>et</strong> d’incertitude radicale dans le monde Walrasien, il est difficile de<br />

voir comment la fonction entrepreneuriale Schump<strong>et</strong>erienne peut prendre place. Le problème économique<br />

de la coordination des plans des agents dans un monde d’incertitude radicale n’apparaît pas chez<br />

Schump<strong>et</strong>er comme il apparaîtra par la suite chez Hayek. Le noyau du problème économique, la<br />

connaissance, semble occulté chez Schump<strong>et</strong>er. Mais surtout, le fait que l’équilibre général demeure le<br />

point de référence au circuit Schump<strong>et</strong>erien réduit celui-ci nécessairement à un perpétuel<br />

recommencement (avec le même point de départ <strong>et</strong> d’arrivée). Or, on le sait, l’évolution n’est pas (<strong>et</strong> ne<br />

peut être) finalisée.<br />

1.2.2.2.4 Schump<strong>et</strong>er <strong>et</strong> les analogies biologiques<br />

Notons tout d’abord que l’absence d’analogies biologiques ou de langage biologique dans l’œuvre de<br />

Schump<strong>et</strong>er, <strong>et</strong> même son refus d’une telle approche, ne nous semble pas un facteur discriminant pour<br />

discuter de sa position évolutionniste. L’évolutionnisme, comme nous le verrons plus loin (§1.3), est une<br />

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Arena <strong>et</strong> Lazaric relèvent ici l’opposition de Schump<strong>et</strong>er aux analogies biologiques sur laquelle nous reviendrons dans la<br />

sous-section suivante.

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