Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise
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… Darwin got the basic ideas of evolution from economics. As we learn from his notebooks, Darwin was reading Adam Smith just when, in 1838, he was formulating his own theory (…). In 1838 Darwin read Smith’s Essays on Philosophical Subjects (…). Of the latter, Darwin noted that he had read it and that it was ‘worth reading as giving abstract of Smith’s view’. (Hayek, 1988, p. 24). Et si Hayek ne fait pas ici référence à la filiation de Malthus chez Darwin, c’est probablement parce qu’il considère que cette dernière constitue une connaissance commune. Malthus est en effet explicitement cité par Darwin dès l’introduction de L’origine des espèces ainsi que dans le chapitre III intitulé « La lutte pour l’existence » : … nous considérerons la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement découler de la progression géométrique de leur augmentation en nombre. C’est la doctrine de Malthus appliquée à tout le règne animal et à tout le règne végétal. Comme il naît beaucoup plus d’individus de chaque espèce qu’il n’en peut survivre; comme, en conséquence, la lutte pour l’existence se renouvelle à chaque instant, il s’ensuit que tout être qui varie quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre; cet être est ainsi l’objet d’une sélection naturelle. En vertu du principe si puissant de l’hérédité, toute variété objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée. (Darwin, 1859, p. 19-20). La lutte pour l’existence résulte inévitablement de la rapidité avec laquelle tous les êtres organisés tendent à se multiplier. Tout individu qui, pendant le terme naturel de sa vie, produit plusieurs oeufs ou plusieurs graines, doit être détruit à quelque période de son existence, ou pendant une saison quelconque, car, autrement le principe de l’augmentation géométrique étant donné, le nombre de ses descendants deviendrait si considérable, qu’aucun pays ne pourrait les nourrir. Aussi, comme il naît plus d’individus qu’il n’en peut vivre, il doit y avoir, dans chaque cas, lutte pour l’existence, soit avec un autre individu de la même espèce, soit avec des individus d’espèces différentes, soit avec les conditions physiques de la vie. C’est la doctrine de Malthus appliquée avec une intensité beaucoup plus considérable à tout le règne animal et à tout le règne végétal, car il n’y a là ni production artificielle d’alimentation, ni restriction apportée au mariage par la prudence. Bien que quelques espèces se multiplient aujourd’hui plus ou moins rapidement, il ne peut en être de même pour toutes, car le monde ne pourrait plus les contenir. (Darwin, 1859, p. 96). 4 Quoi qu’il en soit de l’influence des deux sphères de recherche l’une sur l’autre, nous ne pouvons que constater la similitude des approches. Nous retrouvons en effet les mêmes questions posées, les mêmes débats et les mêmes positionnements, Darwiniens pour les uns, Lamarckiens pour les autres. Nous nous arrêterons donc dans ce chapitre de mise en perspective sur les nuances entre les approches évolutionnistes en économie et en biologie et sur les deux postures (Darwinienne et Lamarckienne) qui caractérisent les deux champs de recherche (§1.3). Cette discussion préliminaire devra nous permettre de voir à quel degré l’influence du modèle biologique reste prégnante et d’apprécier par conséquent le degré d’enracinement de la logique évolutionniste en économie. Auparavant, nous procéderons à un examen de la traçabilité de l’approche évolutionniste en économie (§1.2). Nous avons déjà souligné l’hétérogénéité des approches économiques évolutionnistes et la pluralité de leurs sources d’inspiration. Nous allons essayer dans une première section de discerner le bon grain de l’ivraie dans toutes ces contributions et de faire ressortir les attitudes authentiquement évolutionnistes que nous discuterons dans le reste du travail. 4 En plus de Smith et de Malthus, Blaug (1994, p. 8) fait remarquer que c’est un autre économiste, Fleeming Jenkin, professeur d’ingénierie à l’Université d’Edimbourg, qui fit à Darwin les critiques les plus décisives dans ses derniers travaux. Jenkin, dans une recension en 1867 de L’origine des espèces (1859), montrait en effet certaines incorrections dans la théorie initiale de Darwin. Blaug (1994) conjecture qu’il est possible que ce soit précisément cette critique qui ait conduit Darwin à
1.2 AUX SOURCES DE L’EVOLUTIONNISME ECONOMIQUE Dans ce travail nous distinguons clairement deux principales traditions évolutionnistes en économie : (i) la tradition néo-Schumpeterienne synthétisée par Nelson et Winter (1982) et axée principalement sur l’analyse de l’innovation ; et (ii) la tradition Hayekienne s’attachant beaucoup plus au rôle des connaissances tacites et des règles abstraites dans le comportement des agents et l’émergence de l’ordre social. L’intérêt grandissant pour l’approche évolutionniste en économie a cependant amené certains auteurs, dans une quête de légitimation, sur les traces de plusieurs autres traditions économiques : Adam Smith, Alfred Marshall ou Thorstein Veblen. Quel est le degré d’authenticité de la pérennité évolutionniste de ces auteurs ? Malgré l’ambiguïté persistante à ces filiations, nous allons essayer d’y jeter une lumière. 1.2.1 La quête de légitimation de l’évolutionnisme économique Nous pouvons très certainement retrouver l’usage de métaphores évolutionnaires chez de nombreux auteurs, comme Smith ou Marshall. Leurs contributions sont cependant menées (principalement) dans d’autres directions. 1.2.1.1 La filiation d’Adam Smith Khalil (2000) étudie la pérennité évolutionniste d’Adam Smith. Il relève ainsi l’usage de plusieurs métaphores naturalistes chez l’auteur écossais, notamment dans sa Théorie des sentiments moraux. La relation organes/organisme fascinait particulièrement Smith : en servant chacun son intérêt propre, chaque organe sert la survie de l’organisme. La logique de la main invisible n’est pas très loin : anticipation des agents de leurs bénéfices ex post, même s’ils ne sont pas conscients de ces bénéfices ex post (p. 376). Pour Khalil, les développements d’Adam Smith en terme de main invisible sont donc évolutionnaires. Ils sont compatibles avec la théorie de l’évolution de Lamarck et parfaitement incompatibles avec la sélection naturelle de Darwin qu’il qualifie d’optimisation évolutionnaire (p. 374). Friedrich Hayek est également de ceux qui ont le plus défendu la pérennité évolutionniste d’Adam Smith. La filiation Smith-Hayek est connue. L’ordre social constitue chez les deux auteurs un système spontanément engendré, auto-organisé et évolutif. Le problème crucial est alors de rendre compte du maintien de cette structure dans le temps. C’est là où la dynamique évolutionnaire est invoquée. L’ordre social, pour Smith comme pour Hayek, ne saurait être décrit comme un continuum de régulations rajouter un nouveau chapitre dans la sixième édition de L’origine des espèces dans lequel il introduit les idées de Lamarck sur la transmission directe des caractères acquis.
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just when, in 1838, he was formulating his own theory (…). In 1838 Darwin read Smith’s Essays on Philosophical Subjects<br />
(…). Of the latter, Darwin noted that he had read it and that it was ‘worth reading as giving abstract of Smith’s view’. (Hayek,<br />
1988, p. 24).<br />
Et si Hayek ne fait pas ici référence à la filiation de Malthus chez Darwin, c’est probablement parce qu’il<br />
considère que c<strong>et</strong>te dernière constitue une connaissance commune. Malthus est en eff<strong>et</strong> explicitement cité<br />
par Darwin dès l’introduction de L’origine des espèces ainsi que dans le chapitre III intitulé « La lutte<br />
pour l’existence » :<br />
… nous considérerons la lutte pour l’existence parmi les êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement<br />
découler de la progression géométrique de leur augmentation en nombre. C’est la doctrine de Malthus appliquée à tout le règne<br />
animal <strong>et</strong> à tout le règne végétal. Comme il naît beaucoup plus d’individus de chaque espèce qu’il n’en peut survivre; comme,<br />
en conséquence, la lutte pour l’existence se renouvelle à chaque instant, il s’ensuit que tout être qui varie quelque peu que ce<br />
soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre; c<strong>et</strong> être est ainsi l’obj<strong>et</strong> d’une sélection naturelle. En<br />
vertu du principe si puissant de l’hérédité, toute variété obj<strong>et</strong> de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée.<br />
(Darwin, 1859, p. 19-20).<br />
La lutte pour l’existence résulte inévitablement de la rapidité avec laquelle tous les êtres organisés tendent à se multiplier. Tout<br />
individu qui, pendant le terme naturel de sa vie, produit plusieurs oeufs ou plusieurs graines, doit être détruit à quelque période<br />
de son existence, ou pendant une saison quelconque, car, autrement le principe de l’augmentation géométrique étant donné, le<br />
nombre de ses descendants deviendrait si considérable, qu’aucun pays ne pourrait les nourrir. Aussi, comme il naît plus<br />
d’individus qu’il n’en peut vivre, il doit y avoir, dans chaque cas, lutte pour l’existence, soit avec un autre individu de la même<br />
espèce, soit avec des individus d’espèces différentes, soit avec les conditions physiques de la vie. C’est la doctrine de Malthus<br />
appliquée avec une intensité beaucoup plus considérable à tout le règne animal <strong>et</strong> à tout le règne végétal, car il n’y a là ni<br />
production artificielle d’alimentation, ni restriction apportée au mariage par la prudence. Bien que quelques espèces se<br />
multiplient aujourd’hui plus ou moins rapidement, il ne peut en être de même pour toutes, car le monde ne pourrait plus les<br />
contenir. (Darwin, 1859, p. 96). 4<br />
Quoi qu’il en soit de l’influence des deux sphères de recherche l’une sur l’autre, nous ne pouvons que<br />
constater la similitude des approches. Nous r<strong>et</strong>rouvons en eff<strong>et</strong> les mêmes questions posées, les mêmes<br />
débats <strong>et</strong> les mêmes positionnements, Darwiniens pour les uns, Lamarckiens pour les autres. Nous nous<br />
arrêterons donc dans ce chapitre de mise en perspective sur les nuances entre les approches<br />
évolutionnistes en économie <strong>et</strong> en biologie <strong>et</strong> sur les deux postures (Darwinienne <strong>et</strong> Lamarckienne) qui<br />
caractérisent les deux champs de recherche (§1.3). C<strong>et</strong>te discussion préliminaire devra nous perm<strong>et</strong>tre de<br />
voir à quel degré l’influence du modèle biologique reste prégnante <strong>et</strong> d’apprécier par conséquent le degré<br />
d’enracinement de la logique évolutionniste en économie. Auparavant, nous procéderons à un examen de<br />
la traçabilité de l’approche évolutionniste en économie (§1.2). Nous avons déjà souligné l’hétérogénéité<br />
des approches économiques évolutionnistes <strong>et</strong> la pluralité de leurs sources d’inspiration. Nous allons<br />
essayer dans une première section de discerner le bon grain de l’ivraie dans toutes ces contributions <strong>et</strong> de<br />
faire ressortir les attitudes authentiquement évolutionnistes que nous discuterons dans le reste du travail.<br />
4 En plus de Smith <strong>et</strong> de Malthus, Blaug (1994, p. 8) fait remarquer que c’est un autre économiste, Fleeming Jenkin,<br />
professeur d’ingénierie à l’Université d’Edimbourg, qui fit à Darwin les critiques les plus décisives dans ses derniers travaux.<br />
Jenkin, dans une recension en 1867 de L’origine des espèces (1859), montrait en eff<strong>et</strong> certaines incorrections dans la théorie<br />
initiale de Darwin. Blaug (1994) conjecture qu’il est possible que ce soit précisément c<strong>et</strong>te critique qui ait conduit Darwin à