Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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22.06.2013 Views

comte du processus de création des connaissances dans la firme, elles rencontrent à leur tour des difficultés à saisir des aspects essentiels de ce processus qui sont précisément ceux qui sont captés par la notion de communauté. Pour mieux préciser cet argument, nous proposons de faire une distinction au sein des approches en termes de compétences. Car, s’il y a bien unité de vue sur les principes qui viennent d’être exposés, les différentes approches sur les compétences se séparent selon deux directions principales. L’une, plutôt d’inspiration stratégique (Prahalad et Hamel), considère la compétence essentiellement comme le résultat d’une vision a priori de la hiérarchie qui cherche à imprimer un champ d’apprentissage vertueux dans l’organisation pour favoriser certains processus d’apprentissage allant dans le sens de cette vision. L’autre, plutôt d’inspiration évolutionniste (Teece), voit la compétence comme une construction ex-post résultant d’un processus de sélection générale de routines diversifiées. La vision stratégique – d’inspiration managériale – des compétences, revient à considérer les compétences comme résultant de la construction cognitive d’avantages comparatifs de long terme (supposant un engagement irréversible des firmes, s’accompagnant de “sunk costs”). Ces avantages comparatifs se construisent à travers la sélection par la hiérarchie d’un ensemble d’activités privilégiées (constituant le domaine des “core-competences”) correspondant à une focalisation des ressources cognitives de la firme. Ce choix d’un périmètre sélectif d’activités à haute intensité cognitive traduit un phénomène d’allocation d’attention limitée, qui est la véritable ressource rare de la firme au sens de March et Simon (1993). Pour Prahalad et Hamel (1990), la délimitation de ce cœur cognitif de l’entreprise relève du centre stratégique de la firme et se traduit par une vision de long terme destinée à structurer les croyances collectives de l’ensemble de l’organisation et à orienter les processus d’apprentissage au sein de la firme. Mais comme le remarquent Stalk et al. (1992), la principale limite de cette approche stratégique est qu’elle se cantonne à expliquer le processus cognitif des seuls managers. L’analyse en profondeur du processus de construction des connaissances dans l’organisation n’est pas abordée. La vision évolutionniste des compétences, considère que ces dernières se forment progressivement dans le temps, à travers la sélection (essentiellement par le marché) des routines les plus efficaces. La mémoire de l’organisation est stockée dans les routines, de sorte que la firme est vue comme un répertoire de routines, selon Nelson et Winter (1982) 92 . 92 Dans des contextes complexes et évolutifs, les agents ont besoin d’heuristiques et de routines qui simplifient le processus de prise de décision (March et Simon, 1993). “Since agents have to deal with scarce cognitive resources in a complex competitive environment, it proves rational to minimize the cognitive efforts spent on routine decision cases in which singular case-by-case decisions would probably yield very similar results – but to far higher costs” (Budzinski, 2001, p. 6). Les capacités limitées des agents les amènent à adopter des modes de comportement explicites ou spontanés qui passent par la mise en place d’institutions compensatrices. Ces institutions ne se résument pas comme c’est avancé dans la théorie contractuelle, à des contrats explicites. Elles sont pour une grande part de l’ordre de repères conventionnels tacites ou une culture d’entreprise : les agents suivent des règles sans en comprendre toujours le sens (Polanyi, 1966). “The adaptive or evolutionary approach is reminiscent of “invisible hand” explanations in that people do not purposefully co-ordinate; coordination “just happens” without anyone planning or even thinking about it” (Chwe, 2001, p. 93). Dans ce mouvement, largement auto-organisé, la construction de sens, a posteriori, par la hiérarchie, n’est pas exclue. Mais c’est essentiellement par le biais de la culture d’entreprise que se forment les croyances collectives qui guident et structurent les comportements au sein de l’organisation, et permettent d’articuler les routines entre elles.

L’approche évolutionniste est sans doute l’approche théorique qui rend le plus profondément compte de la création de ressources par la firme. Pourtant une dimension de la création de connaissances lui échappe. La théorie évolutionniste procède comme si la firme possédait (d’où la notion de “répertoire”) les connaissances incorporées dans les routines, et que la compétence ne résultait finalement que d’une sélection des meilleures routines stockées dans le répertoire. Or de nombreux travaux récents (par exemple, Cook et Brown, 1999) montrent que la plupart de ces connaissances ne sont pas accessibles dans un répertoire donné, mais enracinées dans la pratique de petits groupes actifs, ou communautés intensives en connaissance, qui composent la firme. La nature même de la routine (son pouvoir de réplication, son degré d’inertie, son potentiel d’évolution) dépend profondément du groupe actif qui la met en œuvre. Et si l’analyse évolutionniste, à travers le concept de routine, offre un contexte riche d’interprétation des relations entre les efforts individuels et collectifs dans la création de ressources, il manque encore dans cette approche une analyse de maillons intermédiaires qui sont les véritables ferments du processus de création dans l’organisation, où les idées créatrices émergent ou sont testées, où la première validation de la nouveauté est effectuée. C’est précisément sur ce point que la prise en compte du concept de communauté peut se justifier.

comte du processus de création des connaissances dans la firme, elles rencontrent à leur tour des<br />

difficultés à saisir des aspects essentiels de ce processus qui sont précisément ceux qui sont captés par la<br />

notion de communauté.<br />

Pour mieux préciser c<strong>et</strong> argument, nous proposons de faire une distinction au sein des approches en<br />

termes de compétences. Car, s’il y a bien unité de vue sur les principes qui viennent d’être exposés, les<br />

différentes approches sur les compétences se séparent selon deux directions principales. L’une, plutôt<br />

d’inspiration stratégique (Prahalad <strong>et</strong> Hamel), considère la compétence essentiellement comme le résultat<br />

d’une vision a priori de la hiérarchie qui cherche à imprimer un champ d’apprentissage vertueux dans<br />

l’organisation pour favoriser certains processus d’apprentissage allant dans le sens de c<strong>et</strong>te vision.<br />

L’autre, plutôt d’inspiration évolutionniste (Teece), voit la compétence comme une construction ex-post<br />

résultant d’un processus de sélection générale de routines diversifiées.<br />

La vision stratégique – d’inspiration managériale – des compétences, revient à considérer les<br />

compétences comme résultant de la construction cognitive d’avantages comparatifs de long terme<br />

(supposant un engagement irréversible des firmes, s’accompagnant de “sunk costs”). Ces avantages<br />

comparatifs se construisent à travers la sélection par la hiérarchie d’un ensemble d’activités privilégiées<br />

(constituant le domaine des “core-comp<strong>et</strong>ences”) correspondant à une focalisation des ressources<br />

cognitives de la firme. Ce choix d’un périmètre sélectif d’activités à haute intensité cognitive traduit un<br />

phénomène d’allocation d’attention limitée, qui est la véritable ressource rare de la firme au sens de<br />

March <strong>et</strong> Simon (1993). Pour Prahalad <strong>et</strong> Hamel (1990), la délimitation de ce cœur cognitif de<br />

l’entreprise relève du centre stratégique de la firme <strong>et</strong> se traduit par une vision de long terme destinée à<br />

structurer les croyances collectives de l’ensemble de l’organisation <strong>et</strong> à orienter les processus<br />

d’apprentissage au sein de la firme. Mais comme le remarquent Stalk <strong>et</strong> al. (1992), la principale limite de<br />

c<strong>et</strong>te approche stratégique est qu’elle se cantonne à expliquer le processus cognitif des seuls managers.<br />

L’analyse en profondeur du processus de construction des connaissances dans l’organisation n’est pas<br />

abordée. La vision évolutionniste des compétences, considère que ces dernières se forment<br />

progressivement dans le temps, à travers la sélection (essentiellement par le marché) des routines les plus<br />

efficaces. La mémoire de l’organisation est stockée dans les routines, de sorte que la firme est vue comme<br />

un répertoire de routines, selon Nelson <strong>et</strong> Winter (1982) 92 .<br />

92 Dans des contextes complexes <strong>et</strong> évolutifs, les agents ont besoin d’heuristiques <strong>et</strong> de routines qui simplifient le<br />

processus de prise de décision (March <strong>et</strong> Simon, 1993). “Since agents have to deal with scarce cognitive resources in a<br />

complex comp<strong>et</strong>itive environment, it proves rational to minimize the cognitive efforts spent on routine decision cases in which<br />

singular case-by-case decisions would probably yield very similar results – but to far higher costs” (Budzinski, 2001, p. 6).<br />

Les capacités limitées des agents les amènent à adopter des modes de comportement explicites ou spontanés qui passent par la<br />

mise en place d’institutions compensatrices. Ces institutions ne se résument pas comme c’est avancé dans la théorie<br />

contractuelle, à des contrats explicites. Elles sont pour une grande part de l’ordre de repères conventionnels tacites ou une<br />

culture d’entreprise : les agents suivent des règles sans en comprendre toujours le sens (Polanyi, 1966). “The adaptive or<br />

evolutionary approach is reminiscent of “invisible hand” explanations in that people do not purposefully co-ordinate; coordination<br />

“just happens” without anyone planning or even thinking about it” (Chwe, 2001, p. 93). Dans ce mouvement,<br />

largement auto-organisé, la construction de sens, a posteriori, par la hiérarchie, n’est pas exclue. Mais c’est essentiellement par<br />

le biais de la culture d’entreprise que se forment les croyances collectives qui guident <strong>et</strong> structurent les comportements au sein<br />

de l’organisation, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent d’articuler les routines entre elles.

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