Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise
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Tirole, 2001) ou sur celui des communautés scientifiques (Cowan <strong>et</strong> Jonard, 2001). L’objectif de c<strong>et</strong>te<br />
contribution est de montrer que le raisonnement en terme de communautés peut être utilement étendu à la<br />
théorie de la firme, en soutenant qu’à mesure que l’économie de la connaissance se développe, les firmes<br />
apparaissent de plus en plus comme des assemblages de communautés interconnectées entre elles <strong>et</strong><br />
interagissant dans le cadre d’une culture commune.<br />
La représentation de la firme comme une communauté de communautés intensives en connaissance est<br />
proposée ici dans une économie basée sur la connaissance comme un complément aux structures<br />
hiérarchiques traditionnelles 88 . En eff<strong>et</strong>, au fur <strong>et</strong> à mesure que le savoir croît <strong>et</strong> se complexifie, les<br />
structures traditionnelles éprouvent de plus en plus de difficultés à intégrer <strong>et</strong> développer des parcelles de<br />
connaissances spécialisées. Ces connaissances sont de plus en plus engendrées <strong>et</strong> consolidées dans des<br />
contextes collectifs informels plus aptes à prendre en charge certains des coûts fixes associés aux<br />
processus de création <strong>et</strong> d’entr<strong>et</strong>ien des connaissances. La production <strong>et</strong> la diffusion de la connaissance<br />
apparaissent ainsi davantage décentralisées <strong>et</strong> encastrées (Granov<strong>et</strong>ter, 1985) dans des contextes <strong>et</strong> des<br />
structures informelles. Les communautés apparaissent dans c<strong>et</strong>te vision comme de véritables unités<br />
actives de compétences <strong>et</strong> de connaissances utiles à l’organisation dans son ensemble, perm<strong>et</strong>tant de<br />
rendre possible <strong>et</strong> d’asseoir la production, l’accumulation <strong>et</strong> la validation des connaissances. Ces<br />
communautés peuvent se former à l’intérieur des découpages hiérarchiques traditionnels (à l’intérieur des<br />
départements fonctionnels ou des équipes de proj<strong>et</strong>), mais peuvent également traverser les structures<br />
hiérarchiques de la firme en rassemblant des membres intéressés à un domaine de connaissance<br />
particulier de la firme 89 . Dans certains contextes de création que nous proposons de préciser, en plus<br />
d’être efficiente, la coordination par les communautés paraît moins coûteuse que d’autres modes formels<br />
de coordination.<br />
Ce dernier chapitre soulève donc les questions essentielles de coordination <strong>et</strong> de coopération <strong>et</strong> le rôle des<br />
représentations <strong>et</strong> des croyances collectives dans le régime culturel post-Taylorien. Les modes<br />
d’interaction <strong>et</strong> d’apprentissage entre communautés étant fortement hétérogènes, la cohérence de la firme<br />
suppose la formation d’un sens commun <strong>et</strong> d’une vision commune qui guident les acteurs hétérogènes <strong>et</strong><br />
concilient leurs intérêts antinomiques. Nous soutenons dans c<strong>et</strong>te contribution l’hypothèse que ce système<br />
de références communes ou c<strong>et</strong>te vision commune est principalement le produit de l’interaction intra- <strong>et</strong><br />
inter-communautaire dans ces contextes spécifiques qui correspondent à la notion même de culture<br />
d’entreprise. La culture d’entreprise est dans ce cadre d’analyse déterminante pour la coordination des<br />
actions <strong>et</strong> la création de ressources. C<strong>et</strong>te véritable grammaire collective assure la connexion entre les<br />
différentes communautés dans l’organisation <strong>et</strong> l’homogénéisation de leurs objectifs. Une idée essentielle<br />
∗ Une version précédente de ce chapitre, co-écrite avec Patrick COHENDET, a été publiée dans la Revue d’économie<br />
politique 113 (5) septembre-octobre 2003.<br />
88 C<strong>et</strong>te analyse interactionnelle en termes de communautés vient dans le sens de la mise en perspective tracée par Crémer<br />
(1998) lorsqu’il plaide pour une analyse théorique plus poussée des réseaux de communication non hiérarchiques au sein de la<br />
firme : « Beaucoup de travail reste à effectuer sur les communications non hiérarchiques dans les entreprises, à la fois par<br />
contraste avec la théorie des hiérarchies pour mieux comprendre les avantages <strong>et</strong> inconvénients de différents réseaux de<br />
communication, <strong>et</strong> pour explorer leurs conséquences organisationnelles. » (Crémer, 1998, p. 16).<br />
89 Dans la plupart des organisations par exemple, le p<strong>et</strong>it groupe des individus capables de dépanner lorsque l’on<br />
rencontre un problème informatique, constitue souvent une véritable communauté (dont les membres interagissent<br />
fréquemment entre eux autour de leurs intérêts communs) qui traverse les différentes structures hiérarchiques de l’entreprise<br />
(ce groupe n’est en général pas du tout limité aux seuls membres du département informatique).