Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise
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La notion d’habitus a été inventée (…) pour rendre compte de ce paradoxe : des conduites peuvent être orientées par rapport à<br />
des fins sans être consciemment dirigées vers ces fins, dirigées par ces fins. (Bourdieu, 1987, p. 20).<br />
Étant le produit de l’incorporation de la nécessité objective, l’habitus, nécessité faite vertu, produit des stratégies qui, bien<br />
qu’elles ne soient pas le produit d’une visée consciente de fins explicitement posées sur la base d’une connaissance adéquate<br />
des conditions objectives, ni d’une détermination mécanique par des causes, se trouvent être objectivement ajustées à la<br />
situation. (Bourdieu, 1987, p. 21).<br />
Une compréhension de la culture d’entreprise comme un habitus organisationnel nous perm<strong>et</strong> ainsi de<br />
saisir les principales dimensions des comportements (spontanés) individuels <strong>et</strong> organisationnels. La<br />
notion d’habitus perm<strong>et</strong> de saisir certaines des dimensions fondamentales de c<strong>et</strong>te dynamique de coévolution<br />
de l’organisation <strong>et</strong> des individus qui la composent. Notre perspective se base sur une vision de<br />
la firme comme une structure minimale perm<strong>et</strong>tant l’émergence d’une spontanéité organisée.<br />
6.4 SPONTANEITE DIRIGEE<br />
Nous avons vu que la vision de la culture d’entreprise comme un habitus considère l’agent comme un<br />
quasi-automate susceptible d’engendrer une infinité de comportements à partir d’un nombre limité de<br />
règles (Bourdieu, 1980, p. 93). La question posée ici est celle du rôle des règles concrètes <strong>et</strong>/ou abstraites<br />
dans la coordination intra-organisationnelle. Dans ce travail, nous arguons que la culture d’entreprise<br />
constitue une plate-forme organisationnelle de règles abstraites perm<strong>et</strong>tant une coordination intraorganisationnelle.<br />
Il s’agit ici d’une forme de coordination spontanée, mais il s’agit d’une spontanéité<br />
dirigée. Les règles abstraites ne tendent pas à se substituer aux règles concrètes mais plutôt à les<br />
compléter.<br />
Comment des systèmes de règles abstraites <strong>et</strong> concrètes peuvent-ils se compléter ? L’étude de Pailhous<br />
(1970) sur les chauffeurs de taxis parisiens est un exemple instructif à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>. L’objectif de Pailhous<br />
était de chercher à savoir s’il existait une corrélation entre les performances objectives des chauffeurs de<br />
taxis <strong>et</strong> la qualité des plans qu’ils savent fournir (représentations cognitives). Il a demandé donc aux<br />
chauffeurs de taxis parisiens de tracer de mémoire un plan de la ville de Paris. L’idée de départ est que les<br />
représentations cognitives des chauffeurs conditionnent leurs actions en leur perm<strong>et</strong>tant de m<strong>et</strong>tre en<br />
œuvre des stratégies de déplacements. Or, des biais existent (Kahneman <strong>et</strong> Tversky, 1979) dans les<br />
représentations cognitives des chauffeurs. Ils peuvent par exemple surestimer certaines distances du fait<br />
que les traj<strong>et</strong>s comprennent des obstacles matériels ou des angles. Mais les chauffeurs arrivent à s’en<br />
accommoder, principalement en improvisant. L’improvisation dont il s’agit ici est une improvisation<br />
dirigée (ici, par les cartes, les plans). 81<br />
81 Le régime culturel Taylorien, comme nous verrons dans le prochain chapitre, a extrêmement limité le champ<br />
d’improvisation organisationnelle en la réduisant davantage à la fantaisie <strong>et</strong> au pis-aller. Dans ce régime, tout est prévu <strong>et</strong><br />
codifié, les cheminements répertoriés, les comportements strictement déterminés. Le nouveau régime culturel post-Taylorien<br />
laisse par contre présager de grandes marges de décentralisation perm<strong>et</strong>tant d’encourager l’improvisation <strong>et</strong> la spontanéité<br />
organisationnelles.