Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

scd.theses.u.strasbg.fr
from scd.theses.u.strasbg.fr More from this publisher
22.06.2013 Views

en insistant tout particulièrement sur la conceptualisation pionnière de Gabriel Tarde (§5.3.1). Dans une deuxième section nous développerons la perspective mémétique récente (§5.3.2) et ses applications à travers un modèle général d’évolution économique (§5.3.3) et un modèle d’évolution culturelle de la firme par la suite (§5.3.4). 5.3.1 Le mimétisme en économie 5.3.1.1 Gabriel Tarde 5.3.1.1.1 Un précurseur longtemps oublié Vers la fin du 19 ème siècle, Gabriel Tarde, psychologue social français, considère l’imitation comme le moteur du changement et de l’évolution culturelle. Il détermine les lois de l’imitation qui précisent l’idée que l’imitation détermine les phénomènes sociaux collectifs. Contrairement à d’autres disciplines, Gabriel Tarde est très peu connu en économie. Jusqu’à ces dernières années, très peu d’attention lui a été consacrée. Nous n’avons retrouvé que trois références majeures consacrées à l’œuvre économique de Tarde. En France, une thèse de doctorat d’Auguste Dupont à la Sorbonne, Gabriel Tarde et l’économie politique (1910) et un ouvrage de Maurice Roche-Agussol, Tarde et l’économie psychologique (1926). Aux Etats-Unis, un seul article d’Adrien C. Taymans a été consacré à la filiation Tarde-Schumpeter dans The Quartely Journal of Economics, “Tarde and Schumpeter: A similar vision” (1950). Ces dernières années, Tarde est en train d’être redécouvert, notamment depuis l’édition de ses œuvres complètes en 1999. L’héritage théorique de Gabriel Tarde est pourtant un des plus riches. Tarde exposa son système théorique dans quatre ouvrages principalement : Les lois de l’imitation (1890), La logique sociale (1895), L’opposition universelle (1897) et Les lois sociales (1898). Il tenta dans ses autres ouvrages d’appliquer ce système aux phénomènes économiques (Tarde, 1902a,b, 1906), politiques et juridiques, mais également à la criminologie et à la philosophie pénale. Tout au long de son œuvre, nous retrouvons de multiples intuitions, débordant les cadres disciplinaires stricts, et souvent présentées de manière confuse voire arbitraire (Marion, 1996). C’est ce qui explique en grande partie que sa psychologie sociale, bien qu’elle commence à connaître un regain d’intérêt, ait été pendant très longtemps oubliée 63 . Mai s’il n’a pas eu la gloire de fonder une école en économie et une tradition d’économie psychologique, Gabriel Tarde a eu le mérite de nous avoir laissé des intuitions pouvant éclairer plusieurs courants de 63 La disparition de la psychologie sociale de Tarde peut s’expliquer par plusieurs raisons. Particulièrement, le débat entre le psychologisme individuel de Tarde et le sociologisme collectiviste de Durkheim, s’est soldé par la victoire du second. A la différence de Durkheim, Tarde définit le fait social comme la conjugaison d’un fait primordial, qui est l’imitation, et d’un fait qui en découle, l’invention. Mais faute d’avoir été soutenues par une communauté scientifique, les thèses de Tarde se sont effondrées. En économie, depuis Joseph Schumpeter du moins, l’héritage de Tarde a été fortement cloîtré.

echerche actuels 64 . Dans ce travail, nous lui reconnaissons une véritable gloire, celle d’avoir associé son nom à la théorie de l’imitation. Personne avant Tarde, et peut-être même après lui, n’avait autant donné d’importance à l’imitation et n’en a fait tout un système. 65 5.3.1.1.2 Au début fut l’imitation A l’origine, Tarde cherchait à étudier comment les phénomènes sociaux se reproduisent (répétition), se détruisent (opposition) et se créent (adaptation). Mais c’est bien la répétition qui focalisera son attention au point de considérer que seule la répétition permet à toute science de se constituer. Cette répétition (universelle) se présente selon Tarde sous trois formes principales (Tarde, 1890, p. 67) : l’ondulation dans le monde physique, l’hérédité dans le monde organique, et précisément l’imitation dans le monde social. La société n’est dès lors qu’une abstraction. Il n’y a rien de plus dans la société que les membres qui la composent. Ainsi, les faits sociaux sont des phénomènes mentaux. La vie sociale n’est faite que d’inventions, qui en assurent le renouvellement et le progrès, et d’imitations qui en assurent la continuité et la stabilité : [Le groupe social est] une collection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter entre eux ou en tant que, sans s’imiter actuellement, ils se ressemblent et que leurs traits communs sont des copies anciennes d’un même modèle. (Tarde, 1890, p. 128). Tarde définit l’imitation comme le mouvement par lequel quelque chose se répète et, en se répétant, se propage. Mais pas seulement. C’est également le mouvement par lequel, en se répétant, cette même chose se différencie, en quantité et en qualité. Dans sa propagation, l’imitation construit des séries imitatives et multiplie avec elles la possibilité qu’elles se croisent et inventent des objets nouveaux (qui ne sont autres que de nouveaux faisceaux de séries). C’est ce que Tarde nomme indifféremment découverte, invention ou innovation. Ces deux forces sociales (imitation et invention) retrouvent chez Tarde leur origine dans deux éléments centraux : la croyance et le désir : L’invention et l’imitation sont l’acte social élémentaire, nous le savons. Mais quelle la substance ou la forme sociale dont cet acte social est fait : dont il n’est que la forme ? En d’autres termes, qu’est ce qui est inventé ou imité ? Ce qui est inventé ou 64 Une de ces intuitions concerne un des débats les plus prééminents aujourd’hui en économie, à savoir celui de rapprocher l’économie mathématique de l’économie psychologique. Ce à quoi Tarde appelait il y a plus d’un siècle. « La tendance à mathématiser la science économique et la tendance à la psychologiser, loin d’être inconciliables, doivent donc plutôt se prêter à nos yeux un mutuel appui. » (Tarde, 1902a, p. 141-142). Dans une lettre adressée par Léon Walras à Gabriel Tarde, nous pouvons retrouver ce même vœu de rapprochement des deux champs d’analyse. « Je dirai sans fausse modestie (…) que dans mon opinion, nous pouvons être très fort utiles l’un à l’autre. Vous êtes un philosophe très préoccupé de la question économique et sociale ; je suis un économiste et un socialiste désireux de rattacher ma solution à l’anneau d’une solide philosophie » (Lettre de Léon Walras à Gabriel Tarde, 16 mai 1897, in Jaffé, 1965, p. 748). 65 Tarde estime trouver un précurseur de sa doctrine chez Adam Smith (Tarde, 1890, p. 85). A diverses reprises, il établit des rapprochements entre ses propres opinions et les vues sommaires et rares à la fois que l’auteur de la Richesse des Nations a emprunté à sa propre Théorie des sentiments moraux.

echerche actuels 64 . Dans ce travail, nous lui reconnaissons une véritable gloire, celle d’avoir associé son<br />

nom à la théorie de l’imitation. Personne avant Tarde, <strong>et</strong> peut-être même après lui, n’avait autant donné<br />

d’importance à l’imitation <strong>et</strong> n’en a fait tout un système. 65<br />

5.3.1.1.2 Au début fut l’imitation<br />

A l’origine, Tarde cherchait à étudier comment les phénomènes sociaux se reproduisent (répétition), se<br />

détruisent (opposition) <strong>et</strong> se créent (adaptation). Mais c’est bien la répétition qui focalisera son attention<br />

au point de considérer que seule la répétition perm<strong>et</strong> à toute science de se constituer. C<strong>et</strong>te répétition<br />

(universelle) se présente selon Tarde sous trois formes principales (Tarde, 1890, p. 67) : l’ondulation dans<br />

le monde physique, l’hérédité dans le monde organique, <strong>et</strong> précisément l’imitation dans le monde social.<br />

La société n’est dès lors qu’une abstraction. Il n’y a rien de plus dans la société que les membres qui la<br />

composent. Ainsi, les faits sociaux sont des phénomènes mentaux. La vie sociale n’est faite que<br />

d’inventions, qui en assurent le renouvellement <strong>et</strong> le progrès, <strong>et</strong> d’imitations qui en assurent la continuité<br />

<strong>et</strong> la stabilité :<br />

[Le groupe social est] une collection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter entre eux ou en tant que, sans<br />

s’imiter actuellement, ils se ressemblent <strong>et</strong> que leurs traits communs sont des copies anciennes d’un même<br />

modèle. (Tarde, 1890, p. 128).<br />

Tarde définit l’imitation comme le mouvement par lequel quelque chose se répète <strong>et</strong>, en se répétant, se<br />

propage. Mais pas seulement. C’est également le mouvement par lequel, en se répétant, c<strong>et</strong>te même chose<br />

se différencie, en quantité <strong>et</strong> en qualité. Dans sa propagation, l’imitation construit des séries imitatives <strong>et</strong><br />

multiplie avec elles la possibilité qu’elles se croisent <strong>et</strong> inventent des obj<strong>et</strong>s nouveaux (qui ne sont autres<br />

que de nouveaux faisceaux de séries). C’est ce que Tarde nomme indifféremment découverte, invention<br />

ou innovation. Ces deux forces sociales (imitation <strong>et</strong> invention) r<strong>et</strong>rouvent chez Tarde leur origine dans<br />

deux éléments centraux : la croyance <strong>et</strong> le désir :<br />

L’invention <strong>et</strong> l’imitation sont l’acte social élémentaire, nous le savons. Mais quelle la substance ou la forme sociale dont c<strong>et</strong><br />

acte social est fait : dont il n’est que la forme ? En d’autres termes, qu’est ce qui est inventé ou imité ? Ce qui est inventé ou<br />

64 Une de ces intuitions concerne un des débats les plus prééminents aujourd’hui en économie, à savoir celui de rapprocher<br />

l’économie mathématique de l’économie psychologique. Ce à quoi Tarde appelait il y a plus d’un siècle. « La tendance à<br />

mathématiser la science économique <strong>et</strong> la tendance à la psychologiser, loin d’être inconciliables, doivent donc plutôt se prêter<br />

à nos yeux un mutuel appui. » (Tarde, 1902a, p. 141-142). Dans une l<strong>et</strong>tre adressée par Léon Walras à Gabriel Tarde, nous<br />

pouvons r<strong>et</strong>rouver ce même vœu de rapprochement des deux champs d’analyse. « Je dirai sans fausse modestie (…) que dans<br />

mon opinion, nous pouvons être très fort utiles l’un à l’autre. Vous êtes un philosophe très préoccupé de la question<br />

économique <strong>et</strong> sociale ; je suis un économiste <strong>et</strong> un socialiste désireux de rattacher ma solution à l’anneau d’une solide<br />

philosophie » (L<strong>et</strong>tre de Léon Walras à Gabriel Tarde, 16 mai 1897, in Jaffé, 1965, p. 748).<br />

65 Tarde estime trouver un précurseur de sa doctrine chez Adam Smith (Tarde, 1890, p. 85). A diverses reprises, il établit<br />

des rapprochements entre ses propres opinions <strong>et</strong> les vues sommaires <strong>et</strong> rares à la fois que l’auteur de la Richesse des Nations a<br />

emprunté à sa propre Théorie des sentiments moraux.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!