Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

scd.theses.u.strasbg.fr
from scd.theses.u.strasbg.fr More from this publisher
22.06.2013 Views

développé par un groupe d’êtres humains transmis aux générations suivantes, consciemment ou non. Cette culture est constituée par des formes de comportements déterminés par l’histoire ou la tradition sociale. Plus précisément, des idées, des habitudes, coutumes ou traditions sont acceptées et développées collectivement et symbolisent un sentiment d’appartenance. Autrement dit, dans un cadre organisationnel, à travers des processus d’intériorisation de croyances et de valeurs communes, d’un sens commun ou d’une vision du monde partagée, une culture d’entreprise acquiert une extériorité qui lui permet de jouer ce rôle que jouent les règles abstraites dans l’évolutionnisme culturel Hayekien. Pour préciser cette vision de la culture d’entreprise et de la coordination spontanée au sein des organisations, nous allons nous appuyer sur les éclairages de Karl Menger pour établir une “matrice de coordination” qui nous permettra de situer le rôle de la culture d’entreprise dans la coordination intra-organisationnelle dans les chapitres suivants. Menger fait une distinction entre les phénomènes sociaux d’origine “pragmatique” et les phénomènes sociaux d’origine “organique”. Les premiers sont le résultat de la délibération et de la volonté humaine alors que les seconds sont des produits non voulus du développement historique (Menger, 1883). Il faut donc faire une distinction entre institutions organiques (spontanées) et institutions pragmatiques (construites). De même qu’au niveau de la coordination, il faut distinguer les deux niveaux d’émergence des règles. A l’inverse du courant institutionnaliste qui considère les institutions comme des constructions d’une volonté collective, l’approche organique (au sens de Menger) privilégie les interactions entre les agents en même temps que la prise de décision non-délibérative : les institutions sont en grande partie le produit non-intentionnel de l’action humaine. Or, s’il est ainsi établi que les facteurs intentionnels autant que les facteurs non-intentionnels jouent un rôle dans l’évolution des institutions, nous allons conjecturer dans ce qui suit qu’il en est de même pour l’évolution des organisations : si elles sont pragmatiques de par leur origine, les organisations tendent de plus en plus à devenir organiques dans leur évolution (Langlois, 1997, p. 73). Cet aspect organique des organisations se traduit principalement par une décentralisation qui devient un impératif pour l’organisation une fois qu’elle devient prospère et bien établie. Par ailleurs, comme le souligne Langlois (1997, p. 63), un système de règle peut être un ordre ou une organisation. Dans le premier cas, les règles de comportement sont abstraites et indépendantes d’un objectif concret, alors que dans le deuxième, les règles orientent le comportement vers des objectifs plus ou moins concrets. Dans le schéma Hayekien, les organisations et les marchés peuvent donc être représentés comme deux systèmes de règles de comportement, tous deux permettant de coordonner la connaissance nécessaire pour répondre au changement économique. Il s’agit de deux niveaux de coordination différents. Les organisations étant pour Hayek un substrat nécessaire à la méta-coordination spontanée par les marchés : The elements of the spontaneous macro-order are the several economic arrangements of individuals as well as those of deliberate organisations (…). Among the rules of conduct that make it possible for extensive spontaneous orders to be formed, some will facilitate deliberate organisations suited to operate within the larger systems. (Hayek, 1988, p. 37). type I ne peut donc être accomplie en comptant sur des commandes (spécifiques) parce que l’ordre social ne peut être “décrété” ex ante.

Il y a d’ailleurs un sens dans lequel la firme existe non pas dans le but de centraliser le contrôle de la connaissance mais précisément, comme le marché, de décentraliser l’emploi de cette connaissance (Langlois, 1997, p. 63). Langlois suggère dès lors d’identifier quatre configurations de coordination. Origine organique des règles de comportement Origine pragmatique des règles de comportement Tableau 4.2. La matrice de coordination chez Langlois (1997). Ordres Organisations 1. Ordres organiques 2. Organisations organiques 3. Ordres pragmatiques 4. Organisations pragmatiques Si nous pouvons facilement comprendre le cas 1 (illustré parfaitement par Hayek) et le cas 4 (illustré par Coase), les deux autres cas sont plus problématiques. Si Hayek explique l’existence d’ordres pragmatiques par la construction dans une imitation sélective de règles qui ont évolué spontanément à partir d’autres époques et d’autres lieux, les organisations organiques sont plus difficiles à saisir. Langlois interprète l’existence d’organisations organiques comme des organisations gouvernementales qui émergent de l’interaction d’intérêts privés (défense, financement des biens publics…) et qui essaient de détourner à leur profit des flux de rentes, ou de protéger des rentes dont elles jouissent déjà. La firme constitue naturellement une organisation pragmatique (dans son origine) résultant de la délibération concrète d’un individu ou d’un groupe d’individus. La firme néoclassique n’est cependant pas seulement pragmatique du point de vue de son origine, mais aussi et surtout du point de vue de sa nature et son fonctionnement. C’est le contrat (nœud de règles concrètes) qui fonde l’existence de la firme. Aucune possibilité d’émergence de règles abstraites n’est admise dans la perspective standard, tel que le réaffirme par exemple rigoureusement Williamson (1993). La vision Hayekienne diverge de cette vision Coasienne. Dans la perspective Hayekienne, les ordres spontanés émergent d’un processus d’apprentissage évolutionnaire. L’action intentionnelle de l’individu mobilise une large variété de modes de comportement expérimentaux ou conjecturaux. Les motifs de comportement, qui s’avèrent les plus efficaces dans un environnement physique, et par rapport aux comportements d’autrui, sont répétés le plus fréquemment. Grâce à cette répétition, les modes de comportement tendent à s’institutionnaliser. Le même raisonnement peut être transposé aux organisations, en prenant soin de nuancer à la fois la nature du processus d’apprentissage de la coordination et des règles émergentes dans les deux cas. Quelles sont alors les différences entre le processus d’apprentissage, et la nature des règles elles-mêmes, dans les institutions abstraites et les processus et règles, analogues dans les organisations – comme la

Il y a d’ailleurs un sens dans lequel la firme existe non pas dans le but de centraliser le contrôle de la<br />

connaissance mais précisément, comme le marché, de décentraliser l’emploi de c<strong>et</strong>te connaissance<br />

(Langlois, 1997, p. 63). Langlois suggère dès lors d’identifier quatre configurations de coordination.<br />

Origine organique des<br />

règles de comportement<br />

Origine pragmatique des<br />

règles de comportement<br />

Tableau 4.2. La matrice de coordination chez Langlois (1997).<br />

Ordres Organisations<br />

1. Ordres organiques 2. Organisations organiques<br />

3. Ordres pragmatiques 4. Organisations pragmatiques<br />

Si nous pouvons facilement comprendre le cas 1 (illustré parfaitement par Hayek) <strong>et</strong> le cas 4 (illustré par<br />

Coase), les deux autres cas sont plus problématiques. Si Hayek explique l’existence d’ordres<br />

pragmatiques par la construction dans une imitation sélective de règles qui ont évolué spontanément à<br />

partir d’autres époques <strong>et</strong> d’autres lieux, les organisations organiques sont plus difficiles à saisir. Langlois<br />

interprète l’existence d’organisations organiques comme des organisations gouvernementales qui<br />

émergent de l’interaction d’intérêts privés (défense, financement des biens publics…) <strong>et</strong> qui essaient de<br />

détourner à leur profit des flux de rentes, ou de protéger des rentes dont elles jouissent déjà.<br />

La firme constitue naturellement une organisation pragmatique (dans son origine) résultant de la<br />

délibération concrète d’un individu ou d’un groupe d’individus. La firme néoclassique n’est cependant<br />

pas seulement pragmatique du point de vue de son origine, mais aussi <strong>et</strong> surtout du point de vue de sa<br />

nature <strong>et</strong> son fonctionnement. C’est le contrat (nœud de règles concrètes) qui fonde l’existence de la<br />

firme. Aucune possibilité d’émergence de règles abstraites n’est admise dans la perspective standard, tel<br />

que le réaffirme par exemple rigoureusement Williamson (1993). La vision Hayekienne diverge de c<strong>et</strong>te<br />

vision Coasienne.<br />

Dans la perspective Hayekienne, les ordres spontanés émergent d’un processus d’apprentissage<br />

évolutionnaire. L’action intentionnelle de l’individu mobilise une large variété de modes de<br />

comportement expérimentaux ou conjecturaux. Les motifs de comportement, qui s’avèrent les plus<br />

efficaces dans un environnement physique, <strong>et</strong> par rapport aux comportements d’autrui, sont répétés le<br />

plus fréquemment. Grâce à c<strong>et</strong>te répétition, les modes de comportement tendent à s’institutionnaliser. Le<br />

même raisonnement peut être transposé aux organisations, en prenant soin de nuancer à la fois la nature<br />

du processus d’apprentissage de la coordination <strong>et</strong> des règles émergentes dans les deux cas.<br />

Quelles sont alors les différences entre le processus d’apprentissage, <strong>et</strong> la nature des règles elles-mêmes,<br />

dans les institutions abstraites <strong>et</strong> les processus <strong>et</strong> règles, analogues dans les organisations – comme la

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!