Économie Évolutionniste et Culture d'Entreprise

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différents les uns des autres et qu’ils peuvent jouir (librement) de leur diversité grandissante au sein de structures de coopération de plus en plus élaborées. 4.2.2 La coordination de type II Les ordres sociaux émergent à travers l’existence de conventions, de règles, d’institutions de marché telles que les firmes ou les contrats, etc. Ces institutions et règles peuvent être vues comme des solutions aux problèmes de coordination de type II. Les problèmes de coordination de type II, à l’inverse de ceux de type I, peuvent être évalués par l’intelligence humaine. Ils font référence aux situations où nous coordonnons nos actions les uns aux autres d’une manière efficace. Ce genre de problème concerne les problèmes auxquels les individus font face dans leurs vies quotidiennes quand ils doivent coordonner leurs actions avec celles des autres. Les problèmes de coordination de type II donnent naissance à des règles et des conventions qui peuvent devenir abstraites, et donc utiles pour des problèmes de coordination de type I. C’est cela ce que Lewis (1969) et Schelling (1960, 1978) ont généralement étudié. Lewis montre que dans une situation où au moins deux équilibres de coordination sont possibles (tel que “conduire à gauche” et “conduire à droite”), les individus peuvent avoir besoin d’un principe commun ou d’un point focal pour se coordonner. Dans ce cas, la coordination est explicite : il s’agit pour tout le monde de conduire à gauche ou à droite. C’est l’exemple de coordination standard considéré dans la littérature néoclassique. Conduire à Droite Conduire à Gauche Conduire à droite Conduire à gauche 2 0 Figure 4.1. Jeu de coordination de deux automobilistes. Le meilleur résultat pour les deux conducteurs est celui de conduire tous les deux à droite. Le second meilleur résultat est celui de conduire tous les deux à gauche. C’est un jeu de coordination où il est dans l’intérêt de chacun des deux joueurs de prévoir correctement le comportement de l’autre et de s’y conformer. Dans une telle situation avec au moins deux équilibres de coordination, il peut être difficile pour les deux joueurs de se coordonner l’un avec l’autre. Il y a donc un besoin d’un principe commun ou d’un point focal pour amener vers un équilibre de coordination. Les joueurs font un effort conscient de se coordonner l’un avec l’autre, ou du moins de se coordonner à un point focal. Il s’agit donc d’une coordination à la Schelling. 2 0 0 1 0 1

Dans Micromotives and Macrobehavior (1978), Schelling explique que (a) un modèle au niveau macro peut émerger sans macro-design (aspect organique) ; et (b) un tel modèle peut être regardé quelquefois comme peu satisfaisant par ceux qui sont à son origine. Schelling explique qu’il ne fait pas directement référence dans son travail au genre de coordination qui a lieu sur le marché (type I), c’est-à-dire, un type de coordination qui implique des agents qui participent volontairement à un échange de biens et services aliénables. Il utilise l’exemple des cartes de Nouvel-an 54 comme une illustration des deux types de coordination. L’ordre de marché émerge quand tout le monde est intéressé par envoyer des cartes de Nouvel-an à ses parents et amis (autrement dit, ni la production, ni la vente, ni l’envoi des cartes de Nouvel-an n’est conçu ou organisé par une intelligence unique). Ce n’est pas ce qui intéresse Schelling le plus. Ce qu’il cherche à comprendre, c’est plutôt les raisons particulières pour lesquelles les individus sont dans des situations particulières où ils pensent qu’envoyer une carte de Nouvel-an est une bonne idée. Schelling ne fournit pas une explication psychologique des préférences des individus. Il explore l’idée que quelques-uns (ou la plupart) des agents peuvent envoyer des cartes parce qu’ils pensent que les autres leur en envoient. En d’autres termes, il veut montrer qu’à l’origine de l’ordre social qui émerge parce que les agents veulent envoyer des cartes de Nouvel-an, il y a une autre question de coordination qui fait que des individus envoient des cartes de Nouvel-an en premier lieu. Ce type de coordination (type II) peut être tel que beaucoup d’individus n’aiment pas l’idée d’envoyer des cartes, mais le font quand même à cause de la convention. Si les individus envoient des cartes bien qu’ils ne le souhaitent pas vraiment et qu’ils pourraient éviter de le faire, c’est qu’ils sont piégés dans une situation qui n’est pas optimale par rapport à ce qui pourrait être atteint si la convention n’avait pas existé 55 . Là encore, Schelling explique que cette situation non-optimale n’est pas le résultat du système de marché, c’est-àdire que ce n’est pas la solution à un problème de coordination de type I mais plutôt de type II : When we ask why the ‘free market’ in Christmas cards doesn’t lead to an optimal exchange, the answer is that it is not a market and there was no reason to expect optimal results in the first place. (Schelling, 1978, p. 33). En d’autres termes, ce qui intéresse Schelling ici, ce n’est pas le résultat du marché mais de savoir pourquoi la convention qui mène à la demande pour les cartes de Nouvel-an existe en premier lieu. La raison pour laquelle Schelling fait attention à bien distinguer l’ordre de marché des modèles sociaux qu’il étudie est à l’évidence qu’il s’agit de problèmes de coordination différents qui ne devraient pas être confondus. Quand une convention telle que “conduire à gauche ” émerge avec le temps dans des situations répétées qui concernent des individus conduisant des véhicules, cette règle résout le problème de coordination qui émerge entre deux individus se croisant sur une route. L’agent dans la voiture A a un sens de coordonner son action avec celui dans la voiture B (coordonner est utilisé ici comme un verbe transitif). Ceci est différent de la coordination de type I où la coordination est effectuée entre des 54 Schelling parle plus précisément de “cartes de Noël” (Christmas cards). 55 Beaucoup d’économistes et de philosophes ont admis que les conventions font partie du substrat institutionnel qui rend un ordre social possible. Cependant, ils ont bien relevé que des conventions développées organiquement ne sont pas optimales dans le sens où beaucoup d’individus qui les suivent sont piégés et préféreraient faire autrement. Les changements dans les conventions qui se produiront spontanément vont dépendre des masses critiques, des seuils de percolation, etc. Dans certains cas, il se peut qu’un point focal puisse être fourni de l’extérieur et cela changerait la convention qui était suivie précédemment. Mais la probabilité que cela se réalise (de manière délibérée) est très faible, car il faut que l’information obtenue soit vraiment pertinente : qu’on puisse savoir ce que chaque individu pense de la convention, comment il aimerait qu’elle soit changée et comment il réagirait à chaque autre convention possible qui serait sélectionnée par les autres. Ces conditions étant peu susceptibles d’être réunies dans la réalité.

Dans Micromotives and Macrobehavior (1978), Schelling explique que (a) un modèle au niveau macro<br />

peut émerger sans macro-design (aspect organique) ; <strong>et</strong> (b) un tel modèle peut être regardé quelquefois<br />

comme peu satisfaisant par ceux qui sont à son origine. Schelling explique qu’il ne fait pas directement<br />

référence dans son travail au genre de coordination qui a lieu sur le marché (type I), c’est-à-dire, un type<br />

de coordination qui implique des agents qui participent volontairement à un échange de biens <strong>et</strong> services<br />

aliénables. Il utilise l’exemple des cartes de Nouvel-an 54 comme une illustration des deux types de<br />

coordination. L’ordre de marché émerge quand tout le monde est intéressé par envoyer des cartes de<br />

Nouvel-an à ses parents <strong>et</strong> amis (autrement dit, ni la production, ni la vente, ni l’envoi des cartes de<br />

Nouvel-an n’est conçu ou organisé par une intelligence unique). Ce n’est pas ce qui intéresse Schelling le<br />

plus. Ce qu’il cherche à comprendre, c’est plutôt les raisons particulières pour lesquelles les individus<br />

sont dans des situations particulières où ils pensent qu’envoyer une carte de Nouvel-an est une bonne<br />

idée. Schelling ne fournit pas une explication psychologique des préférences des individus. Il explore<br />

l’idée que quelques-uns (ou la plupart) des agents peuvent envoyer des cartes parce qu’ils pensent que les<br />

autres leur en envoient. En d’autres termes, il veut montrer qu’à l’origine de l’ordre social qui émerge<br />

parce que les agents veulent envoyer des cartes de Nouvel-an, il y a une autre question de coordination<br />

qui fait que des individus envoient des cartes de Nouvel-an en premier lieu. Ce type de coordination (type<br />

II) peut être tel que beaucoup d’individus n’aiment pas l’idée d’envoyer des cartes, mais le font quand<br />

même à cause de la convention. Si les individus envoient des cartes bien qu’ils ne le souhaitent pas<br />

vraiment <strong>et</strong> qu’ils pourraient éviter de le faire, c’est qu’ils sont piégés dans une situation qui n’est pas<br />

optimale par rapport à ce qui pourrait être atteint si la convention n’avait pas existé 55 . Là encore,<br />

Schelling explique que c<strong>et</strong>te situation non-optimale n’est pas le résultat du système de marché, c’est-àdire<br />

que ce n’est pas la solution à un problème de coordination de type I mais plutôt de type II :<br />

When we ask why the ‘free mark<strong>et</strong>’ in Christmas cards doesn’t lead to an optimal exchange, the answer is that it is not a<br />

mark<strong>et</strong> and there was no reason to expect optimal results in the first place. (Schelling, 1978, p. 33).<br />

En d’autres termes, ce qui intéresse Schelling ici, ce n’est pas le résultat du marché mais de savoir<br />

pourquoi la convention qui mène à la demande pour les cartes de Nouvel-an existe en premier lieu. La<br />

raison pour laquelle Schelling fait attention à bien distinguer l’ordre de marché des modèles sociaux qu’il<br />

étudie est à l’évidence qu’il s’agit de problèmes de coordination différents qui ne devraient pas être<br />

confondus. Quand une convention telle que “conduire à gauche ” émerge avec le temps dans des<br />

situations répétées qui concernent des individus conduisant des véhicules, c<strong>et</strong>te règle résout le problème<br />

de coordination qui émerge entre deux individus se croisant sur une route. L’agent dans la voiture A a un<br />

sens de coordonner son action avec celui dans la voiture B (coordonner est utilisé ici comme un verbe<br />

transitif). Ceci est différent de la coordination de type I où la coordination est effectuée entre des<br />

54 Schelling parle plus précisément de “cartes de Noël” (Christmas cards).<br />

55 Beaucoup d’économistes <strong>et</strong> de philosophes ont admis que les conventions font partie du substrat institutionnel qui rend<br />

un ordre social possible. Cependant, ils ont bien relevé que des conventions développées organiquement ne sont pas optimales<br />

dans le sens où beaucoup d’individus qui les suivent sont piégés <strong>et</strong> préféreraient faire autrement. Les changements dans les<br />

conventions qui se produiront spontanément vont dépendre des masses critiques, des seuils de percolation, <strong>et</strong>c. Dans certains<br />

cas, il se peut qu’un point focal puisse être fourni de l’extérieur <strong>et</strong> cela changerait la convention qui était suivie précédemment.<br />

Mais la probabilité que cela se réalise (de manière délibérée) est très faible, car il faut que l’information obtenue soit vraiment<br />

pertinente : qu’on puisse savoir ce que chaque individu pense de la convention, comment il aimerait qu’elle soit changée <strong>et</strong><br />

comment il réagirait à chaque autre convention possible qui serait sélectionnée par les autres. Ces conditions étant peu<br />

susceptibles d’être réunies dans la réalité.

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