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La question foncière dans les villes du Mali : marchés et ... - IRD

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LA QUESTION FONCIÈRE<br />

DANS LES VILLES DU MALI


'<br />

Collection G Hommes <strong>et</strong> Sociétés ))<br />

Conseil scientifique : Jean-François BAYART (CERI-CNRS),<br />

Jean-Pierre CHRÉTIEN (CRA-CNRS), Jean COPANS (EHESS),<br />

Georges COURADE (MSA, ORSTOM),<br />

(Université Paris X),<br />

(LACITO-CNRS, ORSTOM)<br />

Alain DUBRESSON<br />

Henry TOURNEUX<br />

Couverture : Viabilisation <strong>et</strong> attribution foncieres à Sikasso (avril 1988).<br />

Photo Monique BERTRAND.<br />

O Éditions KARTHALA <strong>et</strong> ORSTOM, 1994<br />

ISBN (KARTHALA) : 2-86537-481-5<br />

ISBN (ORSTOM) : 2-7099-1193-0


Monique Bertrand<br />

<strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong><br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>Mali</strong><br />

Éditions KARTHALA<br />

22-24, bd Arago<br />

75013 Paris<br />

Marchés <strong>et</strong> patrimoines<br />

Éditions de I'ORSTOM<br />

213, rue <strong>La</strong> Fay<strong>et</strong>te<br />

75010 Paris


L’ensemble des photos <strong>du</strong> hors-texte sont de l’auteur.


AVANT-PROPOS<br />

<strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> au cœur<br />

de l’urbanisation africaine<br />

C<strong>et</strong> ouvrage est l’aboutissement d’un travail de terrain <strong>et</strong> de<br />

réflexion, mené de 1986 à 1990, grâce aux soutiens financiers <strong>du</strong><br />

ministère de la Recherche, de l’université des réseaux d’expression<br />

française <strong>et</strong> <strong>du</strong> Centre d’études géographiques sur l’Afrique noire.<br />

Dans chacune des agglomérations maliennes étudiées y le premier<br />

contact en saison sèche était consacré aux sources historiques <strong>et</strong><br />

communa<strong>les</strong>, aux rencontres avec <strong>les</strong> autorités municipa<strong>les</strong>, avec<br />

<strong>les</strong> notab<strong>les</strong> de quartiers, au repérage des zones d’extension urbaine<br />

<strong>et</strong> des conflits fonciers. Une enquête plus systématique était ensuite<br />

menée en hivernage, en langue bambara, concernant l’insertion<br />

d’échantillons de population <strong>dans</strong> l’espace résidentiel. Nombreux<br />

sont donc ceux qui, citadins, responsab<strong>les</strong>, logeurs, informateurs<br />

<strong>et</strong> amis, acteurs <strong>et</strong> témoins de c<strong>et</strong>te recherche, m’ont aidée. Qu’ils<br />

soient tous remerciés pour la générosité de leur accueil, leur dis-<br />

ponibilité à se prêter à mes interrogations, la gentil<strong>les</strong>se de leurs<br />

encouragements.<br />

Ce travail est aussi le fruit remanié d’une thèse de géographie<br />

soutenue en 1990 à l’université de Paris X-Nanterre. <strong>La</strong> première<br />

partie, qui analyse l’approche institutionnelle de la <strong>question</strong> fon-<br />

cière, n’a pas été reprise ici. Les trois autres ont été allégées pour<br />

constituer le corps de c<strong>et</strong>te nouvelle présentation.<br />

Depuis <strong>les</strong> années 1980, <strong>les</strong> études <strong>foncière</strong>s se sont multipliées<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> <strong>du</strong> Tiers monde. L’inégal accès au sol apparaît<br />

comme une composante majeure de l’urbanisation des pauvres. I1<br />

confronte <strong>les</strong> politiques des pouvoirs publics, <strong>les</strong> gestions munici-<br />

pa<strong>les</strong>, aux besoins sociaux en logement <strong>du</strong> plus grand nombre. Au-<br />

delà des définitions juridiques ’ d’importants acquis méthodologi-<br />

ques ressortent de c<strong>et</strong>te décennie d’évolution des réflexions :


6 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

la première ligne de partage entre le légal <strong>et</strong> l’illégal, le formel<br />

<strong>et</strong> l’informel, le <strong>du</strong>rable <strong>et</strong> le précaire. Tous <strong>les</strong> actes ultérieurs<br />

de pro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> de gestion <strong>du</strong> logement <strong>et</strong> des équipements por-<br />

teront la marque de la situation <strong>foncière</strong> d’origine. Or le sol urbain<br />

constitue un enjeu essentiel entre: diverses catégories d’acteurs <strong>et</strong><br />

l’évolution des situations <strong>et</strong> des politiques <strong>foncière</strong>s reflète un rap-<br />

port de force qui, en permanence, évolue. )) (Durand-<strong>La</strong>sserve,<br />

1988, p. 1195.)<br />

<strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> oblige ainsi à s’interroger sur la pertinence<br />

des notions d’acteurs <strong>et</strong> de pratiques résidentiel<strong>les</strong>. Dans <strong>les</strong> étu-<br />

des menées en Afrique noire, cel<strong>les</strong>-ci assurent la promotion d’une<br />


AVANT-PROPOS 7<br />

unique sur tout le territoire, en s’opposant aux particularismes<br />

régionaux.<br />

C<strong>et</strong>te approche de la <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> en deux langages her-<br />

métiques <strong>du</strong> droit est aujourd’hui remise en cause. Les cloisonne-<br />

ments figés <strong>et</strong> dichotomiques (oral/écrit, traditionnel/moderne,<br />

spontanéisme/volontarisme) ne rendent plus compte des mutations<br />

contemporaines. L’interprétation culturaliste se fonde sur un rap-<br />

port spirituel des populations africaines à la terre vaguement défini.<br />

Elle *con<strong>du</strong>it au constat,


8 LA QUESTION FONCIÈRE CIANS LES VILLES DU MALI<br />

de leurs relations à une autorité endogène autant qu’exogène. Ces<br />

pouvoirs fonciers, de fait autant que de droit, placent le-rapport<br />

à la terre


AVANT-PROPOS 9<br />

législation concernant <strong>les</strong> lotissements communaux. C’est en eff<strong>et</strong><br />

à partir de tels morcellements fonciers administratifs que <strong>les</strong> cita-<br />

dins, attributaires de parcel<strong>les</strong> nues, établissent un habitat de cours,<br />

unité de résidence familiale <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> africaines. Constitué de<br />

cases <strong>et</strong> surtout de blocs de plusieurs pièces, le bâti s’y dispose<br />

autour d’un espace central où sont effectués <strong>les</strong> travaux domesti-<br />

ques. <strong>La</strong> concession d’un lot, extraite <strong>du</strong> domaine éminent de<br />

l’État, est ainsi le principal mode d’accès au sol urbain. Les attri-<br />

butaires valorisent pour l’essentiel eux-mêmes ces parcel<strong>les</strong> bornées,<br />

en y construisant progressivement un ou plusieurs bâtiments. <strong>La</strong><br />

mise en place des lotissements s’inscrit donc <strong>dans</strong> des procé<strong>du</strong>res<br />

administratives centralisées. Elle façonne <strong>les</strong> paysages urbains <strong>dans</strong><br />

le sens d’un agglomérat de trames orthogona<strong>les</strong> pauvrement amé-<br />

nagées, de parcel<strong>les</strong> d’environ 750 m2 jusqu’à la fin des années<br />

1980. Des quartiers sommairement équipis de voies principa<strong>les</strong> à<br />

peine nivelées, de rares caniveaux d’assainissement qui se comblent<br />

faute d’entr<strong>et</strong>ien, des périphéries non éclairées, entaillées par <strong>les</strong><br />

ravines de ruissellement pluvial, constituent le décor principal des<br />

cités maliennes.<br />

Au milieu des années 1980, <strong>les</strong> autres modes d’aliénation <strong>du</strong><br />

sol que la concession précaire représentaient moins de 3 070 des<br />

cours des communes méridiona<strong>les</strong> pour <strong>les</strong> propriétés définitives,<br />

<strong>et</strong> de 10 à 15 070 de leurs surfaces bâties en occupation illégale.<br />

L’habitat <strong>du</strong> plus grand nombre relève donc en grande partie de<br />

la politique <strong>foncière</strong> de 1’État <strong>et</strong> des choix d’attribution des pou-<br />

voirs municipaux, au sein desquels <strong>les</strong> maires exercent une auto-<br />

rité prévalante. Dans la capitale régionale de Sikasso, <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

chefs-lieux de cercle de Koutiala <strong>et</strong> Bougouni, <strong>les</strong> problèmes doma-<br />

niaux se révélaient dès lors d’une actualité brûlante : programma-<br />

tion bloquée des lotissements périphériques, inflation de la demande<br />

citadine en terrains à bâtir, multiplication des constructions illici-<br />

tes, concurrences municipa<strong>les</strong> <strong>et</strong> administratives pour le monopole<br />

de gestion des réserves urbaines.<br />

Trois enquêtes menées <strong>dans</strong> ces communes se sont ainsi inté-<br />

ressées aux ressorts fonciers en amont <strong>et</strong> en aval de l’urbanisa-<br />

tion malienne : <strong>les</strong> cohabitations résidentiel<strong>les</strong>, le recyclage des salai-<br />

res in<strong>du</strong>striels <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> locatifs, <strong>les</strong> épargnes profession-<br />

nel<strong>les</strong> rapatriées de l’étranger par des natifs de la région, <strong>et</strong> éven-<br />

tuellement investies <strong>dans</strong> la construction au <strong>Mali</strong>.<br />

Ces différentes approches (espaces de la ville, patrimoines de<br />

groupes professionnels ou de migrants internationaux) accrochent<br />

<strong>les</strong> enjeux territoriaux de l’urbanisation malienne à d’autres inter-<br />

rogations : la différenciation sociale citadine, la circulation des ren-<br />

tes <strong>dans</strong> l’économie locale, <strong>les</strong> flux de r<strong>et</strong>our qu’engendrent <strong>les</strong>


10 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

mobilités géographiques. Ainsi apparaîtront de multip<strong>les</strong> modali-<br />

tés d’appropriation <strong>du</strong> sol, <strong>dans</strong> une foisonnante. Ces<br />

photographies de vil<strong>les</strong> y ces chroniques <strong>foncière</strong>s loca<strong>les</strong>, ces ins-<br />

tantanés d’équipes municipa<strong>les</strong> évoquent des rapports de force per-<br />

sonnalisés, des situations de fait plus que de droit. Ils n’occultent<br />

pas pour autant <strong>les</strong> contraintes financières <strong>du</strong> contexte macro-<br />

économique (offres <strong>et</strong> demandes de lots), ni <strong>les</strong> modes profonds<br />

de confrontation sociale. <strong>La</strong> mobilisation <strong>du</strong> sol se comprend <strong>dans</strong><br />

un jeu de miroir d’aspirations finement localisées <strong>et</strong> d’ajustements<br />

nationaux. Le rapport patrimonial des citadins à la terre nous ren-<br />

voie au développement fiscal <strong>et</strong> aclministratif de I’État, <strong>et</strong> aux dyna-<br />

miques politiques de la société malienne.<br />

<strong>La</strong> démarche conserve plus que jamais sa pertinence <strong>dans</strong> le<br />

contexte de transition démocratique amorcée en 1991. Depuis juin<br />

1992, la troisième République malienne prône de nouvel<strong>les</strong> con-<br />

certations entre <strong>les</strong> collectivités territoria<strong>les</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> pouvoirs publics<br />

centraux ; mais elle suggère tou-iours autant d’hésitations face à<br />

l’urgence d’une politique urbaine. <strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> est à l’ordre<br />

<strong>du</strong> jour des révisions administratives à mener pour promouvoir <strong>les</strong><br />

initiatives privées. Elle reste sur1 out un lieu crucial de sélections<br />

<strong>et</strong> de régulations socia<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la crise économique, <strong>et</strong> <strong>dans</strong> l’épi-<br />

neuse <strong>question</strong> <strong>du</strong>


AVANT-PROPOS 11<br />

en termes de récupération des coûts d’équipement des vil<strong>les</strong>,<br />

l’assi<strong>et</strong>te fiscale urbaine ne constitue pas pour autant un milieu<br />

économique indifférencié. Plus que jamais - d’autant que <strong>les</strong> pré-<br />

cédents slogans sur la


12 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

immobilières justifient également que l’on ait centré la <strong>question</strong><br />

<strong>du</strong> logement sur son vol<strong>et</strong> foncier.<br />

Le problème <strong>du</strong> domaine national, <strong>du</strong> sol communal, des cours<br />

urbaines est donc un champ d’investigation à part entière, étroi-<br />

tement lié aux <strong>question</strong>s posées aux p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong> moyennes vil<strong>les</strong><br />

africaines (3) :<br />

- l’urbanisation des centres secondaires n’a-t-elle d’autre déter-<br />

mination géographique que celle cle l’environnement rural proche ?<br />

A une autre échelle, quel rôle jone-t-elle <strong>dans</strong> la formation sociale<br />

<strong>et</strong> territoriale d’un État contemporain ?<br />

- <strong>La</strong> croissance de ces vil<strong>les</strong> ne relève-t-elle que de fonctions<br />

économiques (encadrer, ponctionner, redistribuer) ? <strong>La</strong> circulation<br />

de l’argent, qui stimule des <strong>marchés</strong>, s’y organise-t-elle en marge<br />

de réseaux sociaux hérités ? A qui profite l’urbanisation ? Quels<br />

sont <strong>les</strong> groupes sociaux qui se consolident, émergent ou se trans-<br />

forment par le jeu de flux migratoires <strong>et</strong> d’investissements urbains ?<br />

- Les agglomérations régionades présentent-el<strong>les</strong> enfin des ten-<br />

sions internes, qui échappent aux catégories statistiques, aux seuils<br />

démographiques, <strong>et</strong> que gomment <strong>les</strong> slogans piégés <strong>du</strong>


AVANT-PROPOS 13<br />

révèlent <strong>les</strong> transactions sur la terre nuancent également l’interpré-<br />

tation générale des bases socia<strong>les</strong> <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> contemporain. A l’échelle<br />

des quartiers <strong>et</strong> des communes, <strong>les</strong> origines ou <strong>les</strong> activités des ven-<br />

deurs, des ach<strong>et</strong>eurs de terrains, affinent le classement des vil<strong>les</strong><br />

au-delà d’une trilogie sommaire de fonctions économiques primai-<br />

res, secondaires <strong>et</strong> tertiaires. Des conflits sociaux soulignent en pro-<br />

fondeur <strong>les</strong> concurrences nouées à long terme autour des patri-<br />

moines fonciers.


INTRODUCTION<br />

Le <strong>Mali</strong> <strong>dans</strong> la crise urbaine<br />

<strong>et</strong> financière<br />

Comme <strong>dans</strong> d’autres pays enclavés d’Afrique sahélienne,<br />

l’urbanisation <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> est marquée par deux tendances opposées.<br />

Les communes, <strong>les</strong> chefs-lieux de cercle <strong>et</strong> toute agglomération de<br />

plus de 5 O00 habitants ont un poids démographique faible (6 Vo<br />

de la population en 1960, 20 070 en 1987). Mais le développement<br />

rapide des vil<strong>les</strong> indique un eff<strong>et</strong> de rattrapage qui se distribue<br />

de façon déséquilibrée sur le territoire national. <strong>La</strong> croissance<br />

annuelle de la population citadine est en eff<strong>et</strong> plus forte (notam-<br />

ment entre 1966 <strong>et</strong> 1976 : + 9,4 070) que celle de la population<br />

rurale. <strong>La</strong> hiérarchie des vil<strong>les</strong> s’est complexifiée depuis <strong>les</strong> années<br />

1970. Si <strong>les</strong> écarts se sont creusés entre la population <strong>du</strong> district<br />

de Bamako (environ 8 fois celle de la deuxième ville <strong>du</strong> pays,<br />

Ségou) <strong>et</strong> celle des autres capita<strong>les</strong> régiona<strong>les</strong>, le groupe des p<strong>et</strong>i-<br />

tes vil<strong>les</strong> de 10 à 50 O00 habitants progresse fortement comme en<br />

témoigne Koutiala. <strong>La</strong> croissance soutenue de Sikasso en fait la<br />

quatrième agglomération <strong>du</strong> pays derrière Ségou <strong>et</strong> Mopti, aux<br />

dépens de vil<strong>les</strong>


16 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

de 40 070 <strong>dans</strong> le centre <strong>et</strong> le nord). Ces sinistres climatiques ont<br />

renforcé l’exode rural des régions sahéliennes vers la capitale <strong>et</strong><br />

le sud <strong>du</strong> pays. L’urbanisation


INTRODUCTION 17<br />

C<strong>et</strong>te crise chronique a des causes multip<strong>les</strong> : mauvais recou-<br />

vrement des impôts, dégradation des résultats économiques des<br />

entreprises d’État. Mais à partir de 1984, l’intervention <strong>du</strong> Fonds<br />

monétaire international soum<strong>et</strong> <strong>les</strong> finances <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> à une <strong>du</strong>re<br />

austérité : <strong>les</strong> dépenses de 1’État sont comprimées, d’abord par le<br />

blocage des salaires des fonctionnaires, pourtant de bas niveau,<br />

puis par la diminution <strong>du</strong> budg<strong>et</strong> de l’enseignement. Ce désenga-<br />

gement financier entraîne l’instauration d’un concours très sélec-<br />

tif d’entrée <strong>dans</strong> la fonction publique, suivi d’un (< service mili-<br />

taire national )> qui r<strong>et</strong>arde pendant plusieurs mois le versement<br />

des salaires. <strong>La</strong> même année, le franc malien est remplacé par le<br />

franc CFA au prix d’une importante dévaluation. Le pouvoir<br />

d’achat des salariés chute face à la montée en flèche des prix des<br />

marchandises courantes. Les fonctionnaires doivent


18 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

marge de manœuvre pour prélever <strong>et</strong> centraliser avec plus d’effi-<br />

cacité une rente urbaine sur <strong>les</strong> communes <strong>et</strong> sur leurs propriétai-<br />

res ?<br />

<strong>La</strong>


INTRODUCTION 19<br />

rences administratives au sein des services techniques bamakois.<br />

Ses promoteurs ont été d’une part <strong>les</strong> cadres maliens <strong>du</strong> ministère<br />

des Transports <strong>et</strong> des Travaux publics (TTP , Direction nationale<br />

de l’urbanisme <strong>et</strong> de la construction, DNUC) <strong>et</strong> <strong>du</strong> ministère des<br />

Finances (Direction générale des impôts, DGI) ; d’autre part, <strong>les</strong><br />

experts étrangers <strong>du</strong> Proj<strong>et</strong> urbain <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> (PUM). Les premiers<br />

ont exprimé leurs préoccupations réglementaires dès la fin des<br />

années 1970 <strong>dans</strong> <strong>les</strong> Schémas sommaires d’aménagement <strong>et</strong> d’urba-<br />

nisme, dont ils ont généralisé la pratique à toutes <strong>les</strong> communes<br />

maliennes, puis <strong>dans</strong> <strong>les</strong>


20 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

le régime des concessions domania<strong>les</strong> <strong>dans</strong> un sens fiscal. Dans<br />

c<strong>et</strong>te voie pragmatique, la DGI devient le principal rédacteur <strong>du</strong><br />

code foncier de 1986 ; le PUM place le recouvrement des coûts<br />

fonciers au cœur de la normalisation budgétaire des collectivités<br />

territoria<strong>les</strong> : <strong>les</strong> ventes de terrains (revenus administratifs des l<strong>et</strong>-<br />

tres d’attribution <strong>et</strong> des permis d’occuper), <strong>les</strong> taxes de succession<br />

<strong>et</strong> de mutation, relèvent d’abord de la gestion directe, actuellement<br />

très imparfaite. Mais il s’agit aussi de stimuler une fiscalité indi-<br />

recte en créant de nouvel<strong>les</strong> taxes sur <strong>les</strong> propriétaires (assainisse-<br />

ment notamment) ou en réactualisant d’anciens impôts (sur la<br />

valeur locative, sur <strong>les</strong> mises en gage commerciale <strong>et</strong> bancaire).<br />

Ce travail de pédagogie de la rigueur financière, qui est censé four-<br />

nir aux collectivités loca<strong>les</strong> <strong>les</strong> garanties nécessaires à leurs enga-<br />

gements bancaires, est répercuté <strong>dans</strong> <strong>les</strong> communes de l’intérieur<br />

par <strong>les</strong> SSAU des urbanistes. Le mot d’ordre d’une


INTRODUCTION 21<br />

requérir l’affectation définitive <strong>du</strong> titre foncier qui m<strong>et</strong> fin au ver-<br />

sement des redevances domania<strong>les</strong>.<br />

A partir de 1983, <strong>les</strong> urbanistes imposent à tout lotisseur un<br />

dossier précis de montage technique <strong>et</strong> financier pour chaque opé-<br />

ration requérant l’approbation <strong>du</strong> conseil des ministres. Aupara-<br />

vant, <strong>les</strong> travaux d’aménagement foncier (recouvrement des voies<br />

principa<strong>les</strong> en latérite, creusement de caniveaux d’assainissement,<br />

ravitaillement en eau, électrification) pouvaient être menés au fur<br />

<strong>et</strong> à mesure de la densification des quartiers. Dans la pratique,<br />

ils n’étaient pas réalisés par <strong>les</strong> administrateurs locaux, faute de<br />

moyens financiers. Le respect des prescriptions initia<strong>les</strong> est donc<br />

devenu une priorité normative croissante des techniciens, que la<br />

loi 82-122 a entérinée.<br />

Les premiers <strong>Mali</strong>ens à y réagir ont été <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> des<br />

collectivités loca<strong>les</strong> : la viabilisation augmente le coût de pro<strong>du</strong>c-<br />

tion des parcel<strong>les</strong>, <strong>et</strong> risque d’entraîner <strong>les</strong> communes <strong>dans</strong> une<br />

impasse budgétaire. Cel<strong>les</strong>-ci devront répercuter ces contraintes tech-<br />

niques sur <strong>les</strong>


SITUATION DE LA RÉGION DE SIKASSO AU SUD DU MALI<br />

--se - isohyètes de<br />

pluviométrie normale<br />

---- limite savanes soudaniennes /<br />

mosziiques soudano-guinéenne!<br />

0 capita<strong>les</strong> régiona<strong>les</strong><br />

Tombouctou<br />

600<br />

P”i Gao - ;C<br />

200 30<br />

100<br />

Pmm Sikasso<br />

3001 7<br />

\<br />

1<br />

20<br />

10<br />

0 100 200km


INTRODUCTION 23<br />

(mais s’est-il auparavant réellement engagé au-delà de rares sec-<br />

teurs de la capitale ?). Ils augmentent <strong>les</strong> coûts de pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong><br />

sol résidentiel avec des conséquences sélectives certaines. Enfin, con-<br />

ditionnée par l’analyse <strong>du</strong> cas bamakois, c<strong>et</strong>te nouvelle donne ris-<br />

que de généraliser à tous <strong>les</strong> types de vil<strong>les</strong> une réelle inflation<br />

sur le coût <strong>du</strong> sol.<br />

Car c’est désormais <strong>dans</strong> l’attente des normes de viabilisation<br />

que la véritable transition <strong>foncière</strong> de la fin de la décennie se fera<br />

pour <strong>les</strong> investisseurs immobiliers, <strong>les</strong> propriétaires sans titres <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> municipalités. L’affirmation de 1’État pose ainsi plus de pro-<br />

blèmes qu’elle n’en résout. Comment s’établira la coordination des<br />


24 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

pluviométrie, la région reste avantagée par l’importance <strong>et</strong> la variété<br />

de sa pro<strong>du</strong>ction agricole. Les surfaces cultivées y sont parmi <strong>les</strong><br />

plus élevées <strong>du</strong> pays ; <strong>les</strong> associations de céréa<strong>les</strong>, de tubercu<strong>les</strong> <strong>et</strong><br />

de légumineuses fondent la sécurité vivrière <strong>du</strong> Sud-<strong>Mali</strong>. Les opérations<br />

de développement agricole y ont stimulé l’irrigation des plaines<br />

rizico<strong>les</strong> <strong>et</strong> encadrent la pro<strong>du</strong>ction cotonnière. Ce grenier alimentaire<br />

concentre ainsi également la première culture d’exportation<br />

qui fournit une devise stratégique pour le budg<strong>et</strong> national. <strong>La</strong><br />

filière coton @pro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> transformation in<strong>du</strong>strielle) rapporte près<br />

de 10 Yo des rec<strong>et</strong>tes publiques pour environ la moitié des exportations<br />

nationa<strong>les</strong>. L’extension des surfaces cultivées relève des atouts<br />

climatiques d’un relief peu perturbé de plateaux tabulaires, coupés<br />

de vastes plaines alluvia<strong>les</strong> que <strong>les</strong> pluies d’hivernage inondent.<br />

Mais cy est surtout <strong>dans</strong> la concentration de populations de solide<br />

tradition paysanne qu’il faut chercher <strong>les</strong> clefs <strong>du</strong> dynamisme régional.<br />

Le principal groupe <strong>et</strong>hnique des cerc<strong>les</strong> de Sikasso <strong>et</strong> de Koutiala<br />

est celui des Sénoufo-Minyanka, de langues voltaïques, dont<br />

<strong>les</strong> anthropologues soulignent l’importante mobilisation agraire<br />

(Rondeau, 1980 ; Fay, 1983 ; Diabate, 1986 ; Kone, 1985 ; Jonckers,<br />

1988). C<strong>et</strong> enracinement des populations <strong>dans</strong> des terroirs<br />

anciennement défrichés ne manque pas de contribuer à la définition<br />

des règ<strong>les</strong> <strong>foncière</strong>s loca<strong>les</strong>.<br />

<strong>La</strong> troisième Région se distingue également par son rôle de carrefour<br />

entre trois frontières internationa<strong>les</strong> ouvertes, ivoirienne, burkinabé<br />

<strong>et</strong> guinéenne (9)’ <strong>et</strong> le cœur économique malien qui comprend<br />

Bamako <strong>et</strong> Ségou. C<strong>et</strong>te situation a considérablement développé<br />

l’économie des centres urbains frontaliers dès l’époque coloniale.<br />

Après l’échec de la Fédération soudano-sénégalaise en septembre<br />

1960, le trafic terrestre s’est concentré vers la côte ivoirienne<br />

<strong>et</strong> la voie ferrée reliant Bobo-Dioulasso à Abidjan. I1 justifie<br />

<strong>les</strong> fonctions commerçantes des vil<strong>les</strong> : <strong>les</strong> marchandises importées<br />

y sont redistribuées à l’échelle nationale ; un capital anciennement<br />

constitué par <strong>les</strong> marchands dioula s’y investit, cherche une<br />

filière de diversification <strong>dans</strong> le marché foncier locatif des agglomérations.<br />

Enfin, l’émigration lointaine des populations régiona<strong>les</strong> est une<br />

constante démographique soulignée par tous <strong>les</strong> rapports administratifs<br />

depuis la colonisation. L’épargne internationale est rapatriée<br />

pour le paiement de l’impôt ou de prestations matrimonia<strong>les</strong>.<br />

Quelle part ces flux économiques de r<strong>et</strong>our laissent-ils à l’inves-<br />

(9) Koutiala est plus proche de Bobo-Dioulasso que de Bamako. Sikasso est situé<br />

à 42 km de la frontière burkinabk <strong>et</strong> à 100 km de la frontière ivoirienne. Le trafic<br />

de marchandises importées a développé <strong>les</strong> relations entre le Ouassoulou guinéen <strong>et</strong><br />

le cercle de Bougouni <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980.


INTRODUCTION 25<br />

tissement urbain ? Quels sont <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s des conjonctures politiques<br />

(conflits frontaliers de 1974 <strong>et</strong> de décembre 1986 entre le <strong>Mali</strong> <strong>et</strong><br />

la Haute-Volta devenue Burkina Faso), économiques (entrée de la<br />

Côte d’Ivoire <strong>dans</strong> une crise sévère), sur <strong>les</strong>


Population en<br />

milliers d’habitants<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

1950<br />

BOUGOUNI<br />

TROIS PROFILS DÉMOGRAPHIQUES<br />

1960 75 1900 05<br />

Sources<br />

:<br />

. recensements démographiques<br />

archives colonia<strong>les</strong><br />

o recensements municipaux<br />

estimations<br />

( b rang <strong>dans</strong> le classement des<br />

vil<strong>les</strong> maliennes par taille<br />

0,0 ta;x de croissance<br />

demographique annuel<br />

* années


INTRODUCTION 21<br />

structurée par <strong>les</strong> relations de protection/domination entre la ville<br />

<strong>et</strong> ses campagnes. Sikasso continue à jouer un rôle attractif sur<br />

la population sénoufo que l’on assimile souvent à un travail agricole<br />

acharné. Les aristocraties héritières <strong>du</strong> royaume, <strong>les</strong> chefferies<br />

de canton, ont maintenu un poids social <strong>et</strong> politique centralisé<br />

<strong>dans</strong> l’agglomération marquée par <strong>les</strong> ruines <strong>du</strong> tata (double<br />

enceinte fortifiée de banco) <strong>et</strong> par la butte latéritique centrale qui<br />

portait autrefois le jonfutu royal (palais <strong>et</strong> dépendances dominant<br />

le site de cuv<strong>et</strong>te baignée par le ruisseau Lotio).<br />

Avec près de 49 O00 habitants, Koutiala est le type même d’une<br />

p<strong>et</strong>ite ville montante. Capitale de la pro<strong>du</strong>ction cotonnière<br />

malienne, elle a amorcé son in<strong>du</strong>strialisation avec l’égrenage de<br />

la fibre <strong>et</strong> la pro<strong>du</strong>ction d’huile. Son essor démographique est le<br />

plus fort des trois localités, bien qu’elie rayonne sur un environnement<br />

agricole moins arrosé autour de l’isohyète de 1 O00 mm.<br />

Mais le cercle de Koutiala est le plus mécanisé de la zone d’encadrement<br />

de la Compagnie malienne pour le développement des<br />

fibres texti<strong>les</strong> (CMDT). I1 ne fournit pas moins de 40 % de la pro<strong>du</strong>ction<br />

nationale de coton. Celui-ci contribue à plus de 60 070 aux<br />

revenus monétaires ruraux, qui sont partiellement injectés <strong>dans</strong><br />

l’économie marchande urbaine.<br />

Le passé précolonial <strong>du</strong> cercle explique c<strong>et</strong>te intégration massive<br />

des communautés lignagères au marché agricole mondial. Contrairement<br />

au royaume sénoufo-dioula <strong>du</strong> Kènèdougou, le pays<br />

minyanka s’est montré réfractaire à toute organisation politique<br />

centralisée. L’autorité sociale est restée morcelée entre <strong>les</strong> lignages,<br />

<strong>les</strong> hameaux dispersés (sokala), <strong>les</strong> associations de chasse <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> sociétés initiatiques. Situé à la périphérie d’influences militaires<br />

(sikassoise à l’Ouest, ségovienne au Nord), il est devenu une<br />

zone de guerres intestines <strong>et</strong> de raids esclavagistes à la fin <strong>du</strong><br />

XIX~ siècle. Koutiala, bourgade commerciale d ’ environ<br />

4 O00 habitants, fut détruite en 1894 <strong>et</strong> ne comptait plus que<br />

25 habitants à la veille de la conquête française.<br />

<strong>La</strong> ville a donc hérité d’une tradition d’insoumission à l’autorité<br />

extérieure <strong>et</strong> aux chefferies cantona<strong>les</strong> que le colonisateur avait<br />

promues d’après l’état des alliances politiques instab<strong>les</strong> qui précéda<br />

l’organisation administrative <strong>du</strong> cercle. De nouvel<strong>les</strong> divisions<br />

au sein des lignages morcelèrent l’occupation des terroirs. Du<br />

recours à la sorcellerie, aux empoisonnements comme formes de<br />

résistance à c<strong>et</strong>te nouvelle trame imposée, vient le cliché d’un<br />

Minyanka indiscipliné, animiste, buveur de dolo (bière de mil),<br />

mangeur de chien, refusant toute ingérence <strong>dans</strong> sa vie quotidienne.<br />

Mais en perfectionnant leurs techniques agraires, en se repliant sur<br />

l’intensification de leurs terroirs, ces populations ont trouvé <strong>dans</strong>


28 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

la culture <strong>du</strong> coton un moyen d’affirmer leur force économique<br />

<strong>et</strong> leur particularisme dès l’entre-deux-guerres. El<strong>les</strong> ont été ensuite<br />

<strong>les</strong> premières, après l’indépendance, à adhérer à la vulgarisation<br />

agricole (culture attelée, assolements vivriers fumés, enfouissement<br />

des rési<strong>du</strong>s de récoltes), à intégrer l’élevage à l’agriculture, à recourir<br />

au crédit rural. C’est donc à partir d’un dynamisme villageois<br />

diffus, <strong>et</strong> non d’une tradition centralisatrice, que Koutiala acquiert<br />

son rythme de forte croissance dès <strong>les</strong> années 1960. Malgré la prépondérance<br />

des constructions de banco, parfois de bonne facture<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers centraux situés de part <strong>et</strong> d’autre <strong>du</strong> ruisseau<br />

Pimpédogo, la ville attire <strong>les</strong> capitaux d’investisseurs locaux <strong>et</strong><br />

bamakois <strong>et</strong> rivalise avec la capitale régionale.<br />

Enfin, Bougouni est la plus p<strong>et</strong>ite des communes avec<br />

22 200 habitants en 1987. Semi-urbaine par ses paysages résidentiels<br />

<strong>et</strong> ses actifs agrico<strong>les</strong>, trop proche de la capitale (163 km par<br />

une route goudronnée restaurée), elle n’a jamais conquis d’autonomie<br />

commerciale. L’histoire de Bougouni est celle d’un cheflieu<br />

administratif toujours prom<strong>et</strong>teur, l’un des premiers installés<br />

par <strong>les</strong> Français en 1894, mais dont <strong>les</strong> potentialités agro-pastora<strong>les</strong><br />

(vallées inondab<strong>les</strong> <strong>du</strong> Mono <strong>et</strong> <strong>du</strong> Baoulé, marché bamakois de<br />

consommation des condiments locaux) ont déçu de nombreux<br />

espoirs depuis la colonisation.<br />

Ces faib<strong>les</strong>ses proviennent également de l’histoire <strong>du</strong> peuplement<br />

local, qui s’est fixé plus récemment qu’en pays sénoufominyanka.<br />

Le cadre démographique est fort peu dense. Dans <strong>les</strong><br />

plaines alluvia<strong>les</strong>, encore infestées des vecteurs de maladies endémiques,<br />

l’humidité a freiné la capitalisation de populations rura<strong>les</strong><br />

moins performantes. De plus, l’autorité politique précoloniale<br />

s’est construite <strong>dans</strong> le canton <strong>du</strong> Banimonotié, au XIX~ siècle,<br />

autour d’une dynastie peule allogène (assimilée ensuite au milieu<br />

bambara), qui s’est peu souciée d’intensifier <strong>les</strong> pratiques de culture.<br />

L’occupation agraire est lâche <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te partie occidentale<br />

de la troisième Région. <strong>La</strong> contrainte <strong>du</strong> sous-peuplement fut aggravée,<br />

à la fin <strong>du</strong> siècle dernier, par <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s de la conquête samorienne<br />

en marche vers l’est depuis le royaume <strong>du</strong> Ouassoulou.<br />

Devenu champ de pillage des troupes de 1’Almamy Touré, le pays<br />

n’a pas vu sa démographie se relever au-delà d’une dizaine d’habitants<br />

au km2. Les surfaces ensemencées ne se sont accrues que <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> années 1970, en s’ouvrant à la demande <strong>foncière</strong> d’immigrés.<br />

Bougouni est le dernier des trois centres à recevoir l’encadrement<br />

agricole <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel de la CMDT, en 1976. Sa croissance relève<br />

encore d’un déploiement spatial extensif, avec de nombreuses parcel<strong>les</strong><br />

inoccupées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements péri-centraux, plus que d’une<br />

densification <strong>du</strong> tissu urbain existant.


INTRODUCTION 29<br />

Ces relations administratives, socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> économiques contem-<br />

poraines que <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> entr<strong>et</strong>iennent avec leur arrière-pays rural,<br />

se fondent donc sur une histoire déjà ancienne, qui témoigne de<br />

spécificités démographiques <strong>et</strong> anthropologiques précolonia<strong>les</strong>. <strong>La</strong><br />

<strong>question</strong> <strong>du</strong> rapport au sol puise ses racines <strong>dans</strong> des organisa-<br />

tions territoria<strong>les</strong> <strong>et</strong> socia<strong>les</strong> plus profondes que <strong>les</strong> juridictions colo-<br />

nia<strong>les</strong>. Les vil<strong>les</strong> secondaires participent-el<strong>les</strong> alors à la rationali-<br />

sation domaniale impulsée par la capitale <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980 ?<br />

Gestions <strong>foncière</strong>s de pénurie, dégradations administratives<br />

en chaînes<br />

Loin de confirmer une normalisation passive, <strong>les</strong> confrontations<br />

des techniciens, des maires <strong>et</strong> des administrés témoignent plutôt<br />

de tensions <strong>foncière</strong>s ouvertes ou latentes, d’une cascade de défor-<br />

mations régiona<strong>les</strong> <strong>et</strong> loca<strong>les</strong>.<br />

Un engagement territorial de ,’État non suivi de moyens budgétaires<br />

Implantés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> chefs-lieux de région <strong>et</strong> de cercle à partir<br />

de 1978, deux services techniques s’efforcent de diffuser <strong>les</strong> régle-<br />

mentations nationa<strong>les</strong>. Le travail des urbanistes concerne princi-<br />

palement la rédaction des cahiers des charges des lotissements, <strong>et</strong><br />

l’aménagement des quartiers <strong>dans</strong> le cadre d’un zonage stéréotypé<br />

codifié par <strong>les</strong> SSAU. <strong>La</strong> direction des domaines de Sikasso<br />

s’occupe quant à elle des aliénations définitives <strong>et</strong> des mutations<br />

<strong>foncière</strong>s. Les l<strong>et</strong>tres d’attribution <strong>et</strong> <strong>les</strong> permis d’occuper )) (lo),<br />

qui enregistrent le principal mode d’occupation <strong>du</strong> sol <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotis-<br />

sements, lui échappent au profit des mairies <strong>et</strong> ne laissent aux fonc-<br />

tionnaires de 1’État que l’immatriculation d’une poignée de titres<br />

définitifs.<br />

Mais la lenteur des procé<strong>du</strong>res administratives, leur inadéqua-<br />

tion aux revenus <strong>et</strong> aux modes culturels d’habiter locaux limitent<br />

considérablement l’action de ces deux services, qui n’ont ni <strong>les</strong><br />

moyens matériels nécessaires ni d’autre incitation que des règ<strong>les</strong><br />

tatillonnes : requérir un permis de construire, investir <strong>dans</strong> un délai<br />

(IO) Appelé ainsi par <strong>les</strong> citadins, ce droit d’usage concédé par l’État après cons-<br />

truction correspond, en fait, au (( permis d’habiter )). L’appellation est donc utilisée<br />

en dehors de sa véritable portée administrative : une concession plus spécialisée sur<br />

des terrains à vocation in<strong>du</strong>strielle ou commerciale.


QUARTIERS ET COMMUNE DE BOUGOUNI


INTRODUCTION 31<br />

de 3 à 5 ans, s’acquitter des redevances domania<strong>les</strong> <strong>et</strong> des taxes.<br />

de mutation <strong>foncière</strong>. A ces contraintes techniques s’ajoute de plus,<br />

depuis 1984, la paupérisation des fonctionnaires chargés de <strong>les</strong><br />

appliquer : r<strong>et</strong>ards de salaires de plusieurs mois, employés peu qua-<br />

lifiés, non motivés. Les agents locaux ne disposent ni d’une car-<br />

tographie complète des lotissements communaux ni des doub<strong>les</strong> des<br />

registres municipaux concernant <strong>les</strong> attributaires de parcel<strong>les</strong> ; <strong>les</strong><br />

directions loca<strong>les</strong> de l’urbanisme ont été créées sans autonomie vis-<br />

à-vis des directives bamakoises ; leurs bureaux sont à peine équi-<br />

pés, le manque de véhicu<strong>les</strong> limite le suivi des nouveaux lotisse-<br />

ments dont le montage est éclaté entre topographes, cartographes,<br />

agents des travaux publics.<br />

Ces insuffisances rendent impossible l’estimation rigoureuse de<br />

l’usage <strong>du</strong> sol urbain <strong>et</strong> de son assi<strong>et</strong>te fiscale. El<strong>les</strong> renforcent la lour-<br />

deur de traitement des dossiers indivi<strong>du</strong>els ou municipaux, <strong>et</strong> mécon-<br />

tentent <strong>les</strong> propriétaires obligés de recourir à ces services pour obte-<br />

nir autorisations de construire <strong>et</strong> certificats d’habitabilité. Sans moyens<br />

de contrôle ni de sanction, <strong>les</strong> techniciens n’ont d’autres arguments<br />

de pression que des textes mal compris <strong>et</strong> mal appliqués, qui bra-<br />

quent la plupart des citadins <strong>dans</strong> une réaction hostile. <strong>La</strong> situation<br />

est pire <strong>dans</strong> <strong>les</strong> p<strong>et</strong>ites communes de Koutiala <strong>et</strong> Bougouni, qui ont<br />

dû accueillir, depuis 1984 <strong>et</strong> 1985, l’arrivée d’un chef de service <strong>dans</strong><br />

un contexte d’ignorance ou de contournement des procé<strong>du</strong>res par<br />

ceux-là même qui étaient chargés de <strong>les</strong> faire appliquer. Le premier<br />

représentant de l’urbanisme à Bougouni a notamment acquis sa pro-<br />

pre parcelle d’habitation auprès <strong>du</strong> commandant de cercle qui déci-<br />

dait alors des lotissements. Celui-ci s’était réservé 4 lots <strong>dans</strong> l’opé-<br />

ration de Torakabougou, en 1981, au mépris de l’interdiction de<br />

cumul, terrains qu’il a reven<strong>du</strong>s nus dès l’annonce de sa mutation<br />

professionnelle, alors que le transfert d’une concession précaire n’est<br />

accordé, en principe, que lorsque le titulaire dispose d’un permis<br />

d’occuper qui sanctionne la mise en valeur <strong>du</strong> lot. En payant chacun<br />

125 O00 FCFA leur parcelle, le technicien <strong>et</strong> d’autres fonctionnaires<br />

ont assuré au vendeur un confortable bénéfice de 400 O00 FCFA.<br />

Le service régional des domaines est aussi condamné à une<br />

action étroite depuis Sikasso. Les redevances annuel<strong>les</strong> perçues sont<br />

médiocres ; le suivi financier des concessions rura<strong>les</strong> est pratique?<br />

ment inexistant. Les mutations sur <strong>les</strong> titres définitifs sont égale-<br />

ment loin d’être à jour, héritiers <strong>et</strong> ach<strong>et</strong>eurs régularisant a pos-<br />

teriori leur situation administrative. Par la faib<strong>les</strong>se de ses moyens,<br />

1’État proj<strong>et</strong>te donc ses contradictions domania<strong>les</strong> (proj<strong>et</strong> législa-<br />

tif hégémonique/désengagement financier) au cœur des centres<br />

urbains maliens. Le vide budgétaire de l’appareil administratif, le<br />

désintérêt de ses représentants pour l’intérêt public, trahissent


32 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

l’inflation des discours gestionnaires, la surenchère de normes sou-<br />

vent inopérantes.<br />

Pénuries communa<strong>les</strong><br />

<strong>La</strong> mobilisation des communes lors des opérations de lotisse-<br />

ment suggère <strong>les</strong> mêmes contraintes financières face aux <strong>question</strong>s<br />

domania<strong>les</strong>. Depuis que la création de 1’UDPM en 1979 a rétabli<br />

l’élection des conseils municipaux, <strong>les</strong> rapports administratifs entre<br />

élus <strong>et</strong> techniciens se sont ten<strong>du</strong>s autour des <strong>question</strong>s d’urbanisme.<br />

Des comités de quartier aux instances politiques nationa<strong>les</strong>, le pro-<br />

blème est même posé <strong>du</strong> statut des maires,


INTRODUCTION 33<br />

gement sommaire d’un marché) ; mais ils ne sont guère suivis de<br />

la récupération des coûts escomptée. Enfin, <strong>les</strong> municipalités<br />

maliennes n’ont reçu aucune subvention de 1’État depuis 1960, <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> crédits dispensés par <strong>les</strong> banques demeurent exceptionnels (12).<br />

Trésoreries chroniquement déficitaires, accumulation de d<strong>et</strong>tes muni-<br />

cipa<strong>les</strong>, forte variabilité interannuelle des ressources, concentration<br />

des dépenses sur <strong>les</strong> salaires, des rec<strong>et</strong>tes sur des activités com-<br />

mercia<strong>les</strong> aléatoires, restent bien <strong>les</strong> traits majeurs des budg<strong>et</strong>s aux-<br />

quels il est demandé un nouvel effort foncier.<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> prévisions budgétaires lient leurs rec<strong>et</strong>tes extraor-<br />

dinaires aux attributions de parcel<strong>les</strong> loties <strong>dans</strong> une proportion<br />

de 81 à 94 070. C’est dire la fonction stratégique attribuée aux opé-<br />

rations de lotissement <strong>dans</strong> le fonctionnement théorique des com-<br />

munes maliennes. De fortes hypothèses de ventes sont reportées<br />

d’une année sur l’autre au cours de la dernière décennie ; <strong>les</strong> con-<br />

seils municipaux spéculent sur un aboutissement, longtemps pro-<br />

mis <strong>et</strong> reculé, des démarches administratives d’aménagement des<br />

terrains, qui, en libérant <strong>les</strong> attributions, débloqueraient des ren-<br />

trées d’argent tant atten<strong>du</strong>es. L’impossibilité de rééquilibrer <strong>les</strong> tré-<br />

soreries autrement que par le ballon d’oxygène foncier con<strong>du</strong>it <strong>les</strong><br />

maires à établir des prévisions inflationnistes (gonflement irréaliste<br />

des rec<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> des dépenses), au détriment d’une prise en compte<br />

rigoureuse des comptes effectifs d’exploitation. Tout se passe<br />

comme si <strong>les</strong> taxes d’édilité des lots à vendre devaient éponger le<br />

sous-recouvrement chronique <strong>du</strong> budg<strong>et</strong> ordinaire, <strong>et</strong> combler <strong>les</strong><br />

insuffisances d’une fiscalité courante difficile à améliorer, notam-<br />

ment en période électorale. Au contraire, <strong>les</strong> contraintes financiè-<br />

res de la viabilisation technique tardent à être répercutées <strong>dans</strong> le<br />

chapitre des dépenses d’investissement. Limiter <strong>les</strong> r<strong>et</strong>ards de salai-<br />

res, régler des dépenses urgentes d’entr<strong>et</strong>ien, tel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> fonc-<br />

tions officieusement attribuées aux ressources domania<strong>les</strong> <strong>dans</strong> une<br />

gestion peu .transparente. Les maires semblent ainsi ne pas vou-<br />

loir m<strong>et</strong>tre en cause <strong>les</strong> transferts financiers opérés, de fait, de la<br />

section d’investissement <strong>du</strong> budg<strong>et</strong> vers celle <strong>du</strong> fonctionnement<br />

courant. C<strong>et</strong>te pratique va pourtant à l’encontre des injonctions<br />

(12) Seule la capitale régionale a bénéficié en 1978 d’un prêt sur 5 ans pour l’achat<br />

d’engins, dont le remboursement n’est pas achevé. Les jumelages franco-maliens, avec<br />

Brive-la-Gaillarde, Alençon <strong>et</strong> Aurillac, tentent d’assurer un ersatz d‘investissement,<br />

qui débouche sur le même enlisement budgétaire. Le premier PUM de 1978 n’a accordé<br />

que 3,6 Yo de ses crédits aux communes de l’intérieur (trois proj<strong>et</strong>s sectoriels <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> capita<strong>les</strong> régiona<strong>les</strong> de Kayes, Gao <strong>et</strong> Mopti). Après ces expériences décevantes,<br />

le deuxième proj<strong>et</strong> urbain ne délivre plus aucun financement opérationnel aux vil<strong>les</strong><br />

secondaires. Les experts ayant estimé qu’el<strong>les</strong> ne sont pas prêtes à recevoir des Cré-<br />

dits lourds, el<strong>les</strong> n’ont trouvé de place que <strong>dans</strong> le vol<strong>et</strong>


34 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

nationa<strong>les</strong> @GI, PUM) qui rappellent que l’épagne brute de l’exer-<br />

cice ordinaire doit ravitailler le budg<strong>et</strong> extraordinaire, <strong>et</strong> non<br />

l’inverse.<br />

Elle est vérifiée à plusieurs reprises <strong>dans</strong> la courte histoire com-<br />

munale de Bougouni, où des ventes de terrains, officiel<strong>les</strong> ou offi-<br />

cieuses, ont servi de monnaie d’échange pour le paiement <strong>du</strong> per-<br />

sonnel municipal. A la fin de 1988, <strong>les</strong> travailleurs de la commune<br />

n’avaient touché aucun salaire pendant six mois. C’est finalement<br />

la vente d’une parcelle d’extension à la CMDT qui a libéré d’un<br />

coup quatre mois des traitements atten<strong>du</strong>s, en court-circuitant le<br />

Trésor, après que le prix au mz ait été marchandé à la mairie sur<br />

des critères peu techniques. Trois ans auparavant, <strong>dans</strong> un même<br />

contexte de pénurie aggravée, on avait justifié l’attribution de lots<br />

morcelés sur une place publique à des adjoints municipaux, par le<br />

fait que l’opération leur payait des arriérés de primes. C<strong>et</strong>te rétri-<br />

bution en nature prit une valeur spéculative : l’un des adjoints<br />

revendit son lot obtenu gratuitement la même année, à<br />

150 O00 FCFA, plus de trois fois le montant de la prime municipale.<br />

Ces stratégies détournées sont-el<strong>les</strong> passées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> comptes<br />

administratifs réels ? Les résultats financiers des annies 1980 mon-<br />

trent en fait un recouvrement des taxes <strong>foncière</strong>s fort médiocre.<br />

L’enjeu de la terre semble bloqué, le bénéfice fonctionne à peine,<br />

à l’inverse des prévisions. Dans <strong>les</strong> ressources municipa<strong>les</strong> effecti-<br />

ves de 1987, la part des rec<strong>et</strong>tes sur lots n’est que de 11 070 à<br />

Sikasso, de 13 070 à Koutiala, <strong>et</strong> de O 070 à Bougouni (contre 37,<br />

30 <strong>et</strong> 26 Yo des prévisions). C’est que <strong>les</strong> attributions de parcel<strong>les</strong><br />

ont été nul<strong>les</strong> ou n<strong>et</strong>tement insuffisantes par rapport aux ambi-<br />

tions recon<strong>du</strong>ites d’une année sur l’autre. Le grippage des rec<strong>et</strong>-<br />

tes extraordinaires a donc accentué <strong>les</strong> déficits budgétaires d’ensem-<br />

ble.<br />

<strong>La</strong> pro<strong>du</strong>ction administrative de lots d’abord gelée par <strong>les</strong> techni-<br />

ciens<br />

Les candidats à l’attribution de lots se comptent pourtant par<br />

milliers <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois communes au cours des années 1980. Les<br />

réserves <strong>foncière</strong>s urbaines difficilement débloquées pourront-el<strong>les</strong><br />

résister à une demande croissante en terrains à bâtir ? Comment<br />

concilier <strong>les</strong> impasses budgétaires avec 1 ’ élection des représentants<br />

municipaux <strong>et</strong> une compétition politique locale fortement person-<br />

nalisée ? Répugnant à limiter leurs prérogatives <strong>dans</strong> des dossiers


INTRODUCTION 35<br />

normatifs de lotissement, obligés de se soum<strong>et</strong>tre aux v<strong>et</strong>o techni-<br />

ques en série (topographie, urbanisme, conservation des domaines,<br />

approbation <strong>du</strong> Conseil des ministres), <strong>les</strong> maires ont été confrontés<br />

au blocage administratif de leurs initiatives. Ces tensions fonciè-<br />

res se manifestent <strong>dans</strong> de multip<strong>les</strong> r<strong>et</strong>ards de correspondance de<br />

part <strong>et</strong> d’autre, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> refus des empiétements des uns, <strong>les</strong> criti-<br />

ques des pratiques a anarchiques D des autres ; la logique procé-<br />

<strong>du</strong>rière des techniciens n’a d’ailleurs pas souvent donné <strong>les</strong> meil-<br />

leurs gages pour redresser une urbanisation sans plan d’ensemble.<br />

Les aléas des derniers lotissements, r<strong>et</strong>ardés à Sikasso, inachevés<br />

à Koutiala, à peine abordés à Bougouni, obligent à déplacer<br />

l’analyse des <strong>marchés</strong> fonciers de la norme administrative à l’eff<strong>et</strong><br />

de masse <strong>du</strong> fait accompli.<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> maires ont riposté à l’offensive réglementaire par<br />

une surenchère de mobilisations officieuses de parcel<strong>les</strong> urbaines.<br />

Les attributions de lots ne sont guère nouvel<strong>les</strong>.<br />

El<strong>les</strong> ont toujours permis aux commandants de cercle, aux maires<br />

des première <strong>et</strong> deuxième républiques, aux présidents des déléga-<br />

tions municipa<strong>les</strong> <strong>du</strong> CMLN, de satisfaire ponctuellement quelques<br />

demandes jugées prioritaires. Mais ces aliénations se sont mani-<br />

festement multipliées <strong>dans</strong> la dernière décennie. Le gel des pro-<br />

grammes d’extension urbaine a obligé <strong>les</strong> élus locaux, pressés par<br />

la demande sociale, à puiser <strong>dans</strong> <strong>les</strong> interstices non bâtis ou sur<br />

<strong>les</strong> marges de la ville, pour borner <strong>et</strong> affecter quelques réserves<br />

en sous-main. L’ampleur de ces pratiques varie selon le blocage<br />

des démarches administratives <strong>et</strong> la pression des besoins citadins<br />

en terrains à bâtir : multip<strong>les</strong> à Koutiala, plus diffuses à Bougouni<br />

<strong>et</strong> Sikasso, el<strong>les</strong> caractérisent trois communes dont <strong>les</strong> quartiers<br />

sont divisés en clans électoraux, <strong>et</strong> dont <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> sont for-<br />

tement sollicités par leurs administrés.<br />

Ce rapport se lit quotidiennement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> attitudes physiques<br />

de respect, l’utilisation <strong>du</strong> bambara ou <strong>du</strong> français, <strong>les</strong> gestes de<br />

r<strong>et</strong>ranchement vers le bureau isolé <strong>du</strong> maire ou le ton de la voix<br />

qui monte devant un auditoire évoquant pêle-mêle ses doléances.<br />

En voici un exemple observé à la mairie de Sikasso. Un premier<br />

requérant intervient d’abord pour régler un conflit foncier. Son<br />

accès au terrain est contesté : (( C’est inadmissible ! n Vêtu d’un<br />

riche boubou de trois pièces, il s’exprime avec une autorité qui<br />

dénote son influence locale : un aîné <strong>du</strong> premier magistrat ? Un<br />

commerçant (( autochtone )) soutenu par des conseillers munici-<br />

paux ? Sa revendication auprès <strong>du</strong> maire est directe, <strong>et</strong> tranche avec<br />

l’intervention d’une deuxième personne qui hésite ensuite à deman-<br />

der audience. I1 s’agit d’un vieux paysan sénoufo venu à pied d’un


36 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

hameau péri-urbain de la commune. Désorienté par <strong>les</strong> couloirs <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> va-<strong>et</strong>-vient de la mairie, il présente une feuille arrachée d’un<br />

cahier d’élève, sur laquelle un enfant a maladroitement tra<strong>du</strong>it en<br />

français l’obj<strong>et</strong> de sa démarche : à nouveau plusieurs attributaires<br />

convoitent une même parcelle. I1 est alors interrompu par un agent<br />

de la poste qui vient signaler qu’un poteau électrique, installé pour<br />

la prochaine opération de lotissement, est cassé. I1 salue respectueu-<br />

sement, heureux <strong>du</strong> prétexte technique de son service pour sollici-<br />

ter une relation personnalisée :


INTRODUCTION 37<br />

des quartiers, qui prévoient des places pour <strong>les</strong> espaces verts, <strong>les</strong> éco-<br />

<strong>les</strong>, <strong>les</strong> commissariats de police, <strong>les</strong> mosquées, <strong>les</strong> jardins d’enfants,<br />

<strong>les</strong> centres d’état civil, <strong>les</strong> centres commerciaux ... <strong>et</strong> le devenir de<br />

ces espaces. Si certaines programmations des années 1970 sont tout<br />

à fait irréalistes (ni <strong>les</strong> revenus des ménages ni I’état des voies d’accès<br />

intérieur ne justifient deux parkings au nord de Koutiala), d’autres<br />

relèvent des besoins économiques des citadins. Les vil<strong>les</strong> s’agrandis-<br />

sant, <strong>les</strong> distances aux <strong>marchés</strong> centraux augmentent <strong>et</strong> rendent néces-<br />

saire un desserrement économique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers.<br />

Pourtant, quasiment aucune de ces places n’est réellement mise<br />

en valeur, faute de moyens financiers publics. Seuls quelques mar-<br />

chés ont été sommairement bornés, en 1988 à Sikasso <strong>et</strong> en 1989<br />

à Bougouni, 18 <strong>et</strong> 16 ans après le lotissement de leur quartier. Plus<br />

souvent, <strong>les</strong> maires changent <strong>les</strong> usages programmés en satisfai-<br />

sant quelques particuliers. I1 n’existe ainsi plus aucune place publi-<br />

que à Hamdallaye, au sud de Koutiala, toutes ayant été morce-<br />

lées en moins de dix ans. A Sikasso, le terrain destiné à l’exten-<br />

sion de I’école de Médine est ven<strong>du</strong> à une dizaine de particuliers ;<br />

l’emplacement d’un futur dispensaire à Sanoubougou II est attri-<br />

bué au constructeur d’une médersa privée. <strong>La</strong> nouvelle commune<br />

de Bougouni, loin de m<strong>et</strong>tre fin à c<strong>et</strong>te ancienne pratique des com-<br />

mandants de cercle, en a amplifié <strong>les</strong> usages sélectifs.<br />

<strong>La</strong> transformation <strong>du</strong> sol en concessions résidentiel<strong>les</strong> n’obéit<br />

donc pas seulement à des critères techniques <strong>et</strong> financiers. Elle con-<br />

ditionne également <strong>les</strong> équilibres d’une demande sociale dont il fau-<br />

dra établir <strong>les</strong> solvabilités. Les normes réglementaires se multiplient,<br />

certes : diminuer la taille des lots, de 750 m2 à moins de 400 m2,<br />

taxer <strong>les</strong> ventes entre particuliers, délivrer des permis d’occuper<br />

après <strong>et</strong> non avant la mise en valeur immobilière requise. Mais<br />

el<strong>les</strong> restent, à bien des égards, des intruses <strong>dans</strong> la gestion des<br />

communes maliennes. Les confrontations qui se sont <strong>du</strong>rcies entre<br />

<strong>les</strong> élus <strong>et</strong> <strong>les</strong> techniciens suggèrent un renversement <strong>du</strong> rapport<br />

de force de l’échelle nationale à l’échelle locale : si <strong>les</strong> premiers<br />

n’ont pas eu l’initiative des politiques domania<strong>les</strong>, <strong>les</strong> seconds sont<br />

obligés de reconnaître sur le terrain que <strong>les</strong> réponses aux contraintes<br />

urbaines leur échappent en grande partie. C<strong>et</strong>te dynamique <strong>du</strong><br />

G non dit-non écrit )) justifie que l’élection des maires ait été remise<br />

en cause à Bamako, par quelques services nationaux qui auraient<br />

préféré voir nommer des fonctionnaires à la tête des municipali-<br />

tés. Mais le ministère de tutelle de l’administration territoriale<br />

défend l’élection comme une soupape de sécurité politique, ce qui<br />

explique que d’anciens élus UDPM se soient maintenus lors des<br />

votes de la troisième République.<br />

Ainsi <strong>les</strong> pratiques foncikres communa<strong>les</strong> reposent-el<strong>les</strong> sur des .


-<br />

O 1000 m<br />

Bchelle<br />

QUARTIERS ET COMMUNE DE KOUTIALA<br />

c<br />

s<br />

v,<br />

X<br />

E<br />

cn<br />

O


Quartiers <strong>et</strong> commune de Sikasso<br />

QUARTIERS ET COMMUNE DE SIKASSO<br />

Vy 0 1000 m<br />

I<br />

I<br />

. . .<br />

lasso


40 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

contours sociaux variab<strong>les</strong> d’une commune à l’autre. Les ) sont loin d’êtres unanimes. Les >, agents de<br />

l’État, sont en même temps des usagers <strong>du</strong> sol urbain dont le pou-<br />

voir d’achat se dégrade face au prix des lots. Certains sont égale-<br />

ment des militants engagés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> clientè<strong>les</strong> municipa<strong>les</strong>, ou encore<br />

des entrepreneurs économiques, dont <strong>les</strong> stratégies privées parallè-<br />

<strong>les</strong> (commerce, bâtiment) contrarient <strong>les</strong> directives de leurs fonc-<br />

tions. Mais si <strong>les</strong> municipalités se situent encore en marge des pro-<br />

cé<strong>du</strong>res réglementaires, cela n’est plus par ignorance des textes émis<br />

depuis la capitale. Le contenu des documents administratifs est par-<br />

fois même utilisé contre <strong>les</strong> populations pour tempérer des pres-<br />

sions trop fortes. Les lois de 1983 <strong>et</strong> de 1986 ont fait comprendre<br />

aux maires que l’exigence de viabilisation <strong>les</strong> place <strong>dans</strong> une posi-<br />

tion de gestionnaires surveillés <strong>du</strong> domaine national. I1 reste à voir<br />

comment <strong>les</strong> acteurs de base de la ville réagissent à ces principes<br />

face à leurs représentants.<br />

Des négligences aux résistances : <strong>les</strong> citadins face à la norme<br />

Depuis la capitale, <strong>les</strong> citadins sont décrits comme un tout indif-<br />

férencié, une preuve globale d’indiscipline pour <strong>les</strong> techniciens, ou<br />

de mauvais paiements pour <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> municipaux. Les pro-<br />

priétaires locaux sont conscients de c<strong>et</strong>te vision négative qui pèse<br />

sur leurs ambitions <strong>foncière</strong>s. Les irrégularités qui leur sont repro-<br />

chées concernent des constructions qui ont trop tardé, des permis<br />

de construire qui n’ont pas été demandés, des principes d’édifica-<br />

tion des bâtiments qui n’ont pas été respectés, des taxes qui n’ont<br />

pas été acquittées. Ils y réagissent pourtant différemment. Une pre-<br />

mière réponse régresse aujourd’hui <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> méridiona<strong>les</strong> :<br />

<strong>les</strong> cahiers des charges des lots délivrés aux particuliers sont incom-<br />

pris, voire per<strong>du</strong>s ; seul le fait d’avoir à payer une taxe d’édilité<br />

compte comme preuve d’appropriation ; celle de la mise en valeur<br />

<strong>et</strong> de sa conformité technique n’est pas connue, <strong>et</strong> l’on se désin-<br />

téresse des permis d’occuper. Une deuxième reponse progresse au<br />

contraire, <strong>et</strong> change de contenu social : <strong>les</strong> attributaires connais-<br />

sent le caractère conditionnel de leur installation, mais ils y oppo-<br />

sent leurs faib<strong>les</strong> ressources, leurs aléas familiaux <strong>et</strong> économiques.<br />

Ce constat résigné d’une majorité de démunis devient aussi le pré-<br />

texte plus formel d’une minorité qui joue opportunément la carte<br />

de la misère pour contourner la contrainte technique d’affectation<br />

<strong>du</strong> sol. Enfin, une troisième réponse est souvent plus discrètement<br />

pensée qu’ouvertement exprimée : la mauvaise volonté devient une<br />

réplique aux insuffisances des pouvoirs publics <strong>dans</strong> l’accomplis-


INTRODUCTION 41<br />

sement de leurs propres obligations ; puisque 1’État n’édifie pas<br />

<strong>les</strong> équipements prévus, <strong>les</strong> citadins n’ont pas non plus à respec-<br />

ter de règle autre que celle de leur intérêt privé.<br />

Les procès-verbaux des commissions municipa<strong>les</strong> donnent de<br />

multip<strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> des négligences sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> butte le proces-<br />

sus réglementaire que <strong>les</strong> techniciens tentent de faire adm<strong>et</strong>tre<br />

depuis <strong>les</strong> années 1980. Si certains encouragements au


42 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ment des sommes émises aux rô<strong>les</strong>. Les phalités supplémentaires,<br />

qui représentent 21 070 des impôts à Sikasso <strong>et</strong> 14 070 à Koutiala,<br />

prouvent la mauvaise volonté citadine, ici comme sur d’autres fis-<br />

calités. S’y ajoutent <strong>les</strong> pénalités liées aux r<strong>et</strong>ards <strong>et</strong> aux refus de<br />

payer après sommation. Les services de Sikasso <strong>et</strong> de Koutiala ne<br />

communiquent qu’un taux de recouvrement approximatif de 30 070.<br />

Ces faib<strong>les</strong>ses tra<strong>du</strong>isent donc le refus des propriétaires à lais-<br />

ser rationaliser la rente locative <strong>et</strong> le régime de concessions.<br />

D’autres aspects des <strong>marchés</strong> résidentiels témoignent d’initiatives<br />

irrégulières menées directement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mairies : cumuls de lots<br />

résidentiels, recherches d’indemnisation sur des terrains dépourvus<br />

de titre écrit, mutations <strong>foncière</strong>s anarchiques, également sous-<br />

estimées. Ces pressions socia<strong>les</strong> de base s’inscrivent <strong>dans</strong> des con-<br />

jonctures précises de la vie locale : mobilisations précédant <strong>les</strong> élec-<br />

tions municipa<strong>les</strong>, préparations des listes d’attribution des lots, dis-<br />

tributions discrètes de parcel<strong>les</strong>. El<strong>les</strong> reposent avant tout sur une<br />

relation de subordination ou de patronage envers <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong><br />

communaux, tantôt sollicités, tantôt eux-mêmes demandeurs de ser-<br />

vices. <strong>La</strong> démarcation entre un modele de gestion rigoureuse <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> pratiques <strong>du</strong> fait accompli se brouille au sein même des pou-<br />

voirs municipaux censés en assurer 1’ exemplarité.<br />

Au total, au-delà <strong>du</strong> fait que la


LEXIQUE BAMBARA*<br />

INTRODUCTION 43<br />

<strong>du</strong> : cour, concession, maisonnée<br />

<strong>du</strong>nan : étranger, hôte (accueilli)<br />

<strong>du</strong>gutigi : chef de village, de quartier en ville<br />

<strong>du</strong>tigi .- chef de famille, > (prononcer G ou D). Les<br />

noms propres sont écrits avec une orthographe française.


PREMIÈRE PARTIE<br />

ITINÉRAIRES, FILIÈRES,<br />

RÉSEAUX D’INSERTION URBAINE


Pour le plus grand nombre de <strong>Mali</strong>ens, la <strong>question</strong> <strong>foncière</strong><br />

suggère avant tout un statut résidentiel, celui de <strong>du</strong>tigi. Le pro-<br />

priétaire d’une cour familiale se définit moins par des critères juri-<br />

diques que par des responsabilités socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> économiques. Les trois<br />

enquêtes suivantes analysent ces (< entrées <strong>dans</strong> la ville )) <strong>et</strong> ren-<br />

dent compte d’une quête constante de lots d’habitation. Quelle<br />

mesure r<strong>et</strong>enir alors pour m<strong>et</strong>tre en perspective des cas de figure<br />

ponctuels <strong>et</strong> une crise urbaine généralisée au <strong>Mali</strong> : l’indivi<strong>du</strong>, le<br />

ménage, le voisinage, le lignage ?<br />

Trois notions expriment ici c<strong>et</strong>te véritable hantise <strong>du</strong> statut de<br />

propriétaire : des itinéraires (migratoires, professionnels, résiden-<br />

tiels), des filières (d’appropriation familiale, d’expression des besoins<br />

municipaux), des réseaux (de mobilisation de l’épargne, de con-<br />

tournement des sélections <strong>foncière</strong>s) montrent à différentes échel-<br />

<strong>les</strong> la soup<strong>les</strong>se des pratiques socia<strong>les</strong> des <strong>du</strong>tigiw. Dans le temps<br />

d’abord. L’acquisition des cours stabilise <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> citadines, elle<br />

inscrit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers la repro<strong>du</strong>ction d’une main-d’œuvre par-<br />

tiellement indivi<strong>du</strong>alisée. A plus long terme, des mobilités lointai-<br />

nes , des investissements économiques sur plusieurs générations sti-<br />

mulent ou grippent la stratification sociale de la ville.<br />

Dans l’espace ensuite, ces trajectoires urbaines articulent des<br />

solidarités de proximité, ou des tensions de voisinage, à des espa-<br />

ces plus larges <strong>et</strong> discontinus. Tantôt contractée (replis familiaux),<br />

tantôt élargie hors des quartiers (détours migratoires), la valorisa-<br />

tion des cours se comprend pourtant à partir de sites finement loca-<br />

lisés : la cour-mere d’une grande famille dispersée sur plusieurs<br />

localités, la ville natale qui oriente <strong>les</strong> chemins d’expatriation de<br />

ses ressortissants. Le <strong>du</strong>tigi témoigne donc de nombreux facteurs<br />

qui font circuler <strong>les</strong> épargnes citadines. En combinant des récits<br />

de vie <strong>et</strong> des échantillons statistiques, on s’interroge ici sur la<br />

manière de cohabiter des propriétaires <strong>et</strong> des locataires <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

quartiers urbains, au sein de groupes professionnels ou de com-<br />

munautés expatriées.<br />

_-


1<br />

Cohabitations résidentiel<strong>les</strong><br />

<strong>et</strong> différenciation des quartiers à Sikasso<br />

Dans la capitale <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> méridional, <strong>les</strong> pressions <strong>foncière</strong>s sont<br />

étudiées d’après un sondage de 186 concessions, 386 ménages <strong>et</strong><br />

2 120 personnes répartis <strong>dans</strong> 8 secteurs de la ville (1). Les trois<br />

clivages urbains qui en ressortent sont fortement ressentis par <strong>les</strong><br />

citadins <strong>et</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> équilibres politiques <strong>du</strong> conseil municipal. <strong>La</strong><br />

distance des quartiers au centre de la ville offre un premier gra-<br />

dient entre des îlots créés à des époques différentes, des peuple-<br />

ments coloniaux aux périphéries plus récentes. Les quartiers repré-<br />

sentés par des se distinguent ensuite des secteurs<br />

à fort accueil


LOCALISATION DES ÎLOTS D’ENQUÊTES A SIKASSO<br />

Ouayéréma Zone<br />

1 d<br />

TielenfoupJ


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 49<br />

PROPRIÉTAIRES, LOCATAIRES, MATURATIONS URBAINES<br />

1. Densités contrastées <strong>dans</strong> la ville<br />

Certains indicateurs démographiques classiques varient peu <strong>dans</strong><br />

l’espace sikassois. Par exemple, la distribution des statuts matri-<br />

moniaux des chefs de ménage n’est guère tranchée <strong>dans</strong> la ville.<br />

Le mariage (82 ‘70 des CM) avec présence <strong>du</strong> conjoint homogé-<br />

néise à première vue <strong>les</strong> besoins fonciers. Moins souvent étudiées,<br />

<strong>les</strong> densités résidentiel<strong>les</strong> constituent le principal indicateur de dis-<br />

parités intra-urbaines. D’après le recensement sikassois, <strong>les</strong> lotis-<br />

sements post-coloniaux concentrent aujourd’hui plus de population<br />

que <strong>les</strong> vieux quartiers. Mais leur occupation est plus lâche, mal-<br />

gré des tail<strong>les</strong> de ménage proches d’environ 6 personnes. Alors que<br />

<strong>les</strong> concessions des premiers abritent en moyenne 1,9 ménages <strong>et</strong><br />

11’7 personnes, cel<strong>les</strong> des seconds sont plus denses (2,6 ménages,<br />

17’6 personnes). Le sondage amplifie ce gradient de densités lié<br />

à l’éloignement <strong>et</strong> à la jeunesse des îlots (2) ; <strong>les</strong> charges humai-<br />

nes des cours baissent régulièrement <strong>du</strong> centre-ville (Foulasso :<br />

33’8 personnes) au secteur le plus excentré (7’7 personnes).<br />

Le nombre de ménages par concession souligne ces contrastes<br />

de pressions démographiques <strong>et</strong> la pertinence <strong>du</strong> problème de coha-<br />

bitation résidentielle. Pour une moyenne de 2’7, <strong>les</strong> écarts s’éche-<br />

lonnent de 6,2 <strong>et</strong> 3,4 au centre à 1’6 <strong>et</strong> 1’2 en périphérie. Par<br />

contre, la taille moyenne des ménages ne fait pas toujours ressor-<br />

tir l’opposition entre quartiers anciens <strong>et</strong> extensions récentes. Le<br />

vieillissement de Fama se tra<strong>du</strong>it par la dispersion de ses ména-<br />

ges. L’accueil locatif de Tièfinbougou contribue d’une autre<br />

manière aux p<strong>et</strong>ites tail<strong>les</strong> de ménage (4,8 personnes), alors qu’une<br />

forte proportion de propriétaires stabilise des famil<strong>les</strong> plus nom-<br />

breuses <strong>dans</strong> <strong>les</strong> périphéries loties ou non.<br />

<strong>La</strong> densification urbaine procède donc principalement par coha-<br />

bitation de ménages <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours, ce qui définit une concurrence<br />

d’ensemble pour l’accès au statut de <strong>du</strong>tigi. Mais <strong>les</strong> situations de<br />

détail relèvent d’une combinaison complexe de variab<strong>les</strong> des char-<br />

ges familia<strong>les</strong>. L’âge des chefs de ménage (moyenne de 44 ans) res-<br />

titue un fort contraste entre <strong>les</strong> vieux quartiers (Fama : 50 ans),<br />

<strong>et</strong> des périphéries plus jeunes (Ouayéréma-Zone : 36 ans). Cepen-<br />

(2) <strong>La</strong> grande taille des cours, pour la plupart de 750 m2, un mode d’occupation<br />

familiale hérité <strong>du</strong> milieu rural, <strong>et</strong> l’accueil de locataires expliquent une moyenne éle-<br />

vée de 16,8 personnes.


50 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

dant, une orientation locative peut rajeunir un quartier déjà ancien<br />

de 30 ans comme Ouayéréma-Ancien. <strong>La</strong> corésidence de plusieurs<br />

générations familia<strong>les</strong> atténue également le vieillissement <strong>du</strong> Fou-<br />

lasso. Ces types de cohabitation, locative <strong>et</strong> parentale, augmen-<br />

tent <strong>les</strong> charges familia<strong>les</strong> <strong>dans</strong> le cycle de vie des chefs de ménage :<br />

<strong>du</strong> célibat (1,3 personne) au mariage, de la monogamie<br />

(6 personnes) à la polygamie, de la p<strong>et</strong>ite polygamie (2 épouses :<br />

9,5 personnes) à la grande polygamie (3 <strong>et</strong> 4 épouses : 13 <strong>et</strong><br />

29 personnes).<br />

Autre inégalité de taille, le statut résidentiel des ménages intro-<br />

<strong>du</strong>it un écart, vérifié partout, entre <strong>les</strong> propriétaires plus chargés<br />

(en moyenne 10,l personnes) <strong>et</strong> <strong>les</strong> locataires <strong>et</strong> hébergés, pour <strong>les</strong>-<br />

quels la précarité <strong>du</strong> logement urbain se ressent <strong>dans</strong> de p<strong>et</strong>its<br />

ménages de moins de 4 personnes. <strong>La</strong> densification des famil<strong>les</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>les</strong> conditions de leur insertion urbaine s’influencent donc. L’aug-<br />

mentation <strong>du</strong> nombre de dépendants familiaux rend plus urgent<br />

l’accès à la propriété, lequel est moins le souci des célibataires <strong>et</strong><br />

des p<strong>et</strong>its ménages. Inversement, l’acquisition d’une parcelle crée<br />

des conditions favorab<strong>les</strong> à la multiplication <strong>du</strong> nombre d’enfants,<br />

d’épouses, à l’accueil de parents <strong>et</strong> d’hôtes. L’appropriation <strong>du</strong><br />

sol stimule ainsi l’élargissement des ménages. Par l’accroissement<br />

des responsabilités patrimonia<strong>les</strong>, elle renforce aussi <strong>les</strong> collectifs<br />

familiaux qui contribuent à mobiliser une épargne urbaine.<br />

L’accueil de personnes hébergées indivi<strong>du</strong>ellement à titre gra-<br />

tuit participe <strong>dans</strong> le même sens aux variations de taille des mena-<br />

ges : 36 Oro d’entre eux comportent au moins un hébergé. I1 s’agit<br />

de parents collatéraux (hébergés familiaux : 72 Oro), d’amis ou d’ori-<br />

ginaires d’un même village (hébergés sociaux : 21 Oro), enfin de tra-<br />

vailleurs logés <strong>dans</strong> la cour de leur patron (manœuvres, bonnes,<br />

hébergés économiques : 7 Oro). <strong>La</strong> taille moyenne des ménages est<br />

de 9,5 personnes avec hébergés, <strong>et</strong> de 5 personnes sans. Ces dépen-<br />

dants gonflent donc <strong>les</strong> effectifs des famil<strong>les</strong> qui <strong>les</strong> entr<strong>et</strong>iennent.<br />

Mais la différence de taille persiste lorsque ces ménages sont<br />

dénombrés sans leurs hébergés (6,8 personnes). C<strong>et</strong>te surcharge<br />

démographique dément l’hypothèse d’une inévitable


Fonctions<br />

Croissance <strong>et</strong> quartiers de Sikasso<br />

1. administratives <strong>et</strong> socia<strong>les</strong><br />

0<br />

commercia<strong>les</strong><br />

in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong><br />

+ gare routibre <strong>et</strong> garagistes<br />

(luartiers<br />

m historiques <strong>et</strong> coloniaux<br />

@g@ fin de la colonisation<br />

m 1960-1968 (PremiBre République)<br />

!zi 1970-1976 (CMLN)<br />

d’origine villageoise<br />

1987 sonsorobugu, date de cr6ation<br />

3 axes des nouveaux lotissements 11987)<br />

- anciennes fortifications<br />

Je% 1987<br />

0 1 km<br />

l ,


52 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ses cours, <strong>les</strong> périphéries loties atteignent <strong>les</strong> records de 20 à 22 Vo<br />

d’hébergés cjusqu’à plus de 5 hébergés par ménage). Or, depuis<br />

<strong>les</strong> années 1970, le rapport numérique entre <strong>les</strong> chefs de ménage<br />

nés à Sikasso <strong>et</strong> ceux nés ailleurs au <strong>Mali</strong> s’inverse au profit des<br />

seconds, qui accueillent relativement plus de tels dépendants<br />

aujourd’hui. C<strong>et</strong>te pression démographique, d’origine extérieure à<br />

la région, risque d’accroître encore leur demande de lots. Derrière<br />

la forte mobilité géographique des hébergés, se profile un enjeu<br />

crucial : le partage des zones résidentiel<strong>les</strong> entre <strong>les</strong> citadins de sou-<br />

che <strong>et</strong> des immigrés plus lointains. Enjeu politique des clientè<strong>les</strong><br />

municipa<strong>les</strong> , justifié par des charges démographiques différenciées<br />

<strong>dans</strong> la ville, c<strong>et</strong>te concurrence <strong>foncière</strong> pose la <strong>question</strong> des rela-<br />

tions socia<strong>les</strong> entre populations


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 53<br />

Ce classement par la densité renvoie fondamentalement aux<br />

acteurs des cohabitations. <strong>La</strong> ville se partage, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes pro-<br />

portions que la capitale Bamako, entre une p<strong>et</strong>ite majorité de<br />

ménages propriétaires (<strong>du</strong>tigiw : 53 Oro) <strong>et</strong> une forte minorité de<br />

locataires (41 Oro) ; <strong>les</strong> ménages hébergés (logés gratuitement) ne<br />

sont que 6 Oro. L’ampleur <strong>du</strong> phénomène locatif <strong>et</strong> sa distribution<br />

très inégale <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers témoignent d’une certaine maturité<br />

urbaine. Mais A défaut d’être léga<strong>les</strong>, <strong>les</strong> zones non loties, parti-<br />

culièrement attachées à de vieux rapports d’appropriation par voie<br />

orale, perturbent la distribution régulière des statuts résidentiels<br />

<strong>du</strong> centre (sur-propriété) vers <strong>les</strong> extensions urbaines (lotissements<br />

sur-locatifs).<br />

Les types de propriétaires <strong>et</strong> de locations précisent <strong>les</strong> formes<br />

socia<strong>les</strong> de la pression <strong>foncière</strong>. 78 Oro des concessions sont bel <strong>et</strong><br />

bien occupées par leurs propriétaires. L’absentéisme est donc mino-<br />

ritaire, mais il varie de O à 44 Oro <strong>dans</strong> <strong>les</strong> îlots : l’occupation effec-<br />

tive est particulièrement forte <strong>dans</strong> <strong>les</strong> plus anciens quartiers <strong>et</strong> <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> secteurs non lotls ; inversement, <strong>les</strong> lotissements périphériques<br />

sont moins investis par leurs propriétaires qui s’orientent vers la<br />

location. Certains ont profité de facilités à acquérir un lot <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> nouveaux morcellements fonciers <strong>et</strong> diversifient leurs revenus<br />

en habitant d’autres quartiers de la ville. Mais la mise en loca-<br />

tion provient aussi souvent de mutations professionnel<strong>les</strong> qui obli-<br />

gent des salariés à quitter la capitale régionale. En y laissant un<br />

représentant pour collecter <strong>les</strong> loyers, ces propriétaires absentéis-<br />

tes se refusent à vendre le témoin de


OCCUPATION DES COURS ET COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES A SIKASSO<br />

Propriétaires seuls : 43%<br />

ml un seul propriétaire<br />

ml plusieurs propriétaires<br />

Fama<br />

Locations : complémentaire : 35% Spéculative : 22%<br />

hQ y hébergé(s)<br />

locataire(s) + hébergé<br />

I I.J<br />

locataire(s) seul(s)<br />

hébergé seul<br />

locataire(s) + hebergé(s) seuls<br />

Foulasso Ouayéréma- Tièfinbougou Kapele Kourou Ouayéréma- Sanoubougou I Sonsorobowgou Moyenne<br />

Ancien<br />

Zone<br />

f


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 55<br />

de ménages occupants <strong>et</strong> le statut résidentiel des ménages. <strong>La</strong> pré-<br />

sence de propriétaires seuls (43 Vo), de location complémentaire<br />

(26 070) <strong>et</strong> de location spéculative (17 070) concentre <strong>les</strong> deux tiers<br />

des concessions sikassoises. Mais c<strong>et</strong>te trilogie résidentielle moyenne<br />

résulte de profils résidentiels différenciés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers, dont<br />

<strong>les</strong> diagrammes respectifs font apparaître des fonctions d’accueil<br />

inéga<strong>les</strong> selon <strong>les</strong> principaux clivages urbains.<br />

Congestion des vieux quartiers centraux<br />

Sur-investis par leurs propriétaires, <strong>les</strong> îlots d’origine coloniale<br />

ne connaissent ni l’absentéisme, ni le non-partage des cours, ni<br />

la location spéculative. De véritab<strong>les</strong> lignées de citadins de souche<br />

s’y enracinent depuis le début <strong>du</strong> siècle. Ces famil<strong>les</strong> polynucléai-<br />

res se sont élargies sur plusieurs générations : ménages ascendants<br />

<strong>et</strong> collatéraux cohabitent <strong>dans</strong> la


56 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

l’autorité de son chef de 63 ans, <strong>les</strong> ménages de son frère de 38 ans<br />

<strong>et</strong> de son neveu de 46 ans ; enfin une autre famille Diarra ne com-<br />

prend que le ménage d’une veuve de 70 ans. Ces 10 propriétaires<br />

rassemblent 67 personnes.<br />

Les ménages de Fama sont ainsi p<strong>et</strong>its <strong>et</strong> plus âgis qu’ailleurs.<br />

Les veuves sont nombreuses (18 ‘70 des CM) parmi <strong>les</strong> propriétai-<br />

res. Ce vieillissement a dispersé quelques membres des grandes<br />

famil<strong>les</strong> <strong>dans</strong> d’autres quartiers ou d’autres localités, ne laissant<br />

souvent que quelques p<strong>et</strong>its-enfants confiés à l’é<strong>du</strong>cation des vieux.<br />

D’autres parents, expatriés à l’étranger, décongestionnent momen-<br />

tanément <strong>les</strong> cours. Enfin, <strong>les</strong> loyers offrent aux propriétaires r<strong>et</strong>rai-<br />

tés un complément de revenus indispensable, car <strong>les</strong> actifs <strong>du</strong> quar-<br />

tier sont marqués par un creux <strong>dans</strong> <strong>les</strong> classes a<strong>du</strong>ltes <strong>et</strong> par de<br />

faib<strong>les</strong> ressources.<br />

L’ancienn<strong>et</strong>é de Fama explique enfin qu’un nombre relative-<br />

ment important de ménages y soient hébergés à titre gratuit. Sou-<br />

vent saisonniers <strong>dans</strong> la ville, ils sont accueillis <strong>dans</strong> le cadre des<br />

solidarités d’origine cantonale entre <strong>les</strong> citadins de vieille souche<br />

<strong>et</strong> <strong>les</strong> ruraux de l’arrière-pays (3). Fama n’est donc pas à propre-<br />

ment parler un lieu de dislocation des lignages autochtones. Au<br />

contraire, une décongestion partielle <strong>dans</strong> l’exode international, <strong>et</strong><br />

l’accueil de dépendants sociaux maintiennent un usage communau-<br />

taire de ces cours. <strong>La</strong> propriété partagée entre des branches colla-<br />

téra<strong>les</strong>, des générations <strong>et</strong> des patronymes différents se maintient,<br />

à la faveur d’une forte rotation résidentielle des ménages.<br />

<strong>La</strong> densification <strong>du</strong> Foulasso présente moins de ménages <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> concessions, mais des ménages plus grands (10 personnes en<br />

moyenne). C<strong>et</strong> épanouissement démographique provient surtout de<br />

la polygamie de chefs de ménage encore en activité. Le quartier<br />

a été plus rigoureusement loti que le précédent, en 1937, en rai-<br />

son de sa proximité avec le centre administratif colonial. Son plan<br />

de morcellement, plus fin, a taillé <strong>dans</strong> une occupation initiale plus<br />

lâche, favorisant une segmentation familiale <strong>dans</strong> <strong>les</strong> carrés ainsi<br />

remodelés. <strong>La</strong> cohabitation de plusieurs lignées <strong>dans</strong> la même<br />

enceinte est rare. Par contre, la zone d’emplois in<strong>du</strong>striels <strong>et</strong> ter-<br />

tiaires, qui jouxte Foulasso, a fortement ouvert le quartier à la<br />

location. Celle-ci fait perdre aux ménages hébergés leur place <strong>dans</strong><br />

le secteur septentrional.<br />

(3) Les cantons ne sont plus un cadre administratif depuis la suppression de leur<br />

chefferie en 1958. Ils restent pourtant une référence historique importante <strong>dans</strong> bien<br />

des rapports sociaux d’appropriation <strong>foncière</strong>, comme on le verra plus loin.


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 57<br />

Concentrations/faib<strong>les</strong>ses <strong>du</strong> marché locatif en périphérie<br />

Excentrés <strong>et</strong> plus récents, <strong>les</strong> lotissements post-coloniaux déve-<br />

loppent un marché locatif véritablement spéculatif. Sanoubougou I<br />

<strong>et</strong> Ouayéréma-Zone se distinguent des vieux quartiers par le plus<br />

fort absentéisme de la ville (un tiers à 44 Yo des propriétaires).<br />

60 070 des ménages locataires ne résident pas avec le propriétaire.<br />

C<strong>et</strong>te spécialisation locative se lit <strong>dans</strong> la taille des ménages, plus<br />

p<strong>et</strong>ite que la moyenne. Né au milieu des années 1970, Ouayéréma-<br />

Zone se partage notamment entre la location spéculative, qui atteint<br />

ici son maximum, <strong>et</strong> la location d’appoint. C<strong>et</strong>te fonction géné-<br />

ralisée découle en fait <strong>du</strong> conflit frontalier de 1974 entre la Haute-<br />

Volta <strong>et</strong> le <strong>Mali</strong>, qui a in<strong>du</strong>it d’importants flux migratoires de<br />

r<strong>et</strong>our des famil<strong>les</strong> dioula qui exerçaient une activité commerciale<br />

ou artisanale à Bobo-Dioulasso. Les réfugiés maliens, rapatriés en<br />

partie à Sikasso, ont contribué à l’implantation <strong>du</strong> dernier grand<br />

lotissement oriental de la ville. Prioritaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> listes d’attri-<br />

bution municipale de 1975, nombre de ces migrants internationaux<br />

ont pourtant préféré repartir en exode après la paix. Ils ont rapi-<br />

dement laissé à leur lots périphériques une vocation locative pour<br />

<strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> vagues d’immigrés maliens de la sécheresse sahélienne.<br />

Par opposition aux lotissements, <strong>les</strong> quartiers non lotis sont<br />

marqués par une forte présence de propriétaires qui ne sont pas<br />

reconnus officiellement. Ceux-ci accueillent peu des locataires <strong>et</strong><br />

restent <strong>les</strong> occupants uniques avec <strong>les</strong> records de 69 Yo<br />

(Sonsorobougou-Diassa) <strong>et</strong> 74 Yo (Kapele Kourou) des cours. Mal-<br />

gré leur morphologie irrégulière <strong>et</strong> leur statut illicite, ces quartiers<br />

intègrent <strong>les</strong> citadins démunis, exclus de la propriété reconnue.<br />

Leurs ménages se sont donc épanouis au moins autant que la<br />

moyenne urbaine, mais selon une démographie de pauvres, par la<br />

fécondité <strong>et</strong> l’accueil d’hébergés plus que par la polygamie. Cepen-<br />

dant, l’inégal vieillissement de ces îIots amorce une densification<br />

différenciée.<br />

Peuplé depuis <strong>les</strong> années 1950, Kapele Kourou connaît l’accueil<br />

locatif le plus médiocre de toute la ville, toujours en revenu<br />

d’appoint, <strong>dans</strong> moins d’une cour sur dix. Par contre, l’héberge-<br />

ment à titre gratuit y est maximum aux côtés des propriétaires.<br />

De puissants liens sociaux avec le reste de la ville atténuent en<br />

eff<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te double précarité, <strong>foncière</strong> <strong>du</strong> quartier, <strong>et</strong> résidentielle<br />

des hébergés. Les chefs d’un quartier central de la ville, héritiers<br />

d’une chefferie de canton coloniale, ont d’abord patronné l’ins-<br />

tallation des plus vieux résidents de Kapele Kourou. Ils ont apporté<br />

une véritable caution sociale à c<strong>et</strong>te première génération de quar-<br />

tier (< spontané D. Par la suite, <strong>les</strong> occupants <strong>du</strong> flanc ouest de


58 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

c<strong>et</strong>te colline sont devenus eux-mêmes <strong>les</strong> tuteurs (iatigi, celui qui<br />

désigne un emplacement à son


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 59<br />

p<strong>et</strong>its ménages de Tièfinbougou (4,8 personnes) disposent de reve-<br />

nus modestes. Des cours familia<strong>les</strong> peuplées de deux générations<br />

de propriétaires y jouxtent des résidences louées sur le mode spé-<br />

culatif à de nouveaux immigrés.<br />

Ouayéréma-Ancien abrite au contraire <strong>les</strong> propriétaires <strong>les</strong> plus<br />

’,pisés. 35 070 des chefs de ménage sont d’ailleurs polygames (11 070<br />

à Tièfinbougou), dont 57 9’0 avec 3 ou 4 Cpouses (20 070 à Tièfin-<br />

bougou). Depuis l’indépendance, ces derniers ont ainsi G accumulé ))<br />

jusqu’à trois générations d'épauses, d’enfants <strong>et</strong> de p<strong>et</strong>its enfants.<br />

<strong>La</strong> densification de leurs cours ne se fait, contrairement aux quar-<br />

tiers centraux, que par un seul ménage, mais qui s’est fort élargi.<br />

Quelques revenus locatifs d’appoint leur sont déjà nécessaires pour<br />

entr<strong>et</strong>enir des enfants massivement scolarisés (91 9‘0)’ qui appor-<br />

tent encore plus de charges que de soutiens financiers.<br />

Bien que différents par <strong>les</strong> origines de leurs occupants, ces deux<br />

derniers quartiers résument donc le phénomène de génération qui<br />

sous-tend <strong>les</strong> chances d’insertion urbaine : des propriétaires en voie<br />

de vieillissement, de jeunes locataires constituent <strong>les</strong> deux pô<strong>les</strong><br />

sociaux des cours, <strong>et</strong> font varier <strong>les</strong> profils de cohabitations <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> quartiers. L’inégalité de ces pressions démographiques diffé-<br />

rencie <strong>les</strong> besoins fonciers <strong>et</strong> <strong>les</strong> moyens mis en œuvre pour <strong>les</strong><br />

satisfaire.<br />

LES NATIFS SUR LA DÉFENSIVE<br />

De l’échantillon de ménages ressortent des besoins résidentiels<br />

différenciés. Dans <strong>les</strong> zones non loties, <strong>les</strong> habitants des sonsoro-<br />

buguw tentent d’abord de normaliser leur situation, en nouant des<br />

relations d’allégeance avec <strong>les</strong> héritiers des chefs de canton qui con-<br />

trôlent certaines réserves <strong>foncière</strong>s péri-urbaines, ou bien en deman-<br />

dant une reconnaissance par la commune. <strong>La</strong> population dense des<br />

vieil<strong>les</strong> cours citadines cherche quant à elle des opportunités pour<br />

décongestionner ses carrés : le contrôle des lignages sur la trans-<br />

mission de patrimoines communs risque de s’effriter, d’autant que<br />

des disparités économiques croissantes entre <strong>les</strong> ménages favori-<br />

sent une indivi<strong>du</strong>alisation de l’occupation <strong>foncière</strong>. <strong>La</strong> saturation<br />

démographique limite également la mise en location qui est pour-<br />

tant nécessaire aux ressources familia<strong>les</strong>. Enfin, une troisième série<br />

de besoins provient d’immigrés locataires, qui tentent de s’inté-<br />

grer <strong>du</strong>rablement <strong>dans</strong> la capitale régionale.


60 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

1. <strong>dans</strong> la ville : des générations de ménages


COHABITATIONS IZÉSIDENTIELLES ET DIFF~RENTIATION 6 1<br />

rence <strong>dans</strong> le peuplement des lotissements de l’indépendance. Alors<br />

que Foulasso <strong>et</strong> Fama conservent de 60 à 72 “o de chefs de ménage<br />

natifs de la ville, <strong>les</strong> immigrés l’emportent de 86 à 100 “o à Ouayé-<br />

réma <strong>et</strong> Sanoubougou I. <strong>La</strong> fin de la colonisation a doublé ce<br />

métissage <strong>et</strong>hnique des périphéries communa<strong>les</strong> d’un enjeu foncier,<br />

le contrôle des cours urbaines, au moment où la capitale méridio-<br />

nale se plaçait au 4” rang des agglomérations maliennes. A la fin<br />

des années 1970, <strong>les</strong> flux des premiers réfugiés de la sécheresse<br />

sahélienne, des <strong>Mali</strong>ens en partance pour la Côte d’Ivoire, <strong>et</strong> des<br />

salariés des services décentralisés ont fait basculer <strong>les</strong> immigrés <strong>dans</strong><br />

le camp majoritaire, <strong>et</strong> mis <strong>les</strong> natifs sur la défensive. C<strong>et</strong>te évo-<br />

lution coïncidait avec la raréfaction de l’offre municipale de ter-<br />

rains lotis, ainsi qu’avec le remodelage des clientè<strong>les</strong> municipa<strong>les</strong><br />

<strong>dans</strong> le second parti unique. Loin de disparaître comme un<br />

archaïsme social face aux contraintes techniques <strong>et</strong> économiques<br />

d’une nation moderne, le clivage autochtones/étrangers a connu,<br />

dès lors, une surenchère de manipulations politiques.<br />

Définir l’origine régionale des citadins d’après leurs lieux de<br />

naissance rencontre pourtant des limites. De nombreux citadins nés<br />

à Sikasso sont qualifiés d’étrangers, <strong>et</strong> ne se considèrent pas eux-<br />

mêmes comme autochtones. Ils valorisent leur différence <strong>dans</strong> la<br />

commission domaniale chargée d’attribuer des lots, s’opposent aux<br />

faveurs lignagères consenties lors des distributions municipa<strong>les</strong>. A<br />

l’inverse, <strong>les</strong> Sikassois de souche ne sont guère bloqués <strong>dans</strong> la<br />

ville de leurs parents ; un quart d’entre eux connaissent des migra-<br />

tions diverses, en une ou plusieurs fois, d’une <strong>du</strong>rée supérieure à<br />

6 mois jusqu’à plusieurs dizaines d’années : visites familia<strong>les</strong> pro-<br />

longées, mutations professionnel<strong>les</strong>, exode international <strong>du</strong> travail.<br />

De r<strong>et</strong>our en ville, leur <strong>du</strong>rée de résidence ne coïncide plus avec<br />

leur âge, contrairement aux autres natifs qui n’ont pas bougé. <strong>La</strong><br />

taille moyenne de leurs ménages est toujours plus élevée :<br />

10 personnes, contre 6 pour ceux des


62 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

historique (5). Un bassin culturel proche, anciennement lié à la ville<br />

(Sénoufo, Dioula, Samogo, Peul <strong>du</strong> Sud : 53 Yo), s’oppose ainsi<br />

à l’aire d’attraction migratoire plus lointaine <strong>et</strong> récente, extérieure<br />

aux terroirs soudano-guinéens. Ces origines se classent en cerc<strong>les</strong><br />

concentriques avec des <strong>du</strong>rées moyennes de résidence sikassoise de<br />

plus en plus courtes : Bambara <strong>et</strong> Minyanka, venus pour l’essen-<br />

tiel des périphéries ouest <strong>et</strong> est de la troisième Région (23 Yo) ;<br />

immigrés bobo, dogon, bozo, <strong>et</strong> dafing (ces derniers venus de l’ex-<br />

Haute-Volta), représentant le centre-est <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> (régions de Ségou<br />

<strong>et</strong> de Mopti : 9 Yo). Enfin, <strong>les</strong> populations de l’Ouest <strong>et</strong> <strong>du</strong> Nord<br />

(<strong>Mali</strong>nké, Sarakolé, Maures, Peuls, Sonraï : 15 Yo) ont diversifié<br />

<strong>les</strong> paysages humains dès la fin de la colonisation (fonctionnaires<br />

de Ouayéréma-Ancien, maquignons <strong>du</strong> centre-ville) ou <strong>du</strong> fait des<br />

derniers sinistres climatiques.<br />

<strong>La</strong> répartition de ces composantes régiona<strong>les</strong> perturbe le gra-<br />

dient centre/périphérie. En eff<strong>et</strong>, si la vieille ville a le plus fort<br />

taux de Sénoufo-Dioula, elle n’en a pas l’exclusivité. Les zones<br />

administratives <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong> proches y attirent des


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 63<br />

<strong>La</strong> dgférenciation économique : un facteur perturbant ?<br />

L’activité des chefs de ménage suggère enfin le rôle de l’argent<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> investissements résidentiels des propriétaires. Classés en<br />

indépendants (86 Oro) <strong>et</strong> salariés (14 Oro), <strong>les</strong> actifs n’expriment guhe<br />

de spécialisation socio-économique de leurs quartiers. Certes, des<br />

nuances apparaissent entre des îlots massivement démunis <strong>et</strong><br />

d’autres moins : <strong>les</strong> cultivateurs sont ainsi 55 Yo à Kapele Kou-<br />

rou, contre 23 Oro pour l’ensemble <strong>du</strong> sondage. Des activités plus<br />

diverses, parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> métiers <strong>du</strong> transport (Foulasso) <strong>et</strong> de<br />

l’artisanat (Sanoubougou I), se distinguent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers qui<br />

accueillent de nombreux actifs ayant travaillé <strong>dans</strong> <strong>les</strong> pays fron-<br />

taliers. Mais ces écarts ne démentent pas l’idée d’ensemble de res-<br />

sources économiques médiocres. Ils ne se calquent pas non plus<br />

sur la distribution des îlots étrangers <strong>et</strong> autochtones. Seul<br />

Ouayéréma-Ancien offre l’exception d’un niveau professionnel plus<br />

élevé. Les salariés (55 Oro) y sont plus nombreux que <strong>les</strong> indépen-<br />

dants ; <strong>les</strong> hauts revenus indépendants, notamment commerçants,<br />

l’emportent sur <strong>les</strong> bas revenus.<br />

L’originalité de Ouayéréma-Ancien se confirme <strong>dans</strong> son bâti.<br />

Alors que <strong>les</strong> constructions en banco recouvertes de tôle on<strong>du</strong>lée<br />

l’emportent <strong>dans</strong> 54 070 des cours enquêtées, Ouayéréma se démar-<br />

que par une qualité architecturale supérieure. Les murs en <strong>du</strong>r (par-<br />

paings) ou en semi-<strong>du</strong>r (banco crépi de ciment) y ont exclu le banco<br />

non crépi, <strong>les</strong> cases villageoises, <strong>les</strong> toits de chaume <strong>et</strong> <strong>les</strong> sols de<br />

terre battue. De grandes bâtisses s’inspirent d’un modèle simplifié<br />

de villas (( à l’ivoirienne )) avec terrasses, vérandas <strong>et</strong> couloirs inter-<br />

nes. C<strong>et</strong>te <strong>du</strong>rcification provient de l’investissement de fonctionnai-<br />

res installés depuis près de trente ans <strong>dans</strong> le quartier.<br />

Comme Ouahigouya (Game, 1986)’ Sikasso croise donc plu-<br />

sieurs dynamiques socia<strong>les</strong>. Statulires ou fluides, ces critères subor-<br />

donnent <strong>les</strong> besoins fonciers des indivi<strong>du</strong>s au ) de leurs ori-<br />

gines familia<strong>les</strong>. Ils impriment <strong>dans</strong> l’espace urbain des relations<br />

inéga<strong>les</strong> au sol, des intérêts sociaux contradictoires : ainés de l’inser-<br />

tion résidentielle, <strong>les</strong> propriétaires ont des <strong>du</strong>rées de résidence plus<br />

longues (en moyenne 25 ans), <strong>et</strong> sont plus âgés (51 ans) ; <strong>les</strong> loca-<br />

taires sont plus jeunes (37 ans) <strong>et</strong> vivent depuis moins longtemps<br />

à Sikasso (8 ans).


64 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

2. Concurrences <strong>foncière</strong>s <strong>dans</strong> la ville des cours<br />

R<strong>et</strong>ours <strong>et</strong> réinsertions urbaines<br />

<strong>La</strong> prise en compte des natifs de la ville qui ont interrompu<br />

leur résidence sikassoise par un épisode migratoire est l’un des<br />

enjeux importants des années 1990, la troisième République<br />

malienne ayant instauré un ministère des <strong>Mali</strong>ens de l’extérieur pour<br />

encourager leur investissement. Certains cas dépassent en eff<strong>et</strong> <strong>les</strong><br />

seu<strong>les</strong> capacités lignagères d’accueil au r<strong>et</strong>our. Ces réinsertions<br />

incluent également l’arrivée en ville de ruraux originaires <strong>du</strong> cer-<br />

cle de Sikasso : après un séjour en migration lointaine, ils préfè-<br />

rent se fixer <strong>dans</strong> la capitale régionale plutôt qu’au village ; par<br />

leurs ressources professionnel<strong>les</strong> (épargne, qualification technique),<br />

<strong>et</strong> <strong>du</strong> fait de la situation frontalière de Sikasso, ils bouleversent<br />

l’image étroite d’un exode rural de proximité.<br />

Les quartiers de Fama <strong>et</strong> <strong>du</strong> Foulasso concentrent de tels cas<br />

de réinsertion résidentielle <strong>dans</strong> le cadre familial élargi. Plus <strong>du</strong><br />

quart de leurs chefs de ménage autochtones ont quitté <strong>les</strong> cours<br />

denses pour se diriger principalement vers l’étranger (6). C<strong>et</strong> exode<br />

a été souvent long, comme en témoigne la part d’enfants nés à<br />

l’étranger (14 Vo <strong>et</strong> 7 Yo, contre 0 Vo pour <strong>les</strong> chefs de ménage).<br />

Enfin, ces actifs sont revenus depuis une <strong>du</strong>rée moyenne assez lon-<br />

gue (de 16 à 18 ans), mais qui reste inférieure à la <strong>du</strong>rée de rési-<br />

dence de leurs parents natifs fixes )) (de 40 à 61 ans).<br />

Démographie épanouie <strong>dans</strong> une cour de réinsertion réussie<br />

<strong>La</strong> famille sénoufo K. de la caste des forgerons rassemble au<br />

Foulasso <strong>les</strong> ménages de 4 frères de 50 à 64 ans, <strong>et</strong> <strong>du</strong> fils aîné<br />

de l’un deux. Leur père, qui était menuisier employé au Cercle,<br />

a reçu leur parcelle de l’administration coloniale. Avant son décès,<br />

il s’est installé à son compte <strong>et</strong> a aménagé <strong>dans</strong> la cour familiale<br />

l’un des plus gros ateliers de menuiserie <strong>du</strong>.quartier.<br />

Tous <strong>les</strong> frères ont effectué des séjours de travail en Côte<br />

d’Ivoire <strong>du</strong>rant leur jeunesse. L’aîné a passé deux ans à Grand-<br />

Bassam


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 65<br />

a aidé. Le troisième a résidé de 1947 à 1949 à Abidjan chez un<br />

autre frère. De r<strong>et</strong>our à Sikasso, il a repris la place de son père<br />

au Cercle avant de s’installer à son tour <strong>dans</strong> la concession. Le<br />

dernier a vécu de 1953 à 1963 à Abidjan où il a travaillé pour une<br />

société de menuiserie. Un accident professionnel l’a fait renter <strong>dans</strong><br />

sa ville natale où, après 6 ans d’emploi à la CMDT, il est devenu<br />

indépendant. Un autre frère réside toujours en Côte d’Ivoire <strong>et</strong> y<br />

accueille <strong>les</strong> visiteurs <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>.<br />

L’atelier-résidence est donc resté le centre des itinéraires pro-<br />

fessionnels de ces Sikassois d’origine. Très spécialisée, leur menui-<br />

serie (toitures <strong>et</strong> plafonnages, un héritage ’des employeurs coloniaux)<br />

valorise au maximum la main-d’œuvre familiale. De nombreux<br />

enfants ont été scolarisés, <strong>et</strong> trouvent <strong>dans</strong> I’activitC de leurs aînés<br />

<strong>les</strong> moyens d’une future insertion urbaine. 9 enfants <strong>et</strong> ado<strong>les</strong>cents<br />

sont employés comme aides-menuisiers.<br />

Le maintien d’une dense cohabitation n’est pas vécu ici comme<br />

une contrainte. <strong>La</strong> cohésion familiale a favorisé la polygamie <strong>et</strong> la<br />

co-résidence de 90 personnes, dont 13 épouses <strong>et</strong> seulement deux<br />

hébergés. L’aisance relative de ces citadins attachés à leur quartier<br />

leur assure une repro<strong>du</strong>ction qui est plus familiale que <strong>foncière</strong>.<br />

Contraintes d’un r<strong>et</strong>ourdchec <strong>dans</strong> un quartier pauvre<br />

A 31 ans, Yaga C. habite Fama dont la plupart des chefs de<br />

ménage n’ont pas été scolarisés. Les enfants <strong>du</strong> quartier contribuent<br />

aux revenus familiaux en repro<strong>du</strong>isant <strong>les</strong> modestes activités de leurs<br />

parents : culture, artisanat peu qualifié, p<strong>et</strong>it commerce.<br />

Yaga est l’aîné des deux fils de son père, avec lequel il réside<br />

depuis 1986. Lors de son unique expérience migratoire en Haute-<br />

Volta, où il s’est marié, il a appris le métier de bijoutier. Ses trois<br />

enfants sont nés à Bobo-Dioulasso où son frère l’a rejoint. Ils tra-<br />

vaillaient ensemble mais la répression <strong>du</strong> commerce clandestin de<br />

l’or par le gouvernement Sankara a contrarié leur activité. Yaga<br />

est revenu rapidement à Sikasso, laissant son cad<strong>et</strong> se débrouiller<br />

seul. Ce déménagement anticipé pose problème : le migrant de<br />

r<strong>et</strong>our est dépourvu <strong>du</strong> p<strong>et</strong>it capital escompté ; la cour-mère est déjà<br />

occupée par 5 lignées différentes de propriétaires, qui ont connu<br />

à l’indépendance un difficile conflit de partage (une portion enclose,<br />

enclavée au centre de la cour, a fait scission, <strong>et</strong> en gêne le réamé-<br />

nagement immobilier).<br />

Yaga se sent donc moins à l’aise <strong>dans</strong> son domicile natal que<br />

d’autres artisans <strong>du</strong> Foulasso. Chômeur depuis son r<strong>et</strong>our, avec 4<br />

personnes à sa charge, il n’occupe qu’une pièce en banco qu’il n’a<br />

pu restaurer faute de moyens. Sa situation précaire pèse sur <strong>les</strong><br />

ménages de son père, fripier, <strong>et</strong> de son oncle cultivateur. Néan-<br />

moins, ne pas avoir de loyer à payer <strong>et</strong> rester à proximité de ses<br />

aînés constituent pour lui un gage de survie plus appréciable que<br />

l’isolement locatif <strong>dans</strong> <strong>les</strong> extensions périphériques.


66 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Par leur mobilité, <strong>les</strong> ménages des émigrés internationaux con-<br />

tribuent donc à de fréquents remaniements <strong>dans</strong> l’occupation des<br />

patrimoines résidentiels, pour l’é<strong>du</strong>cation d’enfants renvoyés sur<br />

Sikasso, ou encore lors des r<strong>et</strong>raites au pays. Les r<strong>et</strong>ours <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

îlots centraux sont à double tranchant. D’un côté, ils injectent des<br />

revenus <strong>dans</strong> la consommation familiale, <strong>et</strong> notamment <strong>dans</strong> l’amé-<br />

nagement immobilier des concessions (constructions nouvel<strong>les</strong>, réha-<br />

bilitation). De l’autre, ils saturent davantage ces cours, exacerbent<br />

<strong>les</strong> jalousies domestiques, <strong>les</strong> querel<strong>les</strong> de morcellement d’une pro-<br />

priété communautaire. Ces migrations de natifs consolident <strong>et</strong> per-<br />

turbent à la fois l’enracinement résidentiel des Sikassois de sou-<br />

che. <strong>La</strong> défense de leurs intérêts fonciers dépend à la fois d’un<br />

apport de ressources extérieures <strong>et</strong> d’un investissement déconcen-<br />

tré vers <strong>les</strong> périphéries.<br />

D’importantes disparités apparaissent pourtant entre <strong>les</strong> prin-<br />

cipaux types de r<strong>et</strong>ours. Les plus anciens (plus de 20 ans) concer-<br />

nent des chefs de ménage déjà âgés qui sont revenus par décision<br />

familiale : assistance <strong>du</strong> père <strong>dans</strong> sa r<strong>et</strong>raite, prise de responsa-<br />

bilité lignagère. Leurs ménages se sont manifestement épanouis,<br />

en particulier au Foulasso. Des migrants plus jeunes sont revenus<br />

au contraire de façon précipitée, après un séjour de moins de 5 ans<br />

<strong>et</strong> depuis peu de temps. Les conjonctures économiques <strong>et</strong> politi-<br />

ques internationa<strong>les</strong> ont limité leurs possibilités de r<strong>et</strong>rouver une<br />

place confortable <strong>dans</strong> la cour centrale, notamment à Fama.<br />

Enfin, des lotissements plus récents accueillent également des<br />

natifs <strong>du</strong> cercle de Sikasso, de r<strong>et</strong>our au <strong>Mali</strong> <strong>dans</strong> des conditions<br />

d’appropriation <strong>foncière</strong> indivi<strong>du</strong>alisées. Cependant, ces ruraux<br />

d’origine comptent encore sur des famil<strong>les</strong> larges pour consolider<br />

une résidence dépendante de l’attribution municipale de lots. Le<br />

régime de concession <strong>foncière</strong> a notamment diminué le nombre de<br />

ménages cohabitants. Mais il n’a donc pas pour autant brisé le<br />

cadre social des migrations loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> internationa<strong>les</strong>.<br />

A Sanoubougou I, le lot de <strong>La</strong>mine K., 60 ans, est ainsi au cen-<br />

tre d’un investissement discontinu entre le hameau de culture natal,<br />

d’où son père <strong>et</strong> ses deux onc<strong>les</strong> sont partis, <strong>et</strong> la plantation ivoi-<br />

rienne d’Aboisso, <strong>dans</strong> laquelle <strong>les</strong> trois G vieux )) ont travaillé <strong>et</strong><br />

fait travailler <strong>La</strong>mine pendant 30 ans. A Sikasso, chacun a investi<br />

sur la parcelle ach<strong>et</strong>ée par l’un des onc<strong>les</strong> lors de congés de 1983,<br />

ainsi que sur un second lot occupé à Ouayéréma.<br />

Le transfert résidentiel <strong>du</strong> hameau au chef-lieu de cercle ne peut<br />

seul expliquer c<strong>et</strong>te double appropriation ni l’édification à Sanou-<br />

bougou I d’un grand bâtiment en <strong>du</strong>r, dont la modernité (une large


COHABITATIONS mSJDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 67<br />

entrée couverte est destinée à abriter un véhicule) tranche avec <strong>les</strong><br />

modestes chambres en banco des lots voisins. Le détour migratoire<br />

par la Côte d’Ivoire, de plusieurs frères <strong>et</strong> générations, a déterminé<br />

<strong>les</strong> moyens financiers <strong>et</strong> la forme familiale de ce patrimoine fon-<br />

cier à trois pô<strong>les</strong> géographiques.<br />

Avec ses deux épouses, <strong>La</strong>mine n’est donc pas le seul déposi-<br />

taire de la maison. I1 n’a pas rompu <strong>les</strong> liens avec le village où<br />

il travaille encore annuellement depuis son r<strong>et</strong>our au <strong>Mali</strong>. Tous<br />

ses enfants s’y trouvaient lors de l’enquête, alors que 9 cousins,<br />

neveux <strong>et</strong> frères, élèves, apprentis ou visiteurs, étaient recensés à<br />

sa charge à Sikasso. .<br />

Décongestions <strong>foncière</strong>s imposées ou volontaires<br />

Depuis la colonisation, le


68 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

à la tête de 31 personnes, dont 5 frères <strong>et</strong> 4 sœurs. Grâce au<br />


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 69<br />

sa place <strong>dans</strong> <strong>les</strong> listes d’attribution <strong>foncière</strong> : l’aide <strong>du</strong> syndicat<br />

des enseignants, <strong>les</strong> relations que Paul a nouées avec l’agent Voyer<br />

de la mairie (en échange de cours d’anglais gratuits) ont été décisi-<br />

ves. Mais un an après <strong>les</strong> délais requis, il n’a payé qu’un tiers de<br />

la taxe d’édilité. L’occasion de construire à son propre compte ris-<br />

que donc de filer, au profit des commerçants plus nantis qui cumu-<br />

lent <strong>les</strong> lots <strong>dans</strong> <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> périphéries.<br />

;es immigrés : intrus anciens <strong>et</strong> récents, organisés ou isolés<br />

Parmi ces situations variées, <strong>les</strong>


70 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

compte de nombreux enfants naturels de jeunes fil<strong>les</strong> dont <strong>les</strong> fré-<br />

quentations sont moins sévèrement contrôlées que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quar-<br />

tiers modestes. Revendiquant de nouveaux terrains résidentiels à<br />

léguer à ces larges descendances, <strong>les</strong> étrangers n’en demeurent pas<br />

moins des intrus pour <strong>les</strong> notab<strong>les</strong> de la commission domaniale :<br />

ils sollicitent peu <strong>les</strong> chefs de quartier ; leurs ambitions <strong>foncière</strong>s<br />

s’expriment ailleurs, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> ) <strong>du</strong> parti unique avant<br />

1991, à la municipalité ou <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sections politiques loca<strong>les</strong> (7).<br />

Par leur connaissance des rouages administratifs nationaux, ils y<br />

entrent en concurrence avec <strong>les</strong> représentants des lignages sénoufo-<br />

dioula lors des attributions de lots. Densifiés par une forte poly-<br />

gamie, par l’accueil record d’hébergés, par <strong>les</strong> locations d’appoint,<br />

ces ménages doivent tenir leur rang en ville, en prévoyant la décon-<br />

gestion de la première génération d’ado<strong>les</strong>cents nés à l’indépen-<br />

dance qui fonderont bientôt leur ménage. Derrière un militantisme<br />

souvent passionné au sein <strong>du</strong> quartier (qui associe <strong>les</strong> épouses <strong>et</strong><br />

leur sociabilité propre), on décèle la volonté de construire un véri-<br />

table système résidentiel <strong>dans</strong> le lieu d’adoption. Un seul lot ne<br />

pouvant plus suffire, le logement familial devra être dispersé sur<br />

plusieurs lotissements périphériques. <strong>La</strong> vente de parcel<strong>les</strong> viabili-<br />

sées en 1987 a donc particulièrement mobilisé ces chefs de mQnage,<br />

<strong>et</strong> a permis à quelques leaders étrangers d’élargir leur audience poli-<br />

tique auprès de plus récents immigrés. Maintenir une cohabitation<br />

étroite sur un patrimoine indivis n’est donc pas l’objectif à terme<br />

de ces salariés, dont <strong>les</strong> enfants s’intéressent peu aux possibilités<br />

de décongestion migratoire vers l’étranger. Dans ce lotissement de<br />

l’indépendance, on ne peut certes pas parler d’indivi<strong>du</strong>alisation des<br />

concessions <strong>foncière</strong>s, mais on aspire à une séparation physique<br />

plus systématique des ménages.<br />

Au contraire, <strong>les</strong> immigrés dont la <strong>du</strong>rée de résidence à Sikasso<br />

est plus courte subissent en majorité un statut résidentiel locatif.<br />

Traités en cad<strong>et</strong>s par <strong>les</strong> représentants municipaux, leur situation<br />

est aggravée par la faib<strong>les</strong>se de leurs revenus, ou par la méfiance<br />

que suscitent certains originaires de campagnes plus lointaines.<br />

Malgré son peuplement étalé au cours des années 1960, Sanou-<br />

bougou est resté une périphérie modeste. Certes, <strong>les</strong> ventes privées<br />

de lots s’y sont multipliées, après que le transfert de la gare rou-<br />

tière au sud-est de la ville ait stimulé l’investissement des <strong>Mali</strong>ens<br />

(7) Sous la première République,


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 7 1<br />

émigrés en Côte d’Ivoire. Mais <strong>les</strong> itinéraires de ceux qui n’ont pas<br />

connu l’exode international relèvent souvent de cheminements éco-<br />

nomiques pauvres.<br />

Catholiques ou musulmans, <strong>les</strong> Bobo se concentrent <strong>dans</strong> ce<br />

quartier <strong>et</strong> illustrent l’une des rares filières <strong>et</strong>hniques d’insertion rési-<br />

dentielle. Leurs ménages de p<strong>et</strong>ite taille, souvent dirigés par une<br />

femme séparée de son mari, s’entraident. Les plus anciens sont<br />

venus à Sikasso pour briser des tensions familia<strong>les</strong> trop fortes <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> cerc<strong>les</strong> de San ou de Tominian : mésententes conjuga<strong>les</strong>,


72 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

temporaire ou prolongée, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> périphéries où se déploie la spé-<br />

culation <strong>foncière</strong> <strong>et</strong> immobilière depuis la seconde moitié des années<br />

1970. Des rapatriés antérieurs de Bobo-Dioulasso, devenus proprié-<br />

taires absentéistes, ont profité de la filière municipale d’attribu-<br />

tion <strong>foncière</strong> pour exploiter une véritable rente de situation. Après<br />

<strong>les</strong> événements frontaliers, certains ont reven<strong>du</strong> leurs lots pour<br />

repartir en migration internationale ; d’autres en ont tiré des reve-<br />

nus locatifs importants (4 ménages apportent l’équivalent d’un<br />

salaire moyen). C<strong>et</strong> usage spéculatif des parcel<strong>les</strong> de réinsertion<br />

n’est pas le seul fait des <strong>Mali</strong>ens rapatriés ; d’autres Sikassois s’en<br />

inspirent. Mais il a contribué à faire de Ouayéréma-Zone une péri-<br />

phérie spécialisée <strong>dans</strong> l’accueil de ménages récemment installés en<br />

ville.<br />

Avec une moyenne de 37 ans des chefs de ménage, ce quartier<br />

est ainsi le plus jeune. Sa population comporte 40 070 d’hébergés<br />

<strong>et</strong> 86 Vo de chefs de ménage immigrés. Deux groupes régionaux<br />

témoignent d’origines rura<strong>les</strong> nombreuses <strong>et</strong> en crise : <strong>les</strong> Minyanka,<br />

Bobo <strong>et</strong> Dogon (40 070 des chefs de ménage) viennent de l’est <strong>du</strong><br />

<strong>Mali</strong>, au nord de la troisième Région administrative ; 23 Yo de<br />

Peuls, Sonraï, Sarakolé <strong>et</strong> Maures élargissent l’attraction de Sikasso<br />

vers <strong>les</strong> zones sahéliennes septentriona<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus touchées par la<br />

sécheresse. Bon nombre de ménages sont constitués d’un ou de<br />

plusieurs célibataires : manœuvres agrico<strong>les</strong> ou pousseurs de char-<br />

r<strong>et</strong>tes à bras, ils partagent une chambre qui n’est souvent qu’un<br />

point de transit vers la Côte d’Ivoire. Des famil<strong>les</strong> sont présentes<br />

également , mais leur situation économique précaire <strong>les</strong> a souvent<br />

disloquées. L’objectif de ces nouveaux citadins n’est donc pas<br />

encore d’accéder à la propriété <strong>foncière</strong> à Sikasso, mais plutôt d’en<br />

finir avec un hébergement qui n’est que temporaire <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours<br />

des chefs de quartier ou chez des parents déjà installés. Assurer<br />

mensuellement le paiement d’un loyer devient la garantie minimum<br />

d’un semblant d’insertion urbaine.<br />

En octobre 1984, le service des affaires socia<strong>les</strong> chargé d’orga-<br />

niser la survie des sinistrés en recensa plus de 4 000. Une enqu<strong>et</strong>e<br />

nationale dénombra, en pleine sou<strong>du</strong>re de mai-juin 1985, près de<br />

20 O00 BOZO, Dogon, Peuls, Touaregs <strong>et</strong> Sonraï <strong>dans</strong> la capitale<br />

méridionale (8). Ils en modifièrent considérablement la physiono-<br />

mie humaine : parées de colliers d’ambre, des jeunes femmes au<br />

(8) Le sinistre est surestimé : ont été enregistrées comme réfugiées toutes <strong>les</strong> per-<br />

sonnes qui se sont présentées pour bénéficier de l’aide alimentaire envoyée par le<br />

Secours catholique <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Toutefois, la grande diversité des origines <strong>et</strong>hniques, qui<br />

concernent désormais le Grand Nord, est un fait nouveau. Jusque <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années<br />

1970, <strong>les</strong> zones de départ des sinistrés ne dépassaient pas la région de Mopti. <strong>La</strong> taille<br />

des ménages (5,2 personnes à Ouayéréma) est plus faible que la moyenne urbaine.


COHABITATIONS RÉSIDENTIELLES ET DIFFÉRENTIATION 73<br />

teint clair, aux camiso<strong>les</strong> colorées, sillonnaient <strong>les</strong> quartiers pour<br />

piler le mil <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours ; un camp se dressa à l’est de<br />

Ouayéréma-Ancien, autour d’un p<strong>et</strong>it marché à bétail. Dès l’hiver-<br />

nage 1985-86, la moitié de c<strong>et</strong>te population


74 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

des lignes de partage qui ne se recoupent pas toujours, mais qui<br />

réagissent <strong>les</strong> unes aux autres. Ces clivages urbains définissent un<br />

paysage de subtils sentiments d’appartenance : origines régiona<strong>les</strong>,<br />

lignagkres, promotions professionnel<strong>les</strong>, cerc<strong>les</strong> associatifs, tous con-<br />

courent aux efforts d’appropriation <strong>foncière</strong>. Jatigiw <strong>et</strong> <strong>du</strong>nanw,<br />


2<br />

Les ouvriers koutialais<br />

<strong>et</strong> la redistribution de la rente cotonnière<br />

Koutiala est ici abordé par une filière d’insertion profession-<br />

nelle <strong>dans</strong> la ville : le salariat de la Compagnie malienne de déve-<br />

loppement textile (égrenage) <strong>et</strong> de l’Huilerie cotonnière <strong>du</strong> <strong>Mali</strong><br />

(traitement des rési<strong>du</strong>s cotonniers, hui<strong>les</strong> <strong>et</strong> farines). L’entreprise<br />

offre-t-elle une opportunité particulière, un tremplin efficace pour<br />

pénétrer le marché des lots <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> maliennes, ou bien<br />

s’efface-t-elle derrière d’autres identités, lignagères ou régiona<strong>les</strong> ?<br />

Les investissements de ces salariés dépendent-ils d’une corporation<br />

usinière ou bien d’autres cadres sociaux ? Les pratiques <strong>foncière</strong>s<br />

des ouvriers (enquête menée en 1988 auprès de 182 des 1467 sala-<br />

riés des entreprises) éclairent ainsi le champ des relations entre <strong>et</strong> ) (1). L’acquisition de terrains<br />

contribue-t-elle à assurer la repro<strong>du</strong>ction d’une main-d’œuvre qui<br />

se stabiliserait <strong>et</strong> de cellu<strong>les</strong> familia<strong>les</strong> qui s’indivi<strong>du</strong>aliseraient ?<br />

UNE CONDITION SALARIALE ET OUVRIÈRE ?<br />

<strong>La</strong> main-d’œuvre in<strong>du</strong>strielle <strong>du</strong> Sud-Est malien est d’abord peu<br />

homogène. Ces inégalités professionnel<strong>les</strong> relèvent des caractères<br />

techniques <strong>du</strong> travail en usine, mais aussi d’itinéraires migratoires<br />

<strong>et</strong> économiques spécifiques <strong>dans</strong> la ville.<br />

(1) (( Les facteurs proprement <strong>et</strong>hniques, familiaux, résidentiels, religieux qui par-<br />

ticipent de la constitution <strong>du</strong> milieu ouvrier restent très mal connus... l’existence ou<br />

non d’une autonomie ouvrière au sein même de ces relations socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> culturel<strong>les</strong><br />

extérieures à l’entreprise <strong>et</strong> au travail in<strong>du</strong>striel reste à être confirmée )> (Copans, 1987,<br />

pp. 36-37).


76 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

1. L’insertion urbaine est, en moyenne, médiocre<br />

Régularité des ressources salaria<strong>les</strong> mais précarité des résidences<br />

en ville<br />

Seulement 26 Yo des salariés apparaissent propriétaires de leur<br />

cour de résidence à Koutiala ; 35 Yo sont hébergés chez des parents,<br />

propriétaires ou non, <strong>et</strong> <strong>les</strong> locataires constituent le groupe rési-<br />

dentiel le plus important (39 Yo). C<strong>et</strong>te insuffisante sécurité urbaine<br />

semble paradoxale au regard de la prospérité économique relative<br />

des usines koutialaises. Cel<strong>les</strong>-ci distribuent une masse salariale con-<br />

sidérable pour la consommation urbaine (2) ; l’encadrement tech-<br />

nique qu’el<strong>les</strong> offrent aux cultivateurs est l’un des plus efficaces<br />

des régions soudaniennes ouest-africaines ; leurs 1 500 travailleurs<br />

sont considérés par <strong>les</strong> autres actifs comme privilégiés par la sécurité<br />

de l’emploi jusqu’au début des années 1990. Ainsi, la difficulté<br />

d’y être embauché est-elle ressentie de façon croissante par une<br />

masse de jeunes chômeurs qui déposent leurs l<strong>et</strong>tres de candida-<br />

ture chaque année. Pourtant, ces avantages ne garantissent pas,<br />

au premier abord, une stabilisation <strong>foncière</strong> <strong>du</strong>rable. Les caractB<br />

res généraux de c<strong>et</strong>te main-d’œuvre essentiellement masculine jus-<br />

tifient c<strong>et</strong>te précarité résidentielle d’ensemble.<br />

En eff<strong>et</strong>, le recrutement des usines est assez jeune. L’âge moyen<br />

des salariés, 33 ans, conditionne un certain manque de > de chefs de ménage ou de dépendants (notamment<br />

le tiers d’hébergés) qui ne peuvent encore postuler à une résidence<br />

autonome. Les situations matrimonia<strong>les</strong> confirment c<strong>et</strong>te jeunesse :<br />

<strong>les</strong> entreprises in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong> emploient autant, <strong>et</strong> plus que l’activité<br />

globale de la ville, de célibataires que de mariés monogames (<strong>les</strong><br />

polygames ne sont que 11 Yo). C<strong>et</strong>te importance <strong>du</strong> célibat (44 YO)<br />

explique le faible nombre de propriétaires, plus par des besoins<br />

fonciers non encore exprimés (une dépendance matérielle <strong>et</strong> sociale<br />

vis-à-vis des résidences familia<strong>les</strong>) que par des ambitions réel<strong>les</strong><br />

mais non satisfaites.<br />

De même, l’origine régionale de la main-d’œuvre ne semble<br />

guère l’attacher fortement à la ville <strong>et</strong> à ses réseaux d’appropria-<br />

tion patrimoniale. Si <strong>les</strong> natifs de la région de Sikasso sont de peu<br />

majoritaires, <strong>les</strong> originaires de Koutiala-ville ne représentent que<br />

moins <strong>du</strong> quart des salariés. Près d’un tiers des salariés résident<br />

(2) D’après la ventilation des classes de salaires, <strong>les</strong> 669 saisonniers employés par<br />

la CMDT en 1987 (environ la moitié des salariés <strong>les</strong>’moins payés des deux entrepri-<br />

ses) perçoivent par mois près de 10 millions de FCFA, I’équivalent de 13 Vo des rec<strong>et</strong>tes<br />

budgétaires communa<strong>les</strong> de la m&me année.


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 77<br />

<strong>dans</strong> leur lieu de travail depuis moins de 6 ans, dépassant ainsi<br />

<strong>les</strong> résidents de longue date (22 ans ou plus : 29 Yo). Ces ouvriers<br />

<strong>et</strong> employés, venus en majorité de l’extérieur, auront-ils la volonté<br />

<strong>et</strong> la possibilité d’investir une éventuelle épargne sur place à<br />

Koutiala ?<br />

Itinéraires migratoires <strong>et</strong> économiques des salariés avant 1 ’inser-<br />

tion <strong>dans</strong> la ville de travail<br />

Les origines socia<strong>les</strong> de la main-d’œuvre apparaissent à nou-<br />

veau modestes : plus d’un ouvrier sur deux est fils de cultivateurs,<br />

moins d’un sur cinq a pour père un fonctionnaire ; l’artisanat, le<br />

commerce ou le transport rassemblent à peine un quart des acti-<br />

vités familia<strong>les</strong>, bien que près des deux tiers des salaries soient nés<br />

<strong>dans</strong> des localités aujourd’hui urbaines. <strong>La</strong> scolarisation des<br />

ouvriers, en général faible, ne <strong>les</strong> avantagent guère (3). <strong>La</strong> main-<br />

d’ceuvre koutialaise se constitue donc autour de trois filières dif-<br />

férenciées : un ouvrier sur cinq n’a reçu aucune formation (ni école,<br />

ni apprentissage) <strong>et</strong> vient d’une famille paysanne ; <strong>les</strong> déscolarisés<br />

ont ensuite quitté l’école à parts éga<strong>les</strong> avant le second cycle <strong>et</strong><br />

avant le bac ; ils constituent un pôle important (44 Yo), ayant dû<br />

interrompre leurs études sans autre formation complète ; enfin, <strong>les</strong><br />

ouvriers qualifiés ne fournissent que le quart des emplois in<strong>du</strong>s-<br />

triels, à l’issue d’un apprentissage chez un artisan-patron (62 Yo<br />

des cas), commencé en majorité après moins de 6 ans d’école, ou<br />

plus rarement d’éco<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong> qui leur ont donné un CAP<br />

(diplôme mieux valorisé que l’apprentissage au moment de l’embau-<br />

che ; trois personnes seulement bénéficient d’un brev<strong>et</strong> de techni-<br />

cien supérieur).<br />

C<strong>et</strong>te répartition justifie alors la prééminence des faib<strong>les</strong> rému-<br />

nérations salaria<strong>les</strong>, <strong>et</strong> rend leurs titulaires peu solvab<strong>les</strong>. Si l’usine<br />

reste un lieu d’espoir pour une masse importante de chômeurs issus<br />

des faillites <strong>du</strong> système scolaire malien, sa jeunesse technique ne<br />

leur laisse envisager que peu d’initiatives résidentiel<strong>les</strong> indépendantes<br />

<strong>du</strong> soutien familial. Les manœuvres de I’égrenage, des triage de<br />

sacs, remplissage <strong>et</strong> lavage des fûts d’huile (37 Yo, leurs salaires<br />

HUICOMA vont de 15 à 19 000 FCFA en 1988) ; <strong>les</strong> ouvriers qua-<br />

lifiés (con<strong>du</strong>cteurs <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>ien des machines, personnel roulant<br />

(3) 64 070 des salariés n’ont pas été scolarisés (travail au champ), ont suivi des<br />

scolarités courtes suivies d’un apprentissage artisanal ou ont échoué au diplôme d’études<br />

fondamenta<strong>les</strong> (I’équivalent <strong>du</strong> BEPC français) ; le niveau intermédiaire (DEF <strong>et</strong>/ou<br />

formation technique) en rassemble 29 070, alors que <strong>les</strong> bacheliers <strong>et</strong> <strong>les</strong> étudiants ne<br />

sont que 7 070 <strong>du</strong> sondage.<br />


78 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

pour le ravitaillement des usines : 28 070, de 20 à 35 O00 FCFA)<br />

concentrent ainsi <strong>les</strong> deux tiers des emplois, <strong>et</strong> laissent à la mino-<br />

rité


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 79<br />

beaucoup sur <strong>les</strong> emplois salariés (24 Yo), <strong>et</strong> suggèrent générale-<br />

ment de bas revenus. Seul un ouvrier sur cinq a travaillé <strong>dans</strong> une<br />

entreprise nationale avant l’embauche à Koutiala.<br />

Des antécédents médiocres caractérisent donc le salariat d’entre-<br />

prise de façon contradictoire : la main-d’œuvre koutialaise sem-<br />

ble partagée entre d’une part un faible attachement à Koutiala,<br />

un manque d’atouts ou d’initiatives pour une démarche d’appro-<br />

priation <strong>foncière</strong>, <strong>et</strong>, d’autre part, une tentative plus résolue d’inser-<br />

tion professionnelle, au terme de cheminements économiques <strong>et</strong> géo-<br />

graphiques fragi<strong>les</strong>. Les types d’ouvriers, des profils salariés <strong>et</strong> rési-<br />

dentiels contrastés, donnent en fait la clef de puissants clivages<br />

au sein des usines.<br />

2. Deux générations in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong>, deux statuts professionnels<br />

inégalement reconnus<br />

CMDT <strong>et</strong> HUICOMA<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> activités in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong> des deux entreprises n’ont<br />

pas <strong>les</strong> mêmes origines. Société mixte, héritière depuis 1974 de la<br />

CFDT française, la CMDT pratique l’égrenage depuis la fin de<br />

la colonisation ; ses trois usines koutialaises emploient des ouvriers<br />

depuis deux à trois décennies. Au contraire, HUICOMA n’a<br />

entamé sa première campagne in<strong>du</strong>strielle qu’en 198 1, mais pro-<br />

fite de techniques modernes <strong>et</strong> de filières commercia<strong>les</strong> dynami-<br />

ques. L’huile de coton est bien passée <strong>dans</strong> la consommation<br />

malienne ; l’aliment-bétail (farines <strong>et</strong> tourteaux obtenus après tri-<br />

turation de la graine) a connu un franc succès auprès des éleveurs<br />

nationaux ; des techniciens français viennent expérimenter de nou-<br />

vel<strong>les</strong> valorisations in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong> des rési<strong>du</strong>s cotonniers.<br />

<strong>La</strong> construction de l’usine HUICOMA a donc stimulé un<br />

important appel d’offre pour la main-d’œuvre locale ou nationale.<br />

Des lycéens <strong>et</strong> des étudiants,


80 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Après une période d’essor constant de la pro<strong>du</strong>ction cotonnière<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970, <strong>les</strong> revenus de la fibre à l’exportation sont<br />

en eff<strong>et</strong> moins assurés. Certes <strong>les</strong> variétés sélectionnées <strong>et</strong> leur<br />

débouché in<strong>du</strong>striel ont ouvert depuis 1960 la


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 81<br />

tent 41 070 des actifs de la CMDT, ils ne sont que 11 070 à HUI-<br />

COMA. Inversement, <strong>les</strong> jeunes salariés de moins de 30 ans sont<br />

minoritaires à l’égrenage, <strong>et</strong> majoritaires à la trituration. Le vieil-<br />

lissement in<strong>du</strong>striel de la première entreprise entraîne donc celui<br />

de sa main-d’œuvre. Une grande partie des travailleurs saisonniers<br />

sont en eff<strong>et</strong> réembauchés d’une année sur l’autre, <strong>et</strong> se stabili-<br />

sent <strong>dans</strong> la ville. Au contraire, la modernité de HUICOMA se<br />

tra<strong>du</strong>it par l’emploi d’une main-d’œuvre plus récemment formée.<br />

L’âge pesant sur l’expression des besoins résidentiels, <strong>les</strong> salariés<br />

des deux entreprises n’ont donc pas la mgme


82 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

fient leur réembauche <strong>dans</strong> l’usine, au prix d’une plus grande sou-<br />

mission aux chefs d’équipe (4).<br />

Ces différents statuts professionnels sont inégalement représentés<br />

au sein de l’entreprise. Au plan syndical, la défense des intérêts<br />

indivi<strong>du</strong>els <strong>et</strong> quelques avantages financiers (distributions d’huile,<br />

de riz <strong>et</strong> de viande à prix ré<strong>du</strong>it, reventes de fûts usagés) ne con-<br />

cernent que <strong>les</strong> permanents. De meme, <strong>les</strong> saisonniers de HUI-<br />

COMA ont été exclus des avances <strong>du</strong> fond social pour le finance-<br />

ment des lots municipaux, car le remboursement sur 15 mois dépas-<br />

sait la <strong>du</strong>rée d’embauche d’une campagne in<strong>du</strong>strielle. De nouveaux<br />

écarts, liés au clivage professionnel, apparaissent donc <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

besoins résidentiels <strong>et</strong> le capital d’expériences économiques de la<br />

main-d’œuvre.<br />

Les charges familia<strong>les</strong> des permanents s’opposent d’abord à cel-<br />

<strong>les</strong> des saisonniers. Les premiers sont mariés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> deux tiers<br />

des cas ; plus jeunes, <strong>les</strong> seconds sont encore plus célibataires<br />

(56 Oro) que la moyenne. L’environnement technique des usines con-<br />

tribue également à faire varier <strong>les</strong> ressources économiques des sala-<br />

riés depuis l’embauche in<strong>du</strong>strielle. Si celui de HUICOMA a ren<strong>du</strong><br />

<strong>les</strong> employeurs plus exigeants sur le recrutement de leur person-<br />

nel, y compris des manœuvres, <strong>les</strong> moyennes de scolarisation <strong>et</strong><br />

de qualification par entreprise s’effacent devant <strong>les</strong> écarts entre tra-<br />

vailleurs précaires <strong>et</strong> stab<strong>les</strong>. <strong>La</strong> majorité des travailleurs non ou<br />

peu scolarisés devient écrasante chez <strong>les</strong> premiers (71 Oro), alors<br />

qu’elle s’atténue chez <strong>les</strong> seconds (54 Oro). Inversement, la part des<br />

travailleurs mieux formés (titulaires <strong>du</strong> DEF à la CMDT, <strong>du</strong> bac<br />

à HUICOMA) augmente chez <strong>les</strong> permanents. Les emplois exer-<br />

cés <strong>dans</strong> l’entreprise confirment alors l’opposition de fond entre<br />

permanents <strong>et</strong> saisonniers : <strong>les</strong> travailleurs stab<strong>les</strong> sont plus quali-<br />

fiés, mieux rémunérés ; 7 Oro d’entre eux seulement sont manœu-<br />

vres. Au contraire, le travail non qualifié l’emporte largement chez<br />

<strong>les</strong> saisonniers (manœuvres : 53 Oro). Ces niveaux techniques <strong>du</strong> tra-<br />

(4) Les saisonniers ne sont recrutés que pour la <strong>du</strong>rée d’une campagne in<strong>du</strong>strielle,<br />

de novembre (récoltes cotonnières) à avril (CMDT) ou juin (HUICOMA). Ils sont<br />

employés (< au 3/8 )) en équipes tournantes. Au contraire, <strong>les</strong> permanents bénéficient<br />

d’un mois de congé <strong>et</strong> travaillent à l’entr<strong>et</strong>ien des machines pendant (< l’inter-<br />

campagne D. Une centaine de journaliers est enfin recrutée par <strong>les</strong> deux entreprises<br />

par le biais d’un tâcheron local. En prélevant 50 FCFA par jour <strong>et</strong> par manœuvre<br />

des 500 FCFA versés pour eux, celui-ci se taille un bénéfice mensuel de 150 O00 FCFA,<br />

soit le triple d’un salaire mensuel moyen. C<strong>et</strong>te confortable ristourne explique la<br />

méfiance <strong>du</strong> tâcheron, actionnaire de HUICOMA, vis-à-vis de l’enquête. L’embau-<br />

che à la tâche, souple <strong>et</strong> d’un coût financier faible, reste adaptée au fonctionnement<br />

des machines 24 heures sur 24 <strong>du</strong>rant 6 mois de campagne. Les bas revenus des jour-<br />

naliers <strong>les</strong> empêchent de postuler à une propriété à Koutiala. Leur exemple n’est donc<br />

r<strong>et</strong>enu que <strong>dans</strong> la mesure où il confirme une précarité économique (âge, <strong>du</strong>rée de<br />

résidence en ville, qualification <strong>dans</strong> l’usine) proche de celle des saisonniers, <strong>et</strong> oppo-<br />

sée à la situation des permanents.


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 83<br />

vail in<strong>du</strong>striel conditionnent donc une hiérarchie de solvabilités <strong>dans</strong><br />

la consommation urbaine. L’origine de ces différences se situe pour-<br />

tant en grande partie <strong>dans</strong> le passé des salariés qui est rarement<br />

koutialais ou in<strong>du</strong>striel.<br />

Les itinéraires migratoires <strong>et</strong> économiques antérieurs à l’usine<br />

ont en eff<strong>et</strong> préparé le terrain de c<strong>et</strong>te hiérarchie. L’histoire pro-<br />

fessionnelle des saisonniers est ainsi relativement plus simple : alors<br />

que 27 070 (CMDT) ou 42 070 (HUICOMA) d’entre eux n’ont connu<br />

aucune migration antérieure (9 Yo chez <strong>les</strong> permanents), <strong>les</strong> fortes<br />

mobilités (3 changements de résidence ou plus) touchent 17 070 <strong>et</strong><br />

46 070 des permanents (contre moins de 10 070 des saisonniers). C’est<br />

donc au prix d’une recherche plus éclatée de formation <strong>et</strong> d’expé-<br />

riences professionnel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> permanents ont


84 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Un autre écart à la moyenne particularise ces paysans-ouvriers :<br />

alors que <strong>les</strong> destinations étrangères des migrations antérieures à<br />

l’embauche in<strong>du</strong>strielle sont toujours minoritaires chez <strong>les</strong> autres<br />

actifs, el<strong>les</strong> concernent 54 070 des déplacements des saisonniers de<br />

la CMDT qui, bien que peu mobi<strong>les</strong>, s’inscrivent <strong>dans</strong> des réseaux<br />

d’exode économique similaires à ceux des Sikassois. C<strong>et</strong> apport<br />

financier extérieur se mesure davantage à l’échelle des famil<strong>les</strong> qu’à<br />

celle de pratiques indivi<strong>du</strong>el<strong>les</strong> : des frères <strong>et</strong> des neveux partici-<br />

pent au travail cotonnier d’hivernage, puis drainent en saison sèche<br />

<strong>les</strong> salaires d’appoint de l’égrenage in<strong>du</strong>striel ou <strong>du</strong> maneuvriat<br />

ivoirien, qui contribuent à l’achat d’une ou de plusieurs parcel<strong>les</strong><br />

urbaines. Inversement, ces lots acquis <strong>et</strong> non hérités offrent quel-<br />

ques opportunités de revenus locatifs complémentaires, que <strong>les</strong> aînés<br />

injectent <strong>dans</strong> la diversification des activités agrico<strong>les</strong> (maraîchage,<br />

cheptel villageois). Ce recyclage à trois pô<strong>les</strong> des ressources fami-<br />

lia<strong>les</strong> (pro<strong>du</strong>ction rurale, résidence péri-urbaine ou citadine, migra-<br />

tion internationale) entr<strong>et</strong>ient le dynamisme de l’économie locale.<br />

Celle-ci apparaît moins ouverte sur l’étranger que Sikasso (chapi-<br />

tre 3)’ mais se caractérise par un fort réinvestissement des revenus<br />

professionnels.<br />

Pour ce noyau de famil<strong>les</strong> koutialaises cultivatrices, le travail<br />

salarié en usine n’est donc que l’une des composantes d’une repro-<br />

<strong>du</strong>ction économique <strong>et</strong> résidentielle élargie : le coton cultivé <strong>dans</strong><br />

l’arrondissement central, l’égrenage pratiqué en saison sèche, l’exode<br />

international pour quelques uns, tous ces Cléments sont mis au ser-<br />

vice d’une gestion communautaire, <strong>dans</strong> laquelle la modernisation<br />

des structures agraires prime. Cad<strong>et</strong>s <strong>et</strong> aînés partagent <strong>les</strong> mêmes<br />

cours ; <strong>les</strong> ressources mises en commun financent l’achat de nou-<br />

veaux matériels de culture ven<strong>du</strong>s par la CMDT.<br />

Loin d’accélérer le morcellement des exploitations ou l’éclate-<br />

ment des solidarités lignagères, la modernisation agricole la mieux<br />

encadrée <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> semble au contraire en freiner <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s. Main-<br />

tenir des patrimoines communs serait donc une garantie <strong>du</strong> dyna-<br />

misme cotonnier <strong>et</strong> de la diversification des activités vers l’usine.<br />

Très spécifique, ce premier profil dément donc la notion de a con-<br />

dition ouvrière >>, à laquelle s’attachent mieux <strong>les</strong> trois suivants.<br />

Le niveau de formation des saisonniers de HUICOMA est un<br />

peu plus élevé. Mais il est marqué par beaucoup d’échecs que <strong>les</strong><br />

dkscolarisés ont subis avant la fin des premier <strong>et</strong> second cyc<strong>les</strong>.<br />

Moins mobi<strong>les</strong> (67 070 sans migration), plus jeunes, ils ont peu<br />

exercé d’emplois avant leur embauche, <strong>et</strong> ces activitks antérieures<br />

ont été moins agrico<strong>les</strong> que cel<strong>les</strong> des saisonniers de la CMDT.<br />

Face à ces cad<strong>et</strong>s professionnels aux expériences peu nombreuses<br />

ou peu variées, <strong>les</strong> permanents se distinguent enfin par une for-


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 85<br />

mation plus longue <strong>et</strong> plus technique, ainsi que par des migrations<br />

<strong>et</strong> des activités antérieures plus diverses. Aujourd’hui, ce capital<br />

<strong>les</strong> avantage pour trouver des activités en dehors de l’usine. Les<br />

différents facteurs de ces profils croisés contribuent finalement à<br />

justifier de puissants écarts <strong>dans</strong> la situation <strong>foncière</strong> des salariés<br />

koutialais.<br />

YO<br />

Hébergés<br />

Locataires<br />

Propriétaires<br />

Total<br />

Yo<br />

Hébergés<br />

Locataires<br />

Propriétaires<br />

Total<br />

YO<br />

Hébergés<br />

Locataires<br />

Propriétaires<br />

Total<br />

Profils contrastés d’insertion rCsidentieIIe<br />

Journaliers<br />

Huicoma<br />

Saisonniers Permanents Total<br />

Huicoma Huicoma Huicoma<br />

I I I l<br />

71 47 14 34<br />

29 44 74 57<br />

O 9 12 9<br />

1 O0 1 O0 1 O0 1 O0<br />

S.CMDT P.CMDT Total CMDT<br />

I I I I<br />

42<br />

20<br />

38<br />

21 35<br />

38 26<br />

41 39<br />

100 1 O0 1 O0<br />

Total S. Total P. Total<br />

I I l 1<br />

44 18 35<br />

28 56 39<br />

28 26 26<br />

100 100 100<br />

<strong>La</strong> part des propriétaires par types d’actifs révèle des contras-<br />

tes apparemment en contradiction avec <strong>les</strong> hypothèses précéden-<br />

tes. Les employés de HUICOMA, dont le fonds social est le mieux<br />

pourvu, sont moins propriétaires que ceux de la CMDT. C’est<br />

qu’en fait <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> communa<strong>les</strong>, payées en 1986 sur avance<br />

de 50 O00 FCFA de l’entreprise, n’ont pas été distribuées, <strong>et</strong> ont<br />

laissé <strong>les</strong> salariés <strong>dans</strong> des conditions résidentiel<strong>les</strong> prkaires. De<br />

plus, l’âge des travailleurs, leurs dates d’arrivée à Koutiala <strong>et</strong><br />

d’embauche in<strong>du</strong>strielle contribuent à c<strong>et</strong>te faib<strong>les</strong>se que l’on a qua-<br />

lifiée de manque de maturité urbaine. Corrélativement, <strong>les</strong> pour-<br />

centages de locataires s’opposent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> deux entreprises : mino-<br />

ritaires à la CMDT, ils viennent en majorité <strong>et</strong> en tête des trois


86 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

statuts résidentiels à HUICOMA. Les différences évoquées entre<br />

<strong>les</strong> usines trouvent ainsi leurs conséquences ici. Les salariés de<br />

l’in<strong>du</strong>strie la plus récemment implantée sont encore des , compte tenu <strong>du</strong> blocage administra-<br />

tif des lotissements koutialais. Au contraire, la longévité profes-<br />

sionnelle <strong>et</strong> résidentielle des travailleurs CMDT leur a donné une<br />

meilleure situation <strong>foncière</strong>. L’acquisition d’un terrain se mesure<br />

surtout, à Koutiala comme à Sikasso, à moyen ou long terme.<br />

Autre paradoxe, l’opposition des saisonniers <strong>et</strong> des permanents<br />

ne semble pas se tra<strong>du</strong>ire <strong>dans</strong> <strong>les</strong> taux de propriété ; le pourcen-<br />

tage des propriétaires est même plus important chez <strong>les</strong> premiers<br />

que chez <strong>les</strong> seconds, <strong>et</strong> la différence entre <strong>les</strong> deux statuts pro-<br />

fessionnels porte plutôt sur <strong>les</strong> pourcentages de locataires <strong>et</strong><br />

d’hébergés : alors que <strong>les</strong> hébergés viennent en tête chez <strong>les</strong> sai-<br />

sonniers, la location l’emporte chez <strong>les</strong> permanents. )’ à l’usine comme à la ville, <strong>les</strong> saison-<br />

niers, célibataires en majorité, sont donc tributaires <strong>du</strong> statut pro-<br />

fessionnel de leurs parents, de même qu’ils dépendent des relations<br />

de leurs famil<strong>les</strong> pour être embauchés <strong>dans</strong> l’entreprise. Au con-<br />

traire, leurs aînés permanents ont substitué à la dépendance fami-<br />

liale une dépendance financière sur le marché locatif. Leurs res-<br />

sources relativement plus élevées <strong>les</strong> con<strong>du</strong>isent à n’ach<strong>et</strong>er un ter-<br />

rain qu’en fonction d’une <strong>du</strong>rée de résidence suffisamment lon-<br />

gue, d’une embauche suffisamment ancienne, de préférence à la<br />

CMDT.<br />

Quatre profils résidentiels témoignent ainsi d’une hiérarchie<br />

urbaine. D’âges contrastés, <strong>les</strong> saisonniers de la CMDT sont mar-<br />

qués par une double sur-représentation par rapport à la moyenne :<br />

des hébergés, mais surtout des propriétaires. Origines loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> lon-<br />

gévité résidentielle compensent ici la précarité professionnelle. Les<br />

saisonniers de HUICOMA associent une forte concentration des<br />

hébergés <strong>et</strong> une autre des locataires, plus secondaire. Ils apparais-<br />

sent ainsi doublement précaires ’ car leur handicap professionnel<br />

est aggravé par une insertion urbaine récente. Deux types d’héber-<br />

gement marquent donc différemment <strong>les</strong> saisonniers des entrepri-<br />

ses : <strong>les</strong> jeunes de la CMDT dépendent plutôt de famil<strong>les</strong> autoch-<br />

tones logées en ville <strong>et</strong> surtout <strong>dans</strong> <strong>les</strong> hameaux environnants. Les<br />

faib<strong>les</strong>ses de leur statut professionnel pourront donc être compen-<br />

sées, à terme, par le soutien de lignages déji enracinés <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

réflexes d’appropriation <strong>foncière</strong>. Au contraire, <strong>les</strong> jeunes héber-<br />

gés de HUICOMA appartiennent pour la plupart à des famil<strong>les</strong><br />

de non-natifs de la ville, qui sont déjà beaucoup moins proprié-


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 87<br />

taires de leur résidence : des fonctionnaires, des salariés mutés à<br />

Koutiala ont ainsi réussi à placer leurs enfants <strong>dans</strong> l’entreprise<br />

sans bénéficier des mêmes facilités pour pénétrer <strong>les</strong> réseaux muni-<br />

cipaux d’attribution <strong>foncière</strong>.<br />

Les permanents de la CMDT suggèrent ensuite l’insertion<br />

urbaine la meilleure avec une sur-représentation marquée des seuls<br />

propriétaires. <strong>La</strong> <strong>du</strong>rée de résidence <strong>et</strong> la stabilité professionnelle<br />

ont conjugué leurs eff<strong>et</strong>s pour leur donner <strong>les</strong> meilleures chances<br />

d’acquérir un terrain à Koutiala. Enfin, <strong>les</strong> permanents de HUI-<br />

COMA sont <strong>les</strong> plus concentrés sur le statut résidentiel fortement<br />

majoritaire des locataires. Ils concurrenceront ainsi, <strong>dans</strong> l’avenir,<br />

<strong>les</strong> vieux résidents de la CMDT si leur pouvoir d’achat n’est pas<br />

remis en cause. Après une décennie de fonctionnement usinier, leur<br />

qualification ne leur donne encore d’atouts que virtuels pour accé-<br />

der Q la propriété <strong>foncière</strong>, s’ils confirment leur attachement à<br />

Koutiala.<br />

Au total, c<strong>et</strong>te approche des niveaux techniques <strong>du</strong> travail sou-<br />

ligne le fait que le statut résidentiel des salariés ne peut se com-<br />

prendre au vu de la seule activité prksente des salariés (type d’entre-<br />

prise ou d’emploi). Les paramètres se démultiplient encore dès lors<br />

que l’on passe des moyens d’indivi<strong>du</strong>s aux besoins urbains de leurs<br />

famil<strong>les</strong>. D’autres pratiques socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> économiques, héritées ou<br />

capitalisées, définissent également, <strong>dans</strong> le champ <strong>du</strong> hors-travail,<br />

<strong>les</strong> modalités de l’insertion urbaine.<br />

MAINTENIR DES RÉFLEXES TERRIENS<br />

Impliquant l’environnement familial <strong>et</strong> social des salariés, <strong>les</strong><br />

récits de vie de l’enquête débordent davantage des limites urbai-<br />

nes <strong>et</strong> décloisonnent véritablement l’acquisition indivi<strong>du</strong>elle d’un<br />

lot de résidence. Au-delà de la cour quotidienne, de la personne<br />

<strong>et</strong> de la ville, l’espace des patrimoines débouche sur une seconde<br />

contradiction <strong>foncière</strong> : si seulement 26 Vo des actifs in<strong>du</strong>striels sont<br />

propriétaires <strong>du</strong> logement koutialais, 44 ‘Yo déclarent posséder un<br />

autre terrain d’habitation qu’ils n’occupent pas encore. Le sala-<br />

riat suffit-il à rendre compte d’un tel élargissement ?


88 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

1. Statuts résidentiels définis sur la longue <strong>du</strong>rée<br />

Compte tenu de leur nombre <strong>et</strong> de leur situation transitoire <strong>dans</strong><br />

la ville, <strong>les</strong> hébergés posent la <strong>question</strong> <strong>du</strong> statut résidentiel de ceux<br />

(un père ou un oncle <strong>dans</strong> 90 Yo des cas) qui <strong>les</strong> hébergent : ces<br />

logeurs familiaux sont propriétaires <strong>dans</strong> plus de 80 Yo des cas.<br />

C<strong>et</strong>te stabilité <strong>foncière</strong> à Koutiala atténue la précarité économi-<br />

que de nombreux jeunes salariés. Etre le fils ou le neveu d’un pro-<br />

priétaire donne la possibilité, à plus ou moins long terme, de deve-<br />

nir propriétaire en héritant d’une cour partagée entre <strong>les</strong> garçons<br />

de la famille. Si tel n’est pas le cas <strong>dans</strong> l’immédiat, la caution<br />

morale <strong>et</strong> sociale <strong>du</strong> tuteur y parfois koutialais de longue date,<br />

pourra favoriser une candidature administrative pour obtenir un<br />

lot municipal. Elle apportera aussi son capital de relations per-<br />

sonnel<strong>les</strong> auprès des intermédiaires présents <strong>dans</strong> toute transaction<br />

<strong>foncière</strong> sur le marché privé. Dépendre d’un autochtone proprié-<br />

taire donne de la respectabilité, perm<strong>et</strong> éventuellement de contour-<br />

ner <strong>les</strong> sélections économiques. Les hébergés sont donc souvent plus<br />

virtuellement propriétaires que bon nombre de locataires qui n’ont<br />

ni relation sociale <strong>dans</strong> la ville ni revenus in<strong>du</strong>striels suffisants.<br />

En passant d’une conception étroite de la propriété résidentielle,<br />

au vécu social des patrimoines urbains, en assimilant <strong>les</strong> hébergés<br />

au statut résidentiel de leur tuteur, on aboutit ainsi à une concur-<br />

rence différente de la première analyse : <strong>les</strong> propriétaires, réels ou<br />

potentiels, ne sont plus marginaux (55 Yo) <strong>dans</strong> l’hypothèse. L’écart<br />

reste pourtant marqué entre la CMDT (59 Yo pour <strong>les</strong> saisonniers,<br />

74 “o pour <strong>les</strong> permanents) <strong>et</strong> HUICOMA (23 <strong>et</strong> 50 Yo). Dans le<br />

premier cas, <strong>les</strong> travailleurs <strong>et</strong> leurs famil<strong>les</strong> maîtrisent mieux <strong>les</strong><br />

filières d’appropriation <strong>foncière</strong> loca<strong>les</strong> ; ceux de la seconde entre-<br />

prise dépendent encore d’une <strong>du</strong>rée de résidence plus courte. Deux<br />

composantes concourent donc à élaborer un patrimoine résiden-<br />

tiel : <strong>les</strong> revenus in<strong>du</strong>striels assurent d’abord la solvabilité écono-<br />

mique <strong>du</strong> salarié ; la présence ou l’absence de sa famille, ancienne<br />

ou récente, détermine ensuite une certaine solvabilité sociale. Celle-<br />

ci peut bloquer l’ouvrier <strong>dans</strong> l’indivi<strong>du</strong>alisation de sa résidence<br />

(maintien en hébergement, maintien en location si une partie de<br />

l’épargne urbaine, prélevée sur le salaire, est envoyée aux parents<br />

à l’extérieur), comme elle peut. le soutenir comme membre d’un<br />

patrimoine commun.<br />

I1 est sans doute hasardeux d’assimiler le statut résidentiel d’un<br />

hébergé à celui de son


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 89<br />

l’emportent en eff<strong>et</strong> sur <strong>les</strong> modes d’acquisition économique des<br />

parcel<strong>les</strong> (achats à la municipalité : 12 Yo, à un particulier : 19 Yo),<br />

qui relèvent d’une <strong>du</strong>re sélection <strong>foncière</strong> (prix élevés des transac-<br />

tions privées, limites de l’offre administrative). Comme <strong>les</strong> actifs<br />

indépendants, <strong>les</strong> salariés patientent en se rabattant, avant ou après<br />

leur embauche in<strong>du</strong>strielle, sur la filière familiale d’insertion<br />

urbaine. Leur solvabilité économique reste pourtant prise en compte<br />

<strong>dans</strong> ces gestions <strong>foncière</strong>s communautaires ; <strong>les</strong> revenus des<br />

ouvriers sont mis au service d’une épargne plus large, qui est inves-<br />

tie à l’occasion <strong>dans</strong> la construction, l’entr<strong>et</strong>ien <strong>et</strong> l’élargissement<br />

<strong>du</strong> logement familial. 89 Yo des cultivateurs autochtones, saison-<br />

niers de la CMDT, sont notamment devenus propriétaires de leurs<br />

cours résidentiel<strong>les</strong> par héritage. Surtout, ce mode d’acquisition ne<br />

concerne que des chefs de ménage mariés, sortis <strong>du</strong> cas de figure<br />

de l’hébergement, qui cohabitent avec <strong>les</strong> ménages collatéraux de<br />


90 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

d’un accès au sol urbain qui se mesure par l’investissement tant<br />

socio-politique que matériel de ses promoteurs.<br />

Comme à Sikasso, l’opposition entre <strong>les</strong> locataires <strong>et</strong> <strong>les</strong> pro-<br />

priétaires (réels ou virtuels) rencontre celle des <strong>du</strong>rées de résidence<br />

en ville : alors que <strong>les</strong> premiers sont en général arrivés récemment<br />

à Koutiala (moins de 8 ans : 83 Vo), 73 Vo des seconds y vivent<br />

depuis plus de 22 ans. Le lien entre la ville <strong>et</strong> ses réseaux d’appro-<br />

priation se mesure à long terme, souvent par la transmission d’un<br />

patrimoine d’une génération à la suivante.<br />

Ces relations étroites entre le temps de séjour en ville <strong>et</strong> I’appro-<br />

priation d’un terrain n’excluent pourtant pas <strong>les</strong> changements de<br />

statut résidentiel depuis l’arrivée à Koutiala. Parmi 52 salariés, <strong>les</strong><br />

cas d’accession à la propriété par achat après une location sont<br />

à peu près aussi nombreux que <strong>les</strong> cas de transmission d’un patri-<br />

moine familial aux enfants. Ce partage renvoie donc à celui, plus<br />

global, de la main-d’oeuvre entre autochtones <strong>et</strong> immigrés, entre<br />

anciens <strong>et</strong> nouveaux venus à Koutiala. Mais au niveau de plus p<strong>et</strong>its<br />

effectifs de salariés, ces deux solvabilités, héritage social <strong>et</strong> inves-<br />

tissement économique, s’imbriquent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> itinéraires géographi-<br />

ques <strong>et</strong> professionnels des indivi<strong>du</strong>s, <strong>dans</strong> leurs cheminements anté-<br />

rieurs <strong>et</strong> urbains. Si l’une peut atténuer <strong>les</strong> potentialités de l’autre,<br />

el<strong>les</strong> cumulent parfois leurs avantages respectifs pour élargir encore<br />

la <strong>question</strong> des patrimoines fonciers.<br />

2. Mobiliser l’épargne au-delà de la cour rCsidentielle<br />

Patrimoines élargis<br />

80 salariés déclarent posséder, en dehors de leur cour, au moins<br />

un terrain urbain d’habitation. Les modalités de leur appropria-<br />

tion nuancent l’idée d’une propriété ouvrière indivi<strong>du</strong>alisée (5).<br />

Les propriétaires déclarés des terrains sur <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> salariés<br />

estiment avoir des droits sont d’abord <strong>les</strong> enquêtés eux-mêmes à<br />

76 070. Cela souligne le rôle des initiatives personnel<strong>les</strong> (liées en par-<br />

tie à la capacité d’épargne in<strong>du</strong>strielle) <strong>dans</strong> l’élargissement des<br />

patrimoines, bien que l’entreprise HUICOMA ait servi de trem-<br />

(5) <strong>La</strong> distinction entre propriété <strong>et</strong> appropriation est importante : non pas tant<br />

parce qu’elle s’applique à des concessions précaires plutôt qu’à des- titres définitive-<br />

ment immatriculés ; mais surtout parce qu’elle relève, plus que <strong>du</strong> statut juridique<br />

des terrains, de légitimités socia<strong>les</strong> d’usage, de valorisation <strong>et</strong> de transmission des<br />

patrimoines.


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 91<br />

plin collectif à bon nombre de ces démarches d’acquisition fon-<br />

cière. Mécontents de leurs revenus <strong>et</strong> <strong>du</strong> blocage de l’opération<br />

de lotissement, <strong>les</strong> employés permanents n’en sont pas moins avan-<br />

tagés aux yeux d’autres actifs urbains. Toutefois, pres <strong>du</strong> quart<br />

des appropriations évoquées restent partagées avec un parent <strong>du</strong><br />

salarié. <strong>La</strong> localisation des parcel<strong>les</strong> confirme ce rôle de l’environ-<br />

nement familial : 63 Vo des terrains se trouvent à Koutiala, un tiers<br />

est situé <strong>dans</strong> une autre localité, notamment le lieu d’origine des<br />

salariés immigrés. Limiter <strong>les</strong> patrimoines à la seule cour habitée<br />

ou à la seule ville de résidence est donc doublement ré<strong>du</strong>cteur.<br />

Les propriétaires cumulant des lots supplémentaires à Koutiala <strong>et</strong><br />

<strong>dans</strong> une ou plusieurs autres localités représentent d’ailleurs 15 Vo<br />

des permanents de la CMDT.<br />

L’usage de ces autres parcel<strong>les</strong> renvoie ensuite à des proj<strong>et</strong>s de<br />

long terme. Contrairement aux cours résidentiel<strong>les</strong>, ces lots sont<br />

à peine construits <strong>dans</strong> l’ensemble. 45 Yo d’entre eux sont desti-<br />

nés à la r<strong>et</strong>raite <strong>du</strong> salarié, 50 070 au marché locatif, 5 Vo à ces<br />

deux valorisations à la fois. Toutefois, ces vocations varient selon<br />

que le terrain est situé à Koutiala (el<strong>les</strong> deviennent alors locatives<br />

aux deux tiers) ou <strong>dans</strong> une autre localité (le rapport s’inverse en<br />

faveur d’une construction de r<strong>et</strong>raite, qui, lorsque la parcelle est<br />

suffisamment aménagée, peut néanmoins être louée temporairement<br />

ou confiée à une partie de la famille).<br />

Une partie de l’épargne salariale échappe donc à la consom-<br />

mation koutialaise en étant investie sur des proj<strong>et</strong>s fonciers <strong>et</strong><br />

immobiliers extérieurs. Alors que l’héritage est le principal mode<br />

d’acquisition des cours résidentiel<strong>les</strong> koutialaises déjà construites,<br />

l’achat de terrains nus perm<strong>et</strong> davantage à d’autres salariés de deve-<br />

nir propriétaires <strong>dans</strong> leurs vil<strong>les</strong> d’origine, où des parents restés<br />

sur place <strong>les</strong> recommandent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> transactions personnalisées.<br />

Défavorisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> réseaux fonciers de leur commune de résidence,<br />

ces étrangers r<strong>et</strong>rouvent le soutien des solvabilités familia<strong>les</strong> <strong>dans</strong><br />

ces concurrences extérieures. Ils y valorisent, <strong>du</strong>rant leurs congés,<br />

au gré des opérations de lotissement <strong>et</strong> de leurs migrations pro-<br />

fessionnel<strong>les</strong>, la <strong>du</strong>rée de résidence de leurs ascendants <strong>dans</strong> la pers-<br />

pective d’un r<strong>et</strong>our de r<strong>et</strong>raite.<br />

Enfin, la notion de patrimoine inclut également, aux yeux des<br />

salariés, des terrains de culture. I1 ne s’agit encore moins d’une<br />

propriété indivi<strong>du</strong>elle : à Koutiala comme ailleurs, le champ relève<br />

d’une gestion partagée, <strong>et</strong> sa transmission familiale nécessite l’aval<br />

oral des autochtones. Mais tout autant que <strong>les</strong> cours d’habitation,<br />

son usufruit est fortement lié à la <strong>du</strong>rée de résidence en ville. Cul-<br />

tivateurs occasionnels ou réguliers, <strong>les</strong> salariés sont plus ou moins<br />

proches <strong>du</strong> contrôle foncier des terroirs agrico<strong>les</strong>. Certaines par-


92 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

cel<strong>les</strong>, morcelées depuis plusieurs générations, échappent à l’assen-<br />

timent des villageois ou d’un ancien chef de canton. D’autres ont<br />

même été ven<strong>du</strong>es <strong>dans</strong> la zone cotonnière ou en portions de plan-<br />

tations pérennes. Mais plus généralement, <strong>les</strong> immigrés de Kou-<br />

tiala n’aspirent qu’à cultiver un lopin alimentaire pour limiter leurs<br />

frais de nourriture. Ils éprouvent de plus en plus de difficultés à<br />

en user à long terme <strong>et</strong> à le transm<strong>et</strong>tre à leurs enfants, car <strong>les</strong><br />

champs se raréfient à proximité de la ville. <strong>La</strong> culture <strong>du</strong> coton<br />

a ren<strong>du</strong> <strong>les</strong> prEts moins aisés ; <strong>les</strong> paysans eux-mêmes sont con-<br />

frontés à des redistributions <strong>foncière</strong>s conflictuel<strong>les</strong> ; certains sont<br />

tentés de ne céder leurs parcel<strong>les</strong> lignagères que pour quelques<br />

années, le temps de laisser <strong>les</strong> citadins amender le sol pour le<br />

reprendre ensuite à bon compte.<br />

Ces terrains agrico<strong>les</strong> n’en sont pas moins importants <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

patrimoines des salariés in<strong>du</strong>striels. Comme de nombreux actifs <strong>et</strong><br />

fonctionnaires maliens, 55 070 d’entre eux participent à la culture<br />

familiale, directement ou par l’intermédiaire d’enfants <strong>et</strong> de<br />

manœuvres. C<strong>et</strong>te majorité dément donc l’assimilation de la main-<br />

d’œuvre koutialaise à un prolétariat ouvrier ayant rompu avec tout<br />

réflexe terrien (Agier, 1987). Mais le champ est plus lié à la ville<br />

de résidence que <strong>les</strong> autres déments <strong>du</strong> patrimoine : seulement 8 070<br />

des salariés ont leur parcelle agricole au village d’origine, qu’ils<br />

cultivent lors de visites ou de congés. Pourtant, <strong>les</strong> deux entrepri-<br />

ses in<strong>du</strong>striel<strong>les</strong> font ressortir l’inégale <strong>du</strong>rée de résidence de leurs<br />

travailleurs : <strong>les</strong> champs koutialais l’emportent de beaucoup à la<br />

CMDT, notamment chez <strong>les</strong> paysans-ouvriers saisonniers ; au con-<br />

traire, moins <strong>du</strong> tiers des salariés de HUICOMA bénéficient d’un<br />

terrain de culture local. Trop récemment installés à Koutiala, ces<br />

derniers continuent de jouir de champs familiaux <strong>dans</strong> <strong>les</strong> locali-<br />

tés d’origine, qu’ils cultivent en proportion plus importante que<br />

leurs collègues de la CMDT <strong>du</strong>rant l’inter-campagne in<strong>du</strong>strielle.<br />

Tous ces Cléments perm<strong>et</strong>tent donc de définir, pour l’ensem-<br />

ble <strong>du</strong> salariat in<strong>du</strong>striel, un véritable système foncier, en partie<br />

financé <strong>et</strong> élargi par l’épargne in<strong>du</strong>strielle, en partie pourvoyeur<br />

de revenus (locatifs, agrico<strong>les</strong>) de complément aux salaires. C<strong>et</strong><br />

ensemble de terrains associe, de façon souple <strong>et</strong> parfois cumulée,<br />

des appropriations indivi<strong>du</strong>el<strong>les</strong> <strong>et</strong> des gestions collectives, des voca-<br />

tions familia<strong>les</strong> <strong>et</strong> des usages spéculatifs. I1 s’appuie sur des ter-<br />

rains résidentiels urbains <strong>et</strong> sur des parcel<strong>les</strong> de culture, se cons-<br />

truit <strong>dans</strong> la localité de travail <strong>et</strong> sur d’autres lieux d’origine ou<br />

d’étapes migratoires.


Locataires + 1 autre lot acquis<br />

Hébergés + 1 autre lot acquis<br />

Propriétaires + 1 autre lot acquis<br />

LES OUVRIERS KOUTIALAIS 93<br />

Les logiques de l’appropriation : l’usine <strong>et</strong> la ville<br />

Les chances de c<strong>et</strong>te appropriation élargie varient d’abord au<br />

sein <strong>du</strong> travail in<strong>du</strong>striel, selon <strong>les</strong> statuts professionnels. Si 44 Yo<br />

des salariés possèdent un terrain autre que leur cour de résidence,<br />

<strong>les</strong> travailleurs précaires <strong>et</strong> stab<strong>les</strong> s’opposent <strong>dans</strong> chaque entre-<br />

prise : la plupart des saisonniers (79 Yo à HUICOMA, 67 Yo à la<br />

CMDT) ne possèdent aucun de ces lots urbains, alors qu’une majo-<br />

rité de permanents (74 <strong>et</strong> 54 Yo) contribuent à la notion de système<br />

foncier. Ces patrimoines élargis confirment donc une différence<br />

déjà vue pour <strong>les</strong> cours résidentieI<strong>les</strong> occupées : ceux qui ont le<br />

moins besoin d’acquérir des lots y réussissent le mieux.<br />

Les statuts résidentiels des acquéreurs de ces lots souvent non<br />

occupés révèlent ensuite d’autres écarts, bien que <strong>les</strong> patrimoines<br />

fonciers modestes restent, en effectifs de salariés, <strong>les</strong> plus impor-<br />

tants :<br />

Hébergés sans autre lot acquis<br />

Locataires sans autre lot acquis<br />

Propriétaires sans autre lot<br />

Hébergés + 2 autres lots acquis ou plus<br />

Locataires + 2 autres lots acquis ou plus<br />

38<br />

33<br />

31<br />

32<br />

15<br />

14<br />

Propriétaires + 2 à 4 autres lots acquis<br />

7<br />

6<br />

5<br />

I Total des salariés I 182<br />

Toutes parcel<strong>les</strong> urbaines confon<strong>du</strong>es (cours résidentiel<strong>les</strong> <strong>et</strong><br />

autres terrains, à l’exception des champs), <strong>les</strong> hébergés possèdent<br />

en moyenne 0,5 lots, <strong>les</strong> locataires 0’7 <strong>et</strong> <strong>les</strong> propriétaires 1,5. Selon<br />

la taille des patrimoines, une autre hiérarchisation urbaine des sala-<br />

riés fait apparaître trois groupes inégaux : majoritaire, un premier<br />

groupe (57 Yo) rassemble ceux dont <strong>les</strong> ambitions se limitent à la<br />

cour résidentielle, déjà appropriée ou non, indivi<strong>du</strong>ellement ou <strong>dans</strong><br />

le cadre familial. Un deuxième tiers amorce l’élargissement des sta-<br />

tuts fonciers avec des lots souvent non occupés <strong>et</strong> réservés à un<br />

usage ultérieur : quand l’hébergé se mariera, quand le locataire<br />

verra son emplacement promis désigne ou sa construction ache-<br />

vée, quand le propriétaire r<strong>et</strong>ournera <strong>dans</strong> sa région d’origine ou<br />

d’adoption. Enfin, le troisième groupe est peu important (10 Yo),<br />

mais sert de modèle aux autres par ses pratiques <strong>foncière</strong>s spécu-


94 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

latives (au moins deux lots appropriés) au-delà des seuls besoins<br />

résidentiels des court <strong>et</strong> long termes. Ces peuvent<br />

cependant s’appuyer sur des appropriations familia<strong>les</strong> partagées.<br />

Leurs ambitions foncieres restent alors exemplaires en se greffant<br />

sur d’autres champs économiques que l’usine.<br />

1 Solvabilités cumulées <strong>et</strong> leurs contraintes<br />

Boubacar O. est chef de quart à l’enfiìtage )) de HUICOMA.<br />

Après avoir été enseignant, ce fonctionnaire a trouvé <strong>dans</strong> l’entre-<br />

prise l’occasion de revenir à Koutiala d’où il est originaire. I1 habite<br />

en eff<strong>et</strong> au centre de la ville, <strong>dans</strong> un îlot morcelé par <strong>les</strong> chefs<br />

de canton coloniaux dont il est un héritier. Mais c’est hors de c<strong>et</strong><br />

environnement lignager (dont il déplore que le patrimoine soit<br />


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 95<br />

lui sont réservées à Koko-Extension-Est, l’une grâce à HUICOMA,<br />

<strong>les</strong> autres par ses démarches municipa<strong>les</strong>.<br />

Ces dernières lui perm<strong>et</strong>tent encore de construire, en 1988, un p<strong>et</strong>it<br />

restaurant en <strong>du</strong>r à proximité de sa cour résidentielle. Bien placé sur<br />

la rue principale, c<strong>et</strong>te nouvelle entreprise est destinée à la clientèle<br />

des salariés d’une ville en pleine croissance économique. En cas de<br />

pépin c côté ville D (car la dernière activité empiète sur la voie publi-<br />

que), Boubacar se lancera <strong>dans</strong> un c commerce de machines )) pour<br />

r<strong>et</strong>rouver le fond de roulement nécessaire à la restauration alimen-<br />

taire. Mais il préservera coûte que coûte son capital foncier.<br />

(( Côté usine D, sa situation professionnelle s’est dégradée la<br />

même année à HUICOMA : mésententes avec la direction, tensions<br />

<strong>dans</strong> le travail. S’il quitte l’entreprise, ce n’est pas pour abandon-<br />

ner le salariat. <strong>La</strong> campagne suivante, il est embauché à la CMDT,<br />

où il reçoit <strong>les</strong> délégations venues en visite de Bamako. Loin de<br />

rem<strong>et</strong>tre en cause sa sécurité de permanent, ce changement conso-<br />

lide son engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> activités parallè<strong>les</strong> : il s’est rappro-<br />

ché de la gare routière, surveille plus facilement ses restaurants, ren-<br />

force ses contacts avec <strong>les</strong> fournisseurs de boissons <strong>et</strong> de viande<br />

qui ravitaillent <strong>les</strong> meilleurs hôtels de la ville, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> visi-<br />

teurs de la CMDT sont logés. L’esprit d’initiative, <strong>les</strong> placements<br />

fonciers <strong>et</strong> le salariat font ainsi bon ménage, dès lors que la sou-<br />

p<strong>les</strong>se est mis au service d’une intense activité koutialaise.<br />

Des Ctrangers qui (( se font tout seuls n<br />

Les immigrés <strong>dans</strong> la ville comptent davantage sur ieur solva-<br />

bilité économique pour investir à Koutiala. Bobo <strong>et</strong> catholique, Jean<br />

D., soudeur, est né en 1956 <strong>dans</strong> l’arrondissement de Tominian.<br />

I1 devient ouvrier qualifié en 1976 après 3 ans de formation pro-<br />

fessionnelle à Bamako. Son CAP lui perm<strong>et</strong> d’être directement<br />

embauché, depuis la capitale, comme permanent à la CMDT. II<br />

participe d’abord au montage de l’usine d’égrenage de Bougouni ;<br />

puis il est muté <strong>dans</strong> la capitale <strong>du</strong> coton qui le rapproche <strong>du</strong> vil-<br />

lage paternel.<br />

Venu seul <strong>et</strong> célibataire à Koutiala en 1977, il y vit <strong>les</strong> tribula-<br />

tions d’un locataire exigeant sur la tranquillité de son logement :<br />

d’abord à Médina Coura pendant 3 ans (une (( chambre-<br />

antichambre )) en banco à 2 500 FCFA mensuels), puis <strong>dans</strong> le quar-<br />

tier de Koulikoro (deux pièces-véranda à 3 O00 FCFA). Nouveau<br />

déménagement en 1981 : Jean a épousé une cousine, mais n’a pas<br />

obtenu satisfaction <strong>dans</strong> sa demande de lot municipal déposée<br />

depuis 1980. I1 partage alors une cour locative avec 4 collègues de<br />

HUICOMA <strong>et</strong> de la CMDT. I1 y recherche désormais plus d’inté-<br />

gration professionnelle, <strong>les</strong> bonnes relations des épouses, un nou-<br />

veau confort : magasin supplémentaire, murs en <strong>du</strong>r, électricité.<br />

Mais <strong>les</strong> indemnités de l’entreprise (1 750 FCFA mensuels)’ ne suf-<br />

fisent pas à assurer le loyer de 6 O00 FCFA.


96 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Si l’on ne peut compter sur la mairie quand on est étranger,<br />

peut-on espérer un soutien de son l’entreprise ? Lorsque <strong>les</strong> listes<br />

d’attribution municipale ont été dressées en 1986, Jean a raté l’occa-<br />

sion d’une nouvelle démarche réservée aux permanents de HUI-<br />

COMA. L’année suivante, il se décide alors à ach<strong>et</strong>er en privé un<br />

terrain nu <strong>dans</strong> le secteur de Koko. Un intermédiaire, chauffeur<br />

d’un autre quartier, lui propose un terrain à 120 O00 FCFA. <strong>La</strong><br />

médiation d’un collègue, bobo comme lui, le m<strong>et</strong> en confiance, alors<br />

que de nombreux bruits de (( magouil<strong>les</strong> D, de reventes clandesti-<br />

nes de lots, circulent en ville depuis quelques années. Son ami ne<br />

lui prend aucune commission sur la transaction, chose rare ces der-<br />

niers temps. Mais il sait que le rabatteur de clients exaspérés par<br />

<strong>les</strong> lenteurs municipa<strong>les</strong>, qui dispose de plusieurs parcel<strong>les</strong>, n’a pas<br />

été aussi scrupuleux.<br />

Quoi qu’il en soit, il faut trouver la somme, sans comprom<strong>et</strong>-<br />

tre la part <strong>du</strong> salaire envoyée régulièrement aux parents <strong>du</strong> village.<br />

Jean vend sa moto, récupère 100 O00 FCFA d’épargne d’un livr<strong>et</strong><br />

bancaire, obtient <strong>du</strong> syndicat un crédit de 50 O00 FCFA, <strong>et</strong> redou-<br />

ble d’activités secondaires. I1 lui faut non seulement payer comp-<br />

tant, mais aussi matérialiser le plus vite possible son appropriation,<br />

en investissant sur une parcelle dont il ne détient aucune garantie<br />

administrative. C’est encore un collègue qui l’oriente vers un pui-<br />

satier, pour 38 O00 FCFA. Puis Jean se charge lui-même <strong>du</strong> sable,<br />

fabrique <strong>les</strong> premières briques.<br />

Dès lors, il peut se contenter de construire p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, mais<br />

en <strong>du</strong>r, <strong>et</strong> de régulariser ses revenus annexes. Un peu de bricolage<br />

en privé, d’abord : il installe des sanitaires chez des particuliers <strong>et</strong><br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> hôtels koutialais. Un autre permanent de la CMDT le m<strong>et</strong><br />

de plus en relation avec un autochtone qui lui prête un demi-<br />

hectare. I1 y cultive l’arachide, le maïs <strong>et</strong> <strong>les</strong> pois qui remplacent<br />

le mil que lui octroyait son père <strong>les</strong> années précédentes, lorsqu’il<br />

travaillait au champ familial <strong>du</strong>rant ses congés d’hivernage. Désor-<br />

mais stabilisé à Koutiala, avec l’intention d’y scolariser <strong>du</strong>rablement<br />

ses enfants, Jean peut enfin songer à investir <strong>dans</strong> son village d’ori-<br />

gine. Les lots n’y faisant pas défaut, c’est un proj<strong>et</strong> de culture<br />

moderne qui l’occupe d’abord, avec irrigation <strong>et</strong> élevage, auquel<br />

il compte associer son jeune frère.<br />

Comme la plupart des permanents qualifiés, Jean a donc misé<br />

partiellement sur son entreprise pour se fixer à Koutiala, diversi-<br />

fier ses activités <strong>et</strong> consolider en même temps ses liens <strong>dans</strong> une<br />

autre localité. Mais comme <strong>les</strong> autres immigrés, il reste méfiant vis-<br />

à-vis d’une municipalité <strong>et</strong> de transactions privées <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

ses intérêts d’étranger ne sont pas représentés au mieux.


Des revenus in<strong>du</strong>striels insuffisants<br />

LES OUVRIERS KOUTIALAIS 97<br />

Le constat des salariés est en eff<strong>et</strong> général : malgré des avan-<br />

tages (régularité, opportunités syndica<strong>les</strong>), <strong>les</strong> salaires in<strong>du</strong>striels<br />

restent médiocres <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>et</strong> ne perm<strong>et</strong>tent pas d’accéder<br />

rapidement au marché privé des transactions <strong>foncière</strong>s. Les sai-<br />

sonniers n’en bénéficient que <strong>du</strong>rant <strong>les</strong> 6 à 8 mois de campagne<br />

in<strong>du</strong>strielle ; <strong>les</strong> nombreux manœuvres touchent moins de<br />

20 O00 FCFA par mois, qu’ils consacrent aux besoins de base (ali-<br />

mentation <strong>et</strong> loyer). Comment comprendre alors que de nouveaux<br />

terrains, occupés ou non, aient été acquis ? Le soutien familial local<br />

ne résout pas à,lui seul c<strong>et</strong>te <strong>question</strong> financière <strong>et</strong> l’aggrave par-<br />

fois. L’explication provient plutôt <strong>du</strong>


98 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

travaux d’électricité à la boulangerie in<strong>du</strong>strielle ; un quatrième<br />

investit 60 O00 FCFA (l’équivalent d’un mois de salaire) <strong>dans</strong> un<br />

poulailler dont <strong>les</strong> œufs lui rapporteront 50 O00 FCFA mensuels<br />

en rendement maximum. Quelques uns parviennent parfois à dépas-<br />

ser <strong>les</strong> revenus in<strong>du</strong>striels, car ils n’ont la charge ni d’apprentis<br />

ni de taxe professionnelle ; mais la plupart ne trouvent qu’un com-<br />

plément de revenus ponctuel.<br />

Au contraire des permanents, <strong>les</strong> saisonniers travaillent plus<br />

longtemps en dehors de l’usine, mais leurs activités sont moins qua-<br />

lifiées, moins rémunératrices, <strong>et</strong> dépendent souvent <strong>du</strong> cadre fami-<br />

lial qui <strong>les</strong> ponctionnent. Le champ reste leur principal horizon<br />

économique, à Koutiala pour <strong>les</strong> paysans de la CMDT, au village<br />

paternel pour <strong>les</strong> jeunes immigrés de HUICOMA. Quelques-uns<br />

tentent de monter un p<strong>et</strong>it commerce ambulant en ville, ou itiné-<br />

rant entre Bamako <strong>et</strong> Koutiala, entre la Côte d’Ivoire <strong>et</strong> le <strong>Mali</strong>,<br />

entre <strong>les</strong> pro<strong>du</strong>its agrico<strong>les</strong> <strong>du</strong> village d’origine <strong>et</strong> le marché de<br />

consommation méridional. Mais ces entreprises dépendent en grande<br />

partie de l’épargne salariale, qui est difficile à constituer. En r<strong>et</strong>our,<br />

el<strong>les</strong> n’offrent guère de possibilité de prétendre à un lot. Oignons,<br />

boîtes de lait concentré, sanda<strong>les</strong>, tissus, sont souvent intro<strong>du</strong>its<br />

clandestinement. S’exercer au trafic de marchandises revient à cons-<br />

tituer un capital de p<strong>et</strong>ites expériences économiques, d’opportuni-<br />

tés migratoires <strong>et</strong> surtout d’échecs provisoires, qui définissent<br />

l’apprentissage d’une débrouillardise de survie en hors-saison.<br />

Les opportunités <strong>du</strong> travail hors-usine privilégient donc ceux<br />

que l’in<strong>du</strong>strie a déjà sélectionnés comme <strong>les</strong> mieux rémunérés pour<br />

la consommation urbaine, <strong>les</strong> mieux représentés <strong>dans</strong> le syndicat<br />

ou la municipalité. Tous ces profils urbains, familiaux, profession-<br />

nels, ces ressources économiques <strong>et</strong> socio-politiques inéga<strong>les</strong> résu-<br />

ment ainsi, <strong>dans</strong> chaque groupe usinier, <strong>les</strong> principaux caractères<br />

<strong>du</strong> travail <strong>et</strong> <strong>du</strong> hors-travail : insertion <strong>foncière</strong> des ouvriers, mais<br />

aussi facteurs démographiques, mobilités antérieures, profession-<br />

nel<strong>les</strong> <strong>et</strong> géographiques, qui influencent ces appropriations. Les filiè-<br />

res médiocres d’insertion urbaine ressortent ainsi d’un graphique<br />

centripète ; une figure au contraire déployée vers <strong>les</strong> arêtes <strong>du</strong> poly-<br />

gone (pourcentages plus forts, <strong>du</strong>rées plus longues) tra<strong>du</strong>ira la<br />

diversification des pratiques <strong>foncière</strong>s, un plus large espace de rela-<br />

tions socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> d’expériences économiques.<br />

Défavorisés à tous <strong>les</strong> points de vue, <strong>les</strong> saisonniers de HUI-<br />

COMA ont ainsi le profil le plus contracté. Ces jeunes immigrés<br />

célibataires, déscolarisés, issus tout droit <strong>du</strong> chômage, ont le nom-<br />

bre moyen de lots (cour résidentielle ou autre) le plus bas de tout<br />

le sondage (0,4). Cad<strong>et</strong>s à l’usine, ils le sont aussi à la ville, avec<br />

<strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong> taux de propriété, d’acquisition <strong>foncière</strong> annexe <strong>et</strong>


C<br />

PROFILS PROFESSIONNELS ET VARIABLES D'INSERTION URBAINE<br />

10 ans I<br />

\ 100% I<br />

I Yí5<br />

Variab<strong>les</strong> :<br />

A. variab<strong>les</strong> démographiques généra<strong>les</strong> :<br />

1. âge moyen<br />

2. origine géographique (lieu de naissance) : pourcentage de natifs<br />

<strong>du</strong> cercle de Koutiala<br />

3. situation matrimoniale : pourcentage de monogames ayant au<br />

moins un enfant<br />

B. mobilités socio-économiques <strong>et</strong> spatia<strong>les</strong> :<br />

4. scolarisation : pourcentage de salariés au moins titulaires <strong>du</strong><br />

DEF<br />

5. qualification : pourcentage de salariés qui ne sont ni manœu-<br />

vres ni ouvriers spécialisés (ouvriers qualifiés, employ6s-<br />

commis, cadres-maîtrise)<br />

6. <strong>du</strong>rée moyenne de résidence B Koutiala<br />

7. itinéraires professionnels : pourcentage de salariés n'ayant<br />

exercé aucune activité avant l'embauche <strong>dans</strong> l'usine.<br />

C. insertion urbaine <strong>et</strong> résidentielle :<br />

8. statuts résidentiels : pourcentage de salariés propriétaires de<br />

leur cour résidentielle B Koutiala<br />

9. matériaux de construction des cours résidentiel<strong>les</strong> koutialaises :<br />

pourcentage de cours construites en <strong>du</strong>r<br />

10. culture : pourcentage de salariés possédant un champ B<br />

Koutiala<br />

1 I. autre activité : pourcentage de salariés exerçant une autre acti-<br />

vité, au moins occasionnelle, en dehors de l'usine<br />

12. patrimoine fonciers : pourcentage de salaries possédant un<br />

autre lot que le terrrain résidentiel B Koutiala


100 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

59 saisonniers CMDT 37 oermanenls CMDT<br />

10 f,<br />

10<br />

1<br />

J<br />

1<br />

I<br />

34 saisonniers HUICOMA wrmanenls HUICOMA<br />

t t<br />

12<br />

é<br />

10<br />

12<br />

8<br />

I


LES OUVRIERS KOUTIALAIS 101<br />

de possession de champ. Ils cumulent <strong>les</strong> handicaps de leur entre-<br />

prise, trop récente, <strong>et</strong> ceux de leur statut in<strong>du</strong>striel, trop précaire.<br />

Ils expriment <strong>du</strong>rement la faillite <strong>du</strong> système scolaire malien pour<br />

une jeune génération souvent itinérante au sein de famil<strong>les</strong> écla-<br />

tées. Toutefois, ils comptent sur d’autres mobilités migratoires<br />

(l’aventure ivoirienne est <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> esprits) <strong>et</strong> économiques (le<br />

commerce est le domaine de tous <strong>les</strong> espoirs de promotion par rap-<br />

port à la culture <strong>et</strong> au manœuvriat). Plus que l’apprentissage d’une<br />

condition ouvrière, ils font l’expérience à Koutiala d’une indépen-<br />

dance économique relative qui <strong>les</strong> ramènera peut-être, plus tard,<br />

après leur mariage, vers d’autres filières <strong>et</strong> lieux communautaires.<br />

A l’inverse, <strong>les</strong> figures des permanents sont plus ouvertes. Celle<br />

de la CMDT montre la meilleure insertion <strong>foncière</strong> <strong>et</strong> résidentielle,<br />

diversifiée par <strong>les</strong> ressources d’un champ <strong>et</strong> d’activités annexes.<br />

<strong>La</strong> qualification <strong>du</strong> travail <strong>et</strong> la maturité <strong>du</strong> hors-travail se conju-<br />

guent pour donner <strong>les</strong> plus fortes moyennes d’appropriation (1’3 lot<br />

par salarié). Chez <strong>les</strong> permanents de HUICOMA, le dynamisme<br />

de l’entreprise <strong>et</strong> la sécurité <strong>du</strong> travail peuvent atténuer <strong>les</strong> obsta-<br />

c<strong>les</strong> d’une courte <strong>du</strong>rée de résidence. Ils bénéficient en moyenne<br />

d’un lot chacun, plus ou moins aménagé, <strong>et</strong> d’une filière corpo-<br />

ratiste de pression sur le marché foncier municipal. Leurs patri-<br />

moines sont plus indivi<strong>du</strong>alisés <strong>et</strong> plus contrastés que ceux des pré-<br />

cédents : peu de propriétaires résidentiels, mais le plus fort pour-<br />

centage de parcel<strong>les</strong> acquises sans être occupées. Différées, <strong>les</strong><br />

potentialités de leur insertion s’épanouiront <strong>dans</strong> la longévité<br />

urbaine <strong>et</strong> professionnelle, si l’entreprise confirme ses performances.<br />

Enfin, <strong>les</strong> saisonniers de la CMDT ont la figure la plus con-<br />

trastée (en moyenne 0’8 lot par salarié). Ces écarts entre des varia-<br />

b<strong>les</strong>


102 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

tés <strong>du</strong> travail. <strong>La</strong> <strong>du</strong>rée de résidence urbaine fructifie des poten-<br />

tiels de formations, de solvabilités diverses <strong>et</strong> d’expériences pro-<br />

fessionnel<strong>les</strong>. Enfin, la gestion sociale des patrimoines fonciers rend<br />

compte de leurs besoins futurs : partager un héritage, préparer sa<br />

r<strong>et</strong>raite, transm<strong>et</strong>tre un statut de citadin consacré, tel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong><br />

perspectives d’avenir qui motivent toute appropriation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong><br />

maliennes. <strong>La</strong> main-d’œuvre in<strong>du</strong>strielle koutialaise ne correspond<br />

donc en rien à un prolétariat déraciné, coupé de ses origines pay-<br />

sannes régiona<strong>les</strong>, de réflexes fonciers, homogene <strong>dans</strong> ses inté-<br />

rêts <strong>dans</strong> la ville.


3<br />

Des propriétaires à distance<br />

- I<br />

Suggérée précdgemment par <strong>les</strong> itinéraires biographiques des<br />

citadins, la notion de système foncier se construit sur plusieurs espa-<br />

ces géographiques. Si <strong>les</strong> cours des ouvriers koutialais restent rela-<br />

tivement concentrées, d’autres citadins s’inscrivent <strong>dans</strong> des filiè-<br />

res d’appropriation plus larges, sur des lieux d’investissement plus<br />

divers. Les réseaux migratoires de ressortissants <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> méridio-<br />

nal, expatriés en Côte d’Ivoire, expérimentent parfois de vérita-<br />

b<strong>les</strong> relations économiques entre des patrimoines fonciers <strong>et</strong> d’autres<br />

activités pourvoyeuses de ressources. L’acquisition d’un lot urbain<br />

est généralement pour eux le pro<strong>du</strong>it final de la migration (l’abou-<br />

tissement social d’une épirgne financière, différent d’elle par<br />

nature) ; mais elle peut aussi devenir l’un des supports d’une diver-<br />

sification des revenus indivi<strong>du</strong>els <strong>et</strong> familiaux (une partie intégrante<br />

des processus de survie ou d’enrichissement).<br />

I.<br />

PRESSION DES ÉMIGRÉS INTERNATIONAUX<br />

DANS LA DEMANDE FONCIÈRE URBAINE<br />

- DU MALI MÉRIDIONAL<br />

L’enjeu économique des migrations africaines est mal mesuré<br />

par <strong>les</strong> sources bancaires ou posta<strong>les</strong> (mandats envoyés <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

régions de départ, comptes ouverts <strong>dans</strong> <strong>les</strong> régions d’exode), qui<br />

saisissent peu des migrants non salariés. Leur pression <strong>foncière</strong> per-<br />

m<strong>et</strong> d’évaluer plus finement <strong>les</strong> démarches des immigrés pour sortir<br />

de la pauvr<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> témoigne d’une repro<strong>du</strong>ction sociale élargie <strong>dans</strong><br />

la mobilité spatiale. Placée <strong>dans</strong> des lots nus ou des cours vouées


104 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

à la décongestion familiale, l’épargne migratoire révèle en eff<strong>et</strong> des<br />

rythmes d’épargne à l’étranger, des relations socia<strong>les</strong> maintenues<br />

avec la région de départ. Des sources communa<strong>les</strong>, des profils bio-<br />

graphiques cernent ici l’environnement lignager des migrations inter-<br />

nationa<strong>les</strong>, pivot mais aussi frein <strong>du</strong> rapatriement d’épargnes fon-<br />

cières.<br />

Requérir un lot à bâtir passe au <strong>Mali</strong> par une demande écrite<br />

enregistrée <strong>dans</strong> la liste des candidats aux attributions administra-<br />

tives. Les registres municipaux méridionaux indiquent <strong>les</strong> lieux de<br />

résidence des demandeurs d’où sont adressées <strong>les</strong> demandes de par-<br />

cel<strong>les</strong> : <strong>les</strong> <strong>Mali</strong>ens expatriés représentent près de 3 O00 candidats<br />

recensés pour un accès au sol direct ou différé, <strong>et</strong> notamment 17 9’0<br />

des futurs investisseurs de Sikasso.<br />

1. Des origines historiques aux dynamiques contemporaines<br />

des migrations transfrontalikres<br />

Une émigration ancienne, repro<strong>du</strong>ite <strong>dans</strong> la longue <strong>du</strong>rée<br />

Malgré des faveurs climatiques relatives <strong>et</strong> l’attachement des<br />

ruraux à leurs terroirs, la porte méridionale de la colonie devient,<br />

dès avant la Première Guerre mondiale, une région de fuite mas-<br />

sive de la main-d’œuvre vers <strong>les</strong> colonies voisines. Ces flux migra-<br />

toires s’enracinent <strong>dans</strong> la dynamique <strong>du</strong> peuplement précolonial,<br />

au contact des zones sahéliennes <strong>et</strong> forestières (Person, 1968 ;<br />

Amselle, 1976). Ils héritent de vieil<strong>les</strong> filières de mobilités <strong>et</strong>hni-<br />

ques, commercia<strong>les</strong> <strong>et</strong> militaires : continuum culturel des groupes<br />

voltaïques <strong>du</strong> sud-est


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 105<br />

la Guinée, la Côte d’Ivoire, Bamako <strong>et</strong> Sikasso D. Enfin,<br />

3 196 habitants <strong>du</strong> Cercle de Sikasso quittent le Soudan français<br />

en 1934 en quête d’emploi. D’abord lié au refus des circonscrip-<br />

tions militaires, puis aux contraintes de la traite coloniale (corvées<br />

<strong>et</strong> réquisitions), l’exode saisonnier des paysans soudanais suit <strong>dans</strong><br />

l’entre-deux-guerres la monétarisation croissante des rapports<br />

sociaux villageois.<br />

Autre constante, <strong>les</strong> migrations de longue <strong>du</strong>rée se multiplient.<br />

Des départs perçus comme définitifs concurrencent <strong>les</strong> flux saison-<br />

niers <strong>du</strong> travail après la Seconde Guerre mondiale :


106 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

de revenus agrico<strong>les</strong>. Les premiers tirailleurs coloniaux s’engagent<br />

également en qu<strong>et</strong>e de soldes <strong>et</strong> de primes de démobilisation. Les<br />

départs saisonniers vers la Côte d’Ivoire progressent régulièrement<br />

au cours des années 1930, <strong>et</strong> deviennent massifs après la suppres-<br />

sion <strong>du</strong> travail forcé en 1946. <strong>La</strong> moiiié des impôts payés <strong>dans</strong><br />

le cercle en 1947 provient ainsi de gains salariés accumulés à Ségou,<br />

Sikasso <strong>et</strong> surtout en Côte d’Ivoire (Rondeau, 1980). A partir des<br />

années 1950, <strong>les</strong> commandants de cercle déplorent que c<strong>et</strong>te hémor-<br />

ragie migratoire se transforme de plus en plus en exode de lon-<br />

gue <strong>du</strong>rée.<br />

L’investissement immobilier <strong>et</strong> le cumul de cours urbaines par<br />

<strong>les</strong> <strong>Mali</strong>ens émigrés à l’étranger sont donc perçus aujourd’hui quo-<br />

tidiennement à Sikasso. Leur eff<strong>et</strong> spéculatif se lit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> prix<br />

des transactions privées, particulièrement élevés, proposés à ces<br />

acquéreurs (souvent plus <strong>du</strong> double des montants de vente mar-<br />

chandés <strong>dans</strong> le cadre de relations de voisinage), ou encore <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> loyers que <strong>les</strong> investisseurs à distance demandent aux salariés<br />

sikassois après avoir construit. Les municipalités tentent, quant à<br />

el<strong>les</strong>, d’attirer l’épargne de r<strong>et</strong>our <strong>dans</strong> leur commune, en prom<strong>et</strong>-<br />

tant de réserver aux candidats <strong>les</strong> plus solvab<strong>les</strong> des lots sur <strong>les</strong><br />

futures extensions urbaines.<br />

L’émigration internationale minyanka est également ancienne<br />

depuis le sud-est <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Mais à l’inverse <strong>du</strong> pays sénoufo, elle<br />

perd aujourd’hui de son importance <strong>dans</strong> l’investissement résidentiel<br />

koutialais oÙ prennent le relais de nombreux Bamakois. Après<br />

l’indépendance, <strong>les</strong> jeunes ruraux ont continué à s’employer annuel-<br />

lement en dehors de leur village, comme bouviers auprès de pas-<br />

teurs transhumants ou comme manœuvres <strong>dans</strong> <strong>les</strong> plantations ivoi-<br />

riennes de café. Puis l’émigration de longue distance est concur-<br />

rencée par une forte mobilisation locale autour <strong>du</strong> coton. Les rela-<br />

tions commercia<strong>les</strong> avec le Burkina Faso restent importantes, avec<br />

des liaisons routières quotidiennes vers Bobo-Dioulasso. Mais<br />

l’encadrement de la CMDT a fait de paysans traditionnellement<br />

attachés à leur autonomie économique, un véritable poumon finan-<br />

cier <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, malgré <strong>les</strong> quelques expériences migratoires déjà envi-<br />

sagées auprès des ouvriers saisonniers.<br />

Le bassin migratoire de Bougouni apparaît enfin plus limité,<br />

tant par le rayonnement des flux migratoires que par <strong>les</strong> opportu-<br />

nités de placements de r<strong>et</strong>our. Le sud-ouest malien a pourtant été<br />

le lieu d’une importante émigration de navétanes sous la coloni-<br />

sation. Ces manœuvres agrico<strong>les</strong> saisonniers s’embau haient pour<br />

la culture arachidière au Sénégal, en Guinée, <strong>dans</strong> l’o € est <strong>du</strong> Sou-<br />

dan français ou au nord de la Côte d’Ivoire. Leurs voyages loin-<br />

tains ont ensuite poussé de nombreux jeunes à choisir une car-


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 107<br />

rière militaire qui <strong>les</strong> a engagés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> guerres de décolonisation.<br />

Puis ils ont été incorporés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> forces de sécurité maliennes<br />

<strong>et</strong> ont connu de nombreuses mutations géographiques jusqu’à leur<br />

r<strong>et</strong>raite. Ils ont alors souvent rejoint Bougouni <strong>et</strong> <strong>les</strong> lots qu’ils<br />

avaient acquis facilement à l’indépendance. Aujourd’hui, ces<br />

anciens combattants marquent la vie sociale de la p<strong>et</strong>ite commune.<br />

Handicapée par la faible densité <strong>du</strong> cercle <strong>et</strong> le marasme <strong>du</strong><br />

chef-lieu, l’économie de Bougouni est de plus anciennement domi-<br />

née par l’attraction de Bamako. Ses ressortissants sont mal reliés<br />

à la proche Haute-Guinée, <strong>et</strong> davantage impliqués <strong>dans</strong> <strong>les</strong> hori-<br />

zons migratoires nationaux. Ils fournissent <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong> demandes<br />

<strong>foncière</strong>s depuis la Côte d’Ivoire. A leur r<strong>et</strong>our <strong>dans</strong> le sud-ouest<br />

malien, ils trouvent enfin peu d’occasions d’investir <strong>dans</strong> un com-<br />

merce urbain exsangue <strong>et</strong> <strong>dans</strong> un marché foncier bloqué par le<br />

gel des lotissements municipaux. Les quelques chanceux placent<br />

ainsi leur épargne migratoire <strong>dans</strong> des


108 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

professionnel<strong>les</strong> de l’exode international malien concernent le com-<br />

merce, l’artisanat, <strong>les</strong> transports, ainsi qu’un travail de manœu-<br />

vre moins important que celui des ressortissants <strong>du</strong> Burkina Faso.<br />

El<strong>les</strong> assurent des solvabilités variées, liées aux réseaux d’entrai-<br />

des personnel<strong>les</strong> plus qu’aux formations scolaires des migrants.<br />

Beaucoup de chauffeurs <strong>et</strong> de mécaniciens ont ainsi passé leur per-<br />

mis de con<strong>du</strong>ire ou ont fait leur apprentissage auprès de parents<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> carrefours routiers des pays frontaliers, jugés plus dyna-<br />

miques que ceux <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>.<br />

L’adresse des expatriés souligne ensuite l’attraction de la Côte<br />

d’Ivoire. Celle-ci garantit, malgré la crise économique qui l’affecte<br />

ces dernières années, un niveau de ressources meilleur qu’au Burkina<br />

Faso, <strong>du</strong> fait de <strong>marchés</strong> de consommation plus développés depuis<br />

le littoral. Une seconde différence entre ces deux pô<strong>les</strong> migratoires<br />

internationaux concerne <strong>les</strong> localités d’immigration d’où partent <strong>les</strong><br />

demandes de lots pour le <strong>Mali</strong>. Les candidatures <strong>du</strong> Burkina se con-<br />

centrent sur Bobo-Dioulasso, deuxième agglomération <strong>et</strong> carrefour<br />

de l’ouest voltaïque (de 60 à 85 Vo des demandes en provenance de<br />

l’ex-Haute-Volta). Le dynamisme commercial des Dioula a fait de<br />

Bobo un centre d’accueil attractif de longue date pour <strong>les</strong> <strong>Mali</strong>ens.<br />

Malgré des aléas politiques, c<strong>et</strong>te proximité linguistique <strong>et</strong> culturelle<br />

in<strong>du</strong>it des eff<strong>et</strong>s de r<strong>et</strong>our non négligeab<strong>les</strong> pour l’économie citadine<br />

<strong>du</strong> sud-est malien, notamment koutialaise. Au contraire, <strong>les</strong> itiné-<br />

raires migratoires sont plus variés en Côte d’Ivoire. Certes, Abidjan<br />

vient en première position <strong>dans</strong> la transmission des besoins fon-<br />

ciers (1)’ mais de nombreuses vil<strong>les</strong> ivoiriennes partagent la demande<br />

à destination <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> régions <strong>du</strong> pays. Le Sud regroupe<br />

le plus de demandeurs expatriés (55 ‘3’0 <strong>dans</strong> la demande de Sikasso),<br />

.dont une majorité à Abidjan <strong>et</strong> le reste <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centres urbains secon-<br />

daires qui encadrent l’économie de plantation de la zone forestière.<br />

Les immigrés maliens <strong>du</strong> centre viennent en deuxième position (30 Yo),<br />

notamment depuis Bouaké dont <strong>les</strong> activités marchandes ont fait de<br />

la deuxième ville ivoirienne un grand


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 1 o9<br />

des conjonctures nationa<strong>les</strong> qui favorisent le r<strong>et</strong>our, volontaire ou<br />

précipité, d’émigrés anciens ou malchanceux. Ainsi la demande<br />

étrangère <strong>du</strong> marché sikassois varie-t-elle sensiblement en 14 ans<br />

de recensement. Les expatriés sont particulièrement sur-représentés<br />

en 1975 par rapport à leur contribution sur toute la série chrono-<br />

logique de 1973 à 1987 : la guerre frontalière entre le <strong>Mali</strong> <strong>et</strong> la<br />

Haute-Volta vient de provoquer le r<strong>et</strong>our des immigrés de Bobo-<br />

Dioulasso, qui requièrent en catastrophe une parcelle auprès des<br />

autorités loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> nationa<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements de Ouayéréma-<br />

Zone (Sikasso, 1975) <strong>et</strong> de Dar Salam (Koutiala, 1976). Dix ans<br />

plus tard, le court conflit frontalier de décembre 1985 n’a pas eu<br />

d’eff<strong>et</strong> de r<strong>et</strong>our semblable. Ayant souvent reven<strong>du</strong> ou valorisé leur<br />

lot résidentiel avec le sens <strong>du</strong> profit, <strong>les</strong> originaires de Bobo-<br />

Dioulasso ont accentué la distorsion entre <strong>les</strong> prix administratifs<br />

<strong>et</strong> ceux <strong>du</strong> marché privé. Les pics ultérieurs de concentration de<br />

la demande <strong>foncière</strong> sikassoise soulignent au contraire une con-<br />

j oncture plus spécifiquement malienne, <strong>dans</strong> laquelle <strong>les</strong> expatriés<br />

ont été moins déterminants.<br />

Depuis la fin des années 1970, la crise économique internatio-<br />

nale semble pourtant precipiter <strong>les</strong> proj<strong>et</strong>s de r<strong>et</strong>our : plus <strong>du</strong> quart<br />

des demandeurs


110 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

nisées sur plusieurs générations par <strong>les</strong> émigrés méridionaux. Dans<br />

une conjoncture économique devenue difficile de part <strong>et</strong> d’autre<br />

de la frontihe, <strong>les</strong> passages clandestins de bétail se multiplient ;<br />

<strong>les</strong> nouveaux immigrés, qui cherchent d’abord à se placer en sécu-<br />

rité alimentaire, subissent le G rançonnement )) de la douane ivoi-<br />

rienne, <strong>et</strong> font douter d’un rapatriement prompt <strong>et</strong> massif d’épar-<br />

gne. Ces flux financiers, diffici<strong>les</strong> à évaluer, semblent plus limités<br />

que ceux des Sénoufo-Dioula. Ils sont consommés à court terme<br />

par des famil<strong>les</strong> éclatées entre régions sinistrées <strong>et</strong> esca<strong>les</strong> migra-<br />

toires ; ils suscitent peu d’investissements pro<strong>du</strong>ctifs ou spécula-<br />

tifs au <strong>Mali</strong>, <strong>et</strong> profitent davantage aux régions sahéliennes de<br />

départ qu’aux relais méridionaux.<br />

Au total, l’ancienn<strong>et</strong>é des migrations méridiona<strong>les</strong>, la fixation<br />

de segments lignagers en Côte d’Ivoire n’ont pas mis fin aux rela-<br />

tions avec la troisième Région administrative. Les expatriés , par-<br />

fois de deuxième génération, continuent à peser sur la demande<br />

<strong>foncière</strong>. De nouvel<strong>les</strong> pressions, qui n’apparaissent pas toujours<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> registres municipaux, soulignent la structuration en réseaux<br />

sociaux des initiatives extérieures.<br />

3. Demandes <strong>foncière</strong>s patronnées<br />

Des <strong>Mali</strong>ens travaillant en Côte d’Ivoire s’appuient notamment<br />

sur leurs représentants consulaires pour exprimer leur demande en<br />

terrains à bâtir, à l’occasion de a recensements )) effectués par<br />

l’ambassade <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> chargée de canaliser ce potentiel d’investis-<br />

sement. <strong>La</strong> démarche n’est qu’occasionnelle. Elle dépend surtout<br />

des relations personnel<strong>les</strong> des émigrés, <strong>et</strong> notamment des a prési-<br />

dents des <strong>Mali</strong>ens )) qui patronnent leurs associations de ressortis-<br />

sants <strong>dans</strong> chaque ville ivoirienne.<br />

Au milieu des années 1980, Sikasso a reçu ainsi une


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 111<br />

que par un réseau social de


112 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

8 personnes d’activités <strong>et</strong> de patronymes différents apparaissent<br />

ainsi <strong>dans</strong> <strong>les</strong> listes de Sikasso. Toutes sont enregistrées sous le<br />

couvert <strong>du</strong> même menuisier sikassois, <strong>et</strong> profitent <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our au <strong>Mali</strong><br />

d’un immigré de leur communauté. D’autres allégeances profes-<br />

sionnel<strong>les</strong> caractérisent des activités indépendantes fortement hié-<br />

rarchisées chez <strong>les</strong> émigrés de I’étranger (commerçants, transpor-<br />

teurs <strong>et</strong> chauffeurs) : un patron cautionne ses ex-apprentis, des<br />

clients sont garantis par leur fournisseur. <strong>La</strong> capacité de ces inter-<br />

médiaires à sonder <strong>les</strong> opportunités loca<strong>les</strong> de vente est surtout pro-<br />

bante sur le marché privé des transactions <strong>foncière</strong>s. Discrète <strong>et</strong><br />

rapidement mise en œuvre, l’entraide y apparaît nécessaire <strong>dans</strong><br />

le contexte de fortes concurrences économiques <strong>et</strong> de rudes sélec-<br />

tions socia<strong>les</strong>. Se priver d’une représentation personnelle sur place<br />

expose donc bien des proj<strong>et</strong>s lointains d’investissement à de lon-<br />

gues attentes, à des démarches administratives infructueuses. Toutes<br />

ces pressions extérieures sur la demande <strong>foncière</strong> des vil<strong>les</strong> malien-<br />

nes trouvent leur efficacité lorsque <strong>les</strong> émigrés internationaux, pro-<br />

fitant d’une visite au <strong>Mali</strong>, <strong>du</strong> bouche à oreille professionnel ou<br />

de correspondances familia<strong>les</strong> irrégulières, cumulent plusieurs pis-<br />

tes d’investigation, divers modes d’information <strong>et</strong> recours sociaux.<br />

C<strong>et</strong>te soup<strong>les</strong>se préalable aux prépare celle des<br />

financements <strong>et</strong> de leurs finalités.<br />

GESTION PATRIMONIALE DE LA MOBILITÉ SPATIALE :<br />

DES MALIENS A ODIENNÉ<br />

P<strong>et</strong>ite ville de 16 O00 habitants, située à 277 km au sud de Bou-<br />

gouni, c<strong>et</strong>te préfecture <strong>du</strong> nord-ouest ivoirien offrait plusieurs avan-<br />

tages en 1989 polar une enqu<strong>et</strong>e sur <strong>les</strong> facteurs d’une mobilité éCo-<br />

nomique internationale : proximité de la frontière, localité concen-<br />

trant déjà plusieurs centaines de résidents étrangers. En 1986, le<br />

comité des <strong>Mali</strong>ens y comptait 274 membres, dont 35 070 prove-<br />

naient de la région de Sikasso (2). Depuis Bougouni, d’anciens émi-<br />

(2) L’Amicale d’Odienné recense <strong>les</strong> <strong>Mali</strong>ens souvent à la suite de problèmes ren-<br />

contrés auprès des autorités administratives <strong>et</strong> policières. Depuis 1962, l’organisation<br />

des <strong>Mali</strong>ens en comités locaux concerne <strong>les</strong> communes <strong>et</strong> certaines sous-préfectures<br />

de Côte d’Ivoire. En 1986, celui d’Odienné a demandé à l’ambassadeur <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> de<br />

lui communiquer (( toutes <strong>les</strong> informations concernant <strong>les</strong> lotissements urbains au<br />

pays D. En 1989, le gouverneur de Sikasso, en visite, lui a donné l’assurance que<br />

des parcel<strong>les</strong> viabilisées seraient réservées aux expatriés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> communes méridio-<br />

na<strong>les</strong>. Le Haut Conseil (transition démocratique) puis le ministère (troisième Répu-<br />

blique) des <strong>Mali</strong>ens de l’extérieur élargissent aujourd’hui, au plan national, le souci<br />

de faire contribuer <strong>les</strong> ressortissants expatriés au développement local <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>.


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 113<br />

grCs internationaux avaient confirmé la présence à Odienné d’une<br />

communauté d’originaires <strong>du</strong> cercle. Cependant, la ville est située<br />

<strong>dans</strong> un angle mort par rapport aux centres ivoiriens plus dyna-<br />

miques ; elle reste moins attractive pour <strong>les</strong> natifs <strong>du</strong> sud <strong>du</strong> <strong>Mali</strong><br />

que le carrefour sénoufo-dioula de Korhogo, qui communique<br />

directement avec Sikasso, ou que l’agglomération de Bouaké (3).<br />

Malgré cela, le cas d’Odienné suggère différents paramètres de pla-<br />

cements de r<strong>et</strong>our, une pal<strong>et</strong>te déjà diversifiée de profils migra-<br />

toires qui ont été élargis aux ressortissants de plusieurs régions<br />

maliennes.<br />

Les <strong>Mali</strong>ens s’enrichissent-ils d’abord réellement à l’étranger,<br />

Odienné révélant parfois en négatif <strong>les</strong> conditions d’accumulation<br />

d’une épargne migratoire ? Celle-ci con<strong>du</strong>it-elle <strong>les</strong> immigrés à<br />

investir <strong>dans</strong> leur pays d’origine, avant ou après leur r<strong>et</strong>our ?<br />

Quelle part enfin la terre représente-t-elle <strong>dans</strong> ces


114 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

rienne )). On reconnaît certes des mérites à celle-ci : apprentissage<br />

rapide <strong>du</strong> français, taux de scolarisation plus élevé qu’au <strong>Mali</strong>.<br />

Mais chacun s’accorde à critiquer <strong>les</strong> conséquences d’un séjour pro-<br />

longé <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> ivoiriennes : , des jeunes fil<strong>les</strong>, des garçons. Le chômage des apprentis artisans ou<br />

chauffeurs se ressent de plus en plus ; une double nécessité justi-<br />

fie alors le r<strong>et</strong>our anticipé des ado<strong>les</strong>cents : ne pas laisser <strong>les</strong> vieux<br />

seuls à Sikasso, employer <strong>les</strong> jeunes aux champs plutôt que de <strong>les</strong><br />

laisser désœuvrés.<br />

Les immigrés d’Odienné prônent ainsi une véritable circulation<br />

transfrontalière des inactifs, notamment <strong>du</strong>rant <strong>les</strong> congés scolai-<br />

res d’hivernage, tant pour l’appoint de main-d’œuvre qu’elle offre<br />

que pour la soumission à l’autorité des aînés qu’elle renforce. Ces<br />

visites à tour de rôle entr<strong>et</strong>iennent aussi <strong>les</strong> liens familiaux colla-<br />

téraux, <strong>et</strong> testent la confiance entre parents proches. Plusieurs chefs<br />

de ménage organisent notamment à distance le mariage de leurs<br />

fil<strong>les</strong> au <strong>Mali</strong>, ce qui réactive <strong>les</strong> réseaux matrimoniaux des régions<br />

d’origine. D’autres conservent


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 115<br />

ses (la fête musulmane de la Tabaski, qui implique de lourdes<br />

dépenses familia<strong>les</strong>, occasionne <strong>les</strong> envois d’argent <strong>les</strong> plus impor-<br />

tants), matrimonia<strong>les</strong>, ou de deuils. Des sommes variant de 50 à<br />

200 O00 FCFA sont envoyées par à coup, selon <strong>les</strong> demandes paren-<br />

ta<strong>les</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> possibilités d’épargne des immigrés.<br />

Les salariés n’échappent pas à c<strong>et</strong> espacement des visites <strong>et</strong><br />

envois d’argent dès lors qu’ils concernent un groupe social assez<br />

vaste. Mais <strong>les</strong> relations avec la région d’origine ne sont pas pour<br />

autant négligeab<strong>les</strong>, <strong>et</strong> prennent parfois la forme de réalisations<br />

de prestige, tel le financement d’une école rurale pour un million<br />

de FCFA par exemple, bien que c<strong>et</strong>te participation au développe-<br />

ment local malien reste inférieure à celle des fonctionnaires<br />

ivoiriens.<br />

2. Stimulants <strong>et</strong> contraintes pour le rapatriement<br />

des Cpargnes migratoires<br />

Un pas supplémentaire est franchi <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations avec le<br />

<strong>Mali</strong>, la région d’origine ou la localité <strong>dans</strong> laquelle l’immigré désire<br />

prendre sa r<strong>et</strong>raite. Au-delà d’envois ponctuels d’argent ou de con-<br />

seils, consommés à court terme pour des besoins immédiats, il s’agit<br />

de tentatives pour placer à moyen ou long terme une épargne flé-<br />

chée, guidée par des directives qui engagent l’expatrié <strong>dans</strong> la pers-<br />

pective d’un r<strong>et</strong>our proche ou différé. Quel<strong>les</strong> sont alors <strong>les</strong> con-<br />

ditions d’un investissement de r<strong>et</strong>our ?<br />

<strong>La</strong> famille : cheville ouvrière <strong>et</strong> facteur limite<br />

d’une réelle accumulation économique<br />

Réparties de part <strong>et</strong> d’autre des frontières, <strong>les</strong> pressions paren-<br />

ta<strong>les</strong> suggèrent d’importantes hésitations. Ces sollicitations direc-<br />

tes ou implicites démentent <strong>les</strong> jugements stéréotypés qui évoquent<br />

tour à tour <strong>les</strong> bienfaits d’une solidarité unanime ou, à l’inverse,<br />

l’avènement irréversible de l’indivi<strong>du</strong>alisme économique. Les migra-<br />

tions entre le sud <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> pays frontaliers amplifient au con-<br />

traire <strong>les</strong> contradictions, déjà latentes, de toute insertion familiale<br />

en ville.<br />

Ces relations depuis le <strong>Mali</strong> sont d’abord à double tranchant.<br />

<strong>La</strong> famille détermine avant tout un réseau efficace d’entraînement<br />

<strong>et</strong> de soutien aux migrations internationa<strong>les</strong>. Elle encadre l’inser-


116 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

tion <strong>et</strong> la réinsertion professionnelle, à l’étranger <strong>et</strong> au r<strong>et</strong>our au<br />

<strong>Mali</strong>, <strong>et</strong> fournit une sorte


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 117<br />

pour financer un pèlerinage à <strong>La</strong> Mecque ou <strong>les</strong> fournitures sco-<br />

laires des neveux, toute la hiérarchie sociale des immigrés en témoi-<br />

gne, notamment à l’occasion de proj<strong>et</strong>s fonciers. Déceptions <strong>et</strong> con-<br />

fiance rythment ainsi l’interprétation morale d’une contribution éco-<br />

nomique extérieure qui reste partagée entre ses devoirs sociaux élar-<br />

gis <strong>et</strong> ses moyens rétrécis <strong>dans</strong> la crise internationale.<br />

Les prélèvements <strong>du</strong> ménage en Côte d’Ivoire déterminent enfin<br />

d’autres contraintes ambivalentes sur l’épargne <strong>et</strong> son réinvestis-<br />

sement au <strong>Mali</strong>. Comme au pays, <strong>les</strong> besoins matériels de la<br />

) constitue à la fois un moteur <strong>et</strong> un frein pour<br />

le rapatriement d’une épargne migratoire. De nombreux immigrés<br />

évoquent en eff<strong>et</strong> la charge financière qu’exerce l’épanouissement<br />

de leur ménage sur leurs proj<strong>et</strong>s, au terme de séjours prolongés<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> ivoiriennes : naissances rapprochées, mariages poly-<br />

gamiques sont toujours considérés comme un bienfait social, un<br />

Clément de prestige, contribuant, au même titre que l’activité éco-<br />

nomique <strong>et</strong> l’accomplissement des devoirs religieux, au sentiment<br />

de réussite urbaine. Mais ils ponctionnent également <strong>les</strong> revenus<br />

professionnels : achat <strong>et</strong> construction d’une cour résidentielle, sco-<br />

larisation <strong>et</strong> formation des jeunes plus coûteuses qu’au <strong>Mali</strong>. Ces<br />

dépenses élémentaires grèvent fortement l’hypothèse d’un investis-<br />

sement de r<strong>et</strong>our à court terme, <strong>et</strong> même <strong>les</strong> envois d’argent régu-<br />

liers au pays.<br />

Inversement, l’effort financier consacré au ménage immigré<br />

constitue l’une des conditions nécessaires, voire la principale jus-<br />

tification d’un investissement <strong>dans</strong> la région d’origine. Un grand<br />

nombre d’enfants, de dépendants adoptifs, offre des perspectives<br />

de mobilisation d’une main-d’œuvre gratuite, intéressée aux efforts<br />

patrimoniaux. C<strong>et</strong>te réserve domestique, bien que mouvante, pour-<br />

voit partiellement à la consommation ménagère. Elle contribue aux<br />

activités des immigrés indépendants (ateliers artisanaux, cultures<br />

vivrières péri-urbaines, entreprises commercia<strong>les</strong>), ainsi qu’aux pro-<br />

j<strong>et</strong>s agro-pastoraux de r<strong>et</strong>our des quelques salariés rencontrés à<br />

Odienné (formation scolaire <strong>et</strong> technique des ado<strong>les</strong>cents orientée<br />

vers l’agronomie <strong>et</strong> la gestion).<br />

<strong>La</strong>


11 8 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Tous ces proj<strong>et</strong>s supposent que l’épargne à investir au <strong>Mali</strong> con-<br />

naît déjà un début d’accumulation depuis l’étranger, à la faveur<br />

d’une diversification des activités qui apparaît comme le second<br />

facteur déterminant de l’investissement de r<strong>et</strong>our.<br />

Le détour par l’investissement à l’étranger : une composante<br />

amplificatrice des stratégies migratoires<br />

L’investissement en Côte d’Ivoire est en eff<strong>et</strong> favorable <strong>et</strong> sou-<br />

vent nécessaire à de futures réalisations au <strong>Mali</strong>. Placer une par-<br />

tie de son épargne <strong>dans</strong> l’économie urbaine ou péri-urbaine n’est<br />

pas nécessairement une perte de temps, une ponction sans r<strong>et</strong>our,<br />

ni l’indice d’un désintérêt définitif des immigrés pour leur pays<br />

natal. Loin de constituer une entrave aux proj<strong>et</strong>s de r<strong>et</strong>our, ces<br />

pratiques économiques contribuent souvent à remplacer des sou-<br />

tiens à court terme aux parents <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> par des investissements<br />

<strong>du</strong>rab<strong>les</strong>. Des essais plus ou moins réussis perm<strong>et</strong>tent à leurs pro-<br />

moteurs de s’initier aux opportunités commercia<strong>les</strong>, d’en mesurer<br />

<strong>les</strong> risques <strong>et</strong> d’en adapter <strong>les</strong> termes aux <strong>marchés</strong> étroits des vil-<br />

<strong>les</strong> d’origine.<br />

<strong>La</strong> diversification des activités migratoires fournit d’abord aux<br />

immigrés maliens un capital d’expériences <strong>et</strong> de tâtonnements spé-<br />

culatifs. Investir en Côte d’Ivoire, c’est se distinguer <strong>dans</strong> la com-<br />

munauté expatriée, c’est esquisser une réussite économique en mobi-<br />

lisant son réseau de services, c’est manifester sa volonté de cana-<br />

liser, sans <strong>les</strong> abandonner toutefois,


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 119<br />

tions des <strong>marchés</strong> de consommation locaux <strong>et</strong> nationaux, sont<br />

aujourd’hui bien décrits (<strong>La</strong>boratoire connaissance <strong>du</strong> tiers monde,<br />

1983, <strong>La</strong>bazée, 1988). Ces diverses activités indépendantes ne négli-<br />

gent aucun p<strong>et</strong>it profit. A travers el<strong>les</strong> s’esquisse une pal<strong>et</strong>te hié-<br />

rarchisée de techniques défensives <strong>et</strong> d’initiatives plus ambitieuses<br />

ordonnées à cel<strong>les</strong>, plus pauvres, <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Si certains itinéraires<br />

économiques relèvent d’une étroite marge de réponse des migrants<br />

à la difficile conjoncture des années 1980, d’autres détours ))<br />

s’ordonnent plus manifestement aux proj<strong>et</strong>s maliens de r<strong>et</strong>our.<br />

Ces hésitations autour <strong>du</strong> profit ivoirien, testées avant le r<strong>et</strong>our<br />

au pays, ne sont pas sans rapport avec l’acquisition de terrains :<br />

<strong>les</strong> immigrés <strong>les</strong> plus entreprenants expérimentent à l’étranger la<br />

valorisation de parcel<strong>les</strong> urbaines ou péri-urbaines à vocations mul-<br />

tip<strong>les</strong>. Enfin, <strong>les</strong> quelques salariés maliens immigrés à Odienné ne<br />

sont guère en reste <strong>dans</strong> ces expériences de valorisations <strong>foncière</strong>s<br />

comme préalab<strong>les</strong> à de plus grands proj<strong>et</strong>s de r<strong>et</strong>raite au village<br />

d’origine : baux perçus à distance sur des maisons construites lors<br />

d’étapes professionnel<strong>les</strong> antérieures en Côte d’Ivoire, loyers pré-<br />

levés en série sur des construits <strong>dans</strong><br />

l’agglomération abidjanaise, concession minière acquise à Odienné,<br />

employant des manœuvres maliens à bon marché pour la pros-<br />

pection aurifère, élevage avicole développé en zone péri-urbaine,<br />

tous <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> évoqués définissent une stratégie d’investissements<br />

diversifiés, dont font preuve <strong>les</strong> cadres <strong>les</strong> plus entreprenants <strong>du</strong><br />

salariat malien à l’étranger.<br />

Cadre migratoire rodé sur plusieurs générations<br />

Né en 1951 <strong>dans</strong> l’arrondissement de Garalo (cercle de Bou-<br />

gouni), Karanga vit au <strong>Mali</strong> chez son grand-père avec d’autres de<br />

ses frères. Bien qu’ayant déjà deux épouses <strong>et</strong> 6 enfants en vie, il<br />

dépend de ce dernier qui paye l’impôt de son menage ; il cultive<br />

<strong>dans</strong> son champ, situé à 6 kilomètres de Bougouni, <strong>et</strong> ne tient pas<br />

à demander l’autorisation de vivre à son propre compte. Les dépla-<br />

cements saisonniers de Karanga en Côte d’Ivoire débouchent sur<br />

un placement économique de r<strong>et</strong>our, réparti entre Bougouni <strong>et</strong> le<br />

village natal. Le migrant ne s’est pas dégagé de la tutelle de son<br />

grand-père <strong>et</strong> chef de famille, auquel il confie ses économies, <strong>et</strong><br />

qui a pris sa r<strong>et</strong>raite à Bougouni-ville aprks avoir lui-même G fait )><br />

la Côte d’Ivoire pendant sa jeunesse. Forgeron de caste, (( le vieux D<br />

a modernisé son atelier de fabrication de houes <strong>et</strong> de charrues en<br />

ramenant <strong>du</strong> matériel électrique d’Abidjan.<br />

Le père de Karanga cultive <strong>dans</strong> leur village d’origine, mais cer-<br />

tains de ses enfants sont à l’école ou en apprentissage, d’autres sont


120 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

en exode international, un dernier est enseignant à Bougouni. Avec<br />

ses propres frères, il emploie 5 ou 6 manœuvres par an sur<br />

13 hectares de maïs, mil <strong>et</strong> coton. Karanga a participé à l’exploi-<br />

tation de ce grand domaine en con<strong>du</strong>isant le tracteur familial. Une<br />

telle modernisation agricole est encore le fruit de I’épargne ivoi-<br />

rienne. Le père <strong>et</strong> ses jeunes frères ont passé quelques années <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> plantations forestières. Un oncle de Karanga est d’ailleurs resté<br />

à Dimbokro, où il a repris la plantation acquise par son aîné. Un<br />

autre oncle se trouve à Abidjan oÙ il fait travailler deux camions.<br />

Des enfants de sa génération, ils sont deux à travailler en Côte<br />

d’Ivoire, Karanga <strong>et</strong> son jeune frère qui vend des chaussures à<br />

Abidjan où il reste toute l’année. Ce dernier envoie chaque année<br />

150 O00 FCFA au père, (pousseur de charr<strong>et</strong>te) à Abidjan, <strong>et</strong> a économisé<br />

122 O00 FCFA en deux mois. Après être rentré au village avec une<br />

scie électrique, il a passé toute l’année suivante en Côte d’Ivoire.<br />

Dans <strong>les</strong> chantiers de brousse près d’Abidjan, il abattait <strong>du</strong> bois<br />

qu’il vendait aux charbonniers. En plus des 165 O00 FCFA de son<br />

entr<strong>et</strong>ien, il a gagné 1 024 O00 FCFA avec lequel, à son r<strong>et</strong>our au<br />

<strong>Mali</strong>, son père a ach<strong>et</strong>é des charrues <strong>et</strong> une centaine de vaches.<br />

Karanga a continué ce travail fatiguant jusqu’en 1977. Puis son<br />

oncle d’Abidjan a repris la scie <strong>et</strong> continue de ravitailler <strong>les</strong> char-<br />

bonniers. Karanga est alors embauché comme apprenti-chauffeur<br />

sur l’un de ses camions. Mais le neveu a laissé après deux mois<br />

c<strong>et</strong>te activité qui (< ne lui plaisait pas D. Sans doute <strong>les</strong> relations<br />

avec son oncle s’étaient-el<strong>les</strong> dégradées. En 1978, Karanga est resté<br />

au village paternel, occupé au tracteur. Depuis 1979, il vient tous<br />

<strong>les</strong> ans en Côte d’Ivoire pour 2 ou 3 mois après <strong>les</strong> cultures d’hiver-<br />

nage, <strong>et</strong> exerce désormais l’activité de guérisseur. Karanga n’a<br />

jamais été à l’école. I1 a


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 121<br />

la confiance y soit, sinon, c’est la peur que <strong>les</strong> autres au <strong>Mali</strong><br />

détournent ton argent. Réaliser quelque chose c’est possible, même<br />

à distance. )) I1 cite l’exemple de célibataires, de cultivateurs à Abid-<br />

jan, qui ont ach<strong>et</strong>é leur terrain :


122 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

I<br />

son louée. Au total, ce passage progressif )y<br />

qui associe plusieurs espaces économiques, pro<strong>du</strong>ctifs ou non, ne<br />

peut se comprendre que si l’on replace l’itinéraire de Karanga <strong>dans</strong><br />

un système migratoire rodi sur trois générations.<br />

LA TERRE AU CCEUR<br />

DES STRATÉGIES ÉCONOMIQUES DE RETOUR<br />

Ces relations étroites entre épargne migratoire <strong>et</strong> placements fon-<br />

ciers, entre <strong>les</strong>


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 123<br />

sommation de base), <strong>et</strong> ne contribuent pas à élargir l’assise terri-<br />

toriale <strong>du</strong> lignage.<br />

Dans d’autres cas, l’investissement de r<strong>et</strong>our n’est pas garanti<br />

par une diversification des revenus en Côte d’Ivoire, car le <strong>Mali</strong>en<br />

est en situation d’échec migratoire à long terme (gardiens de villa,<br />

orpailleurs <strong>et</strong> paysans démunis). Une stabilisation résidentielle <strong>du</strong>ra-<br />

ble débouche sur ce qui n’est plus un choix délibéré, au service<br />

d’un apprentissage de micro-spéculations cumulées, mais qui devient<br />

l’exode sans issue d’un trop vieux déraciné. Ces migrants peu qua-<br />

lifiés ont per<strong>du</strong> contact avec leur région d’origine, faute d’écono-<br />

mie pour alimenter des visites occasionnel<strong>les</strong> ; non relayés par leurs<br />

enfants, ils ne sont plus capab<strong>les</strong> de dégager la moindre épargne.<br />

Leur désintéressement foncier s’explique autant par la perte des<br />

relations socia<strong>les</strong> maliennes que par une migration non payante.<br />

Ces exemp<strong>les</strong> révèlent donc des occasions financières non ten-<br />

tées ou vouées à l’échec : allers <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours sans réelle accumula-<br />

tion, ou résignation à une rupture avec le <strong>Mali</strong> sans réelle inté-<br />

gration en Côte d’Ivoire, caractérisent


124 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

qui ont ouvert la voie des migrations <strong>les</strong> plus anciennes. L’acqui-<br />

sition de parcel<strong>les</strong> urbaines est plus souvent la conséquence d’une<br />

opportunité conjoncturelle, peu coûteuse, parfois en situation irré-<br />

gulière, que d’une démarche délibérément recon<strong>du</strong>ite. On préfère<br />

encore thésauriser <strong>les</strong> revenus extérieurs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> activités agro-<br />

pastora<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> champs de coton méridionaux <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, qui<br />

témoignent de réflexes sécuritaires (nourrir la famille, payer l’impôt<br />

en cas de problème).<br />

D’autres stratégies résolument urbaines accordent une impor-<br />

tance plus systématique aux parcel<strong>les</strong> résidentiel<strong>les</strong>, tout en souli-<br />

gnant <strong>les</strong> difficultés de l’achat à distance. Des chefs de ménage<br />

se détournent des traditionnels troupeaux de vaches décimés par<br />

la sécheresse, <strong>et</strong> orientent leurs choix d’investissement sur des lots<br />

plus coûteux, qui offrent une possibilité de valorisation rentière.<br />

C’est notamment le cas des artisans <strong>et</strong> des


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 125<br />

le contrecoup de la crise économique ivoirienne, qui bloque <strong>les</strong> pers-<br />

pectives d’une reconversion professionnelle au pays.<br />

Les stratégies commerçantes <strong>les</strong> plus solides (grossistes, trans-<br />

porteurs) s’orientent au contraire vers une circulation rapide de<br />

l’épargne commerciale sur des opportunités spéculatives, à voca-<br />

tions multip<strong>les</strong> de part <strong>et</strong> d’autre de la frontière, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

la terre joue un rôle important tant en Côte d’Ivoire qu’au <strong>Mali</strong>.<br />

Des perspectives plus ambitieuses s’accordent ainsi aux revenus<br />

supérieurs de ces investisseurs. Les lots urbains cumulés (parfois<br />

plus d’une dizaine) fonctionnent comme un capital provisoirement<br />

gelé, plus inflationniste qu’un troupeau <strong>et</strong> plus aisément mobili-<br />

sable (notamment lorsqu’ils restent non construits) qu’une épar-<br />

gne placée en banque. Ils échappent à une fiscalité <strong>foncière</strong> peu<br />

appliquée au <strong>Mali</strong> ; ils fournissent <strong>les</strong> garanties <strong>les</strong> plus fréquen-<br />

tes pour un fonds de roulement commercial ou pour couvrir le<br />

déficit chronique d’activités fragilisées par la conjoncture. Leurs<br />

reventes opportunes, parfois à perte, alimentent <strong>les</strong> réserves d’auto-<br />

financement ; leurs valorisations locatives débloquent des prêts ban-<br />

caires sur mises en gage. Ces relations financières soup<strong>les</strong> <strong>et</strong> pro-<br />

pres aux entrepreneurs indépendants connaissent certes de nom-<br />

breux revers sociaux <strong>et</strong> financiers. Mais la manne économique <strong>et</strong><br />

<strong>foncière</strong> tourne désormais sur elle-même, la vente <strong>et</strong> l’achat des<br />

terrains constituant un thermomètre fidèle d’activités tour à tour<br />

contractées <strong>et</strong> élargies.<br />

4. Salariés cumulards<br />

Dernier type d’investisseurs à distance au <strong>Mali</strong>, des cadres<br />

maliens de la fonction publique ivoirienne epargnent à partir de<br />

leur salaire, puis de revenus annexes dégagés parallèlement à leur<br />

emploi principal. Ces


126 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

rienne qu’au début de l’indépendance, à une époque où le pays<br />

en manquait, ou par le biais d’organismes internationaux (Orga-<br />

nisation mondiale de la santé, notamment). De tel<strong>les</strong> conditions<br />

ne sont plus d’actualité ; le salariat administratif <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel se<br />

ferme désormais aux jeunes immigrés maliens. Arrivés à un âge<br />

mûr, <strong>les</strong> chefs de ménage rencontrés à Odienné ressentent donc<br />

fortement l’épanouissement démographique de leurs famil<strong>les</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong><br />

perspectives financières limitées d’une r<strong>et</strong>raite que tous désirent<br />

prendre au pays ; leur statut d’étranger ne <strong>les</strong> autorise pas à espérer<br />

de confortab<strong>les</strong> indemnités d’une Côte d’Ivoire en crise. On com-<br />

prend, alors, le souci de ces salariés-entrepreneurs de maintenir un<br />

niveau de vie considérablement plus élevé que celui de leurs collè-<br />

gues <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, à la faveur de > économiques com-<br />

plémentaires à l’étranger (plantation, poulailler moderne, prospec-<br />

tion aurifère d’envergure, promotion immobilière locative).<br />

Ces rentes <strong>et</strong> bénéfices privés ont ainsi diversifié <strong>les</strong> placements<br />

au pays avec une efficacité souvent supérieure à celle de leurs com-<br />

patriotes indépendants d’odienné. D’ambitieuses acquisitions fon-<br />

cières, agrico<strong>les</strong> <strong>et</strong> urbaines, élargissent l’assise géographique des<br />

proj<strong>et</strong>s citadins de r<strong>et</strong>our. Parallèlement aux investissements loca-<br />

tifs revient souvent le besoin de . Au-delà de médiocres horizons<br />

économiques <strong>dans</strong> la région d’origine, il est nécessaire de poser<br />

<strong>les</strong> jalons résidentiels qui encadreront la repro<strong>du</strong>ction familiale de<br />

ces cadres, <strong>du</strong> chef-lieu local à la capitale nationale : <strong>les</strong> jeunes<br />

restés au pays sont scolarisés <strong>dans</strong> différentes vil<strong>les</strong> ; <strong>les</strong> points de<br />

chute doivent multiplier <strong>les</strong> facteurs de la promotion sociale <strong>et</strong> professionnelle<br />

pour la génération d’enfants bien scolarisés, consolider<br />

<strong>les</strong> relations politiques qui ont souvent permis à ces salariés<br />

de s’infiltrer <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> <strong>du</strong> travail <strong>et</strong> des lots résidentiels.<br />

Le terme des placements devient alors l’entreprise agro-pastorale<br />

performante, le domaine de culture ouvert sur le marché de consommation<br />

urbain, m<strong>et</strong>tant <strong>les</strong> techniques modernes de pro<strong>du</strong>ction<br />

<strong>et</strong> de gestion (irrigation, sélection de variétés à haut rendement,<br />

comptabilité assistée, prêts bancaires) au service d’un écoulement<br />

commercial de large envergure. Certes, tous ces proj<strong>et</strong>s en cours<br />

de réalisation s’appuient sur des bases traditionnel<strong>les</strong> : ils mobilisent<br />

<strong>les</strong> compétences des ado<strong>les</strong>cents en vue des r<strong>et</strong>raites ; ils recherchent<br />

de façon encore extensive de vastes surfaces ; ils arrachent<br />

en douceur des concessions péri-urbaines au v<strong>et</strong>o coutumier, grâce<br />

à de bonnes relations avec <strong>les</strong> administrateurs (souvent des >) <strong>et</strong> avec <strong>les</strong> paysans (la parenté <strong>dans</strong> la région d’origine).<br />

Mais ils proj<strong>et</strong>tent, <strong>dans</strong> un patrimoine foncier élargi vers


DES PROPRIÉTAIRES À DISTANCE 127<br />

<strong>les</strong> campagnes, une logique citadine <strong>et</strong> spéculative nouvelle, car le<br />

détour migratoire par la Côte d’Ivoire (<strong>et</strong> ses plantations notam-<br />

ment) a bien montré aux entrepreneurs urbains <strong>les</strong> possibilités expé-<br />

rimenta<strong>les</strong> <strong>du</strong> tremplin salarial.<br />

Au total, ces réseaux d’épargnes inter-africaines suggèrent bien<br />

deux niveaux d’interprétation. Au plan des mobilités profession-<br />

nel<strong>les</strong> <strong>et</strong> géographiques, <strong>les</strong> itinéraires des migrants internationaux<br />

soulignent à nouveau l’importance <strong>du</strong> facteur temps <strong>dans</strong> la région<br />

de départ <strong>et</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> étapes migratoires. Hésitations <strong>et</strong> réussites<br />

se construisent <strong>dans</strong> le long terme. L’expatriation <strong>du</strong>rable ou renou-<br />

velée d’une génération à l’autre débouche sur divers placements,<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels des légitimités patrimonia<strong>les</strong> <strong>et</strong> des opportunités spé-<br />

culatives se servent mutuellement. D’une forme de résistance à la<br />

colonisation, <strong>les</strong> réseaux migratoires construits <strong>du</strong> nord au sud de<br />

l’Afrique occidentale évoluent donc, <strong>et</strong> s’adaptent comme forme<br />

de résistance aux crises financières <strong>et</strong> climatiques maliennes. Mais<br />

la conjoncture économique étroite qui règne désormais en Côte<br />

d’Ivoire, malgré <strong>les</strong> interstices de


128 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Entre ces deux schémas d’interprétation, qui renvoient aux débats<br />

des sciences socia<strong>les</strong>, des concurrences citadines se construisent ou<br />

se transforment, autour de cours-marchandises valorisées par leur<br />

ancrage foncier plus que par leurs techniques architectura<strong>les</strong>. Des<br />

lignages, des voisinages, autant de groupes infra-communaux mais<br />

aussi supra-urbains, exploitent <strong>les</strong> légitimités socio-politiques d’un<br />

capital de <strong>du</strong>rée de résidence. Les


DEUXIÈME PARTIE<br />

TENSIONS DES MARCHÉS FONCIERS<br />

DANS LA CRISE ÉCONOMIQUE


Valeur d’usage ou marchande, bien hérité ou capitalisé, le sol<br />

urbain suscite des concurrences de masse qui intéressent <strong>les</strong> chapitres<br />

suivants : quelle sécurité pour l’appropriation <strong>foncière</strong> ? Quel<strong>les</strong><br />

sélections socia<strong>les</strong> ? Quels proj<strong>et</strong>s de valorisation économique ?<br />

Pour analyser ces <strong>marchés</strong>, on dispose de classifications économiques<br />

généra<strong>les</strong> sur le <strong>Mali</strong> (1). Toutes soulignent l’émergence<br />

d’un État prédateur, mais aussi vecteur des rapports de pro<strong>du</strong>ction<br />

capitalistes. Les performances agrico<strong>les</strong> <strong>du</strong> pays, <strong>les</strong> résultats<br />

des entreprises publiques, définissent au cours des années 1980 une<br />

société malienne à trois pô<strong>les</strong>. Les paysans déterminent <strong>les</strong> enjeux<br />

économiques (une rente d’exportation) <strong>et</strong> idéologiques (la >) <strong>du</strong> développement national. Les fonction-<br />

naires témoignent <strong>du</strong> proj<strong>et</strong> hégémonique de 1’État <strong>et</strong> de sa pau-<br />

vr<strong>et</strong>é budgétaire. Les commerçants participent enfin au prélèvement<br />

de bénéfices agrico<strong>les</strong>, <strong>et</strong> héritent de rapports en dents de scie avec<br />

la a bourgeoisie bureaucratique D.<br />

L’appropriation <strong>du</strong> sol urbain joue un rôle <strong>dans</strong> ces concur-<br />

rences menées autour de ressources économiques nationa<strong>les</strong>, en<br />

maintenant des complicit6s <strong>et</strong> des conflits. Ces proximités ou diver-<br />

gences d’intérêts concernent aussi <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> secondaires <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>,<br />

<strong>dans</strong> la mesure où el<strong>les</strong> centralisent une pro<strong>du</strong>ction agricole, une<br />

fonction commerçante <strong>dans</strong> l’économie frontalière, un salariat<br />

administratif <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel. En comparant <strong>les</strong> demandes <strong>et</strong> <strong>les</strong> offres<br />

des <strong>marchés</strong> fonciers, on se demande ici si d’autres acteurs per-<br />

turbent le trio malien d’inéga<strong>les</strong> représentations politiques <strong>dans</strong> le<br />

contexte de crise, <strong>et</strong> si des clivages internes à ces composantes<br />

nationa<strong>les</strong> n’en limitent pas la cohérence.<br />

Les difficultés financières <strong>et</strong> politiques des années 1980-1991 ont<br />

changé l’accès aux parcel<strong>les</strong> résidentiel<strong>les</strong> morcelées sur le domaine<br />

de 1’État. <strong>La</strong> terre participe-t-elle alors aux stratégies d’enrichisse-<br />

ment <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> maliennes, ou n’est-elle qu’un révélateur de mobi-<br />

lités régies par d’autres dynamiques ? Les <strong>du</strong>tigiw se cantonnent-ils<br />

<strong>dans</strong> une seule étape de constitution de valeurs <strong>foncière</strong>s, ou bien<br />

trouvent-ils des opportunités de rente <strong>dans</strong> le fait de transcender <strong>les</strong><br />

statuts juridiques de la terre ? Le sol est-il pourvoyeur de revenus<br />

occasionnels ou de ressources repro<strong>du</strong>ctib<strong>les</strong> <strong>dans</strong> un véritable pro-<br />

cessus d’accumulation ? Existe-t-il un rapport réfléchi entre l’inves-<br />

tissement <strong>et</strong> son rapport, ou bien ces rationalités classiques sont-el<strong>les</strong><br />

perturbées par d’autres eff<strong>et</strong>s de brouillage ?<br />

(1) Diop, 1971-85 ; Constantin, Codon, 1979 ; Cissé, Dembélé, Kébé, Traoré,<br />

1981 ; AmseIIe, 1985 ; Lecaillon, Morrisson, 1986.


4<br />

Chronique de trois segments fonciers<br />

L’inégale reconnaissance de l’occupation <strong>foncière</strong> pose la ques-<br />

tion d’une spécialisation des <strong>marchés</strong> en fonction des garanties<br />

administratives qu’ils offrent à leurs propriétaires. A défaut d’assu-<br />

rer le monopole foncier de l’État, <strong>les</strong> lots extraits <strong>du</strong> domaine<br />

national dominent <strong>les</strong> surfaces urbanisées <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. <strong>La</strong> valorisa-<br />

tion d’une concession précaire par son attributaire doit aboutir,<br />

en principe, à la délivrance d’un


132 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

commercial immatriculé. Malgré une raréfaction de l’offre, <strong>les</strong> TF<br />

révèlent <strong>les</strong> perspectives spéculatives qui influencent d’autres sélec-<br />

tions entre <strong>les</strong> demandeurs d’espace urbain.<br />

1. Les promoteurs d’un rapport marchand<br />

Les créations de titres, refl<strong>et</strong> des vicissitudes de la mise en valeur<br />

régionale contemporaine<br />

Depuis 1907, <strong>les</strong> rythmes de création des TF se calquent sur<br />

ceux de la diffusion d’un capitalisme commercial autour de la rente<br />

agricole. Dans


188<br />

180<br />

19€<br />

1 so:<br />

C I<br />

HISTOIRE DES 54 TITRES FONCIERS DE KOUTIALA<br />

eu marmi admulistratif colonial aux dynamques privies<br />

-<br />

- mangemene<br />

ivoiulion <strong>du</strong> T.F.<br />

delai entre deux<br />

. Changement de<br />

propri<strong>et</strong>aue -<br />

creation <strong>du</strong> T.F.<br />

HISTOIRE DES 57 TITRES FONCIERS DE BOUGOUNI<br />

un march6 pluldt ancien


134 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

des créations de TF au moment oÙ des fonds publics d’aménage-<br />

ment stimulent <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> commercia<strong>les</strong> de l’intérieur. Des acteurs<br />

indigènes émergent <strong>dans</strong> le marché foncier, témoignant de leur per-<br />

cée économique (3). Enfin, <strong>les</strong> dernières créations suivent le coup<br />

d’État militaire de novembre 1968, après un n<strong>et</strong> ralentissement des<br />

aliénations à l’indépendance. <strong>La</strong> crise économique, 1 ’affirmation<br />

<strong>du</strong> monopole domanial de 1’État contemporain marquent désor-<br />

mais une pratique restrictive des immatriculations.<br />

Quelques particularités loca<strong>les</strong> apparaissent cependant. <strong>La</strong> dyna-<br />

mique des créations est essentiellement coloniale à Bougouni ; le<br />

marasme commercial s’est pleinement révélé à l’indépendance <strong>dans</strong><br />

un environnement agricole peu dense. Au contraire, <strong>les</strong> récentes<br />

créations de Koutiala en soulignent l’essor économique <strong>dans</strong> un<br />

nouveau cycle d’investissement cotonnier. L’immatriculation <strong>du</strong> sol<br />

urbain est donc étroitement liée aux conjonctures de développe-<br />

ment économique. Les capitaux qu’elle supporte enregistrent <strong>les</strong><br />

aléas des relations entre pro<strong>du</strong>ction agricole locale <strong>et</strong> échanges inter-<br />

nationaux, mais aussi <strong>les</strong> étapes d’une normalisation administra-<br />

tive <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centre-vil<strong>les</strong>. Ils offrent un bon observatoire de la<br />

diffusion <strong>du</strong> capitalisme commercial, stimulé par l’administration<br />

coloniale puis cors<strong>et</strong>é par l’affirmation de 1’État indépendant.<br />


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 135<br />

priétaires : la cession définitive intervient moins de 4 ans après<br />

l’immatriculation au nom de 1’État <strong>dans</strong> 60 9’0 des cas à Bougouni,<br />

<strong>et</strong> <strong>dans</strong> 47 070 des cas à Sikasso.<br />

Les délais moyens augmentent ensuite <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1930,<br />

au moment où <strong>les</strong> efforts administratifs de mise en valeur restrei-<br />

gnent la fièvre d’appropriation spéculative. Des clauses résolutoi-<br />

res de mise en valeur sont intro<strong>du</strong>ites <strong>et</strong> subordonnent la cession<br />

définitive des titres au respect de normes <strong>et</strong> de délais. Les pro-<br />

priétaires se voient obligés de construire des bâtiments en <strong>du</strong>r d’une<br />

valeur minimum de 15 à 500 O00 F, en


136 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

res, attente sur plusieurs années d’un décr<strong>et</strong> <strong>du</strong> Conseil des minis-<br />

tres. De nouveaux titres apparaissent sur <strong>les</strong> terrains non bâtis réser-<br />

vés aux futurs lotissements communaux. Mais <strong>les</strong> rapports entre<br />

<strong>les</strong> techniciens des domaines <strong>et</strong> <strong>les</strong> municipalités ne se sont pas<br />

moins dégradés. Le


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 137<br />

devenu tardivement conditionnel, en orientant <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> urbains<br />

vers <strong>les</strong> tentations spéculatives <strong>du</strong> développement marchand. I1 laisse<br />

ensuite la place à un État clientéliste dont <strong>les</strong> immatriculations pri-<br />

vilégient moins des intérêts corporatistes que des besoins person-<br />

nalisés.<br />

2. Les mouvements <strong>dans</strong> la propriété privée : vers une élite <strong>foncière</strong><br />

Des reventes Ci coûts élevés<br />

Après l’immatriculation, la dynamique <strong>du</strong> marché se mesure<br />

aux changements de propriétaires de chaque titre. C<strong>et</strong>te mobilité<br />

concerne de 51 à 56 070 des TF méridionaux. Les lenteurs admi-<br />

nistratives maliennes contribuent pour beaucoup au gel de titres<br />

restés au nom de I’État, notamment à Sikasso <strong>et</strong> Koutiala. A Bou-<br />

gouni, la faib<strong>les</strong>se des capitaux locaux justifie davantage que peu<br />

de transferts aient été menés sur <strong>les</strong> titres privatisés de 1947 à 1964<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements commerciaux <strong>du</strong> centre-ville.<br />

Les titres ayant connu un ou plusieurs changements témoignent<br />

au contraire d’un véritable marché privé. En moyenne, ils ont<br />

changé 2’5 fois de propriétaire, mais 41 070 d’entre eux relèvent<br />

d’une mobilité <strong>foncière</strong> importante de 3 à plus de 8 changements.<br />

Ici <strong>les</strong> transactions privées l’emportent sur <strong>les</strong> interventions de 1’État<br />

(reprises ou morcellements de titres). L’aliénation définitive <strong>du</strong> sol<br />

a donc globalement stimulé <strong>les</strong> investissements urbains, malgré des<br />

relations ambivalentes entre <strong>les</strong> intérêts administratifs <strong>et</strong> <strong>les</strong> besoins<br />

fonciers privés. Que signifient alors <strong>les</strong> transferts répétés de pro-<br />

priété : des tâtonnements incertains sur l’opportunité à investir <strong>dans</strong><br />

de p<strong>et</strong>ites vil<strong>les</strong>, ou bien des stratégies plus résolues de placements<br />

rapides ?<br />

L’évolution inflationniste des prix confirme c<strong>et</strong>te dernière ten-<br />

dance, en particulier à Sikasso <strong>et</strong> Koutiala. L’intro<strong>du</strong>ction des titres<br />

<strong>dans</strong> le marché privé stimule une importante hausse des prix, que<br />

justifient la situation centrale des titres <strong>et</strong> leur valorisation en maté-<br />

riaux <strong>du</strong>rab<strong>les</strong>, en immeub<strong>les</strong> de rapport commercial. Le titre sikas-<br />

sois no 71 est d’abord ven<strong>du</strong> à 525 O00 FM en 1969, <strong>et</strong> fait l’obj<strong>et</strong><br />

d’une seconde transaction 14 ans plus tard à 20 500 O00 FM. Le<br />

titre-mère d’un lotissement commercial koutialais, morcelé en<br />

17 étapes, détaille l’évolution des prix d’adjudication aux plus<br />

offrants. Ils augmentent peu entre 1938 <strong>et</strong> 1954 (pas plus de<br />

45 O00 F <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1950), <strong>et</strong> restent très en dessous de ceux


138 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

<strong>du</strong> marché privé qui se développe parallèlement ou ultérieurement<br />

sur <strong>les</strong> mêmes lots. Certains lots sont reven<strong>du</strong>s jusqu’à<br />

250 000FCFA (6 ares en 1955) ou 150 O00 FCFA (1 O00 mz la<br />

même année). Le segment immatriculé est donc un marché sélec-<br />

tif d’élite, <strong>dans</strong> lequel. l’acquisition <strong>du</strong> terrain n’est qu’une étape<br />

préliminaire au placement <strong>du</strong> capital. <strong>La</strong> rente <strong>foncière</strong> y est avant<br />

tout une rente de situation, d’une part <strong>dans</strong> l’espace urbain, d’autre<br />

part <strong>dans</strong> <strong>les</strong> garanties financières que l’immatriculation donne aux<br />

détenteurs de titres auprès des organismes de crédit.<br />

Les mises en gage <strong>et</strong> leurs irrégularités<br />

De 11 à 21 Yo des titres sont en eff<strong>et</strong> gagés en hypothèque con-<br />

ventionnelle, avec en moyenne 1,4 hypothèque par propriétaire con-<br />

cerné. A Koutiala, <strong>les</strong> immatriculations récentes des années 1980<br />

suggèrent que des candidats à l’appropriation définitive s’y inté-<br />

ressent de plus en plus pour mobiliser <strong>du</strong> crédit bancaire, notam-<br />

ment à partir de périphéries citadines. Un commerçant obtient ainsi<br />

en 1986, tout juste après l’immatriculation de ses quatre conces-<br />

sions loties <strong>et</strong> d’un verger péri-urbain, une hypothèque de<br />

611 850 FCFA sur 75 ares.<br />

Ce type de démarche menée à partir de la fonction résiden-<br />

tielle est donc nouveau par rapport aux immatriculations précé-<br />

dentes de vergers, qui anticipaient sur l’indemnisation délivrée en<br />

cas de réquisition pour cause d’utilité publique. Ces longues <strong>et</strong> COQ-<br />

teuses procé<strong>du</strong>res domania<strong>les</strong> recherchent aujourd’hui surtout <strong>les</strong><br />

prêts bancaires sur garanties, d’autant qu’en cas de défaillance<br />

financière des propriétaires, <strong>les</strong> reprises de titres sont rares. El<strong>les</strong><br />

posent en eff<strong>et</strong> de réels problèmes administratifs <strong>et</strong> sociaux, sous<br />

la colonisation <strong>et</strong> depuis l’indépendance. Des hypothèques cumu-<br />

lées sur plusieurs titres à la fois, des opérations financieres renou-<br />

velées sur un même titre, des élargissements de crédits non justi-<br />

fiés par l’investissement immobilier , se développent donc <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

communes depuis <strong>les</strong> années 1950, lorsque <strong>les</strong> commerçants locaux<br />

se substituent aux sociétés de traite.<br />

Les délais de libération des gages varient beaucoup d’un titre<br />

hypothéqué à un autre. Les titres qui n’étaient pas libérés en 1988<br />

étaient mis en gage depuis plus de 15 ans à Bougouni, <strong>et</strong> depuis<br />

plus de 13 ans à Koutiala. Cela montre la liberté assez grande des<br />

titulaires face à leurs engagements bancaires <strong>et</strong> au fonctionnement<br />

rigoureux de l’institution domaniale. Apr.& que, sous la colonisa-<br />

tion, des clauses résolutoires de mise en valeur aient été liquidées<br />

bien au-delà des délais requis, c<strong>et</strong>te nouvelle imbrication de sécu-<br />

-


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 139<br />

rités <strong>foncière</strong>s <strong>et</strong> d’usages personnalisés <strong>du</strong> sol urbain préfigure la<br />

gestion des permis d’occuper municipaux. De même, <strong>les</strong> hypothè-<br />

ques sont octroyées sur la base d’une estimation hâtive de l’inves-<br />

tissement <strong>et</strong> de l’activité commerciale <strong>du</strong> propriétaire, plus que<br />

d’après une expertise <strong>du</strong> patrimoine <strong>et</strong> des bilans comptab<strong>les</strong>. Leur<br />

montant est toujours plus élevé que la valeur de la propriété à<br />

l’achat. C’est bien d’une rente <strong>foncière</strong> dont profite le proprié-<br />

taire définitif,‘ qui associe des profits marchands, des loyers de<br />

magasins ou de cours résidentiel<strong>les</strong>, <strong>et</strong> un accès privilégié au crédit.<br />

L’inflation des hypothèques est telle que certaines mises en gage<br />

multiplient par plus de six fois la valeur des titres dès après leur<br />

achat. Malgré cela, <strong>les</strong> garanties de recouvrement des prêts sont<br />

de plus en plus incertaines. Dans la pratique commerciale de Cer-<br />

tains propriétaires, la mise en gage s’assimile à une autorisation<br />

officieuse de découvert bancaire chronique. Les rares cas coloniaux<br />

de déchéances de droits de sociétés françaises ou de commerçants<br />

libanais n’ont pas été suivis d’autres mesures depuis l’indépendance.<br />

Enfin, plusieurs titres fonciers sont reven<strong>du</strong>s sur le marché privé<br />

accompagnés de leur hypothèque conventionnelle, car <strong>les</strong> proprié-<br />

taires sont obligés de se libérer de leur d<strong>et</strong>te par le pro<strong>du</strong>it de la<br />

transaction <strong>foncière</strong>. <strong>La</strong> clientèle commerçante des TF a donc été<br />

la plus prompte à profiter des mises en gage, puis à craindre <strong>les</strong><br />

restrictions envisagées par l’administration domaniale au début des<br />

années 1980. Sur <strong>les</strong> 28 propriétaires gagés )> de Sikasso, 21 sont<br />

des marchands, 6 sont des sociétés commercia<strong>les</strong>.<br />

<strong>La</strong> promotion d’un capital commercial<br />

Des créations aux dernières ventes, le classement de toutes <strong>les</strong><br />

578 étapes de propriété des TF révèle un partage serré : 1’État appa-<br />

raît <strong>dans</strong> 42 Yo des étapes de propriété, y compris sur <strong>les</strong> titres<br />

au nom de la France dont la situation administrative n’a pas été<br />

régularisée depuis l’indépendance, <strong>et</strong> témoigne à nouveau <strong>du</strong> con-<br />

trôle administratif. Les acteurs privés interviennent <strong>dans</strong> une majo-<br />

rité d’autres cas.<br />

Un premier regroupement de ces derniers concerne tous <strong>les</strong> pro-<br />

priétaires dont l’activité est commerciale (sociétés, représentants,<br />

négociants, transporteurs <strong>et</strong> entrepreneurs), auxquels on ajoute <strong>les</strong><br />

héritiers des précédents : avec 51 Yo des propriétaires, c<strong>et</strong> inves-<br />

tissement marchand se place en tête <strong>du</strong> marché immatriculé devant<br />

1’État. I1 s’oppose à une poignée hétérogène d’autres titulaires non<br />

liés au négoce : cultivateurs, anciens combattants, fonctionnaires,<br />

religieux <strong>et</strong> communes. Leurs TF relèvent <strong>du</strong> prestige ou de mise


100%<br />

O<br />

ÉVOLUTION DE LA PROPRIÉTÉ IMMATRICULÉE<br />

Commerces<br />

Etats sociétés particuliers Autres<br />

France "colonia<strong>les</strong><br />

colonia<strong>les</strong>-<br />

<strong>Mali</strong> 5 Indépendance<br />

Commerçants 0 Autres<br />

dont<br />

Entrepreneurs Notab<strong>les</strong><br />

Représentants de Héritiers iza<br />

1<br />

sociétés colonia<strong>les</strong><br />

. o *<br />

...<br />

O 0 0<br />

O 0<br />

1927<br />

1946<br />

1 .. O 0<br />

O 0 0<br />

I 9138 1988<br />

. e<br />

...<br />

..<br />

...<br />

..<br />

O 0 0<br />

0 0<br />

total


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 141<br />

en conformité technique, lors d’opportunités colonia<strong>les</strong> (privilèges<br />

accordés à certains chefs de canton) ou récentes. L’apparition de<br />

la commune de Sikasso découle ainsi de la loi 82-122 qui exige<br />

l’immatriculation des futures zones à lotir. Mais ce négoce domi-<br />

nant est lui-même divers : <strong>les</strong> sociétés <strong>et</strong> leurs représentants appa-<br />

raissent <strong>dans</strong> 46 Yo des étapes commerçantes de propriété, alors<br />

que <strong>les</strong> commerçants particuliers <strong>et</strong> leurs héritiers sont majoritai-<br />

res à 54 070 (5).<br />

Ces grandes lignes de classement sont remarquablement iden-<br />

tiques <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>marchés</strong> immatriculés : 1’État représente tou-<br />

jours plus d’un tiers de la propriété ; le commerce l’emporte <strong>dans</strong><br />

le marché privé ; <strong>les</strong> sociétés d’origine coloniale sont plus nom-<br />

breuses que cel<strong>les</strong> qui n’interviennent que depuis l’indépendance ;<br />

<strong>les</strong> autres propriétaires ne regroupent que de p<strong>et</strong>its effectifs. C<strong>et</strong>te<br />

typologie des étapes de propriété résulte en fait d’une dynamique<br />

historique de transferts de propriété au cours des grandes phases<br />

d’investissement commercial. Le clivage interne au négoce résulte<br />

ainsi d’importantes substitutions : comme à Maradi (Niger, Gré-<br />

goire, 1986), <strong>les</strong> intérêts locaux ont relayé le capital des représen-<br />

tations commercia<strong>les</strong>. Dans <strong>les</strong> bilans de la propriété, de 1927 à<br />

1988, la part de 1’État augmente régulièrement de 9 à 42 Yo ; celle<br />

des sociétés diminue à l’inverse, de 65 à 9 Yo, <strong>et</strong> fait chuter le poids<br />

global <strong>du</strong> commerce de 85 à 57 Yo ; enfin, le commerce particu-<br />

lier progresse de 18 à 35 Yo, puis se stabilise, contribuant à main-<br />

tenir le négoce en position majoritaire.<br />

De l’entre-deux-guerres à la fin de la colonisation, le marché<br />

est d’abord dominé par <strong>les</strong> comptoirs coloniaux, puis équilibré entre<br />

<strong>les</strong> sociétés de traite, <strong>les</strong> clauses administratives de l’après-guerre,<br />

<strong>et</strong> <strong>les</strong> commerçants particuliers. Après l’indépendance, la contrac-<br />

tion des sociétés laisse place à une concurrence plus <strong>du</strong>aliste entre<br />

1’État <strong>et</strong> le commerce particulier.<br />

Mais ces transferts d’ensemble de la propriété se sont prépa-<br />

rés progressivement à l’intérieur des grandes composantes. Après<br />

avoir eu en majorité leur siège en métropole, notamment à Bor-<br />

deaux <strong>et</strong> Marseille, <strong>les</strong> sociétés colonia<strong>les</strong> ont fait intervenir de plus<br />

en plus de filia<strong>les</strong> africaines, <strong>et</strong> ce dès avant l’indépendance. Dans<br />

ces restructurations <strong>du</strong> capital international, <strong>les</strong> sociétés françai-<br />

ses se sont désengagées au profit de commerçants locaux <strong>et</strong> de<br />

grands distributeurs mondiaux de pro<strong>du</strong>its pétroliers.<br />

Chez <strong>les</strong> particuliers, <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> substitutions concernent<br />

(5) Les commerçants européens sont <strong>les</strong> moins nombreux (17 070 des particuliers).<br />

Les Levantins d’origines libano-syriennes (37 070) se sont spécialisés <strong>dans</strong> le commerce<br />

de demi-gros. Leurs enfants ont pris la nationalité malienne, mais leurs activitks <strong>et</strong><br />

leur niveau de vie continuent à <strong>les</strong> distinguer <strong>du</strong> dernier groupe des Africains (46 070).


142 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

l’origine <strong>et</strong>hnique des commerçants <strong>et</strong> se répercutent quelques<br />

années plus tard chez <strong>les</strong> héritiers par mutation-décès. Alors que<br />

l’année 1927 est dominée par <strong>les</strong> négociants européens, 1946 con-<br />

sacre le dynamisme des Levantins qui apparaît ensuite relayé, dès<br />

1968, par celui des <strong>Mali</strong>ens. Mais l’épanouissement des intérêts pri-<br />

vés, familiaux <strong>et</strong> locaux, est déjà limité par l’administration doma-<br />

niale. A l’issue d’une première décennie d’indépendance, <strong>les</strong> repri-<br />

ses, <strong>les</strong> réaffectations ministériel<strong>les</strong> <strong>et</strong> de nouvel<strong>les</strong> immatriculations<br />

ont fait reculé le poids des héritages coloniaux (titres non encore<br />

liquidés au nom de la France).<br />

Ces quatre photographies ont donc fait émerger environ<br />

70 commerçants <strong>et</strong> entrepreneurs installés aujourd’hui à Sikasso,<br />

Koutiala <strong>et</strong> Bougouni. <strong>La</strong> chronique de la propriété définitive place<br />

ainsi l’accumulation marchande entre <strong>les</strong> aléas <strong>du</strong> contrôle doma-<br />

nial de 1’État <strong>et</strong> la forte charge patrimoniale des intérêts privés.<br />

En eff<strong>et</strong>, l’appropriation de titres par <strong>les</strong> commerçants maliens<br />

relève de motivations multip<strong>les</strong> : valoriser une rente moderne (entre-<br />

pôts loués ou directement utilisés, garanties hypothécaires), mais<br />

aussi transm<strong>et</strong>tre ces titres fonciers qui restent longtemps indivis<br />

après le décès d’un premier acquéreur. Un contrôle familial col-<br />

lectif se maintient sur <strong>les</strong> valeurs <strong>les</strong> plus spéculatives <strong>du</strong> sol urbain.<br />

Au total, <strong>les</strong> trois quarts des ventes privées ont n<strong>et</strong>tement con-<br />

vergé vers la satisfaction des besoins <strong>du</strong> groupe négociant. C<strong>et</strong>te<br />

mobilité <strong>foncière</strong> privilégie l’élite marchande <strong>et</strong> plus particulière-<br />

ment sa composante locale. Les filières d’achat des TF soulignent<br />

au contraire la prééminence <strong>du</strong> marché administratif comme source<br />

d’appropriation <strong>foncière</strong> : 52 070 de l’offre provient de l’État (en<br />

particulier français), devant <strong>les</strong> achats auprhs de négociants (38 070,<br />

pour l’essentiel des société colonia<strong>les</strong>). Ce rôle ancien de l’admi-<br />

nistration domaniale est ensuite concurrencé par le renouvellement<br />

interne de la propriété. C’est à la faveur de tels mouvements pri-<br />

vés que des concentrations de titres ont dégagé la frange supérieure<br />

de l’élite marchande.<br />

Les


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 143<br />

tal international détient aujourd’hui plus de titres que <strong>les</strong> rares<br />

entreprises nationa<strong>les</strong> (OPAM, SOMIEX), dont l’implantation com-<br />

merciale, déjà limitée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970, se contracte <strong>dans</strong> la<br />

politique récente de libéralisation.<br />

Plus encore que <strong>les</strong> sociétés, des commerçants particuliers se dis-<br />

tinguent <strong>dans</strong> ces acquisitions simultanées. Les Levantins ont été<br />

particulièrement prompts à acquérir plusieurs titres <strong>dans</strong> la même<br />

ville. Trois famil<strong>les</strong> koutialaises apparaissent sur 17 titres. Deux<br />

d’entre el<strong>les</strong> sont même présentes à la fois à Koutiala <strong>et</strong> à Sikasso.<br />

Un commerçant réalise aujourd’hui le plus gros cumul de la ville,<br />

avec 6 titres ach<strong>et</strong>és de 1965 <strong>et</strong> 1987. Les <strong>Mali</strong>ens se sont enfin éta-<br />

blis en relayant <strong>les</strong> précédents ou en profitant des trous laissés par<br />

<strong>les</strong> sociétés de traite. C’est à Sikasso que <strong>les</strong> stratégies maliennes<br />

de cumul se sont le mieux épanouies avec 6 commerçants, dont deux<br />

basés à Bamako ou en Côte d’Ivoire.<br />

Ces concentrations temporaires ou <strong>du</strong>rab<strong>les</strong> restent le privilège<br />

des investissements marchands. On s’interrogera donc sur leur<br />

représentativité <strong>dans</strong> l’ensemble des activités urbaines indépendantes,<br />

<strong>et</strong> s’ils sont également tentés d’intervenir <strong>dans</strong> <strong>les</strong> segments fon-<br />

ciers plus précaires.<br />

MONTAGES BUDGÉTAIRES ET VIABILISATIONS TECHNIQUES<br />

DES LOTISSEMENTS COMMUNAUX<br />

1. Nouvelle offre au prix d’insoumissions budgétaires<br />

Les communes méridiona<strong>les</strong> ont répercuté très inégalement <strong>les</strong><br />

nouvel<strong>les</strong> contraintes domania<strong>les</strong> <strong>dans</strong> leur gestion administrative<br />

des années 1980. A Bougouni, aucune opération de lotissement<br />

n’est réalisée depuis 1983. L’absence de ressources extraordinaires<br />

explique ainsi la faib<strong>les</strong>se de trésorerie de la p<strong>et</strong>ite commune <strong>et</strong><br />

l’aggravation de ses déficits courants. Ses budg<strong>et</strong>s prévisionnels,<br />

en constante progression, n’en sont que plus artificiels.<br />

Les prévisions financières de Sikasso sont également inflation-<br />

nistes, mais le pro<strong>du</strong>it des ventes de lots est resté inférieur à 1 Vo<br />

des rec<strong>et</strong>tes extraordinaires escomptées. <strong>La</strong> situation devait se<br />

redresser à la fin de la décennie, car <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> atten<strong>du</strong>es depuis<br />

1977 ont été enfin attribuées. Pourtant, <strong>les</strong> comptes réalisés res-<br />

tent infimes : moins de 1 Vo des prévisions en 1987, 3 Vo en 1988.<br />

Comment comprendre que la capitale régionale, qui seule semble


144 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

avoir joué le jeu réglementaire des nouveaux lotissements (immatriculation,<br />

viabilisation), ne voit pas son budg<strong>et</strong> d’investissement<br />

se redresser, <strong>et</strong> aggrave même son déficit global de trésorerie ? C’est<br />

qu’en fait <strong>les</strong> taxes d’édilité versées pour ces derniers lots ont été<br />

directement


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 145<br />

2. Négociations officieuses <strong>et</strong> coups de force des maires<br />

Sikasso : marchandages a d’en haut >>, assouplissements a d’en bas D<br />

Un même métissage marque <strong>les</strong> voies spécifiques qu’ont sui-<br />

vies <strong>les</strong> communes pour s’engager <strong>dans</strong> la viabilisation. Siège <strong>du</strong><br />

contrôle administratif régional, la capitale <strong>du</strong> Sud-<strong>Mali</strong> n’a pu résis-<br />

ter à c<strong>et</strong> impératif d’aménagement préalable, qui se tra<strong>du</strong>it par<br />

une a voie moyenne )) d’ajustement technique. Dès 1982, l’idée de<br />

frais supplémentaires à envisager pour <strong>les</strong> futurs lots s’est impo-<br />

sée à la ville. Après avoir bloqué <strong>les</strong> proj<strong>et</strong>s en cours depuis 1977,<br />

elle a bouleversé <strong>les</strong> délais de programmation des parcel<strong>les</strong>, <strong>et</strong> a<br />

entraîné une hausse spectaculaire de leurs coûts. Alors que <strong>les</strong> der-<br />

niers lots, simplement bornés en 1976, avaient été ven<strong>du</strong>s à l’équi-<br />

valent de 37 500 FCFA, <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> viabilisées dix ans plus tard<br />

ne seront pas accessib<strong>les</strong> à moins de 500 O00 FCFA.<br />

Adoptés après maintes tergiversations des techniciens sur <strong>les</strong> nor-<br />

mes de zonage <strong>et</strong> d’équipement, <strong>les</strong> dossiers des opérations de<br />

Ouayéréma-Extension-Est (nord-est) <strong>et</strong> de Sanoubougou II-<br />

Complémentaire (sud) ont d’abord sérieusement limé la marge béné-<br />

ficiaire de la commune. Fixée à 105 FCFA par mz de concession,<br />

celle-ci est reléguée au second plan financier (12 Yo) devant l’achat<br />

de la terre aux Domaines (8 Vo). Le coût des lots provient désor-<br />

mais à 80 Vo des aménagements techniques préliminaires. Ces dos-<br />

siers font de Sikasso l’une des vil<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus chères <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> (6).<br />

Ecartelée entre l’insuffisance de ses moyens <strong>et</strong> le mécontentement<br />

de ses habitants à l’annonce des nouveaux tarifs, la capitale régio-<br />

nale a dû s’engager <strong>dans</strong> des négociations à Bamako. Ces com-<br />

promis techniques de 1986-1987 s’insèrent <strong>dans</strong> l’ensemble des pres-<br />

sions informel<strong>les</strong> qui se sont multipliées jusque devant l’arbitrage<br />

présidentiel lors de la refonte des réglementations domania<strong>les</strong>. Les<br />

dossiers des urbanistes régionaux ont donc été court-circuités par<br />

des interventions politiques directes <strong>dans</strong> la capitale. Ainsi, le prin-<br />

cipe d’une marge bénéficiaire a-t-il été accordé sans autre justifi-<br />

cation que l’usage courant, <strong>et</strong> va à l’encontre de l’intérêt public<br />

dont relèvent en principe <strong>les</strong> investissements communaux.<br />

Profitant des imprécisions <strong>du</strong> Code domanial, le maire de<br />

Sikasso obtient d’abord des concessions sur le degré de viabilisa-<br />

tion. Le lotissement de Sanoubougou I-Extension-Est, engagé avant<br />

1982, échappe ainsi aux nouvel<strong>les</strong> exigences techniques. Ses travaux<br />

(6) A Bamako, la ré<strong>du</strong>ction des lots B moins de 400 m2 a limité l’inflation des<br />

coûts d’aménagement. Certaines parcel<strong>les</strong> assainies de Magnambougou ont été cédées<br />

en 1983 a l’équivalent de 180 O00 FCFA.


146 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

limités (décapage de la zone <strong>et</strong> implantation d’un collecteur central<br />

pour 31 millions) perm<strong>et</strong>tent à la mairie de m<strong>et</strong>tre sur le marché<br />

quelques centaines de parcel<strong>les</strong> à 225 O00 FCFA, <strong>et</strong> de soulager<br />

<strong>les</strong> inquiétudes populaires face à une inflation porteuse d’exclusion.<br />

Dans la foulée, on négocie le morcellement, à Médine-<br />

Complémentaire, d’un terrain de sport public qui se révélait trop<br />

p<strong>et</strong>it. 68 parcel<strong>les</strong> sont associées, <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te autre opération . En attendant, ces 40 millions ont bel<br />

<strong>et</strong> bien été détournés d’une imputation initiale (le financement <strong>du</strong><br />

service fantôme de l’Habitat de Bamako) vers une autre acquise<br />

grâce aux G gestionnaires )> influents <strong>du</strong> parti unique de l’époque.<br />

En définissant vaguement <strong>les</strong> critères de viabilisation, on a donc


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 147<br />

ouvert la voie aux lotissements à plusieurs vitesses , selon l’aisance<br />

des élus locaux à marchander la qualité <strong>et</strong> le rythme des travaux.<br />

Si l’aménagement préalable a été présenté <strong>dans</strong> la loi 82-122 comme<br />


148 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

d’attribution avant même que <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> soient désignées (7). Au<br />

fur <strong>et</strong> à mesure que l’on s’achemine vers l’expiration <strong>du</strong> délai de<br />

paiement, <strong>les</strong> prix officieux greffés sur <strong>les</strong> ventes administratives<br />

diminuent, jusqu’à 25 O00 FCFA pour <strong>les</strong> bénéficiaires <strong>les</strong> moins<br />

sollicités. Pour inscrire le nom des nouveaux acquéreurs sur <strong>les</strong><br />

l<strong>et</strong>tres d’attribution, (< on s’arrange >) avec certains agents de la<br />

mairie qui ferment <strong>les</strong> yeux sur ces transferts anticipés de parcel-<br />

<strong>les</strong> nues. L’essentiel n’est-il pas qu’ils fassent rapidement rentrer<br />

l’argent ? L’urgence des travaux techniques, dont l’accomplissement<br />

conditionne la fin <strong>du</strong> versement des redevances domania<strong>les</strong> à I’État,<br />

con<strong>du</strong>it à d’autres contournements en chaîne des règ<strong>les</strong> de distri-<br />

bution : en quelques mois, <strong>les</strong> 68 bénéficiaires de Médine-<br />

Complémentaire sont devenus 125, par l’alchimie de raccords offi-<br />

cieux ; d’autres se voient délivrer des l<strong>et</strong>tres d’attribution sans s’être<br />

intégralement acquittés de leurs taxes d’édilité.<br />

Dès lors il ne reste plus aux citadins démunis qu’à exercer une<br />

pression passive sur la mairie : <strong>les</strong> versements sont n<strong>et</strong>tement insuf-<br />

fisants au terme <strong>du</strong> premier délai ; un quart seulement des béné-<br />

ficiaires se sont acquittés d’un versement intégral ou incompl<strong>et</strong>.<br />

Le budg<strong>et</strong> initial de la commune s’épuise. Sans être concerté, ce<br />

fait accompli des r<strong>et</strong>ards financiers contraint <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> à<br />

accorder un second délai de six mois. L’obstruction de masse<br />

dégrade alors le calendrier technique : des citadins s’acquittent en<br />

plusieurs fois <strong>du</strong> dixième de leur future l<strong>et</strong>tre d’attribution, au gré<br />

de modestes revenus de fin d’hivernage, alors que <strong>les</strong> premiers<br />

payeurs, lassés d’attendre la fin des travaux, commencent à creu-<br />

ser puits <strong>et</strong> fondations.<br />

L’appauvrissement d’une procé<strong>du</strong>re que la capitale régionale a<br />

pourtant lancée sous Ie signe d’une rigueur plus grande que celle<br />

des communes voisines, est dsnc patent. Au terme <strong>du</strong> second délai<br />

(mars 1988)’ <strong>les</strong> versements ont progressé partout, mais ils se limi-<br />

tent encore à la moitié des montants escomptés. Le rythme des<br />

rentrées financières se tarit avec des sommes fractionnées qui ne<br />

viennent que rappeler à la mairie a qu’on est toujours <strong>dans</strong> la<br />

course >). Donner une preuve de sa bonne volonté, même incom-<br />

plète, c’est se distinguer, en cas de r<strong>et</strong>rait municipal, de ceux qui<br />

(7) Un cadre technique, membre de la commission domaniale municipale depuis<br />

plus de dix ans, se r<strong>et</strong>rouve ainsi attributaire en 1987. Mais il possède déjà plusieurs<br />

lots, <strong>et</strong> a surtout besoin de son épargne pour préparer une reconversion profession-<br />

nelle hors de la fonction publique. I1 réserve alors sa parcelle, bien située le long<br />

d’une route goudronnée, à un commerçant qui ne figure pas sur la liste officielle.<br />

Ce service lui rapporte 600 O00 FCFA. Le lot revient donc a plus d’un million de<br />

FCFA, que seuls de tels entrepreneurs, pressés d’acquérir <strong>les</strong> emplacements stratégi-<br />

ques, peuvent mobiliser. I1 faudra ensuite de solides valorisations pour laisser à ces<br />

attributaires de seconde main l’espoir de futures plus-values.


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 149<br />

n’ont rien payé <strong>du</strong> tout. 30 Yo des ouvrages de Sanoubougou I-<br />

Extension-Est sont alors suspen<strong>du</strong>s faute d’argent. Par un nouvel<br />

ajustement administratif, la zone est quand même inaugurée offi-<br />

ciellement en janvier 1988 ; <strong>les</strong> particuliers sont autorisés à y cons-<br />

truire avant que <strong>les</strong> parois des caniveaux ne soient toutes consoli-<br />

dées.<br />

Mais des surcoûts financiers apparaissent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> travaux de<br />

jonction des extensions avec <strong>les</strong> quartiers anciens. I1 faut aussi mor-<br />

celer en hâte des bandes supplémentaires pour satisfaire, désor-<br />

mais en marge des dossiers officiels, des attributaires prévus en<br />

surnombre qui sont peu disposés à partager un lot à deux. L’atta-<br />

chement des Sikassois aux grandes cours con<strong>du</strong>it l’agent Voyer à<br />

ajouter un raccord de 200 parcel<strong>les</strong> après l’inauguration des<br />

200 premières de Sanoubougou I-Extension-Est. Les frais de ce der-<br />

nier bricolage devront être prélevés sur la part des redevances<br />

domania<strong>les</strong>, dont le versement à l’État est r<strong>et</strong>ardé, <strong>et</strong> surtout sur<br />

la marge bénéficiaire de la commune. En deux années de travaux,<br />

<strong>les</strong> budg<strong>et</strong>s des lotissements sont devenus flous. On pare à court<br />

terme au plus pressé <strong>et</strong> <strong>dans</strong> une confusion administrative crois-<br />

sante. <strong>La</strong> mairie envisage de demander aux domaines de ne payer<br />

qu’une seule année de redevances, arguant <strong>du</strong> fait qu’elle a fait<br />

preuve de bonne volonté en commençant partout de réels travaux<br />

d aménagement.<br />

Le bilan de janvier 1989 présente encore de sérieuses limites :<br />

avec 62, 70 <strong>et</strong> 50 millions de FCFA, le recouvrement des opéra-<br />

tions orienta<strong>les</strong> <strong>et</strong> méridiona<strong>les</strong> reste à 31, 52 <strong>et</strong> 45 070 des prévi-<br />

sions. On compte désormais sur un troisième délai de 3 ans pour<br />

gagner <strong>les</strong> impayés <strong>et</strong> poursuivre la viabilisation. Au total, si aucun<br />

r<strong>et</strong>rait municipal de lot n’a été prononcé, chacun est conscient que<br />

la sélection des attributaires en surnombre passe à présent par une<br />

course ralentie au paiement. <strong>La</strong> mairie se trouve <strong>dans</strong> la même<br />

position de mendier des dérogations financières auprès des tech-<br />

niciens nationaux que <strong>les</strong> citadins démunis vis-à-vis d’elle. Sikasso<br />

témoigne donc des difficultés à mener sans faille un jeu réglemen-<br />

taire inflationniste, <strong>et</strong> des sélections socia<strong>les</strong> que ce dernier entraîne<br />

sur le marché administratif.<br />

Contournements koutialais : des pratiques officieuses érigées<br />

en politique locale de lotissement<br />

Dans la capitale <strong>du</strong> coton, la municipalité apparaît encore moins<br />

respectueuse des normes <strong>foncière</strong>s. A la faveur d’un vaste lotisse-<br />

ment communal, programmé à l’est de la ville, ’ elle expérimente


150 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

tout au long des années 1980 une large panoplie de procédés offi-<br />

cieux pour fournir ses propres palliatifs au blocage administratif.<br />

Ici <strong>les</strong> techniques irrégulières d’aliénation déjà évoquées prennent<br />

une dimension sans précédent. Après le morcellement de places<br />

publiques, <strong>les</strong> distributions en raccords périphériques concernent<br />

notamment quatre quartiers. Le technicien local de l’urbanisme<br />

parle d’un véritable mis en œuvre par la mai-<br />

rie sans plan écrit, dont <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> sont tracées en bor<strong>du</strong>re des<br />

anciens lotissements sans immatriculation ni viabilisation.<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> quittances communa<strong>les</strong> enregistrent la vente de plus<br />

de 950 parcel<strong>les</strong> de 1982 à 1987. <strong>La</strong> pratique diminue ensuite, <strong>et</strong><br />

a mobilisé en tout l’équivalent d’une opération de lotissement.<br />

Autant <strong>les</strong> sont courants <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong><br />

maliennes, pour désamorcer le mécontentement de clients non satis-<br />

faits, autant le caractère massif de ce dégel foncier est particulier<br />

au chef-lieu minyanka. Les parcel<strong>les</strong> de 750 m2 sont bornées à la<br />

va-vite par le topographe de la mairie, sans étude préalable des<br />

conditions de ruissellement des eaux de pluie. Des voies sont déli-<br />

mitées <strong>dans</strong> le simple prolongement des derniers quartiers, <strong>et</strong> empiè-<br />

tent sur <strong>les</strong> vergers péri-urbains dont <strong>les</strong> propriétaires ne sont pas<br />

consultés. <strong>La</strong> trame orthogonale est maintenue <strong>dans</strong> <strong>les</strong> topogra-<br />

phies accidentées (colline d’Hamdallaye au sud-ouest), où s’aggrave<br />

l’eff<strong>et</strong> <strong>du</strong> ravinement pluvial. Aucun équipement ni réserve ne sont<br />

prévus. Les premières margel<strong>les</strong> de puits qui apparaissent témoi-<br />

gnent d’une appropriation précipitée des lots, car <strong>les</strong> bénéficiaires<br />

savent qu’ils doivent m<strong>et</strong>tre <strong>les</strong> techniciens devant le fait accom-<br />

pli. Ils se voient délivrer de simp<strong>les</strong> reçus aux montants formels<br />

de 15 O00 FCFA qui s’inspirent des dernières taxes d’édilité de 1979.<br />

Une telle gestion de


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 151<br />

Les contournements koutialais se prolongent alors <strong>dans</strong> <strong>les</strong> pro-<br />

cé<strong>du</strong>res de montage institutionnel. L’irrégularité la plus manifeste<br />

porte sur la détermination <strong>du</strong> prix des futurs lots. Le conseil muni-<br />

cipal ne s’est rallié qu’en apparence à l’idée de viabilisation, mais<br />

sans en assumer <strong>les</strong> conséquences financières. Après avoir lancé<br />

<strong>les</strong> dossiers <strong>dans</strong> <strong>les</strong> circuits d’approbation officielle, avant d’avoir<br />

mesuré l’impact des travaux, il a fixé <strong>les</strong> taxes à 50 O00 FCFA.<br />

Certes, on augmentait <strong>les</strong> prix par rapport aux précédentes attri-<br />

butions ; mais ce montant restait bien inférieur aux prévisions<br />

d’aménagement fournies <strong>dans</strong> le même temps par le ministère des<br />

TP (de 564 O00 à 705 O00 FCFA pour des lots de 300 à 375 m2),<br />

puis par la Société d’équipement <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> (8).<br />

C<strong>et</strong>te improvisation aboutit à des coûts bien inférieurs à ceux<br />

de Sikasso. Les lots de Koko-Extension-Est sont plus p<strong>et</strong>its, ce qui<br />

perm<strong>et</strong> d’amortir <strong>les</strong> charges techniques sur un découpage plus fin.<br />

D’autre part, le budg<strong>et</strong> ne mentionne pas de bénéfice pour la com-<br />

mune. Une telle marge n’avait été octroyée à la capitale régionale<br />

que sur un autre terrain de marchandage <strong>dans</strong> lequel Koutiala ne<br />

s’est pas engagé, compte tenu des options para-réglementaires déjà<br />

contestées de la ville. Dès lors, la mairie tente de r<strong>et</strong>arder l’affec-<br />

tation des zones de lotissement en concessions domania<strong>les</strong>, de façon<br />

à éviter d’être soumise aux redevances tant que la


152 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

que l’on commence à parler de nouveaux frais à payer quand le<br />

montage sera définitivement mené à bien. Le prix des lots pour-<br />

rait doubler <strong>dans</strong> un circuit administratif repris <strong>et</strong> contrôlé. Cer-<br />

tains attributaires demandent le remboursement de leur reçu. Mais<br />

l’argent s’est fait rare à la mairie, car <strong>les</strong> raccords clandestins dimi-<br />

nuent également. Un autre marché officieux s’amorce alors : des<br />

détenteurs de reçus tentent d’en faire une monnaie d’échange, en<br />

spéculant sur le privilège d’être sur <strong>les</strong> listes municipa<strong>les</strong>. Comme<br />

à Sikasso, un trafic de futures l<strong>et</strong>tres d’attribution se m<strong>et</strong> en place<br />

avant même que <strong>les</strong> emplacements soient désignés. I1 s’adresse à<br />

ceux qui sont décidés à attendre jusqu’au bout un lotissement déjà<br />

dévoyé de ses objectifs techniques (viabiliser) <strong>et</strong> sociaux (prévenir<br />

la spéculation).<br />

Les chroniques sikassoises <strong>et</strong> koutialaises relèvent donc de gesta-<br />

tions différentes <strong>du</strong> marché foncier communal. Mais <strong>dans</strong> <strong>les</strong> deux<br />

cas, des transferts privés portant sur des terrains promis se greffent<br />

sur <strong>les</strong> pratiques para-administratives des mairies. Loin de limiter <strong>les</strong><br />

marges de manœuvre loca<strong>les</strong>, le nouveau cadre législatif semble <strong>les</strong><br />

avoir multipliées en en renforçant <strong>les</strong> logiques électoralistes.<br />

Le gel des lotissements à Bougouni: des sonsorobuguw à gérer<br />

par une jeune municipalité<br />

<strong>La</strong> pro<strong>du</strong>ction de nouveaux lotissements domaniaux apparaît<br />

enfin paradoxale <strong>dans</strong> la plus p<strong>et</strong>ite commune méridionale. D’une<br />

part, <strong>les</strong> initiatives administratives viennent des services techniques<br />

régionaux, mais la nouvelle mairie compte sur d’autres filières pour<br />

mener à bien ses dossiers. D’autre part, <strong>les</strong> pressions citadines se<br />

multiplient en faveur de vastes morcellements (pas moins de<br />

1 225 demandes de lots pour la seule année 1984), alors que <strong>les</strong><br />

dernières parcel<strong>les</strong> attribuées sont encore médiocrement occupées.<br />

Depuis 1982, Bougouni n’a programmé aucune nouvelle exten-<br />

sion lotie. Les démarches d’immatriculation des futurs Dougounina-<br />

Extension <strong>et</strong> Massabla Coura-Extension (est de la ville), prévus au<br />

SSAU, sont menées par <strong>les</strong> cartographes de Sikasso. Le dossier<br />

est adressé, pour inscription des titres fonciers aux domaines, au<br />

ministère des Finances oÙ il reste bloqué quatre ans après la pre-<br />

mière visite de terrain. Mais c<strong>et</strong>te absence d’engagement adminis-<br />

tratif de la municipalité ne doit pas faire illusion : <strong>les</strong> représen-<br />

tants ont pris bonne note des contraintes techniques. On préfère<br />

attendre que


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 153<br />

Des doléances se préparent ainsi au conseil municipal pour obte-<br />

nir de futures dérogations, en évitant une confrontation adminis-<br />

trative directe qui serait mal vue <strong>dans</strong> la capitale. El<strong>les</strong> montre-<br />

ront que <strong>les</strong> redevances domania<strong>les</strong> sont trop lourdes, que <strong>les</strong> engins<br />

municipaux sont en panne. On envisage déjà de limiter la viabili-<br />

sation requise au simple recouvrement en latérite des voies princi-<br />

pa<strong>les</strong>, de


154 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

au nord-ouest de la ville, soulignent le vieillissement particulier de<br />

c<strong>et</strong>te ancienne extension : le bâti s’est dégradé par abandon de<br />

cours par certains propriétaires, souvent après leur mutation pro-<br />

fessionnelle hors de Bougouni.<br />

Les bâtiments achevés habitab<strong>les</strong> (type 1) caractérisent au<br />

contraire tout particulièrement Massabla Coura. Même si <strong>les</strong> maté-<br />

riaux de construction sont plus sommaires <strong>et</strong> s’inspirent de modè-<br />

<strong>les</strong> villageois, le quartier détient le record de construction des cours.<br />

En eff<strong>et</strong>, alors que Hèrèmakono-Nord avait été implanté sur des<br />

champs <strong>et</strong> des vergers, l’extension suivante de 1973 <strong>du</strong>t s’est ainsi prolongée<br />

à Torakabougou. Le caractère récent <strong>du</strong> dernier lotissement<br />

se lit <strong>dans</strong> le poids des terrains nus ou à peine clôturés (type 3).<br />

Les attributaires de 1981 ne peuvent que lentement engager des<br />

travaux de construction <strong>dans</strong> la conjoncture de crise économique.<br />

Cependant, <strong>les</strong> constructions concernent déjà près de la moitié des<br />

lots. Cy est que Torakabougou a également bénéficié d’une opéra-<br />

tion de ) d’un habitat implanté initialement sans<br />

autorisation administrative.<br />

L’histoire des derniers lotissements de Bougouni suggère donc<br />

qu’une p<strong>et</strong>ite ville de 22 000 habitants voit se diversifier rapide-<br />

ment <strong>les</strong> pressions citadines face aux normes techniques : deman-<br />

des extérieures à la ville, de Bougouniens expatriés ou mutés <strong>dans</strong><br />

d’autres vil<strong>les</strong> maliennes, candidatures loca<strong>les</strong> de <strong>du</strong>tigiw en situa-<br />

tion irrégulière. De simp<strong>les</strong> puits, des fondations esquissées annon-<br />

cent l’investissement pour des jours meilleurs, témoignent de pro-<br />

j<strong>et</strong>s financés à distance. Même s’ils ne répondent pas aux délais<br />

des cahiers des charges locaux, ils ne peuvent être ignorés par <strong>les</strong><br />

responsab<strong>les</strong> locaux, qui savent qu’un terrain est investi à long<br />

terme, pour préparer une r<strong>et</strong>raite ou une mutation de r<strong>et</strong>our.<br />

Ces normalisations des <strong>marchés</strong> communaux suscitent donc des<br />

bilans nuancés. Les municipalités méridiona<strong>les</strong> résistent à des degrés<br />

divers à la pression domaniale nationale, selon leur potentiel bud-<br />

,’


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 155<br />

gétaire, la densité de leurs techniciens, <strong>et</strong> la proximité de leurs élus<br />

avec <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> bamakois. El<strong>les</strong> n’en ressortent ni passives<br />

ni homogènes.<br />

De l’interprétation minimaliste de la viabilisation au contour-<br />

nement des normes, ces diverses


Croissance urbaine <strong>et</strong> sonsorobouaou à Bouaouni<br />

Colline<br />

latéritique<br />

Voie goudronnée<br />

*c-- principale<br />

Sonsorobougou<br />

redressé en 1975 - 62<br />

0 8: Front pionnier de<br />

0,,’ l’habitat irrégulier<br />

,-‘-n - - - -w 0 0 - - - _ \ \<br />

LOTISSEMENTS ADMINISTRATIFS I- n- -..I 1 -:..<br />

1951 - 56<br />

1962


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 157<br />

Sikasso, quatre embryons non lotis concentrent environ 6 ‘70 des<br />

cours urbaines lors <strong>du</strong> recensement de 1987. Avec un dernier noyau<br />

greffé en 1990 sur un hameau de culture septentrional de la com-<br />

mune, l’ensemble des habitants en situation irrégulière représente<br />

aujourd’hui plus de 10 ‘3’0 de la population sikassoise. A Bougouni,<br />

le SSAU de 1986 évalue à 59 <strong>et</strong> 31 hectares <strong>les</strong> deux grands sec-<br />

teurs d’extensions irrégulières au nord <strong>et</strong> à l’est de la ville, soit<br />

13 ‘70 de la surface bâtie totale. Les extensions ultérieures de l’ouest<br />

<strong>et</strong> <strong>du</strong> nord-ouest portent l’ensemble des sonsorobuguw à plus de<br />

15 ‘70 des surfaces bâties au début des années 1990.<br />

<strong>La</strong> dynamique <strong>du</strong> phénomène marque donc un alignement des<br />

p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong> moyennes vil<strong>les</strong> maliennes sur <strong>les</strong> modes d’urbanisation<br />

déjà étudiés <strong>dans</strong> plusieurs métropo<strong>les</strong> africaines. Les populations<br />

y sont également conscientes <strong>du</strong> caractère répréhensible de leur<br />

occupation, qu’el<strong>les</strong> rebaptisent sonsorobugu de façon générique,<br />

une sorte de


158 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

depuis plusieurs générations. En s’installant sur de vieil<strong>les</strong> terres<br />

de culture de leurs jatigiw, ces <strong>du</strong>nanw de la brousse ont donc<br />

gonflé <strong>les</strong> clientè<strong>les</strong> d’obligés des notab<strong>les</strong> urbains face aux autres<br />

pouvoirs lignagers. Installer leurs dépendants sur des champs épui-<br />

sés était d’autant plus aisé que <strong>les</strong> Diakité, d’origine peule, n’ont<br />

guère intensifié leurs pratiques agrico<strong>les</strong>, <strong>et</strong> que la transmission des<br />

terres péri-urbaines était déjà fragmentée entre <strong>les</strong> héritiers des chef-<br />

feries précolonia<strong>les</strong> <strong>et</strong> colonia<strong>les</strong>. Lors des attributions de 1973,<br />

l’administration <strong>du</strong> cercle a donc facilement admis que <strong>les</strong> occu-<br />

pants de Massabla Coura soient


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 159<br />

... à la paupérisation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années I980<br />

Les extensions irrégulières plus récentes témoignent pourtant<br />

d’un second renversement de tendance à la fin de la décennie.<br />

Depuis la création de la commune, en eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> sonsorobuguw se<br />

sont multipliés <strong>dans</strong> le prolongement de tous <strong>les</strong> lotissements péri-<br />

phériques. Seuls <strong>les</strong> quartiers enclavés de Médine <strong>et</strong> de Nièbala ne<br />

perm<strong>et</strong>tent aucune extension


160 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

dent pas, l’une des fil<strong>les</strong> a pris l’initiative de vendre sa partie de<br />

la plantation. L’apparition d’une femme parmi ces


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 161<br />

der au marché concessionnaire par le biais d’un redressement. Des<br />

artisans (20 Yo), des mendiants, marabouts, manœuvres <strong>et</strong> puisa-<br />

tiers (15 Yo) devancent <strong>les</strong> commerçants (12 Yo), alors que <strong>les</strong> sala-<br />

riés sont quasiment absents.<br />

Mais c<strong>et</strong>te sociologie irrégulière est bouleversée, au milieu de<br />

la décennie, par la dévaluation monétaire, le blocage <strong>et</strong> le paie-<br />

ment aléatoire des salaires. En 1985, bien des fonctionnaires ont<br />

pris conscience que l’érosion de leur épargne <strong>les</strong> empêche désor-<br />

mais d’accéder aux cours de la ville


EXTENSIONS NON LOTIES A L'EST ET AU SUD DE SIKASSO<br />

- - - Route. piste<br />

Centre historique<br />

lotissement colonial<br />

1960 - 68<br />

1975<br />

n 1987<br />

Quartier non loti<br />

d'origine cantonale<br />

o. Sonsorobougou<br />

des annees 1980<br />

\


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 163<br />

mieux que <strong>les</strong> partis nationaux <strong>et</strong> <strong>les</strong> bailleurs de fonds interna-<br />

tionaux, la priorité donnée à la gestion urbaine sur le dirigisme<br />

réglementaire. I1 reste à voir si le bricolage domanial qui s’en suit<br />

tiendra lieu de véritable schéma d’organisation spatiale de la ville,<br />

<strong>et</strong> si ces négociations au coup par coup n’intro<strong>du</strong>iront pas d’autres<br />

formes de sélection sociale sur le marché foncier


164 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Puis d’autres immigrés s’y sont fixés à la suite de transactions <strong>foncière</strong>s<br />

de seconde main.<br />

Les premières tensions apparaissent plus à l’est, <strong>dans</strong> l’ex-Mpiè<br />

Diassa (le hameau de Mpiè), devenu Sabalibougou, <strong>et</strong> aujourd’hui<br />

rebaptisé


I<br />

CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 165<br />

tier de Bougoula-Ville, qui nient au descendant des forgerons le<br />

droit de morceler des terres qu’ils revendiquent comme un patrimoine<br />

inaliénable. <strong>La</strong> grande famille comprend tout le bénéfice<br />

social <strong>et</strong> financier dont la prive désormais un vendeur qu’elle considère<br />

comme un


166 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

de 150 O00 FCFA, la cession de terrains de 400 à 600 m2 sur le<br />

flanc nord de la colline. Les dernières transactions prennent donc<br />

un sens doublement


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 167<br />

seconde étape est la création ex nihilo <strong>du</strong> quatrième embryon irré-<br />

gulier, au sud de Sanoubougou II. <strong>La</strong> saison sèche de 1987 voit<br />

émerger une nouvelle classe de vendeurs, des p<strong>et</strong>its


168 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

action malgré l’apitoiement de certains élus. Le flanc nord de<br />

Kapele Kourou <strong>et</strong> le sonsorobugu <strong>du</strong> plateau sud sont entièrement<br />

rasés. Des greniers, remplis depuis <strong>les</strong> dernières récoltes, sont même<br />

défoncés <strong>dans</strong> l’ex-Hèrèmakono. C<strong>et</strong>te intervention rigoureuse ne<br />

rem<strong>et</strong> pourtant pas en cause l’existence des sonsorobuguw. Les<br />

points de greffe <strong>du</strong> front pionnier ont été épargn6s :<br />

Sonsorobougou-Diassa, Kapele Kourou <strong>et</strong> Sirakoro n’ont été<br />

déguerpis que sur leurs bor<strong>du</strong>res. Ici, il s’agit plus d’une délimi-<br />

tation de tolérance que d’une éradication totale.<br />

<strong>La</strong> décision relève finalement davantage de tensions adminis-<br />

tratives entre le premier magistrat de la commune <strong>et</strong> le gouver-<br />

neur de Région, que d’une volonté <strong>du</strong>rable d’appliquer la régle-<br />

mentation domaniale. Le premier s’est d’ailleurs absenté le jour<br />

de l’opération, pour ne pas en assumer la responsabilité politique.<br />

C’est plutôt l’influence personnelle <strong>du</strong> second, un militaire origi-<br />

naire <strong>du</strong> nord <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, qui l’a emporté <strong>dans</strong> le choix d’une ligne<br />

ferme de con<strong>du</strong>ite : capitale régionale, Sikasso ne doit pas don-<br />

ner l’exemple d’une municipalité affaiblie par <strong>les</strong> tergiversations<br />

internes <strong>et</strong> <strong>les</strong> intérêts particuliers. I1 y a déjà eu


CHRONIQUE DE TROIS SEGMENTS FONCIERS 169<br />

ture <strong>et</strong> <strong>les</strong> droits oraux d’un vieux lignage citadin, implanté en ville<br />

comme ses aînés Traoré <strong>et</strong> Berthé.<br />

Le segment foncier irrégulier est donc particulièrement marqué<br />

par <strong>les</strong> conjonctures politiques loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> nationa<strong>les</strong>. <strong>La</strong> hiérarchi-<br />

sation des prix, la diversité des ventes clandestines découlent autant<br />

d’un


170 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

diffusent <strong>les</strong> logiques <strong>du</strong> profit ou de la soup<strong>les</strong>se d’usages €on-<br />

ciers. Des minorités citadines articulent, par <strong>et</strong> par >, <strong>les</strong> bénéfices de plusieurs <strong>marchés</strong>, autour <strong>du</strong> plus gros des<br />

trois, dont <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> techniques risquent d’être redéfi-<br />

nies <strong>dans</strong> l’avenir politique <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Des mises en gage bancaires,<br />

des locations spéculatives, des vergers péri-urbains instaurent ainsi<br />

des eff<strong>et</strong>s de ressemblance entre <strong>les</strong> titres définitifs <strong>et</strong> le régime<br />

de concession. A un niveau inférieur, <strong>les</strong> lotissements <strong>et</strong> <strong>les</strong> son-<br />

sorobuguw ont des clientè<strong>les</strong> <strong>foncière</strong>s communes. Ils sascitent des<br />

réflexes de valorisation proches, des filières de reconnaissance poli-<br />

tique voisins. Ce décloisonnement foncier, en partie économique,<br />

nous renvoie à une anthropologie <strong>du</strong> rapport au sol qui est moins<br />

spécialisée que ne le suggèrent <strong>les</strong> théories sur l’accumulation<br />

urbaine. Rente <strong>et</strong> patrimoine restent bien deux finalités dialecti-<br />

quement imbriquées <strong>dans</strong> la recherche d’un terrain, deux pô<strong>les</strong> entre<br />

<strong>les</strong>quels se structurent <strong>les</strong> <strong>marchés</strong>, <strong>et</strong> oscille l’interprétation d’une<br />

marchandise que l’on ne peut dissocier de l’assurance qu’elle donne<br />

à la repro<strong>du</strong>ction sociale des famil<strong>les</strong> citadines.<br />

Les <strong>marchés</strong> communaux se tendent donc sous l’eff<strong>et</strong> de cri-<br />

ses budgétaires vécues à tous <strong>les</strong> niveaux : État, communes, ména-<br />

ges. Si la terre conserve une valeur refuge, celle-ci entr<strong>et</strong>ient des<br />

relations nuancées avec la valeur <strong>du</strong> profit, selon <strong>les</strong> groupes socio-<br />

professionnels qu’il reste à prendre en compte.


5<br />

Les filtrages <strong>du</strong> marché municipal<br />

<strong>La</strong> grande majorité des cours citadines fait l’obj<strong>et</strong> de transac-<br />

tions diverses <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements communaux : attributions admi-<br />

nistratives <strong>et</strong> reventes privées entre particuliers, avec ou sans per-<br />

mis d’occuper, pratiques <strong>foncière</strong>s taxées ou para-réglementaires.<br />

Mais <strong>les</strong> sources municipa<strong>les</strong> qui enregistrent la demande <strong>et</strong> l’offre<br />

en parcel<strong>les</strong> loties comportent de nombreuses insuffisances. <strong>La</strong> qua-<br />

lité <strong>du</strong> travail administratif s’est, de plus, dégradée au cours des<br />

années 1980 ; l’organisation d’une vie politique locale <strong>dans</strong> le cadre<br />

de 1’UDPM a canalisé des démarches <strong>foncière</strong>s parallè<strong>les</strong> au jeu<br />

institutionnel.<br />

S’appuyant donc sur ces données de candidatures <strong>et</strong> d’attribu-<br />

tions exprimées en pourcentages (I), la comparaison des <strong>marchés</strong><br />

méridionaux repose sur deux données disponib<strong>les</strong> à côté des noms<br />

des personnes. L’origine de l’attributaire est le lieu <strong>dans</strong> lequel il<br />

vit <strong>et</strong> travaille lorsque sa demande est enregistrée ou r<strong>et</strong>enue. C<strong>et</strong>te<br />

adresse, différente <strong>du</strong> lieu de naissance, perm<strong>et</strong> d’évaluer le rap-<br />

port entre <strong>les</strong> pressions internes <strong>et</strong> externes à la ville qui pèsent<br />

sur <strong>les</strong> <strong>marchés</strong>. Les activités des personnes sont ensuite classées<br />

selon une typologie empirique qui combine des cadres sectoriels<br />

(artisanat , transports, secteur primaire, administrations territoria-<br />

<strong>les</strong>.. .), des corporations professionnel<strong>les</strong> (employés de mairie, ensei-<br />

gnement, forces de sécurité appelées G ordre D), <strong>dans</strong> un clivage<br />

majeur entre actifs indépendants <strong>et</strong> salariés (fonctionnaires,


172 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ORIGINES DES DEMANDEURS<br />

Origines (“3) Sikasso Koutiala Bougouni<br />

1. commune<br />

1 1. ville<br />

12. quartiers nommés<br />

68,2 77,8 84,O<br />

36,3 33,7 33,7<br />

31,8 44,l 50,3<br />

2. cercle <strong>du</strong> chef-lieu 53 4,o 25<br />

21. chefs-lieux d’arrondissement 1 2 13 03<br />

22. villages des arrondissements 483 2.7 22<br />

3. région de Sikasso<br />

31. chefs-lieux de cercle<br />

32. villages des cerc<strong>les</strong><br />

4. autres régions <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, dont : 73 11,8 7,1<br />

41. Bamako 4.7 78 3,5<br />

42. région de Ségou 12 230 0,4<br />

Total MALI 83,3 94,8 97,O<br />

Total ETRANGER 16,7 532 3,o<br />

5. Côte d’Ivoire<br />

51. RCI Sud<br />

52. RCI Centre<br />

53. RCI Nord<br />

6. Haute-Volta/Burkina, dont : 3,O 1 2 0,o<br />

6í. Bobo-Dioulasso 23 03 oto<br />

7. autres pays africains 0,6 02 02<br />

8. autres pays 0,1 0-2 o, 1<br />

total des origines classées 100,o 100,o 100,o


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 173<br />

TRIS SOCIAUX DE COURTE PORTÉE,<br />

CONCURRENCES ÉCONOMIQUES EN CHAÎNE<br />

1. Besoins <strong>et</strong> demandeurs<br />

<strong>La</strong> grande diversité d’origines <strong>et</strong> d’activités mentionnées <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> listes municipa<strong>les</strong> suggère que toutes <strong>les</strong> composantes de la<br />

société urbaine malienne aspirent à l’acquisition de parcel<strong>les</strong>. Pas<br />

un groupe n’est indifférent au marché foncier, car la cour rési-<br />

dentielle constitue à la fois une valeur d’usage <strong>et</strong> la garantie d’une<br />

reconnaissance sociale en ville. Le loyer est ressenti comme une<br />

contrainte financière, mais aussi comme une sorte d’humiliation.<br />

Le gonflement de la demande est ainsi manifeste depuis la deuxième<br />

moitié des années 1970 : <strong>les</strong> besoins fonciers s’élargissent à tous<br />

<strong>les</strong> citadins, résidents ou expatriés, anciennement implantés ou nou-<br />

vellement arrivés, riches ou pauvres. Mais construire, louer, reven-<br />

dre, s’insérer, se décongestionner, impliquent des moyens inégaux<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong>. Le panorama des demandeurs constitue donc un<br />

révélateur pertinent des profils économiques des agglomérations<br />

maliennes.<br />

Dispersions <strong>et</strong> concentrations des pressions géographiques<br />

Une centaine de localités sont évoquées depuis <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> méri-<br />

dionaux, avec des constantes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois cas : <strong>les</strong> demandes enre-<br />

gistrées à partir <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> <strong>et</strong> de la commune l’emportent largement ;<br />

plus des 2/3 ou des 4/5 des candidatures proviennent de Sikasso,<br />

de Koutiala ou de Bougouni. C<strong>et</strong>te concentration des besoins locaux<br />

atténue la diversité des lieux recensés. A un niveau plus détaillé,<br />

chaque groupe d’origines révèle ensuite des concentrations inter-<br />

nes, au <strong>Mali</strong> comme à l’étranger. On distingue notamment <strong>les</strong><br />

demandeurs locaux qui nomment leur quartier de résidence de ceux<br />

qui ne le mentionnent pas, car la précision témoigne <strong>du</strong> degré<br />

d’insertion sociale <strong>dans</strong> la ville.<br />

Les autres origines maliennes concernent des effectifs faib<strong>les</strong>.<br />

Alors que la demande proche <strong>du</strong>


174 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ACTIVITÉS DES DEMANDEURS<br />

/\tivités (7;) Sikasso Koutiala ßougounl<br />

TOTAL INDEPENDANTS 61,E 62,9 593<br />

1. ménagères-veuves 3.2 3.3 11.2<br />

2. secteur primaire'<br />

21. cultivateurs<br />

22. planreurs<br />

23. Bleveurs<br />

10.3<br />

8.7<br />

1.1<br />

o. 1<br />

15.6<br />

14.3<br />

0,7<br />

0,3<br />

18.4<br />

17.8<br />

0.3<br />

0.2<br />

3. perils sennkes. dont :<br />

31. marabouts<br />

32. aocio.économiques<br />

2.9<br />

1.7<br />

0.5<br />

3.8<br />

2.0<br />

0.7<br />

2.9<br />

0.7<br />

0.5<br />

4. p<strong>et</strong>its revenus non qualilids<br />

.41. manoeuvres<br />

42. plantons-gardiens<br />

2.1<br />

1.1<br />

1 .o<br />

1.3<br />

0.5<br />

0.a<br />

0.7<br />

0.3<br />

0.4<br />

- total ßAS REVENUS<br />

total HAUTS REVENUS<br />

18.5<br />

43.3 4%<br />

5. artisans<br />

51. habitar.conslruclion<br />

52. mecanique.mélal-Clectricild<br />

53. pro<strong>du</strong>ction.enlr<strong>et</strong>ien<br />

(3.5<br />

3.0<br />

5.4<br />

5.1<br />

11.7<br />

3.3<br />

5.5<br />

2.8<br />

8,ß<br />

3.2<br />

2.7<br />

2.9<br />

5. lransports<br />

6 1. chaulleurs-con<strong>du</strong>cleurs<br />

62. transporteurs<br />

10.2<br />

8.0<br />

2.2<br />

8.0<br />

7.3<br />

0.7<br />

7.3<br />

4.9<br />

1-8<br />

7. entrepreneurs, dont:<br />

71. garages automobi<strong>les</strong><br />

72. commerces slimenlaires<br />

2.2<br />

0.8<br />

1.1<br />

2.5<br />

0.2<br />

1-3<br />

0.9<br />

0.2<br />

0.7<br />

9. commerce<br />

81. commerçants-boutiquiers<br />

82. marchands-vendeurs-<br />

Qtatagisres<br />

17.4<br />

15.6<br />

1.8<br />

16.6<br />

13J<br />

3.3<br />

9.6<br />

8,3<br />

1,3<br />

TOTAL SA~RIES=CONVENTIONEIAIRES- i i ,a 10.0 737<br />

9. employes-cadres<br />

91. prive<br />

92. mairie<br />

6.3<br />

5.7<br />

0.7<br />

5 .O<br />

4.0<br />

1 .o<br />

2.6<br />

1.5<br />

1.1<br />

10. socif&s d'Ela1 <strong>et</strong> mixtes.<br />

101. dont: CFDT-CMOT<br />

3.7<br />

l.ß<br />

4.0<br />

2.8<br />

4.6<br />

3.6<br />

11. inginleurs 1.7 1.0 0.5<br />

TOTAL FONCTIONNAIRES 24,9 24,5 29,7<br />

12. administration 1.1 1 ,8 1 ,O<br />

13. Olreclions lechnlques<br />

131. équipement-aminagement<br />

132. communications<br />

133. economie-linances-social<br />

2.1<br />

0.5<br />

0.9<br />

0.7<br />

5.0<br />

2.0<br />

1.3<br />

1.7<br />

7.9<br />

4.3<br />

0.4<br />

32<br />

14. aantd. dont :<br />

14 1. lnfirmi<strong>et</strong>s<br />

3.6<br />

2.8<br />

2.7<br />

1.7<br />

3.9<br />

1.4<br />

15. enseignements. don1 :<br />

151. MSC'<br />

6.9<br />

2,3<br />

6.8<br />

43<br />

7.0<br />

3.1<br />

16. Iustice 0.2 0.3 0.5<br />

17. ordre<br />

171. douanes<br />

172. gendarmerie.police-gardes<br />

173. armke<br />

9.6<br />

1.3<br />

42<br />

4.1<br />

7.8<br />

1 .O<br />

6.0<br />

0.8<br />

9.3<br />

0.7<br />

6.3<br />

23<br />

TOTAL DIVERS AUTRES<br />

1.5 2,7 2,8<br />

18. notab<strong>les</strong><br />

0.8 1.7 2.3<br />

19. 6fQves.étudianls<br />

0.6 0.8 0.5<br />

~<br />

totat des activiliis classees lw.o 1W.O lw.o<br />

maitre <strong>du</strong> second cycle


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 175<br />

enfants, meilleur accès aux infrastructures médica<strong>les</strong>, emplois sai-<br />

sonniers. A l’inverse, <strong>les</strong> besoins des autres cerc<strong>les</strong> régionaux con-<br />

cernent surtout des fonctionnaires citadins, qui cherchent une pro-<br />

motion sociale <strong>dans</strong> une plus grande ville.<br />

Enfin, <strong>les</strong> G autres régions <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> )) expriment des besoins plus<br />

distants <strong>dans</strong> le pays. Ils sont dominés par Bamako où des natifs<br />

des communes méridiona<strong>les</strong> se sont installés pour des raisons pro-<br />

fessionnel<strong>les</strong>. Mais un eff<strong>et</strong> de proximité joue pour la seconde place<br />

après la capitale <strong>dans</strong> ces origines. Les demandeurs de Ségou témoi-<br />

gnent d’importants flux économiques entre le centre <strong>du</strong> pays <strong>et</strong> le<br />

sud frontalier : bon état de la route nationale Sikasso-Koutiala-<br />

Ségou-Bamako, concentration des opérations de développement rural<br />

(proj<strong>et</strong>s riz <strong>et</strong> élevage


176. LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Les différences entre <strong>les</strong> communes portent alors sur le poids<br />

respectif des sous-groupes d’activités <strong>dans</strong> la demande. Parmi <strong>les</strong><br />

actifs indépendants, le rapport entre <strong>les</strong> plus hauts <strong>et</strong> <strong>les</strong> plus bas<br />

revenus établit des potentiels différenciés de solvabilités : plus la taille<br />

<strong>du</strong> marché augmente, plus la part de ces revenus relativement éle-<br />

vés (métiers de l’artisanat, <strong>du</strong> commerce, <strong>du</strong> transport, entrepreneurs)<br />

progresse Cjusqu’à 70 Yo des indépendants de Sikasso), au détriment<br />

des bas revenus (secteur primaire, p<strong>et</strong>its métiers non qualifiés, ména-<br />

gères, gardiens, manœuvres journaliers). Les premiers baissent à 62<br />

<strong>et</strong> 45 Yo <strong>dans</strong> <strong>les</strong> localités secondaires, dont le transit routier est<br />

moins développé. Les besoins fonciers apparaissent donc d’autant<br />

plus spéculatifs que le marché est important.<br />

Ainsi, <strong>les</strong> trois sous-groupes <strong>les</strong> plus importants de demandeurs<br />

sikassois relèvent-ils des plus hauts revenus : <strong>les</strong> commerçants, arti-<br />

sans, transporteurs devancent le secteur primaire qui seul se démar-<br />

que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> revenus modestes. Koutiala présente un rapport plus<br />

concurrentiel entre <strong>les</strong> commerçants <strong>et</strong> <strong>les</strong> cultivateurs qui totali-<br />

sent plus de la moitié des demandeurs indépendants. Enfin, le rap-<br />

port s’inverse à Bougouni où le secteur primaire devient le princi-<br />

pal sous-groupe demandeur des indépendants devant le commerce.<br />

Ces pressions suivent de près la répartition des activités urbaines<br />

méridiona<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> candidats locaux représentent<br />

toujours plus des deux tiers des actifs : <strong>les</strong> demandeurs fonciers<br />

de Sikasso témoignent de la position géographique <strong>du</strong> carrefour<br />

qui valorise le négoce ; ceux de Koutiala reflètent la pro<strong>du</strong>ction<br />

<strong>et</strong> l’impact commercial <strong>du</strong> coton, alors que Bougouni correspond<br />

davantage à un environnement rural peu prospère.<br />

Les différents corps de fonctionnaires apparaissent de même<br />

en ordre variable. A Sikasso, <strong>les</strong> forces de l’ordre régiona<strong>les</strong> se<br />

détachent n<strong>et</strong>tement (gendarmes, policiers, douaniers, militaires).<br />

A Koutiala <strong>et</strong> Bougouni, <strong>les</strong> employés des directions techniques<br />

exercent une concurrence plus serrée depuis leur récente déconcen-<br />

tration administrative vers <strong>les</strong> simp<strong>les</strong> chefs-lieux de cercle. Les tech-<br />

niciens, nouvellement promus parmi <strong>les</strong> cadres urbains, participent<br />

de façon croissante à la quête <strong>du</strong> statut de propriétaire.<br />

L’eff<strong>et</strong> de taille <strong>et</strong> de spécialisation économique des <strong>marchés</strong><br />

détermine donc des profils types : <strong>les</strong> demandes de la capitale régio-<br />

nale se concentrent sur le commerce <strong>et</strong> sur (< l’ordre D. Ces rep+<br />

sentants <strong>du</strong> capitalisme marchand <strong>et</strong> d’un État-gendarme ont <strong>les</strong><br />

ambitions <strong>foncière</strong>s <strong>les</strong> plus importantes (pôle de 27 Yo). D’autres<br />

figures économiques particularisent <strong>les</strong> p<strong>et</strong>ites vil<strong>les</strong> de Koutiala <strong>et</strong><br />

de Bougouni ; le couple commerce/ordre y est présent à moins d’un<br />

quart ou d’un cinquième de la demande, mais <strong>les</strong> actifs <strong>du</strong> sec-<br />

teur primaire viennent en premières positions.


Activités (%)<br />

Total indépendants<br />

bas revenus<br />

hauts revenus<br />

LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 177<br />

Cependant, ces concurrences entre <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> composantes<br />

de la demande ont évolué <strong>dans</strong> le temps. A Sikasso, <strong>les</strong> sous-<br />

groupes <strong>les</strong> plus fortement liés à l’année 1975 (<strong>et</strong> donc aux origi-<br />

nes étrangères) sont indépendants (commerce, artisanat, transports,<br />

planteurs) ; <strong>les</strong> activités qui se concentrent plus tardivement en 1985<br />

relèvent <strong>du</strong> salariat : ingénieurs-techniciens , enseignants, militaires.<br />

Les fonctionnaires renouvellent donc la demande récente à l’appro-<br />

che des attributions de 1987 :<br />

‘ I975 1985<br />

77 59<br />

19 17<br />

58 42<br />

Total salariés<br />

21<br />

38<br />

privés-


178 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Le croisement des origines <strong>et</strong> des activités : spécialisations à dv-<br />

férentes échel<strong>les</strong> géographiques<br />

Dans chaque marché, <strong>les</strong> activités des <strong>Mali</strong>ens de l’étranger <strong>et</strong><br />

cel<strong>les</strong> des <strong>Mali</strong>ens résidant au pays présentent d’importantes nuan-<br />

ces : alors que le commerce, l’artisanat, <strong>les</strong> transports ou la plan-<br />

tation sont sur-représentés chez <strong>les</strong> expatriés, par rapport à la<br />

moyenne des demandeurs, <strong>les</strong> activités salariées, <strong>et</strong> notamment la<br />

fonction publique, caractérisent mieux <strong>les</strong> <strong>Mali</strong>ens chez eux. Les<br />

filières professionnel<strong>les</strong> de l’exode international sont de nouveau<br />

soulignées, en particulier depuis Sikasso.<br />

Les <strong>marchés</strong> koutialais <strong>et</strong> bougounien illustrent moins ces par-<br />

ticularités relatives, <strong>du</strong> fait d’effectifs plus faib<strong>les</strong> d’expatriés. Mais<br />

ils en font apparaître d’autres, à l’échelle nationale, parmi <strong>les</strong> actifs<br />

<strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Les origines plutôt loca<strong>les</strong> (ville, arrondissement, cercle)<br />

montrent une sur-représentation des cultivateurs <strong>et</strong> des commer-<br />

çants, alors que <strong>les</strong> adresses lointaines (région de Sikasso, autres<br />

régions) sur-représentent <strong>les</strong> fonctionnaires. <strong>La</strong> concurrence entre<br />

salariés <strong>et</strong> indépendants s’exprime donc aussi depuis le territoire<br />

malien, par des concentrations géographiques relatives. L’ouver-<br />

ture des <strong>marchés</strong> municipaux aux pressions extérieures est inégale :<br />

limitée pour <strong>les</strong> indépendants, sauf en dehors des frontières natio-<br />

na<strong>les</strong>, elle est plus grande pour le salariat <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>du</strong> pays.<br />

Enfin, ces filières d’activités par origine s’expriment à une troi-<br />

sième échelle géographique, plus fine, celle de la ville. Les indé-<br />

pendants <strong>et</strong> <strong>les</strong> salariés s’opposent à nouveau, selon que ces deman-<br />

deurs locaux mentionnent ou non leur quartier de résidence :<br />

Indépendants bas revenus<br />

i Indépendants hauts revenus<br />

Fonctionnaires<br />

Autres salariés<br />

Moyenne toutes activités I<br />

Ville G anonyme D<br />

16<br />

35<br />

59<br />

72<br />

44 I 35 I<br />

Le même clivage se r<strong>et</strong>rouve à Sikasso <strong>et</strong> Koutiala : <strong>les</strong> indé-<br />

pendants indiquent, plus que la moyenne des actifs, le nom de<br />

leur quartier, alors que <strong>les</strong> fonctionnaires se situent <strong>dans</strong> un rap-<br />

port beaucoup plus anonyme avec la ville. C’est que le niveau<br />

d’instruction de ces derniers <strong>les</strong> dktache d’allégeances socia<strong>les</strong> de<br />

voisinage finement localisées, que conservent mieux, au contraire,<br />

<strong>les</strong> non-scolarisés. D’autre part, beaucoup de salariés ne sont pas


Marchés<br />

LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 179<br />

originaires de leur lieu de travail, qu’il ne considèrent pas comme<br />


180 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ORIGINES DES ATTRIBUTAIRES<br />

Origines (%) Sikasso Koutiala Bougouni<br />

1. commune a3,a 78,4 69,4<br />

11. ville 57,2 42,7 56,a<br />

12. quartiers nommés 26,6 357 12,6<br />

2. cercle <strong>du</strong> chef-lieu 3,4 3,9 5,O<br />

21. chefs-lieux d’arrondissement 1,7 12 3 3 3<br />

22. villages des arrondissements 1-7 2,7 1,7<br />

3. région de Sikasso<br />

31. chefs-lieux de cercle<br />

32. villages des cerc<strong>les</strong><br />

4. autres régions <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, dont : 784 11,6 17,6<br />

41. Bamako 52 738 11,9<br />

42. région de Ségou 230 12<br />

Total MALI 94,4 98,6 953<br />

Total ETRANGER 396 1,4 42<br />

5. Côte d’Ivoire<br />

51. Abidjan<br />

52. Bouaké<br />

53. Korhogo<br />

6. Haute-Volta/Burkina 02 oso 0.2<br />

61. Bobo-Dioulasso 02 080 02<br />

7. autres pays africains 03 02 032<br />

8. autres pays 0,6 080 03<br />

total des origines localisées 100,o 100,o 100,o


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL<br />

ACTIVITÉS DES ATTRIBUTAIRES<br />

AclivilBs (:b) Sikasso Koutiala Bwgounl<br />

TOTAL INDEPENDANTS 39,l 48,9 44,4<br />

1. ménagères-veuves 1.2 4.7 5.7<br />

2. secteur primaire, don1 :<br />

21. cullivaleurs<br />

22. planleurs<br />

23. Bleveur<br />

3. p<strong>et</strong>ils services, dont :<br />

31. marabouls<br />

32. socio4conomiques<br />

5.2 14.8 20.0<br />

4s4 12.7 19.3<br />

0.5 1.2 o. 1<br />

0.3 0.4 o. 1<br />

2.7 2.3 1.3<br />

0.8 0.4 0.4<br />

46 0.6 0.3<br />

4. p<strong>et</strong>its revenus non qualifiés 0.8 1.9 1.8<br />

41. manoeuvres 0.2 0.8 0.8<br />

42. planlons-gardiens 0.6 1.1 1.0<br />

lolal BAS REVENUS 9.9 23.7 28.Q<br />

total HAUTS REVENUS 29,2 25,2 15.6<br />

5. arlisani 7.2 8.8 4-6<br />

51. habilal.conslruction 2.0 1.8 1.9<br />

52. m8canique.mBtal.électricit~ 3.2 4.3 1 .o<br />

53. pro<strong>du</strong>ction-enlr<strong>et</strong>ien 2.0 2.7 1.8<br />

6. lransports<br />

61. chaulleurs-con <strong>du</strong>c leur^<br />

62. lransporleurs<br />

7. enlrepreneurs. don1 :<br />

71. garages aulomobi<strong>les</strong><br />

72. commerces alimenlaires<br />

7.5 5.7 4.7<br />

3.8<br />

3.2<br />

3.4 ‘S 1.2 1.5<br />

1.6 0.6 1.1<br />

0.4 0.2 0.2<br />

0.9 0.2 0.6<br />

E. commerce 12.8 10.1 5.2<br />

81. commerçanls-boutiquiers 11,4 8.6 4,7<br />

82. marchands-vendeurs.<br />

6talagistes 1.4 1.5 0.5<br />

TOTAL SA~RIES-~COIJVEHTIONIIAIRES 10,4 18,s 72<br />

9. employbs-cadres 5.2 4.9 3.3<br />

91. prive 3.9 3.7 2.8<br />

92. mairie 1.3 1.2 0.5<br />

10. sociélbs d‘€!al <strong>et</strong> mifies. 2.8 13.0 3.5<br />

101. dont: CFDT-CMDT 1.6 6.4 1.9<br />

11. ingenieurs 2.4 0.6 0.4<br />

TOTAL FONCTIONNAIRES 44.1 29,8 46.5<br />

12. administration 5.7 2.7 4.9<br />

13. Directions lechniques 11.0 7.6 10.3<br />

131. equipemenI.amenagemen1 3.4 2.7 51<br />

132. communicalions 1.3 0.4 1.1<br />

133. Bconomie.Onances-social 6.3 4.5 4.1<br />

14. san!&. don1 :<br />

14 t. inlirmiers<br />

15. enseignements. dont :<br />

151. t”1SC‘<br />

3.9 1.9 3.8<br />

2.2 0.4 1.1<br />

11.5 8.6 7.9<br />

4,i 3.9<br />

16. luslico 1.5 0.6 1.3<br />

17. ordre 8.7 6.4 18.3<br />

17l.douanes 0.9 1.0 ‘, 1<br />

172. gendarmerie.police.gardes 5.9<br />

11.4<br />

173. arm68 1.8 4*3 1.1 2.7<br />

TOTAL DIVERS AUTRES 6,4 23 1,8<br />

18. nolab<strong>les</strong> 5.2 1.6 1.3<br />

19. Bl&ves6ludianls 1 .o 0.8 0.5<br />

lotal des aclivitis classées 8 100.0 1w.o lw.o<br />

181


182 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

marché à l’inverse des deux autres, en comparant la demande des<br />

années 1980 à l’offre antérieure de 1973-1982.<br />

Comme <strong>dans</strong> la demande, <strong>les</strong> attributaires de lots se concen-<br />

trent fortement sur <strong>les</strong> origines maliennes <strong>et</strong> loca<strong>les</strong> : seu<strong>les</strong> <strong>les</strong><br />


Activités (%o)<br />

LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 183<br />

(contre 3 070 en 1970) ont notamment marqué l’implantation de la<br />

CMDT <strong>dans</strong> la ville ; l’encadrement agricole <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel de l’entre-<br />

prise stimule l’expression de cadres parmi <strong>les</strong> acteurs locaux. Sur-<br />

tout, <strong>les</strong> demandes insuffisamment satisfaites par l’administration<br />

<strong>du</strong> cercle sont renouvelées <strong>dans</strong> l’enregistrement de la mairie. Les<br />

besoins locaux progressent ainsi n<strong>et</strong>tement aux dépens des candi-<br />

datures éloignées (Bougouni-Ville : + 17 points, autres régions :<br />

- 11 Yo) ; <strong>les</strong> citadins des (< quartiers nommés D, minoritaires <strong>dans</strong><br />

l’offre des années 1970, voient leur part augmenter de 38 points.<br />

Le clivage entre indépendants (+ 16 “o) <strong>et</strong> fonctionnaires (- 7 070)’<br />

dont <strong>les</strong> poids varient en sens inverse, est confirmé.<br />

Ce renversement fait donc monter en flèche <strong>les</strong> besoins des indé-<br />

pendants, qui sont spécifiquement le fait d’actifs aux faib<strong>les</strong> revenus<br />

à Bougouni, notamment de cultivateurs. Tout se passe donc comme<br />

si <strong>les</strong> citadins pauvres de la p<strong>et</strong>ite commune tentaient de résister<br />

aux sélections <strong>foncière</strong>s qui ont eu lieu à leurs dépens <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

lotissements de l’indépendance. Leurs demandes progressent jusqu’à<br />

dépasser cel<strong>les</strong> des autres actifs indépendants. C<strong>et</strong>te inversion coïn-<br />

cide avec l’extension des sonsorobuguw <strong>dans</strong> la ville. Contraire-<br />

ment aux cultivateurs de Koutiala, dont <strong>les</strong> ambitions <strong>foncière</strong>s pro-<br />

gressent sur la base d’une forte mobilisation économique, <strong>les</strong> cita-<br />

dins démunis de Bougouni attirant l’attention de la municipalité,<br />

en multipliant leurs demandes, sur le fait que <strong>les</strong> fonctionnaires<br />

ont été satisfaits au-delà de leur poids démographique local par<br />

la gestion précédente <strong>du</strong> cercle. <strong>La</strong> chronologie de l’offre antérieure<br />

confirme ces tensions propres à Bougouni :<br />

Bas revenus indép.<br />

dont cultivateurs<br />

Hauts revenus indép.<br />

Salariés<br />

Fonctionnaires<br />

Effectifs totaux<br />

H.N. 1973<br />

M.C. 1975<br />

26’4<br />

I7,2<br />

23,3<br />

599<br />

41,6<br />

658<br />

M.C. Ext.<br />

1977-78<br />

13’1<br />

5,2<br />

15’1<br />

10,s<br />

59,4<br />

251<br />

I TBG TBG. Compl.<br />

1981 1982*<br />

49,6 35,6<br />

397 118<br />

* H.N. : Hèrèmakono-Nord ; M.C. : Massabla Coura ; TBG. : Torakabougou ; Ext. :<br />

Extension ; Compl. : Complémentaire.<br />

Au cours des années 1970, la part des indépendants, en parti-<br />

culier pauvres, n’a cessé de régresser <strong>du</strong> fait d’avantages accordés<br />

aux fonctionnaires. Les opérations de Hèrèmakono-Nord <strong>et</strong> de<br />

Massabla Coura ont favorisé <strong>les</strong> natifs de Bougouni qui travail-<br />

laient à l’extérieur <strong>dans</strong> l’administration ou <strong>les</strong> forces de sécurité


184 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

nationa<strong>les</strong>. Des immigrés ruraux <strong>du</strong> sonsorobugu de Massabla<br />

Coura sont certes passés entre <strong>les</strong> mail<strong>les</strong> <strong>du</strong> en<br />

obtenant le redressement de leurs cours en 1975 ; mais <strong>les</strong> admi-<br />

nistrateurs <strong>du</strong> cercle ont marginalisé le plus gros groupe de deman-<br />

deurs au profit de leurs collègues salariés : fonctionnaires en fin<br />

de carrière (notamment d’anciens combattants devenus gendarmes<br />

à l’indépendance), <strong>et</strong> nouveaux cadres urbains.<br />

Au début des années 1980, l’opération de Torakabougou fait<br />

remonter le poids des cultivateurs. Comme le précédent, ce lotis-<br />

sement prend appui sur un ancien sonsorobugu. Mais le redresse-<br />

ment ne suffit pas à intégrer tous <strong>les</strong> occupants initiaux, ni l’ensem-<br />

ble de la demande pauvre de la ville. Dans l’expectative de 1984,<br />

le r<strong>et</strong>our en force des indépendants (60 Vo de la demande, 33 Vo<br />

pour <strong>les</strong> bas revenus) résume alors <strong>les</strong> besoins des citadins qui n’ont<br />

pas été satisfaits précédemment : ceux qui sont restés de mauvais<br />

gré locataires en ville, d’une part ; ceux qui se sont faits <strong>du</strong>tigiw<br />

des zones non loties, d’autre part. En demandant la régularisa-<br />

tion de leurs cours <strong>dans</strong> <strong>les</strong> futurs lotissements, ces immigrés dému-<br />

nis recherchent donc <strong>dans</strong> le segment illicite un mode d’intégra-<br />

tion différée au marché concessionnaire (3). Leur poids numéri-<br />

que souligne une véritable combinaison de processus de margina-<br />

lisation <strong>et</strong> de résistances à l’exclusion. Du cercle à la commune,<br />

se maintiennent <strong>les</strong> liens étroits qui existent entre le développement<br />

par à-coups des sonsorobuguw irréguliers <strong>et</strong> <strong>les</strong> sélections fonciè-<br />

res administratives. Des pressions économiques plus diverses se hié-<br />

rarchisent davantage <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> des vil<strong>les</strong> moyennes.<br />


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 185<br />

Un premier tri majeur apparaît entre <strong>les</strong> fonctionnaires, surreprésentés,<br />

<strong>et</strong> <strong>les</strong> indépendants, sous-représentés par rapport à la<br />

demande. Les choix de 1987 ont relativement favorisé des salariés<br />

(d’un quart de la demande, <strong>les</strong> fonctionnaires passent à 44 ‘Yo de<br />

l’offre), aux dépens des seconds (de 62 à 39 ‘Yo), en particulier des<br />

plus bas revenus dont la part a diminué de moitié. <strong>La</strong> normalisation<br />

des lotissements a bien .renversé le rapport des besoins exprimés<br />

antérieurement.<br />

Ce basculement est confirmé par la comparaison de l’offre de<br />

1987 avec celle des grands lotissements antérieurs. De Sanoubougou<br />

I (loti en 1964) Q la a Route de Bamako D (Médine <strong>et</strong><br />

Hamdallaye, 1970)’ puis à Ouayéréma-Zone (1975-1976), <strong>les</strong> attributions<br />

municipa<strong>les</strong> ont toujours donné une forte majorité aux<br />

indépendants (de 75 à 79 ‘70)’ voire aux seuls plus hauts revenus<br />

(de 47 à 57 9’0). Le poids de ces investisseurs soulignait des bases<br />

économiques plus dynamiques <strong>dans</strong> la capitale régionale qu’à Bougouni.<br />

Jusqu’au milieu des années 1970, le salariat n’a représenté<br />

que moins d’un cinquième des attributaires, avant de doubler sa<br />

présence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements de 1987.<br />

Mais c<strong>et</strong>te promotion récente diffère <strong>du</strong> marché bougounien des<br />

années 1970. Dans le cas précédent, la montée des fonctionnaires<br />

signalait surtout l’investissement de personnes natives <strong>du</strong> cercle,<br />

qui préparaient leur r<strong>et</strong>raite ou décongestionnaient leurs famil<strong>les</strong><br />

<strong>du</strong> vieux centre-ville. Dans la capitale régionale, <strong>les</strong> besoins des<br />

fonctionnaires sont plus divers. Bon nombre d’entre eux, appelés<br />

à faire carrière <strong>dans</strong> l’administration territoriale, ne sont pas originaires<br />

<strong>du</strong> pays sénoufo. Certains se fixent sur place, car <strong>les</strong> équipements<br />

sikassois sont ceux d’une ville moyenne, la vie est moins<br />

chère qu’à Bamako, <strong>les</strong> espoirs de culture sont parfois réalisés.<br />

Sans être une capitale régionale attrayante (4), elle offre moins de<br />

contraintes financières que la capitale nationale ou qu’un p<strong>et</strong>it centre<br />

urbain excentré. Les fonctionnaires immigrés tentent donc d’en<br />

finir avec la location, d’acquérir une parcelle qui prendra rapidement<br />

de la valeur, <strong>et</strong> d’y accueillir éventuellement d’autres jeunes<br />

parents en formation professionnelle.<br />

C<strong>et</strong>te forte présence des agents de 1’État n’est pourtant que relative,<br />

<strong>et</strong> coïncide avec la dégradation de leur pouvoir d’achat depuis<br />

1984. Le renversement de la concurrence entre fonctionnaires <strong>et</strong><br />

indépendants ne provient pas d’un changement fonctionnel <strong>dans</strong><br />

l’économie régionale de Sikasso. I1 souligne plutôt <strong>les</strong> pressions<br />

(4) De nombreux <strong>Mali</strong>ens évoquent le


186 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

menées sur la municipalité par <strong>les</strong> représentants de différents ser-<br />

vices administratifs, pour trouver <strong>dans</strong> <strong>les</strong> attributions de lots une<br />

compensation aux difficultés croissantes des conditions de vie. <strong>La</strong><br />

<strong>question</strong> <strong>foncière</strong> joue ici un rôle partiel de régulation sociale, pour<br />

diminuer l’amertume de nombreux salariés face aux a commerçants-<br />

spéculateurs ))’ bénéficiaires privilégiés des années 1970.<br />

Mais comment payer une parcelle <strong>et</strong> la m<strong>et</strong>tre en valeur lors-<br />

que le salaire tarde de deux à quatre mois, <strong>et</strong> qu’il n’est plus pos-<br />

sible d’épargner ? Seuls <strong>les</strong> fonctionnaires ayant diversifié leurs<br />

sources de revenus en exerçant d’autres activités satisferont à ces<br />

exigences. El<strong>les</strong> renverront alors à un autre tri social de l’offre,<br />

celui <strong>du</strong> paiement des taxes d’édilité. Avant cela, des sélections<br />

plus fines apparaissent par types de lotissement, selon le coût des<br />

parcel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quatre opérations <strong>foncière</strong>s de 1987. Des cliva-<br />

ges internes aux grands groupes accentuent <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s de la sélec-<br />

tion par l’argent, la marginalisation des citadins <strong>les</strong> plus pauvres,<br />

que renforcera la viabilisation systématiquement pratiquée :<br />

Lotissements<br />

Activités (Yo)<br />

Cultivateurs<br />

Instituteurs<br />

Commerçants<br />

Douaniers<br />

Les moins chers<br />

225 O00 FCFA<br />

Les plus chers : de<br />

425 à 530 O00 FCFA<br />

~<br />

Total<br />

100<br />

100<br />

1 O0<br />

1 O0<br />

Dans <strong>les</strong> lotissements G bas de gamme D de Sanoubougou I-<br />

Extension-Est <strong>et</strong> de Médine-Complémentaire, on trouve relative-<br />

ment plus d’actifs pauvres ou paupérisés, déjà sélectionnés par rap-<br />

port à la demande : cultivateurs, p<strong>et</strong>its métiers, p<strong>et</strong>its salariés<br />

(employés de mairie, infirmiers, instituteurs), qui sont passés de<br />

justesse entre <strong>les</strong> mail<strong>les</strong> d’une viabilisation sommaire. Inversement,<br />

<strong>les</strong> lotissements <strong>les</strong> mieux aménagés sont presque réservés aux reve-<br />

nus supérieurs, indépendants ou salariés : transporteurs, commer-<br />

çants import-export, cadres de la justice, des hôpitaux, hauts fonc-<br />

tionnaires bamakois ou internationaux, douaniers enrichis aux fron-<br />

tières. C<strong>et</strong>te minorité rassemble des intérêts qui paraissaient tout<br />

d’abord contradictoires, mais elle souligne le fait que <strong>les</strong> attribu-<br />

tions sikassoises sont fortement marquées par <strong>les</strong> stratifications éCo-<br />

nomiques de la ville.


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 187<br />

Des offres plus morcelées h Koutiala<br />

Les circonstances des attributions para-réglementaire de 1985<br />

déterminent en eff<strong>et</strong> un mode original de sélection <strong>dans</strong> la capi-<br />

tale <strong>du</strong> coton. Fixées à 50 O00 FCFA, <strong>les</strong> taxes d’édilité ont moins<br />

augmenté qu’à Sikasso, <strong>et</strong> préservent la solvabilité de citadins plus<br />

nombreux. De plus, ces distributions ont ren<strong>du</strong> déterminantes <strong>les</strong><br />

relations officieuses entre la municipalité <strong>et</strong> ses clients.<br />

Les attributaires de 1985 resteront donc sans leurs lots pendant<br />

plusieurs années. Mais <strong>les</strong> tensions <strong>foncière</strong>s semblent atténuées<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> listes koutialaises, <strong>dans</strong> un foisonnement de pressions loca-<br />

<strong>les</strong>. Certes, <strong>les</strong> sélections par groupes d’activités entre l’offre (1985)<br />

<strong>et</strong> la demande (1976-1985) vont <strong>dans</strong> le même sens que cel<strong>les</strong> obser-<br />

vées à Bougouni <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970 <strong>et</strong> à Sikasso en 1987 : régres-<br />

sion des indépendants, progression des salariés par rapport à leurs<br />

candidatures. Cependant, <strong>les</strong> écarts de pourcentages sont plus fai-<br />

b<strong>les</strong>, quelques sous-groupes nuancent le tri global des grands ensem-<br />

b<strong>les</strong> : <strong>les</strong> ménagères <strong>et</strong> <strong>les</strong> manœuvres augmentent leur présence<br />

chez <strong>les</strong> indépendants ; <strong>les</strong> fonctionnaires de la santé <strong>et</strong> de l’ordre<br />

diminuent la leur chez <strong>les</strong> salariés. Émerge, enfin, une concurrence<br />

croissante entre deux corporations qui concentrent 39 070 des lots :<br />

<strong>les</strong> employés de HUICOMA <strong>et</strong> de la CMDT ont gagné 9 points,<br />

alors que <strong>les</strong> plus hauts revenus indépendants en ont per<strong>du</strong>s près<br />

de 14.<br />

Cependant, de grands eff<strong>et</strong>s de groupes réapparaissent lorsque<br />

<strong>les</strong> distributions de 1985 sont comparées à l’opération antérieure<br />

de Dar Salam. En 1976, celle-ci avait accueilli des réfugiés de Bobo-<br />

Dioulasso après la guerre avec la Haute-Volta. Comme sur <strong>les</strong><br />

autres <strong>marchés</strong> urbains, l’offre koutialaise s’est resserrée dix ans<br />

plus tard sur <strong>les</strong> résidents locaux (Koutiala-ville : + 12 points).<br />

Les origines étrangères s’effondrent de 18 à 1 070 ; le problème des<br />

réinsertions internationa<strong>les</strong> fait place, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980, à un<br />

centrage électoraliste sur <strong>les</strong> besoins <strong>les</strong> plus proches. Par ailleurs,<br />

tous <strong>les</strong> indépendants ont fortement régressé de 70 à 49 070. Comme<br />

à Sikasso, <strong>les</strong> salariés sont <strong>les</strong> gagnants relatifs de c<strong>et</strong>te sélection :<br />

<strong>les</strong> fonctionnaires ont progressé de 11 points ; <strong>les</strong> employés des<br />

entreprises cotonnières ont triplé leur pourcentage en raison de leur<br />

rôle économique local. Cependant, c<strong>et</strong>te dynamique générale ne<br />

doit pas masquer d’autres modes d’accès au régime concession-<br />

naire, des eff<strong>et</strong>s de brouillage qu’il convient également d’examiner.


188 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

DES LOGIQUES TRANSVERSALES<br />

AUX HIÉRARCHIES ÉCONOMIQUES<br />

1. Démarches privées de contournement des sdlections<br />

Pressions socia<strong>les</strong><br />

D’autres critères différencient <strong>les</strong> demandeurs ou rapprochent<br />

des candidats classés <strong>dans</strong> des groupes d’origines <strong>et</strong> d’activités dis-<br />

tincts. Ces filières d’expression particulariste des besoins fonciers<br />

tentent de rendre <strong>les</strong> demandes plus légitimes ou plus efficaces.<br />

El<strong>les</strong> témoignent de réseaux sociaux multiformes.<br />

Les listes municipa<strong>les</strong> montrent ainsi l’importance des candi-<br />

datures formulées sous le couvert d’une personne autre que le véri-<br />

table demandeur : un ressortissant éloigné fait appel à son repré-<br />

sentant sur place pour être régulièrement rappelé à l’attention des<br />

responsab<strong>les</strong> ; ailleurs, un


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 189<br />

r<strong>et</strong>rouve <strong>dans</strong> <strong>les</strong> entreprises salariées, qui offrent un cadre fré-<br />

quent de groupement des candidatures, même s’il n’exclut pas des<br />

jalousies entre collègues. Des liens paternalistes se tissent entre<br />

subordonnés <strong>et</strong> chefs, soulignent <strong>les</strong> niveaux de qualification, ou<br />

instaurent d’autres hiérarchies sur <strong>les</strong> critères de l’âge <strong>et</strong> de la pro-<br />

motion scolaire.<br />

Une proportion importante des demandes <strong>foncière</strong>s s’insère donc<br />

<strong>dans</strong> des négociations <strong>et</strong> des cautions <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> listes municipa<strong>les</strong> de 1984. Mais d’autres couvertures camouflent<br />

des demandes répétées, que seule la connaissance <strong>du</strong> tissu social de<br />

la ville perm<strong>et</strong> de reconstituer. Les activités de ces prête-noms se<br />

distribuent par grands groupes comme cel<strong>les</strong> des vrais demandeurs.<br />

Certains notab<strong>les</strong> y sont pourtant mieux représentés : <strong>les</strong> commer-<br />

çants <strong>et</strong> <strong>les</strong> secrétaires politiques de comités UDPM gagnent 6 points<br />

par rapport à leur poids <strong>dans</strong> la demande globale, alors que <strong>les</strong> cul-<br />

tivateurs perdent 13 points <strong>dans</strong> la fonction de prête-noms. Ces écarts<br />

soulignent l’origine économique d’une véritable influence citadine.<br />

Enfin, <strong>les</strong> enseignants sont <strong>les</strong> seuls fonctionnaires qui sont mieux<br />

représentés chez <strong>les</strong> prête-noms que <strong>dans</strong> l’ensemble des demandes.<br />

Ils constituent, en eff<strong>et</strong>, le personnel l<strong>et</strong>tré le plus important <strong>dans</strong><br />

lequel le parti unique <strong>et</strong> ses


190 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

I Demandes (‘70) I Sikasso I Koutiala I Bougouni<br />

Part des femmes<br />

dont origines loca<strong>les</strong><br />

dont activité de ménagères<br />

dont activité salariée<br />

Part des femmes<br />

dont origines loca<strong>les</strong><br />

dont activité de ménagères<br />

6 6 13<br />

82 80 96<br />

53 57 84<br />

30 43 14<br />

I Offre (070) I Sikasso I Koutiala I Bougouni<br />

5 6 7<br />

84 86 86<br />

26 86 81<br />

L’éventail des activités féminines est plus serré que celui des<br />

hommes. Demandeuses <strong>et</strong> attributaires sont surtout des ménagè-<br />

res, <strong>et</strong> sont moins liées que <strong>les</strong> hommes au salariat. Des épouses<br />

qui ne disposent pas de revenus trahissent ainsi <strong>les</strong> investissements<br />

de leurs maris, notamment à Bougouni, <strong>et</strong> <strong>les</strong> origines très loca<strong>les</strong><br />

confirment ce rôle de prête-noms. Une part des demandeuses


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 191<br />

Les charges familia<strong>les</strong> offrent donc aux chefs de ménage à la<br />

fois une technique de candidature <strong>et</strong> une justification de besoins<br />

résidentiels importants (loger ses dépendants). Légitimité ou moyen,<br />

le ménage <strong>et</strong> le lignage reviennent comme ressorts <strong>et</strong> comme sup-<br />

ports de nombreuses stratégies <strong>foncière</strong>s d’insertion urbaine. Au<br />

total, ces filières socia<strong>les</strong> restent fluides <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>marchés</strong>. Cer-<br />

tains citadins jouent à la fois sur <strong>les</strong> solidarités géographiques <strong>et</strong><br />

sur des opportunités professionnel<strong>les</strong> ; d’autres conjuguent l’appui<br />

des alliances matrimonia<strong>les</strong> <strong>et</strong> l’influence d’un tuteur non familial.<br />

Pressions politiques : des concurrences <strong>foncière</strong>s a clientélìsées B<br />

Les <strong>marchés</strong> domaniaux sont également fort sensib<strong>les</strong> aux<br />

rythmes des mandats municipaux, comme en témoigne l’évolution<br />

des demandes enregistrées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970-1980.<br />

Trois pics apparaissent <strong>dans</strong> la capitale régionale : en 1975 (9 C7o<br />

des demandeurs), en 1979-1982 (50 Vo) <strong>et</strong> en 1985 (10 Yo). Si le<br />

premier est la conséquence directe <strong>du</strong> conflit frontalier entre le <strong>Mali</strong><br />

<strong>et</strong> la Haute-Volta, la concentration suivante cumule plusieurs causes<br />

nationa<strong>les</strong> : le bruit court en ville qu’une nouvelle extension lotie<br />

est programmée à Sanoubougou I, qui n’aboutira finalement qu’en<br />

1987 ; <strong>les</strong> insatisfaits des précédentes opérations se font recenser<br />

en masse à la mairie. <strong>La</strong> sécheresse des années 1970 fait affluer<br />

des sinistrés <strong>et</strong> stimule le marché locatif de la capitale’ administra-<br />

tive. Mais surtout, l’instauration d’un nouveau parti unique con-<br />

tribue à multiplier <strong>les</strong> demandes officiel<strong>les</strong>, comme préalab<strong>les</strong> aux<br />

négociations menées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> coulisses <strong>du</strong> conseil municipal de<br />

Sikasso. Le gonflement de 1985 correspond alors à la fois au record<br />

d’enregistrement des sinistrés sahéliens, <strong>et</strong> au début d’un troisième<br />

mandat électora1 municipal : c’est l’occasion de recenser <strong>les</strong> doléan-<br />

ces citadines, au premier rang desquel<strong>les</strong> figure la création d’un<br />

lotissement qui se fait attendre depuis 8 ans.<br />

Ces pressions particulières <strong>et</strong> corporatistes sont déjà n<strong>et</strong>tement<br />

entérinées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> choix municipaux de Koutiala, à la faveur<br />

d’offres ponctuel<strong>les</strong> de lots. Les attributions fourmillent de listes<br />

parallè<strong>les</strong> <strong>et</strong> de parcel<strong>les</strong> réservées officieusement, qui satisfont cer-<br />

tains citadins bien représentés auprès des responsab<strong>les</strong> municipaux.<br />

Des clients de la commune apparaissent d’abord <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> quittances municipa<strong>les</strong> (parcel<strong>les</strong> à 15 O00 FCFA), sur <strong>les</strong> rac-<br />

cords périphériques que la mairie a aliénés en coulisse. Compa-<br />

rées à cel<strong>les</strong> des attributaires officiels de Koko-Extension-Est<br />

(50 O00 FCFA), <strong>les</strong> activités de ces bénéficiaires révèlent d’impor-<br />

tants écarts : alors que <strong>les</strong> distributions des futurs lots viabilisés


192 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ont promu le salariat, il ne représente plus ici que 16 070<br />

(- 27 points). Les ventes illicites offrent au contraire un terrain<br />

de rattrapage aux indépendants (+ 39 points), qui y r<strong>et</strong>rouvent<br />

le poids prépondérant (69 070) qu’ils avaient à la fois <strong>dans</strong> l’offre<br />

de 1976 <strong>et</strong> <strong>dans</strong> la demande de 1976-1985. Ce segment clandestin<br />

privilégie tout particulièrement des cultivateurs (29 Yo : + 23 points)<br />

<strong>et</strong> des commerçants (20 070 : + 12 points). Les irrégularités de la<br />

mairie <strong>dans</strong> le morcellement <strong>du</strong> sol urbain jouent donc un rôle<br />

de soupape de sécurité, face aux sélections <strong>du</strong> marché officiel en<br />

faveur d’une partie <strong>du</strong> salariat.<br />

Enfin, des listes parallè<strong>les</strong> satisfont quelques corporations<br />

demandeuses au cours des années 1980. Même avec un nombre<br />

limité de parcel<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> laissent à penser à certains citadins que<br />


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 193<br />

2. L’imbrication de sélections <strong>et</strong> de régulations à différentes<br />

étapes de la vente municipale<br />

En amont: le cumul de lots<br />

Des attributions multip<strong>les</strong> <strong>dans</strong> une même opération communale<br />

grossissent l’eff<strong>et</strong> de promotion d’une élite de bénéficiaires. En<br />

1987, une cinquantaine de Sikassois ont notamment disposé cha-<br />

cun de 2 à 5 lots (sans compter d’éventuel<strong>les</strong> appropriations hors<br />

listes). Parmi leurs noms, émerge un cercle de responsab<strong>les</strong> politi-<br />

ques influents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> clans municipaux (secrétaires généraux de<br />

comités de quartier ou de la section communale, présidente locale<br />

des femes, ancien maire, adjoints <strong>et</strong> conseillers municipaux), aux-<br />

quels s’ajoutent <strong>les</strong> employés importants de la mairie (secrétaire<br />

administratif, agent Voyer). Des notab<strong>les</strong> économiques de la ville<br />

constituent un second groupe : transporteurs, commerçants déjà<br />

cumulards, restaurateurs représentent <strong>les</strong> entrepreneurs privés de<br />

Sikasso. Enfin, des cadres administratifs ou de sociétés d’État com-<br />

plètent la liste de ces cumulards : directeurs régionaux ou techni-<br />

ciens d’entreprises publiques, procureur de justice, médecin-chef,<br />

tous signalent l’inégale dégradation des niveaux de vie <strong>dans</strong> la fonc-<br />

tion publique. Les plus hauts placés ont su multiplier leurs reve-<br />

nus parallè<strong>les</strong> à la faveur d’initiatives commercia<strong>les</strong> ’ privées <strong>et</strong><br />

d’avantages divers. En constituant des patrimoines fonciers, ils s’ali-<br />

gnent sur <strong>les</strong> comportements spéculatifs des commerçants. Capi-<br />

taux marchands <strong>et</strong> privilèges politico-administratifs soulignent donc<br />

<strong>les</strong> liens étroits qu’établissent ces stratégies d’investissement fon-<br />

cier entre la solvabilité financière <strong>et</strong> la solvabilité sociale (6).<br />

En aval : de nouveaux tris lors <strong>du</strong> versement des taxes d’édilité<br />

Après s’être acquitté des frais d’aménagement foncier requis<br />

à la mairie, le bénéficiaire d’un lot reçoit sa l<strong>et</strong>tre d’attribution.<br />

Ce document est souvent interprété comme une garantie de pro-<br />

priété, à laquelle on accorde plus d’importance que le cahier des<br />

charges <strong>du</strong> lotissement qui oblige son détenteur à requérir rapide-<br />

(6) Les versements de ces cumulards <strong>dans</strong> <strong>les</strong> comptes de gestion montrent qu’ils<br />

préfèrent concentrer leurs lots <strong>dans</strong> le même lotissement, plutôt que de <strong>les</strong> disperser<br />

sur plusieurs quartiers. Ils recherchent <strong>les</strong> opérations <strong>les</strong> plus chères, selon une option<br />

franchement spéculative, plus que <strong>les</strong> terrains moins coûteux. Ils s’appuient souvent<br />

sur des prête-noms <strong>et</strong> payent en général comptant, si possible plusieurs lots en même<br />

temps, au lieu de fractionner leurs versements comme le font <strong>les</strong> autres attributaires.


194 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ment un permis de construire. Comparons pour finir <strong>les</strong> activités<br />

des bénéficiaires ayant payé la taxe d’édilité à cel<strong>les</strong> de l’ensem-<br />

ble des attributaires municipaux.<br />

A Koutiala, <strong>les</strong> sélections par groupes d’activités restent très<br />

marquées <strong>dans</strong> la continuité des choix d’attribution : <strong>les</strong> indépen-<br />

dants aux bas revenus perdent 14 points, <strong>les</strong> fonctionnaires en<br />

gagent 13. Déjà promus <strong>dans</strong> <strong>les</strong> attributions par rapport à la<br />

demande, <strong>les</strong> salariés (68 Vo des versements) semblent relativement<br />

rapides à mobiliser <strong>les</strong> sommes demandées pour acquérir le reçu<br />

de concession. Au contraire, <strong>les</strong> actifs indépendants apparaissent<br />

comme de mauvais payeurs, car leur poids diminue des listes<br />

d’attribution aux quittances (de 48 à 30 Yo) : plus leur revenu est<br />

bas <strong>et</strong> leur travail peu qualifié, moins ces citadins s’acquittent des<br />

frais d’édilité. <strong>La</strong> somme de 50 O00 FCFA demandée reste diffi-<br />

cile à rassembler pour des cultivateurs qui, commercialisant une<br />

partie de leur pro<strong>du</strong>ction, doivent compter avec l’achat des céréa-<br />

<strong>les</strong> manquantes <strong>et</strong> le remboursement de crédits agrico<strong>les</strong> à la<br />

CMDT. Le critère de l’argent justifie donc en partie ces différen-<br />

ces de paiement, malgré la viabilisation minimaliste mise en au-<br />

vre à Koutiala.<br />

Mais d’autres facteurs interviennent également. Fortement liés<br />

aux origines loca<strong>les</strong>, <strong>les</strong> cultivateurs <strong>et</strong> <strong>les</strong> commerçants de la ville<br />

ont suivi de près <strong>les</strong> vicissitudes administratives <strong>du</strong> lotissement<br />

municipal. Ils savent notamment que <strong>les</strong> travaux de bornage traî-<br />

nent depuis plusieurs années, <strong>et</strong> que l’affectation des terrains à la<br />

commune n’est pas encore réglée. Tant que <strong>les</strong> engins de viabili-<br />

sation n’ont pas été vus sur <strong>les</strong> lieux, de nombreux Koutialais res-<br />

tent sceptiques sur la réalit6 des attributions. Verser 50 O00 FCFA,<br />

pour une échéance inconnue, c’est se priver d’une épargne que l’on<br />

peut placer ailleurs en attendant le dénouement de l’affaire. Cer-<br />

tains tentent alors de se rabattre sur la filière officieuse des lots<br />

inscrits à 15 O00 FCFA <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quittances. Le fait que <strong>les</strong> indé-<br />

pendants y soient sur-représentés, par rapport à leur poids <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> attributions officiel<strong>les</strong>, contribue à expliquer leur position de<br />

mauvais payeurs pour <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> à 50 O00 FCFA.<br />

Quant aux fonctionnaires, ils sont <strong>les</strong> premiers à se plaindre<br />

<strong>du</strong> piège financier <strong>dans</strong> lequel ils sont tombés à Koko-Extension-<br />

Est. En 1985, ils étaient encore capab<strong>les</strong> d’épargner pour une<br />

somme jugée plus acceptable que <strong>les</strong> tarifs annoncés à Bamako<br />

ou Sikasso. Depuis, <strong>les</strong> r<strong>et</strong>ards de salaires ont fait regr<strong>et</strong>ter ce que<br />

chacun considère comme per<strong>du</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> caisses de la mairie. De<br />

plus, de nombreux salariés ont adressé leur candidature <strong>foncière</strong><br />

de l’extérieur de la ville. Mal informés <strong>du</strong> blocage des procé<strong>du</strong>res<br />

techniques, ils se sont empressés de payer. Sélection par l’argent


Bas revenus. indépendants<br />

Hauts revenus indépend.<br />

Salariés privés convent.<br />

Fonctionnaires<br />

LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 195<br />

<strong>et</strong> scepticisme politique se combinent donc à Koutiala pour ren-<br />

forcer la hiérarchisation des clientè<strong>les</strong> <strong>foncière</strong>s en grands grou-<br />

pes d’activité.<br />

Les solvabilités paraissent plus morcelées <strong>dans</strong> le paiement des<br />

taxes d’édilité sikassoises de 1987. Les citadins rassemblent diffi-<br />

cilement des fonds fractionnés au-delà des délais impartis. Tous<br />

<strong>les</strong> groupes d’actifs ressentent ainsi <strong>les</strong> difficultés <strong>du</strong> paiement en<br />

raison des sommes importantes exigées à Sikasso. Cependant, <strong>les</strong><br />

fonctionnaires se démarquent par l’irrégularité croissante de leurs<br />

revenus à la fin de la décennie. <strong>La</strong> municipalité a certes cédé à<br />

certaines requêtes syndica<strong>les</strong> revendiquant plus de lots pour des<br />

employés de 1’État. Mais <strong>les</strong> contradictions de c<strong>et</strong>te mesure écla-<br />

tent lors <strong>du</strong> paiement, car la viabilisation m<strong>et</strong> à jour l’incapacité<br />

de nombre d’entre eux à épargner. Les avantages relatifs consen-<br />

tis <strong>dans</strong> <strong>les</strong> listes paraissent bien illusoires aux p<strong>et</strong>it fonctionnai-<br />

res qui doivent cultiver eux-mêmes de quoi nourrir leur famille,<br />

<strong>et</strong> s’absenter de leur travail pour trouver de nouvel<strong>les</strong> ressources.<br />

D’autres négociations seront donc menées pour éviter que leurs<br />

lots soient repris faute de paiement, car d’autres actifs, notam-<br />

ment des indépendants à hauts revenus, se révèlent prompts à inves-<br />

tir une épargne commerciale <strong>dans</strong> un marché locatif destiné parti-<br />

culièrement aux.. . fonctionnaires. Dans la crise budgétaire natio-<br />

nale, ces différentes séquences de l’offre administrative renvoient<br />

donc à de complexes rapports entre 1’État <strong>et</strong> ses agents. Au con-<br />

traire, <strong>les</strong> salariés privés apparaissent meilleurs payeurs, car ils<br />

dépendent de budg<strong>et</strong>s autonomes qui assurent le paiement régu-<br />

lier des salaires. Les types de versements effectués confirment ces<br />

eff<strong>et</strong>s de groupes de la sélection économique :<br />

Versements (%) 1 Compl<strong>et</strong><br />

54<br />

67<br />

48<br />

40<br />

29 1 O0<br />

30<br />

Toutes activités 1 51 1 22 1 27 1 100<br />

Les fonctionnaires se distinguent comme <strong>les</strong> moins capab<strong>les</strong> de<br />

s’acquitter intégralement des taxes d’édilité ; leur pouvoir d’achat<br />

s’est dégradé à la fin de la décennie, au moment où la diffusion<br />

territoriale des normes domania<strong>les</strong> renforçait leur poids <strong>et</strong> leurs<br />

besoins fonciers régionaux. Les indépendants aux bas revenus<br />

détiennent le record de versements incompl<strong>et</strong>s pour <strong>les</strong> mêmes rai-


196 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

sons économiques, alors que <strong>les</strong> plus hauts revenus assurent <strong>les</strong><br />

paiements <strong>les</strong> plus satisfaisants.<br />

Pour d’autres raisons, <strong>les</strong> versements des notab<strong>les</strong> sikassois sont<br />

peu nombreux. Nombre de ces élus politiques viennent de l’ensei-<br />

gnement, <strong>et</strong> sont, comme leurs collègues, mal payés par le minis-<br />

tère de tutelle. Mais leurs fonctions de représentants masquent c<strong>et</strong>te<br />

paupérisation. Placés au cœur des pouvoirs municipaux, ils crai-<br />

gnent peu <strong>les</strong> r<strong>et</strong>raits pour cause de non paiement, <strong>et</strong> savent user<br />

d’une véritable immunité face aux délais administratifs.<br />

Parallèlement, la hausse des frais d’édilité contribue à brouil-<br />

ler <strong>les</strong> grands clivages économiques qui caractérisaient l’évolution<br />

de la demande à l’offre : riches/pauvres, origines proches/éloignées,<br />

indépendants/fonctionnaires. Désormais, la solvabilité relève plus<br />

d’une débrouillardise indivi<strong>du</strong>elle que d’intérêts de groupe. Par<br />

exemple, d’importants contrastes de versements chez <strong>les</strong> fonction-<br />

naires soulignent des différences de traitement entre <strong>les</strong> agents qui<br />

dépendent <strong>du</strong> budg<strong>et</strong> national (administration, enseignement), <strong>et</strong><br />

ceux qui, dépendant de fonds décentralisés (Impôts, Trésor, Affai-<br />

res économiques), peuvent demander des avances sur salaire en cas<br />

de r<strong>et</strong>ard de paiement. Les versements médiocres des forces de sécu-<br />

rité cachent de même d’importants écarts : si <strong>les</strong> militaires <strong>et</strong> <strong>les</strong><br />

gendarmes sont mauvais payeurs, <strong>les</strong> douaniers sont prompts à<br />

payer leurs lots à la faveur de revenus souvent extra-salariaux aux<br />

frontières. Les paiements des enseignants sont également hétéro-<br />

gènes, selon que l’on observe <strong>les</strong> maîtres <strong>du</strong> premier cycle ou <strong>les</strong><br />

inspecteurs, <strong>les</strong> immigrés mutés à Sikasso ou <strong>les</strong> originaires de la<br />

ville. Ces derniers diversifient leurs activités, notamment <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

terroirs agrico<strong>les</strong> proches, <strong>et</strong> parviennent à payer mieux que la<br />

moyenne de leur corporation.<br />

L’inflation des coûts de pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> sol résidentiel a donc<br />

intro<strong>du</strong>it <strong>dans</strong> le marché sikassois de nouveaux tris financiers, inter-<br />

nes au groupe des fonctionnaires, que <strong>les</strong> sélections koutialaises<br />

antérieures n’ont pas encore montrés. Les intérêts communs d’une<br />


LES FILTRAGES DU MARCHÉ MUNICIPAL 197<br />

sivement de modalités techniques. El<strong>les</strong> suggèrent des dynamiques<br />

socia<strong>les</strong> différentes selon la taille <strong>et</strong> l’encadrement des vil<strong>les</strong>.<br />

Une élite concessionnaire se démarque bien <strong>dans</strong> <strong>les</strong> choix<br />

d’attribution <strong>et</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cumuls de lots. Mais d’autres segments<br />

brouillent <strong>les</strong> tensions des concurrences <strong>foncière</strong>s. Des attributions<br />

compensatoires r<strong>et</strong>ardent ou régulent <strong>les</strong> tris de la normalisation<br />

technique, entr<strong>et</strong>iennent chez certaines corporations cîtadines<br />

l’espoir qu’el<strong>les</strong> pourront s’infiltrer <strong>dans</strong> <strong>les</strong> interstices laissés en<br />

réserve des filtrages <strong>les</strong> plus rudes. Les morcellements illicites, <strong>les</strong><br />

raccords périphériques jouent ce rôle d’intégration par la marge,<br />

qu’ils soient le fait des demandeurs (sonsorobuguw en attente de<br />

redressement à Bougouni), ou de pratiques municipa<strong>les</strong> ajustées.<br />

Ces filières parallè<strong>les</strong> contribuent donc autant que <strong>les</strong> attributions<br />

officiel<strong>les</strong> à définir l’offre administrative.


Valorisations <strong>du</strong> sol urbain :<br />

sélections sans ségrégations<br />

Après <strong>les</strong> étapes administratives d’appropriation, différentes<br />

valorisations des lots révèlent <strong>les</strong> fonctions économiques <strong>et</strong> socia-<br />

<strong>les</strong> <strong>du</strong> sol résidentiel. Des effectifs plus faib<strong>les</strong> de propriétaires com-<br />

plètent le tableau des acteurs urbains classés par grands groupes<br />

d’intérêts. Ils apparaissent tout aussi significatifs d’une dynami-<br />

que d’appropriation <strong>foncière</strong> sélective.<br />

L’INVESTISSEMENT IMMOBILIER A BOUGOUNI<br />

1. Des paysages résidentiels médiocres <strong>et</strong> leurs nuances<br />

Dans le plus p<strong>et</strong>it chef-lieu méridional, le sous-investissement<br />

est déjà apparu une caractéristique importante des lotissements péri-<br />

phériques. Qu’en est-il des moyens engagés <strong>dans</strong> le bâti des<br />

1 325 parcel<strong>les</strong> recensées en 1988 ? Ces cours résidentiel<strong>les</strong> sont clas-<br />

sées d’après <strong>les</strong> matériaux de construction des bâtiments princi-<br />

paux (1). Des valorisations <strong>les</strong> plus importantes aux moins <strong>du</strong>ra-<br />

b<strong>les</strong>, héritées de modè<strong>les</strong> villageois, <strong>les</strong> types construits se distri-<br />

buent ainsi :<br />

(1) Les lots non bâtis (42 070) ne sont pas comptés ici. Dans <strong>les</strong> cours construites,<br />

<strong>les</strong> limites <strong>du</strong> critère r<strong>et</strong>enu sont évidentes : <strong>les</strong> annexes (magasins, cuisines) <strong>et</strong> la densité<br />

<strong>du</strong> bâti ne sont pas pris en compte. Malgré c<strong>et</strong>te perte d’information inévitable, <strong>les</strong><br />

matériaux de construction restent un critère sensible de différenciation des techniques<br />

<strong>et</strong> surtout des coûts immobiliers.


200 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Matériaux<br />

dominant (%)<br />

Dur<br />

Semi-<strong>du</strong>r<br />

Banco<br />

Paillote<br />

Total construit<br />

Hèrèmakono- Massabla Torakabougou Moyenne<br />

Nord Coura<br />

42 14 26 24<br />

32 27 20 26<br />

25 56 30 41<br />

1 3 24 9<br />

100 100 100 100<br />

Le bâti résidentiel bougounien se partage donc à parts éga<strong>les</strong><br />

entre <strong>les</strong> investissements’ en <strong>du</strong>r (parpaings de ciment) ou semi-<strong>du</strong>r<br />

(banco recouvert d’un crépi de ciment), <strong>et</strong> <strong>les</strong> constructions plus<br />

sommaires en banco ou paillotes (2). <strong>La</strong> médiocrité des revenus<br />

urbains, <strong>dans</strong> un centre peu dynamique comme Bougouni, expli-<br />

que l’importance des briques d’argile, qui sont fabriquées <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

fosses à banco <strong>et</strong> séchees au soleil. Le sac de ciment reste un luxe,<br />

<strong>et</strong> l’on réserve <strong>les</strong> financements pour le transport de pierres <strong>et</strong> de<br />

sable (fondations <strong>et</strong> crépissage), la tôle on<strong>du</strong>lée <strong>du</strong> toit, le ciment<br />

<strong>du</strong> sol intérieur, l’encadrement des portes <strong>et</strong> des fenêtres.<br />

<strong>La</strong> cour construite en <strong>du</strong>r présente généralement un grand bâti-<br />

ment rectangulaire, dont le toit est à double pente, plus rarement<br />

en terrasse bétonnée. Le double plafond intérieur (isolant thermi-<br />

que) manque souvent en raison <strong>du</strong> coût <strong>du</strong> contre-plaqué. Diffé-<br />

rents aménagements nuancent ce type


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 201<br />

des cours <strong>du</strong>rcifiées, oÙ el<strong>les</strong> servent de magasins <strong>et</strong> de cases de<br />

passage pour loger des visiteurs.<br />

Ces paysages résidentiels varient sensiblement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois lotis-<br />

sements. Chaque quartier est marqué par sa date <strong>et</strong> ses modalités<br />

de création. Hèrèmakono-Nord apparaît d’abord comme le mieux<br />

valorisé : <strong>les</strong> trois quarts des cours y portent un bâti de qualité<br />

en <strong>du</strong>r ou semi-<strong>du</strong>r. En eff<strong>et</strong>, l’étalement des mises en valeur a<br />

perfectionné <strong>les</strong> constructions <strong>dans</strong> ce lotissement de 1973. Des pri-<br />

vilèges d’attribution y ont été accordés aux fonctionnaires qui, plus<br />

solvab<strong>les</strong> que la moyenne à l’époque, ont investi des sommes<br />

importantes, selon des modè<strong>les</strong> de construction franchement cita-<br />

dins. Mais des mutations professionnel<strong>les</strong> en ont éloignés certains<br />

de Bougouni. Devenus absentéistes, ils ont délaissé des maisons<br />

qui n’étaient pas toujours achevées.<br />

Massabla Coura détient ensuite le record des cours en banco,<br />

qui lui donnent une allure assez homogène. Né d’une opération<br />

de redressement, ce lotissement a maintenu des actifs indépendants<br />

aux bas revenus. Son occupation est donc pauvre mais stable.<br />

Regroupées au centre-sud <strong>du</strong> quartier, <strong>les</strong> plus nombreuses cases<br />

perm<strong>et</strong>tent de r<strong>et</strong>rouver <strong>les</strong> limites <strong>du</strong> sonsorobugu initial.<br />

Enfin, Torakabougou apparaît comme le quartier le plus con-<br />

trasté, avec à la fois un taux de constructions en <strong>du</strong>r supérieur<br />

à la moyenne <strong>et</strong> le record des bâtis sommaires en paillote. C<strong>et</strong>te<br />

<strong>du</strong>alité tient à la jeunesse <strong>du</strong> lotissement <strong>et</strong> aux contrastes écono-<br />

miques de ses investisseurs. Le banco signale, à l’est <strong>et</strong> au sud,<br />

le maintien de cultivateurs implantés d’abord de façon illicite. Res-<br />

tés sur place grâce au redressement, ou marginalisés à la périphé-<br />

rie par l’administration <strong>du</strong> cercle, ils ont préservé un habitat de<br />

case. D’autres attributaires aux faib<strong>les</strong> revenus, pressés de s’ins-<br />

taller sur <strong>les</strong> lots, ont également construit en banco. A l’inverse<br />

<strong>les</strong> salariés, promus par <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> locaux, se distinguent par<br />

des constructions en <strong>du</strong>r (épargne financière <strong>du</strong> début des années<br />

1980), ou par des terrains non construits (épargne bloquée par la<br />

crise, mutations <strong>dans</strong> d’autres localités maliennes, gel de conces-<br />

sions à des fins spéculatives de revente).<br />

Une telle diversité d’investissement <strong>dans</strong> une p<strong>et</strong>ite ville découle<br />

donc <strong>du</strong> facteur temps <strong>et</strong> des spécificités des attributaires :<br />

aisés/pauvres, résidents/absentéistes, anciens occupants irrégu-<br />

liers/anciens locataires, chacun pèse différemment sur la typolo-<br />

gie immobilière.


202 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

2. Variab<strong>les</strong> de l’investissement<br />

Évaluer l’influence de l’origine ou de l’activité <strong>du</strong> propriétaire<br />

sur son investissement suppose que soient connus <strong>les</strong> constructeurs<br />

qui ne sont pas toujours <strong>les</strong> occupants actuels <strong>du</strong> lot, ni <strong>les</strong> pre-<br />

miers attributaires <strong>du</strong> marché administratif. D’après <strong>les</strong> cours qui<br />

ont changé de propriétaire par vente privée (3)’ <strong>les</strong> transferts fon-<br />

ciers modifient peu <strong>les</strong> paysages résidentiels. En croisant le bâti<br />

de ces parcel<strong>les</strong> avec l’origine <strong>et</strong> l’activité de leurs acquéreurs, on<br />

observe <strong>les</strong> mêmes écarts à la moyenne que ceux <strong>du</strong> croisement<br />

de toutes <strong>les</strong> cours avec l’ensemble des attributaires municipaux.<br />

Les pratiques de construction mises à l’oeuvre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lots reven-<br />

<strong>du</strong>s relèvent donc, semble-t-il, des mêmes logiques géographiques<br />

<strong>et</strong> économiques que cel<strong>les</strong> des lots qui n’ont pas changé de pro-<br />

priétaire. Avec une marge d’erreur faible, on peut assimiler I’état<br />

de la propriété de 1988 aux données concernant <strong>les</strong> premiers attri-<br />

butaires, sans que c<strong>et</strong> ajustement perturbe trop <strong>les</strong> variab<strong>les</strong> de<br />

l’investissement.<br />

Les types de construction varient d’abord sensiblement selon<br />

la situation géographique <strong>du</strong> propriétaire :<br />

Origine/B¿îti (%) I Dur I Semi-<strong>du</strong>r I Banco<br />

Régions <strong>du</strong> <strong>Mali</strong><br />

Étranger<br />

14 21<br />

Paillote<br />

10<br />

O<br />

1<br />

O<br />

6<br />

Non const. Total<br />

’ 40 100.<br />

57 1 O0<br />

57 1 O0<br />

43 1 O0<br />

45 100<br />

Dans <strong>les</strong> limites <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, plus l’attributaire est proche, plus<br />

son lot est construit, mais sommairement. Au contraire, I’inves-<br />

tissement se raréfie lorsque l’on s’éloigne de Bougouni <strong>dans</strong> le pays.<br />

L’absentéisme des propriétaires rend alors majoritaires <strong>les</strong> terrains<br />

non construits. Mais dès que l’eff<strong>et</strong> de distance dépasse <strong>les</strong> fron-<br />

tières nationa<strong>les</strong>, <strong>les</strong> investisseurs de l’étranger construisent davan-<br />

tage <strong>et</strong> plus en <strong>du</strong>r que <strong>les</strong> autres absentéistes <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, à la faveur<br />

d’une épargne migratoire plus importante. L’éloignement géogra-<br />

phique joue donc sur le bâti de façon complexe. Différents absen-<br />

téismes (mutation professionnelle au <strong>Mali</strong>, exode international<br />

volontaire) déterminent des pratiques inégalement valorisantes<br />

(3) Registres municipaux de 1983 à 1988. Les 124 ventes ou cessions enregistrées<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois lotissements concernent 9 Yo des cours enquêtées.


Moyenne activités<br />

VALORISATIONS DU SOL URBAIN 203<br />

d’investissement à Bougouni : construction r<strong>et</strong>ardée ou accélérée,<br />

gel spéculatif ou mise en location de la parcelle.<br />

<strong>La</strong> diversité des valorisations immobilières relève également des<br />

ressources économiques des investisseurs :<br />

ActiviWBâti (%) I<br />

Bas revenus indép.<br />

Hauts rev. indép.<br />

SPC<br />

Fonctionnaires<br />

Divers autres<br />

18<br />

10<br />

37<br />

27<br />

16<br />

16<br />

15<br />

12<br />

3<br />

4<br />

1<br />

O<br />

14 16’ I 25 5<br />

Banco Paillote Non const.<br />

26<br />

39<br />

45<br />

50<br />

60<br />

40<br />

Total<br />

100<br />

Avec un pouvoir d’achat préservé jusqu’au début des années<br />

1980, <strong>les</strong> salariés ont pu investir plutôt en <strong>du</strong>r <strong>et</strong> semi-<strong>du</strong>r, bien<br />

que des mutations géographiques aient empêché certains d’entre<br />

eux de construire. A l’inverse, <strong>les</strong> indépendants aux bas revenus<br />

sont étroitement liés aux matériaux peu coûteux. Enfin, <strong>les</strong> p<strong>et</strong>its<br />

effectifs de notab<strong>les</strong> (divers autres) m<strong>et</strong>tent peu en valeur leurs ter-<br />

rains ; une sorte d’immunité politique leur perm<strong>et</strong> de geler ces lots<br />

sans risque de r<strong>et</strong>rait.<br />

<strong>La</strong> combinaison des trois classements (origines, activités, bâtis)<br />

suggère donc des modes relativement spécialisés d’investissement<br />

urbain. <strong>La</strong> forte corrélation des fonctionnaires avec <strong>les</strong>


204 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Les attributaires qui ne construisent pas assez en donnent une<br />

première preuve. En 1978, l’administration <strong>du</strong> cercle a recensé <strong>les</strong><br />

lots insuffisamment mis en valeur à Hèrèmakono-Nord, que l’on<br />

peut comparer avec .<strong>les</strong> cours sous-investies <strong>du</strong> même quartier en<br />

1988 : cinq ans après <strong>les</strong> attributions de 1973, à l’expiration <strong>du</strong> délai<br />

de construction minimale, la moitié des parcel<strong>les</strong> ne sont pas cons-<br />

truites <strong>dans</strong> <strong>les</strong> proportions requises ; <strong>les</strong> 134 cours non occupées<br />

se répartissent en : terrains nus (47 Yo), constructions inachevées<br />

(16 070)’ puits (11 070)’ clôtures (8 Yo)’ chambres en banco <strong>et</strong> toit<br />

de tôle (12 Yo)’ paillotes en banco <strong>et</strong> chaume (4 Yo), pièces aban-<br />

données <strong>et</strong> en ruine (2 Yo). Dix ans plus tard, <strong>les</strong> constructions en<br />

ruine ont le plus progressé comme cause <strong>et</strong> conséquence de la non-<br />

occupation (30 Yo des cours non habitées). Par contre, <strong>les</strong> terrains<br />

totalement nus ou seulement creusés d’un puits ne représentent plus<br />

que 24 Yo de ces lots.<br />

C<strong>et</strong>te évolution des formes de sous-valorisation montre donc<br />

<strong>les</strong> principa<strong>les</strong> causes des r<strong>et</strong>ards d’occupation. <strong>La</strong> faib<strong>les</strong>se des<br />

revenus citadins oblige d’abord de nombreux attributaires à étaler<br />

très progressivement <strong>les</strong> travaux, sauf <strong>dans</strong> <strong>les</strong> premiers temps d’un<br />

lotissement où l’on préfère construire à la hâte quelques cases som-<br />

maires plutôt que de rester locataires en ville. <strong>La</strong> seconde explica-<br />

tion est plus déterminante à Hèrèmakono-Nord : <strong>les</strong> migrations <strong>du</strong><br />

travail de salariés <strong>et</strong> d’expatriés vieillissent prématurément, faute<br />

d’entr<strong>et</strong>ien ou d’une mise en location, des constructions à peine<br />

entamées par leurs propriétaires absentéistes. Les revenus consa-<br />

crés à d’autres dépenses, <strong>dans</strong> d’autres localités, ont donc man-<br />

qué pour poursuivre l’investissement à court terme.<br />

D’autres propriétaires estiment au contraire avoir suffisamment<br />

investi pour demander un permis d’occuper municipal. Leur démar-<br />

che donne un second exemple des interprétations données au souci<br />

administratif de consacrer <strong>les</strong> mises en valeur immobilières (4).<br />

C<strong>et</strong>te minorité d’investisseurs réside davantage à Bougouni-Ville que<br />

l’ensemble des attributaires (+ 19 points). C<strong>et</strong>te proximité a faci-<br />

lité la valorisation des lots. Deux groupes d’actifs aux ressources<br />

<strong>les</strong> plus importantes se distinguent également <strong>dans</strong> ces investisse-<br />

ments assi<strong>du</strong>s : <strong>les</strong> > <strong>et</strong> <strong>les</strong> fonction-<br />

naires représentent 78 070 des demandeurs. Même si <strong>les</strong> permis<br />

d’occuper ne sont pas l’apanage des seuls


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 205<br />

Pourtant, <strong>les</strong> patrimoines décrits <strong>dans</strong> ces requêtes sont encore<br />

modestes. Le bâti s’édifie bien en dessous des normes d’investis-<br />

sement ; la construction est à peine meilleure que <strong>dans</strong> la moyenne<br />

des paysages périphériques. Le type


206 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

part importante des changements de propriété se réalise donc en<br />

dehors de toute reconnaissance administrative (absence de permis<br />

d’occuper, refus de payer <strong>les</strong> taxes municipa<strong>les</strong> de mutation). Ces<br />

ventes privées concernent pourtant, depuis 1976, 16 Oro des par-<br />

cel<strong>les</strong> de Dar Salam à Koutiala, ce qui confirme une tendance<br />

observée à Bougouni : <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers périphériques récents, <strong>les</strong><br />

reventes de lots à peine valorisés se multiplient à un rythme plus<br />

rapide que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vieux centres, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels le patrimoine fami-<br />

lial est plus stable. Alors que 52 Oro des mutations <strong>foncière</strong>s con-<br />

cernaient, en 1983, des cours situées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> anciens quartiers de<br />

Bougouni, le rapport s’inverse en quatre ans ; <strong>les</strong> derniers lotisse-<br />

ments concentrent désormais de 70 à 80 Oro des changements de<br />

propriété. Le centre de gravité de ce marché s’est donc déplacé<br />

vers <strong>les</strong> périphéries. Les attributions municipa<strong>les</strong> de lots ont eu pour<br />

conséquence indirecte de dynamiser <strong>les</strong> ventes entre particuliers en<br />

marge des mises en valeur requises. Loin de brider <strong>les</strong> intérêts pri-<br />

vés, le marché administratif semble au contraire stimuler <strong>les</strong> pra-<br />

tiques spéculatives.<br />

L’emballement des transactions privées à partir de 1985 est par-<br />

ticulièrement n<strong>et</strong> pour <strong>les</strong> lots qui sont reven<strong>du</strong>s successivement<br />

2 ou 3 fois depuis leur attribution initiale (un quart des cours reven-<br />

<strong>du</strong>es). <strong>La</strong> <strong>du</strong>rée moyenne d’appropriation entre deux changements<br />

de propriétaires diminue en conséquence : alors que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vieux<br />

quartiers, lotis <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1950-1960, <strong>les</strong> délais se stabilisent<br />

à plus de 13 ans, le mouvement s’accélère <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements<br />

ultérieurs (moins de 8 ans à Hèrèmakono-Nord, 4 ans à Toraka-<br />

bougou). Ces <strong>du</strong>rées moyennes deviennent inférieures aux délais<br />

courants de construction. Les transactions se réalisent donc sur des<br />

espaces insuffisamment valorisés, théoriquement inaliénab<strong>les</strong>. En<br />

témoigne le recensement <strong>du</strong> bâti effectué en 1988 <strong>dans</strong> ces 124 lots<br />

périphériques reven<strong>du</strong>s après leur attribution : 58 Oro ne sont pas<br />

occupés. <strong>La</strong> proportion de constructions inachevées est également<br />

plus grande <strong>dans</strong> <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> ayant changé de propriétaires (19 Oro)<br />

que <strong>dans</strong> la moyenne des trois lotissements (10 Vo). Les transferts<br />

fonciers privés ont donc r<strong>et</strong>ardé <strong>les</strong> valorisations immobilières des<br />

quartiers récents.<br />

Cependant, <strong>les</strong> changements de propriétaires peuvent aussi relan-<br />

cer <strong>les</strong> investissements, en substituant à des attributaires absentéistes<br />

des candidats plus motivés par l’installation de famil<strong>les</strong> ou de loca-<br />

taires. Certains lots reven<strong>du</strong>s portent en eff<strong>et</strong> un bâtí de meilleure<br />

qualité (déjà 19 Oro de constructions en <strong>du</strong>r) que la moyenne des<br />

trois lotissements bougouniens. <strong>La</strong> sociologie des propriétaires est<br />

donc déterminante pour comprendre <strong>les</strong> paradoxes <strong>du</strong> marché privé.<br />

Bien que <strong>les</strong> prix mentionnés sous-évaluent <strong>les</strong> montants réels


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 207<br />

des transactions, <strong>les</strong> ventes pFivées sont beaucoup plus onéreuses<br />

que <strong>les</strong> attributions municipa<strong>les</strong>. Mais c<strong>et</strong>te inflation n’exclut pas<br />

le maintien de relations personnalisées <strong>dans</strong> le rapport marchand.<br />

Les liens de connaissance <strong>et</strong> de recommandation sont déterminants<br />

lorsque l’on recherche un lot à vendre ou un candidat à l’achat.<br />

Les intermédiaires des négociations poussent au marchandage des<br />

prix. L’environnement professionnel <strong>et</strong> social filtre bon nombre<br />

de transactions. Au-delà d’une interprétation réglementaire, ce seg-<br />

ment foncier est aussi riche d’interprétations socia<strong>les</strong>.<br />

Un premier cas de figure concerne tous <strong>les</strong> lotissements péri-<br />

phériques : en 1983, un géomètre de Sikasso vend, à un chauf-<br />

feur de Bougouni, son terrain nu (attribué deux ans avant à<br />

30 O00 FM) à 200 O00 FM. L’ach<strong>et</strong>eur ne déclare la transaction<br />

qu’en 1987, en même temps qu’il demande un permis d’occuper<br />

pour la construction qu’il a réalisée. Ailleurs, un enseignant vend<br />

100 O00 FCFA son lot municipal à un collègue qui le revend à un<br />

troisième ach<strong>et</strong>eur, professeur au lycée de Bougouni. Dans c<strong>et</strong>te<br />

chaîne professionnelle, <strong>les</strong> deux transferts sont déclarés le même<br />

jour en 1987 ; le marché est spéculatif (ventes de terrains nus, délais<br />

courts), <strong>et</strong> a stimulé un investissement en <strong>du</strong>r. Si <strong>les</strong> propriétaires<br />

régularisent <strong>les</strong> changements avec r<strong>et</strong>ard, c’est <strong>dans</strong> l’intention<br />

d’obtenir le permis d’occuper qui sanctionne <strong>et</strong> indivi<strong>du</strong>alise la mise<br />

en valeur. Ces pratiques inversent donc <strong>les</strong> procé<strong>du</strong>res adminis-<br />

tratives requises : la vente précède la valorisation, alors qu’elle ne<br />

peut en principe que la suivre. C’est pourtant ce contournement<br />

des normes qui perm<strong>et</strong> aux propriétaires d’être reconnus officiel-<br />

lement comme tels. <strong>La</strong> multiplication des démarches administrati-<br />

ves (permis d’occuper en nombre croissant, mutations finalement<br />

taxées) passe donc (< paradoxalement )) par le cumul d’irrégulari-<br />

tés : marché administratif stimulant le marché spéculatif, ventes<br />

sous-évaluées pour diminuer la pression fiscale municipale.<br />

D’autres transferts montrent tantôt des citadins aux compor-<br />

tements inflationnistes, tantôt des chefs de famille pressés par le<br />

besoin de liquidités financières. En 1973, un chef de quartier est<br />

dispensé <strong>du</strong> paiement de son lot par le commandant de cercle <strong>et</strong><br />

le vend en 1980 à un commerçant de Bougouni (300 O00 FM) ; un<br />

deuxième en hérite pour 550 O00 FM l’année suivante ; puis le ter-<br />

rain est finalement transféré à 1 O00 O00 FM à un troisième en<br />

1983. Mutations rapprochées, spéculateurs rodés, hausse des prix,<br />

tout cela contraste avec la situation inverse : en 1983, un gendarme<br />

vend sa concession (650 O00 FM) à un douanier, lequel s’en débar-<br />

rasse ensuite à 325 O00 FCFA auprès d’un cultivateur. Sans doute<br />

l’urgence d’une mutation professionnelle explique-t-elle c<strong>et</strong>te seconde<br />

transaction au même prix. Enfin, l’histoire d’un dernier lot asso-


208 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Cie une démarche de liquidation précipitée (un employé résidant<br />

à Abidjan vend sa parcelle à un commerçant bougounien, pour<br />

payer <strong>les</strong> frais de scolarisation de ses enfants <strong>dans</strong> des éco<strong>les</strong> pri-<br />

vées ; puis l’ach<strong>et</strong>eur devient lui-même vendeur à perte la même<br />

année), <strong>et</strong> une entreprise spéculative (le commerçant possède plu-<br />

sieurs autres lots, qu’il a ach<strong>et</strong>és en même temps <strong>et</strong> plus cher <strong>dans</strong><br />

le même quartier).<br />

Dans ces différentes séquences d’appropriation, <strong>les</strong> citadins<br />

déforment donc plus souvent <strong>les</strong> normes techniques qu’ils <strong>les</strong> négli-<br />

gent. Comme le marché administratif d’attribution, le segment des<br />

transactions privées ne peut se comprendre en dehors des besoins<br />

konomiques <strong>et</strong> sociaux des citadins. Le bilan de tous ces attribu-<br />

taires, de ces vendeurs <strong>et</strong> ach<strong>et</strong>eurs, montre finalement un trans-<br />

fert progressif de propriété des plus bas revenus vers des acteurs<br />

plus aisés. Les transactions privées prolongent l’eff<strong>et</strong> de sélection<br />

des choix municipaux.<br />

2. Les vendeurs : souvent éloignés de leurs terrains<br />

Comparées à cel<strong>les</strong> de tous <strong>les</strong> attributaires initiaux, <strong>les</strong> activi-<br />

tés des vendeurs montrent d’importants écarts. A Koutiala notam-<br />

ment, le salariat a gagné 15 points, alors que <strong>les</strong> indépendants ont<br />

régressé <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes proportions. Peu vendeurs, <strong>les</strong> commer-<br />

çants ont particulièrement chuté (- 8 points). Ce clivage général<br />

s’explique par la mobilité des salariés. Les fonctionnaires mutés<br />

<strong>dans</strong> d’autres localités maliennes revendent fréquemment un ter-<br />

rain qu’ils n’ont eu pas le temps de valoriser ou une maison cons-<br />

truite, pour financer ailleurs leur cour familiale. Quant aux ven-<br />

tes des indépendants, leur faib<strong>les</strong>se découle d’une plus grande sta-<br />

bilité géographique <strong>dans</strong> le chef-lieu minyanka.<br />

Au contraire, l’échantillon de Sikasso est fortement lié à la con-<br />

joncture politique de 1975, pendant laquelle <strong>les</strong> lots de Ouayéréma-<br />

Zone furent attribués. Les deux tiers des vendeurs y avaient acquis<br />

leur parcelle en revenant de l’étranger, notamment de Bobo-<br />

Dioulasso. Ces réfugiés <strong>du</strong> conflit frontalier avec la Haute-Volta<br />

ont conservé leurs activités à leur r<strong>et</strong>our au <strong>Mali</strong>. Les commer-<br />

çants, <strong>les</strong> chauffeurs <strong>et</strong> <strong>les</strong> artisans représentent ainsi 70 Yo de ces<br />

vendeurs.<br />

<strong>La</strong> plupart des transferts s’expliquent donc par l’absentéisme<br />

des propriétaires, que ceux-ci soient éloignés des lots par contraintes<br />

professionnel<strong>les</strong> (salariés) ou qu’ils se soient expatriés de plein gré


Cultivateurs<br />

P<strong>et</strong>its services<br />

Artisans<br />

Chauffeurs<br />

Commerçants<br />

Fonctionnaires<br />

ÉVOLUTION DE LA PROPRIÉTÉ A OUAYÉRÉMA - ZONE, SIKASSO<br />

ACTIVITÉS DES CONCESSIONNAIRES<br />

concession ayant changé de<br />

propriétaire de 1975 a 1987<br />

1975 (attributions municipa<strong>les</strong>) 1987 (enquêtes)


q Sikasso<br />

q Autres localités <strong>du</strong> <strong>Mali</strong><br />

q C&e d’ivoire<br />

q Haute-Volta / Burkina Faso<br />

- 15m r<br />

ORIGINE DES CONCESSIONNAIRES<br />

r<br />

q concession ayant changé de<br />

propriétaire de 1975 à 1987<br />

r r


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 21 1<br />

(indépendants). Les motifs des transactions n’en sont pas moins<br />

divers : financer une migration économique ou l’achat d’un nou-<br />

veau lot au <strong>Mali</strong>, brader un terrain en hâte ou spéculer sur le gon-<br />

flement de la demande citadine.<br />

3. Les ach<strong>et</strong>eurs : sélectionnés par l’argent<br />

Fait marquant, <strong>les</strong> citadins résidant sur place ont partout pro-<br />

gressé, des origines des vendeurs à cel<strong>les</strong> des ach<strong>et</strong>eurs (+ 6 points<br />

à Bougouni, + 21 points à Koutiala). A Sikasso ils ont de même<br />

profité <strong>du</strong> r<strong>et</strong>rait des réfugiés internationaux <strong>dans</strong> l’échantillon de<br />

Ouayéréma-Zone (+ 43 Yo). Ils ont aujourd’hui acquis plus de lots<br />

en transferts privés qu’ils en ont eux-mêmes ven<strong>du</strong>s. A l’inverse,<br />

un rapatrié sur cinq de la Haute-Volta a reven<strong>du</strong> son lot sikas-<br />

sois acquis en 1975, <strong>et</strong> toujours à un citadin présent sur place.<br />

Dans tous <strong>les</strong> <strong>marchés</strong> méridionaux, <strong>les</strong> ventes privées annoncent<br />

ou prolongent donc le resserrement géographique que <strong>les</strong> attribu-<br />

tions municipa<strong>les</strong> entérineront <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980.<br />

Le tri économique <strong>du</strong> marché administratif est également con-<br />

firmé. Les ventes sélectionnent la bourgeoisie de


212 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

poids de la vente à l’achat. Les douaniers <strong>et</strong> gendarmes sont pas-<br />

sés de 11 à 26 %, <strong>et</strong> sont devenus <strong>les</strong> plus nombreux <strong>du</strong> marché<br />

privé, à la faveur de revenus parallè<strong>les</strong> à leurs salaires; A Sikasso,<br />

<strong>les</strong>


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 213<br />

taires, pour


214 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

la ville une masse salariale importante, dont une partie est redis-<br />

tribuée sous la forme de loyers des travailleurs in<strong>du</strong>striels. Les<br />

entrepreneurs ont d’ailleurs construit au prix de nombreux cumuls<br />

fonciers <strong>et</strong> d’entorses au zonage urbain des techniciens ; la zone<br />

d’activité <strong>et</strong> de garages de Koulikoro, contiguë à la gare routière,<br />

est ainsi devenue, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970, un lotissement résidentiel<br />

sous la pression des commerçants. Leurs revenus locatifs offrent<br />

des solutions de repli à faible risque depuis que <strong>les</strong> activités mar-<br />

chandes régressent (aléas <strong>du</strong> trafic avec le Nigeria <strong>et</strong> le Togo, via<br />

Bobo-Dioulasso, consommation exsangue des salariés paupérisés).<br />

Ces réalisations spéculatives n’excluent pas pour autant d’autres<br />

motivations socia<strong>les</strong>, qui planifient la valorisation des patrimoi-<br />

nes fonciers à long terme, au service d’une repro<strong>du</strong>ction familiale<br />

élargie en ville. Des parcel<strong>les</strong> ne sont louées que provisoirement,<br />

en attendant la décongestion d’une cour-mère densifiée. Des com-<br />

merçants, des notab<strong>les</strong>, des salariés natifs de la ville préparent pen-<br />

dant toute leur carrière l’installation de leurs fils <strong>dans</strong> des lots sépa-<br />

rés, <strong>et</strong> espèrent ainsi éviter <strong>les</strong> tensions entre héritiers au moment<br />

<strong>du</strong> partage des biens fonciers. Ils associent à leurs démarches admi-<br />

nistratives des enfants mineurs, élèves d’éco<strong>les</strong> coraniques, appren-<br />

tis, dont <strong>les</strong> noms sur <strong>les</strong> permis d’occuper <strong>les</strong> font apparaître<br />

comme prête-noms, camouflant le cumul de lots <strong>et</strong> de rentes, <strong>et</strong><br />

comme


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 215<br />

propriété locative entérine à nouveau la longue <strong>du</strong>rée de résidence,<br />

qui fonde la dynamique de c<strong>et</strong>te ligne de partage social.<br />

3. Trois rentes locatives inéga<strong>les</strong><br />

Les <strong>marchés</strong> locatifs sikassois <strong>et</strong> koutialais présentent enfin des<br />

rapports économiques variab<strong>les</strong>. Modeste, la rente familiale ne cor-<br />

respond qu’à un loyer de survie. Au mieux il contribuera, mais<br />

à long terme, à financer l’implantation de différentes générations<br />

<strong>dans</strong> plusieurs quartiers de la ville (décongestion, préparation d’une<br />

r<strong>et</strong>raite). Le revenu de complément ne tire pas non plus de réels<br />

bénéfices des frais de construction. Souvent même, la maison est<br />

bâtie depuis longtemps ; l’entr<strong>et</strong>ien <strong>et</strong> <strong>les</strong> réparations soulèvent des<br />

conflits avec <strong>les</strong> locataires. Ce deuxième type concerne la majo-<br />

rité des cours imposées.<br />

Enfin, la rente spéculative caractérise une p<strong>et</strong>ite élite de pro-<br />

priétaires qui cumulent souvent <strong>les</strong> locations de plusieurs cours<br />

construites en <strong>du</strong>r par <strong>les</strong> rares tâcherons de la ville, <strong>et</strong> concen-<br />

trées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers de Koulikoro (face aux usines koutialai-<br />

ses) <strong>et</strong> de Ouayéréma (Sikasso). Certains commerçants trouvent dif-<br />

ficilement des locataires solvab<strong>les</strong> à ce prix, car l’électrification,<br />

la présence d’un groupe électrogène ou d’une ad<strong>du</strong>ction d’eau font<br />

monter <strong>les</strong> loyers mensuels des villas à plus de 50 O00 FCFA. Ils<br />

cherchent alors des clients parmi <strong>les</strong> cadres de la CMDT qui béné-<br />

ficient d’indemnités de logement, ou parmi <strong>les</strong> services adminis-<br />

tratifs locaux qui installent leur direction technique. Les quelques<br />

villas de Bougouni sont ainsi occupées par la Banque nationale<br />

de développement agricole, 1’ONG Helvétas (forages), la Direction<br />

de la recherche sur <strong>les</strong> systèmes de pro<strong>du</strong>ction ruraux. Ici, la rente<br />

locative est étroitement liée aux garanties bancaires <strong>du</strong> capital com-<br />

mercial, au même titre qu’une boutique immatriculée <strong>du</strong> centre-<br />

ville. Elle constitue l’un des maillons de la chaîne d’investissements<br />

qui diversifient l’activité principale des entrepreneurs africains (6).<br />

Ces différentes rentes se hiérarchisent n<strong>et</strong>tement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mon-<br />

tants moyens d’imposition calculés par groupes de contribuab<strong>les</strong>.<br />

<strong>La</strong> situation géographique <strong>du</strong> propriétaire détermine d’abord<br />

d’importantes nuances entre <strong>les</strong> prélèvements fiscaux, en particu-<br />

(6) De même à Maradi, à partir de 1971, <strong>les</strong> commerçants louent à plus de<br />

100 O00 FCFA, aux agents de 1’Etat ou au personnel expatrié des entreprises urbai-<br />

nes, des villas qui (( constituent un des principaux modes de réalisation de I’accumu-<br />

lation <strong>et</strong> sont une source de revenus réguliers D. C<strong>et</strong> affairisme découle, au Niger<br />

comme au <strong>Mali</strong>, <strong>du</strong> fait que (( l’investissement in<strong>du</strong>striel est jugé par la plupart des<br />

Alhazai comme aléatoire <strong>et</strong> peu rentable n (Grégoire, 1986, pp. 145-182).


CONTRIBUABLES DE L’IMPôT FONCIER SUR LES REVENUS LOCATIFS :<br />

MOYENNES D’IMPOSITION PAR ORIGINES ET PAR ACTIVITÉS<br />

FCFA import-export 4<br />

h<br />

SikaSSQ<br />

o<br />

QriaineS<br />

Activitég<br />

cn<br />

w<br />

Kouliala


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 217<br />

lier pour certains propriétaires absentéistes. A Sikasso, alors que<br />

l’ensemble des propriétaires recourant à un représentant pour cause<br />

d’éloignement sont imposés d’en moyenne 33 282 FCFA, <strong>les</strong><br />

moyennes montent à 45 490 FCFA pour <strong>les</strong> propriétaires installés<br />

en Côte d’Ivoire <strong>et</strong> à 98 347 FCFA pour ceux installés à Bamako.<br />

De même, <strong>les</strong> cours koutialaises de


218 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Les fonctionnaires n’échappent pas non plus à de tels contras-<br />

tes : aux directions techniques correspond un loyer mensuel de type<br />

complémentaire, entre 15 <strong>et</strong> 22 O00 FCFA (imposition moyenne de<br />

32 302 FCFA), alors que <strong>les</strong> douaniers disposent d’une rente spé-<br />

culative entre 51 <strong>et</strong> 76 O00 FCFA (imposition de 109 281 FCFA).<br />

Ces eff<strong>et</strong>s de stratification se r<strong>et</strong>rouvent à Koutiala, avec des<br />

écarts moins marqués entre <strong>les</strong> extrêmes : <strong>les</strong> commerçants sont<br />

plus imposab<strong>les</strong> que <strong>les</strong> fonctionnaires ; chez <strong>les</strong> indépendants, <strong>les</strong><br />

plus bas revenus ne tirent qu’une médiocre rente locative de leurs<br />

patrimoines, alors que <strong>les</strong> plus hauts revenus parviennent à tou-<br />

cher I’équivalent d’un salaire moyen. Le contraste entre simp<strong>les</strong><br />

forains <strong>et</strong> commerçants-transporteurs montre surtout la diversité<br />

de l’accumulation marchande :<br />

~~<br />

~~<br />

Indépendants/FCFA<br />

Marchands spécialisés-forains<br />

Commerçants-boutiquiers<br />

Nombres Imposition moyenne<br />

d’imposab<strong>les</strong><br />

1 1 Cultivateurs 21 100<br />

l5<br />

(loyers de 10 à 15 000)<br />

19 22 086<br />

(loyers de 10 à 15 OOO)<br />

22 57 034<br />

(loyers de 26 à 40 OOO)<br />

I Commerçants-transporteurs 75 179<br />

l3<br />

(loyers de 35 à 52 000)<br />

Les douaniers se placent à nouveau en tête des salariés, avec<br />

des revenus locatifs voisins (de 31 à 46 O00 FCFA) de ceux des<br />

élites indépendantes. Ces loyers révèlent donc une gamme diffé-<br />

renciée de stratégies économiques <strong>et</strong> de compléments de ressour-<br />

ces, en rapport avec la distribution générale des groupes d’activités.<br />

RENTE OU PATRIMOINE, UN CLIVAGE TOUJOURS PERTINENT<br />

ENTRE LES VALEURS DU SOL ?<br />

Malgré <strong>les</strong> limites des sources municipa<strong>les</strong>, <strong>les</strong> acteurs des mar-<br />

chés résidentiels soulignent la dynamique de stratification écono-<br />

mique que connaissent <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>. Plus que d’un partage<br />

tranché entre des valorisations rentières <strong>et</strong> des réflexes patrimo-


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 219<br />

niaux, <strong>les</strong> processus en cours <strong>dans</strong> <strong>les</strong> communes méridiona<strong>les</strong> relè-<br />

vent d’une véritable transition <strong>foncière</strong> : se développent, s’imbri-<br />

quent, des usages spéculatifs <strong>du</strong> sol <strong>et</strong> une fonction régulatrice de<br />

la terre.<br />

Plusieurs séquences des <strong>marchés</strong> administratifs <strong>et</strong> privés mon-<br />

trent en eff<strong>et</strong> <strong>les</strong> sélections socia<strong>les</strong> en œuvre. Des viabilisations<br />

techniques, <strong>du</strong> gonflement <strong>du</strong> marché locatif <strong>et</strong> de la pression fon-<br />

cière, émerge une élite de cumulards, dont <strong>les</strong> caractères rappel-<br />

lent ceux des détenteurs de titres immatriculés. Leurs investisse-<br />

ments, monétaires à défaut d’être pro<strong>du</strong>ctifs, se distribuent sur plu-<br />

sieurs localités, plusieurs lots en ville, sur différentes valorisations<br />

<strong>du</strong> sol, sur des segments juridiques inégalement reconnus. Ils inter-<br />

viennent directement, sous le couvert de prête-noms, ou pour le<br />

compte d’autres personnes. Ils sont présents tant aux étapes admi-<br />

nistratives <strong>du</strong> morcellement foncier que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mutations privées.<br />

Un exemple koutialais illustre c<strong>et</strong>te appropriation multiforme,<br />

résidentielle, commerciale <strong>et</strong> agricole. Georges est le chef d’une<br />

famille d’origine libanaise, installée au <strong>Mali</strong> depuis trois généra-<br />

tions. Ses activités de commerçant-transporteur-entrepreneur, natu-<br />

ralisé malien depuis l’indépendance, l’ont con<strong>du</strong>it à acquérir une<br />

demi-douzaine de terrains à Koutiala. L’un, dont <strong>les</strong> boutiques sont<br />

louées à des commerçants locaux, est situé aux abords <strong>du</strong> marché<br />

central ; un second abrite un grand garage à l’entrée de la ville,<br />

face à l’usine de HUICOMA. D’autres ont permis à la famille de<br />

se décongestionner <strong>dans</strong> plusieurs villas aménagées en <strong>du</strong>r. Ils<br />

garantissent le crédit bancaire qui alimente la diversification des<br />

activités commercia<strong>les</strong> de Georges, <strong>et</strong> prélèvent de confortab<strong>les</strong><br />

loyers sur des cadres de la CMDT <strong>dans</strong> le quartier de Koulikoro.<br />

Enfin, l’un des fils de Georges inaugure, en 1987, une boîte de<br />

nuit sur une parcelle périphérique qui concurrence <strong>les</strong> autres lieux<br />

d’animation nocturne de la ville. Ce patrimoine apparaît <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

sources écrites dès l’indépendance, mais <strong>les</strong> démarches d’acquisi-<br />

tion se multiplient <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980. El<strong>les</strong> combinent des ter-<br />

rains de statuts différents sur plusieurs <strong>marchés</strong> (7).<br />

(7) Achats privés d’un lot à Koulikoro auprès d’un commerçant en 1981, <strong>et</strong> d’un<br />

lot à Médina Coura à un commandant de cercle en 1983 ; permis d’occuper munici-<br />

paux obtenus sur un lot de Koko en 1982, sur 4 lots de Koulikoro (garage) en 1983,<br />

<strong>et</strong> sur 2 lots de Dar Salam inscrits au nom d’un fils, commerçant à Koutiala, en<br />

1984 ; taxes d’édilité enregistrées de 1985 à 1987 sur un lot à 50 O00 FCFA acquis<br />

à Koko-Extension-Est, <strong>et</strong> un lot à 15 O00 FCFA <strong>dans</strong> le raccord officieux de Kouli-<br />

kor0 ; concession rurale de plus de 4 hectares ; titres fonciers sur 4 concessions urbaines<br />

bâties avec permis d’occuper, <strong>et</strong> sur le terrain agricole dont <strong>les</strong> redevances domania-<br />

<strong>les</strong> ont été définitivement acquittées en 1987. Dans <strong>les</strong> rô<strong>les</strong> de l’impôt sur <strong>les</strong> reve-<br />

nus locatifs, Georges apparaît à deux reprises avec des montants imposab<strong>les</strong> de 34 O00<br />

<strong>et</strong> 117 375 FCFA.


EMPRISE FONCIÈRE DES VERGERS PÉRI-URBAINS,<br />

COMMUNE DE KOUTIALA<br />

- marigot<br />

- route<br />

- - - limite de I'urbanisation<br />

/TJ verger, plantation fruitiere<br />

Source : photographie aérienne 1976 MAL-41<br />

250 m .


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 22 1<br />

D’autres liens apparaissent entre <strong>les</strong> segments des concessions<br />

urbaines <strong>et</strong> rura<strong>les</strong>. <strong>La</strong> même élite <strong>foncière</strong>, anciennement instal-<br />

lée en ville, a investi <strong>dans</strong> <strong>les</strong> terrains de culture péri-urbains. Le<br />

périmètre communal de Koutiala souligne l’emprise des vergers de<br />

manguiers <strong>et</strong> d’agrumes plantés depuis la fin des années 1950.<br />

Cependant, un quart seulement des propriétaires de 89 plantations<br />

sont cultivateurs ou planteurs. Le verger est bien un lieu d’élar-<br />

gissement <strong>du</strong> patrimoine de citadins employés surtout <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sec-<br />

teurs économiques tertiaires ou secondaires. Souvent de médiocre<br />

rapport financier, il consolide le prestige social de son propriétaire.<br />

De même, adhérer à la coopérative des planteurs (qui est domi-<br />

née par des fonctionnaires r<strong>et</strong>raités) confère davantage une cer-<br />

taine notabilité urbaine que l’opportunité d’organiser <strong>les</strong> débou-<br />

chés commerciaux <strong>du</strong> marché fruitier.<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>les</strong> titulaires de ces concessions sont en majorité r<strong>et</strong>rai-<br />

tés <strong>et</strong> originaires des communes ; tous sont propriétaires de leur<br />

résidence en ville. Deux corporations viennent en tête : <strong>les</strong> infir-<br />

miers <strong>et</strong> médecins locaux (16 Oro) ont d’abord fourni un grand nom-<br />

bre de cadres politiques à la première décennie d’indépendance,<br />

notamment à Koutiala, après avoir été <strong>les</strong>


222 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

tion publique, bénéficiant de prêts immobiliers, commerçants<br />

locaux. Les prêts en capital <strong>et</strong> intérêts qui leur étaient consentis<br />

variaient de 540 O00 à 15 332 O00 FM. Mais depuis la création cle<br />

la commune en 1982, le maire de Bougouni n’a enregistré aucune<br />

demande de mise en gage. L’activité commerciale manque de souf-<br />

fle ; la BDM a cessé ses opérations financières depuis 1986 ; la<br />

Banque nationale de développement. agricole, seule autre agence<br />

implantée <strong>dans</strong> la commune, en liaison avec la CMDT, ne con-<br />

sent de prêts en principe qu’aux cultivateurs.<br />

Les agences loca<strong>les</strong> de Sikasso <strong>et</strong> de Koutiala enregistrent une<br />

demande plus importante, à la mesure de leurs activités économi-<br />

ques. Mais seuls des commerçants y m<strong>et</strong>tent en gage des valeurs<br />

<strong>foncière</strong>s, immatriculées ou non. Certes, leurs affaires ont régressé<br />

<strong>dans</strong> la conjoncture médiocre des années 1980 ; ils remboursent<br />

mal le crédit bancaire <strong>et</strong> maintiennent des pans non rentab<strong>les</strong> de<br />

leurs activités ; leurs comptabilités sommaires


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 223<br />

communes depuis 1988 ; <strong>les</strong> agences de trois nouvel<strong>les</strong> banques pri-<br />

vées se partagent à Sikasso <strong>et</strong> Koutiala le marché laissé vacant par<br />

la BDM. I1 s’agit donc de ne pas décourager l’intérêt encore timide<br />

de commerçants, jugés G traditionnellement méfiants n, pour l’acti-<br />

vité bancaire, le prêt garanti <strong>et</strong> des comptabilités plus rigoureuses.<br />

bujourd’hui, <strong>les</strong> crédits couvrent surtout des avances ponctuel-<br />

<strong>les</strong>, que le négociant a tendance à faire traîner. El<strong>les</strong> camouflent<br />

parfois un découvert permanent, autorisé de fait avec un taux<br />

d’intérêt de 13,5 070. Comme il est devenu difficile de trouver un<br />

ach<strong>et</strong>eur pour une villa construite en <strong>du</strong>r à plusieurs millions de<br />

FCFA, on préfère la louer à perte, la (< conserver pour <strong>les</strong><br />

enfants D, <strong>et</strong> lui faire garantir <strong>les</strong> opérations bancaires. Les agen-<br />

ces sont ainsi plus tolérantes avec l’élite <strong>foncière</strong> des commerçants-<br />

transporteurs qu’avec <strong>les</strong> autres citadins.<br />

Ceux-ci ne peuvent attendre des banques que de rares prêts à<br />

la construction immobilière. Pour cela, <strong>les</strong> salariés qui disposent<br />

d’un compte bancaire local doivent transm<strong>et</strong>tre leur dossier à<br />

Bamako, mais très peu sont satisfaits. Pour payer une taxe d’édi-<br />

lité ou achever une maison, le fonctionnaire moyen tente alors de<br />

se faire accorder un


224 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

nomiques. L’évolution des besoins familiaux, des micro-pressions<br />

démographiques peut également modifier un proj<strong>et</strong> de vente ou<br />

suspendre une rente locative en prévision d’une décongestion rési-<br />

dentielle. Enfin, des solvabilités politiques (lignage influent, mili-<br />

tant reconnu, intellectuel respecté) se greffent sur <strong>les</strong> sélections fon-<br />

cières, soulignant ou brouillant <strong>les</strong> cartes des solvabilités financiè-<br />

res. Ces facteurs imbriqués contribuent à définir <strong>les</strong>


VALORISATIONS DU SOL URBAIN 225<br />

rattrapent sur d’autres terrains (raccords périphériques de Koutiala,<br />

lots échappant aux viabilisations coûteuses à Sikasso). Des solu-<br />

tions officieuses de replis se greffent sur <strong>les</strong> normes officiel<strong>les</strong> d’alié-<br />

nation, obligeant à adm<strong>et</strong>tre l’existence de processus contradictoi-<br />

res <strong>dans</strong> l’organisation des <strong>marchés</strong> urbains.<br />

Enfin, le domaine éminent de 1’État continue de définir <strong>les</strong><br />

règ<strong>les</strong> d’attribution <strong>foncière</strong> municipale sous la troisième Républi-<br />

que malienne. Poser la <strong>question</strong> des relations entre <strong>les</strong> acteurs des<br />

<strong>marchés</strong> locaux <strong>et</strong> la somme de rapports administratifs <strong>et</strong> politi-<br />

ques que constituent I’État <strong>et</strong> ses représentants régionaux n’est pas<br />

un problème superflu, à l’heure où la transition démocratique<br />


TROISIÈME PARTIE<br />

CONFLITS FONCIERS<br />

ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES


Les tensions familia<strong>les</strong> <strong>et</strong> économiques nées des <strong>marchés</strong> fon-<br />

ciers débouchent souvent sur des conflits de personnes ou de grom-<br />

pes. Des terrains de culture, des cours d’habitation en sont à la<br />

fois l’enjeu <strong>et</strong> le prétexte. De tel<strong>les</strong> confrontations sont tantôt laten-<br />

tes, en filigrane <strong>dans</strong> la vie sociale locale, tantôt ouvertement expri-<br />

mées sur <strong>les</strong> scènes municipa<strong>les</strong>. Leur analyse s’appuie ici sur des<br />

récits recueillis oralement <strong>et</strong> sur des litiges transcrits en procès-<br />

verbaux, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels la limite entre <strong>les</strong> recours privés <strong>et</strong> publics<br />

est rarement claire. Mais entre <strong>les</strong> lignes de ces a affaires B, tou-<br />

jours très personnalisées, émerge une véritable anthropologie<br />

urbaine <strong>du</strong> rapport à la terre. Les fondements concr<strong>et</strong>s de survie<br />

<strong>et</strong> de repro<strong>du</strong>ction sociale apparaissent, sans que le niveau d’appré-<br />

hension, local, ne <strong>les</strong> rende captifs d’espaces clos. C’est donc à<br />

une réflexion ouverte que se rattache c<strong>et</strong>te lecture de conflits, <strong>dans</strong><br />

ce lien à l’espace qui nous con<strong>du</strong>it, au cœur <strong>du</strong> politique, à une<br />

autorité locale, puis à la <strong>question</strong> de 1’État à laquelle c<strong>et</strong>te der-<br />

nière renvoie.<br />

Ce


7<br />

Confrontations <strong>et</strong> arbitrages<br />

entre particuliers<br />

Les conflits des citadins m<strong>et</strong>tent en scène des formes d’appro-<br />

priation plus touffues que <strong>les</strong> catégories de la législation doma-<br />

niale. Ce corpus de 58 exemp<strong>les</strong> concerne des terrains urbains ou<br />

péri-urbains, sikassois <strong>et</strong> koutialais, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980 (1).<br />

Cependant, ce foisonnement de réactions pragmatiques révèle des<br />

légitimités socia<strong>les</strong> évolutives <strong>et</strong> différenciées, qui ne sont pas sans<br />

intérêt pour la problématique d’une transition démocratique.<br />

DES CONFLITS QUI DÉPASSENT<br />

LES CLASSIFICATIONS JURIDIQUES<br />

Les cas étudiés intéressent tous <strong>les</strong> types d’occupation <strong>foncière</strong> :<br />

concessions résidentiel<strong>les</strong> (54 Yo, en majorité construites mais sans<br />

permis d’occuper), sonsorobuguw (19 Yo), terrains de culture ou<br />

de pacage ne disposant pas d’une reconnaissance écrite (16 Yo), ter-<br />

rains publics supportant des bâtiments communaux, terrains à bail<br />

commercial ou in<strong>du</strong>striel, lotissements périphériques <strong>et</strong> anciens quar-<br />

tiers, titres immatriculés au livre foncier. Sans coller à une distri-<br />

bution <strong>foncière</strong> rigoureuse, <strong>les</strong> contestations portent surtout sur des<br />

espaces destinés à l’habitation.<br />

(1) Recherches <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers, enquêtes de police, arbitrages des commissions<br />

domania<strong>les</strong> municipa<strong>les</strong>, auditions de parties <strong>et</strong> témoins <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours de justice.<br />

J’interviens <strong>dans</strong> <strong>les</strong> citations à l’aide de parenthèses en italique. L’importance des<br />

sources communa<strong>les</strong> explique que Bougouni ne soit pas intégré à ces exemp<strong>les</strong> : la<br />

commission domaniale de la plus jeune commune n’est guère opérante ; aucun procès-<br />

verbal ne fait état de la pratique administrative, qui reste très personnalisée.


230 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

1. Droits revendiqués ou disputés<br />

Dans c<strong>et</strong>te classification la plus simple, <strong>les</strong> motifs de plainte<br />

apparaissent clairement :<br />

Types de conflits 1 Total<br />

Entre particuliers :<br />

1. terrains de culture revendiqués<br />

par plusieurs usagers<br />

2. problèmes de voisinage <strong>et</strong> de<br />

mitoyenn<strong>et</strong>é<br />

3. droits sur une cour contestés<br />

4. revendications sur des espaces<br />

internes <strong>et</strong> des bâtiments<br />

5. problèmes d’héritage<br />

6. mitoyenn<strong>et</strong>é/droits sur un lot<br />

Impliquant la gestion municipale :<br />

7. problè.mes entre le maire <strong>et</strong> ses<br />

administrés<br />

8. constructions illicites<br />

9. tensions domania<strong>les</strong> internes au<br />

conseil municipal<br />

Total<br />

38<br />

9<br />

6<br />

10<br />

4<br />

8<br />

1<br />

20<br />

8<br />

7<br />

5<br />

58<br />

Sikasso<br />

28<br />

6<br />

5<br />

8<br />

3<br />

5<br />

1<br />

13<br />

6<br />

7<br />

O<br />

41<br />

Koutiala<br />

Avec 40 070 des conflits, <strong>les</strong> contestations de droits sur des cours<br />

ou des portions de cours, héritées ou acquises par d’autres voies<br />

(types 3 à 7), regroupent la plupart des protagonistes. El<strong>les</strong> souli-<br />

gnent l’obsession des <strong>du</strong>tigiw à rendre légitime leur principal patri-<br />

moine, <strong>et</strong> surtout à en garantir la transmission familiale. <strong>La</strong> mai-<br />

rie <strong>et</strong> ses agents interviennent pour une part également importante<br />

(environ un exemple sur trois). Ces tiraillements municipaux ren-<br />

voient au difficile respect local des normes techniques <strong>et</strong> adminis-<br />

tratives nationa<strong>les</strong>.<br />

10<br />

3<br />

1<br />

2<br />

1<br />

3<br />

O<br />

7<br />

2<br />

O<br />

5<br />

17


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 23 1<br />

Enfin, si <strong>les</strong> conflits ont parfois des distributions semblab<strong>les</strong><br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> deux vil<strong>les</strong>, Koutiala concentre <strong>les</strong> problèmes internes à<br />

l’équipe municipale, alors que <strong>les</strong> constructions illicites n’apparais-<br />

sent qu’à Sikasso. Les tensions des deux localités sont donc réel-<br />

lement nuancées : la capitale régionale est marquée par des tran-<br />

sactions privées en marge des règ<strong>les</strong> administratives ; au contraire,<br />

le chef-lieu <strong>du</strong> pays minyanka se crispe sur la confrontation poli-<br />

tique de deux clans municipaux, particularités dont <strong>les</strong> ressorts<br />

seront détaillés ensuite.<br />

L’urbanisation accélkrée des communes méridiona<strong>les</strong> n a guère<br />

éliminé, au contraire, <strong>les</strong> contestations de droit d’usage portant<br />

sur des terrains agraires qui font l’obj<strong>et</strong> de prêts <strong>et</strong> de cessions<br />

ora<strong>les</strong>. N’ayant souvent concédé qu’un droit temporaire d’exploi-<br />

tation, l’occupant le plus ancien de la parcelle s’oppose à un<br />

a étranger )) ou nouveau venu <strong>dans</strong> le terroir. Le désaccord appa-<br />

raît lorsque ce dernier, ou son descendant, prétend jouir définiti-<br />

vement <strong>du</strong> champ, en y plantant des arbres ou en en concédant<br />

à son tour le bénéfice à un tiers. Les origines <strong>du</strong> droit d’usage<br />

se diluent <strong>dans</strong> la mémoire des héritiers ; la commercialisation des<br />

récoltes bouleverse des pratiques qualifiées, non sans ambiguïté,<br />

de coutumières.<br />

De tel<strong>les</strong> tensions agrico<strong>les</strong> rendent compte d’une pression fon-<br />

cière croissante <strong>dans</strong> <strong>les</strong> terroirs ruraux proches des périmètres com-<br />

munaux. <strong>La</strong> surexploitation des sols contracte <strong>les</strong> surfaces dispo-<br />

nib<strong>les</strong> à des distances acceptab<strong>les</strong>. L’essor démographique, la stra-<br />

tification de la population citadine en immigrés plus ou moins<br />

anciens, le maintien d’une pro<strong>du</strong>ction agricole source de revenus,<br />

ou base d’épargne pour <strong>les</strong> budg<strong>et</strong>s ménagers, tout cela multiplie<br />

<strong>les</strong> contestations de droits anciens qui se sont superposés au fil<br />

des générations. A ces héritages s’ajoutent des prétentions nou-<br />

vel<strong>les</strong>, Dans un cas, la vente d’une portion de verger con<strong>du</strong>it des<br />

fils à contester l’autoritk paternelle. Ailleurs, l’activité agricole se<br />

prolonge en ville même où des portions de places publiques défi-<br />

nissent de nouveaux droits temporaires de culture : deux voisins<br />

demandent l’arbitrage <strong>du</strong> maire pour exploiter un terrain resté nu<br />

derrière leurs concessions. ), estime un conseiller<br />

municipal pragmatique en faveur de la plaignante.<br />

Au contraire, <strong>les</strong> problèmes de voisinage <strong>et</strong> de mitoyenn<strong>et</strong>é<br />

caractérisent tout particulièrement <strong>les</strong> vieux centre-vil<strong>les</strong> densifiés.<br />

Ils portent sur <strong>les</strong> limites de cours non bornées, ou sommairement<br />

redressées, sur l’écoulement difficile des eaux, qui entraîne inon-<br />

dations <strong>et</strong> effondrements de bâtiments en banco, ou sur des murs


232 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

dégradés qui menacent de s’écrouler. Ils posent le problème des<br />

réhabilitations qui font défaut par manque de moyens financiers.<br />

Très diffuses <strong>dans</strong> la ville, <strong>les</strong> revendications contradictoires sur<br />

une même cour sont ensuite l’une des catégories <strong>les</strong> plus riches<br />

d’interprétations sociologiques. El<strong>les</strong> opposent notamment des mem-<br />

bres d’une même famille ou bien des famil<strong>les</strong> différentes cohabi-<br />

tant <strong>dans</strong> un vieux


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 233<br />

<strong>et</strong> que sont remis en cause <strong>les</strong> moyens utilisés naguère pour limi-<br />

ter la fragmentation des patrimoines fonciers <strong>et</strong> domestiques.<br />

Enfin, des rapports ten<strong>du</strong>s entre certains administrés <strong>et</strong> la mairie<br />

donnent une dimension publique à ces


234 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Mais loin d’être définitivement résolu par ces instances, le con-<br />

flit foncier souligne souvent la crise de leur autorité. Reviennent<br />

alors fréquemment <strong>les</strong> notions d’ingratitude <strong>et</strong> d’irrespect ; une<br />

reconstruction nostalgique <strong>du</strong>


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 235<br />

tiques de valorisation de la terre que bien des administrations<br />

maliennes.<br />

On ne peut pourtant pas <strong>les</strong> assimiler à de simp<strong>les</strong> ) définies d’en haut, car leur fonctionnement varie<br />

sensiblement d’une commune à l’autre. Purement formel à Kou-<br />

tiala, il fut régulier à Sikasso jusque vers 1985, puis s’étiole avec<br />

la montée des tensions politiques municipa<strong>les</strong>. Les querel<strong>les</strong> de per-<br />

sonnes <strong>et</strong> de clans ont paralysé le travail administratif <strong>du</strong> che€-<br />

lieu minyanka, si bien que <strong>les</strong> litiges entre particuliers se réglaient<br />

au coup par coup, au gré de la disponibilité électoraliste <strong>du</strong> maire.<br />

A Sikasso, une sorte de partage des tâches s’est davantage ins-<br />

tauré entre <strong>les</strong> attributions municipa<strong>les</strong> de lots, monopole <strong>du</strong> maire<br />

<strong>et</strong> de l’agent Voyer, <strong>et</strong> <strong>les</strong> conflits fonciers des particuliers, expo-<br />

sés aux conseillers municipaux. Entre eux, ceux-ci ont substitué<br />

au principe d’égalité élective, un protocole hiérarchisé de compé-<br />

tences, régi par leur âge <strong>et</strong> par l’ancienn<strong>et</strong>é de leurs famil<strong>les</strong> <strong>dans</strong><br />

l’histoire de la cité. C<strong>et</strong>te distinction tacite entre <strong>les</strong> p<strong>et</strong>ites affai-<br />

res <strong>et</strong> <strong>les</strong> grandes histoires loca<strong>les</strong> montre à quel point la commis-<br />

sion domaniale s’implique <strong>dans</strong> le tissu social urbain. Le carac-<br />

tère désincarné de la jurisprudence moderne, dénué d’exemplarité<br />

morale, <strong>les</strong> sanctions abstraites ou anonymes, sont contraires à son<br />

éthique.<br />

Justice distante ou a perforée N par <strong>les</strong> rapports sociaux<br />

L’institution judiciaire suppose l’idéal inverse, transmis par la<br />

colonisation française, d’une complète autonomie <strong>du</strong> droit par rap-<br />

port aux compromis religieux <strong>et</strong> sociaux. Mais plus que tout autre<br />

problème, <strong>les</strong> litiges fonciers démentent un tel fonctionnement au<br />

<strong>Mali</strong>. Les tribunaux civils <strong>et</strong> la justice de paix se sont d’ailleurs<br />

déchargés le plus possible, depuis l’indépendance, des (Keita, 1987, p. 45). Les journées notaria<strong>les</strong> de Bamako (novembre 1992)<br />

soulignent c<strong>et</strong>te perplexité face au droit malien de la succession.


236 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

reçues, ou sont assimilées à un problème plus général de succes-<br />

sion, domaine sur lequel <strong>les</strong> juristes hésitent également, à partir<br />

des codes constitués de la famille ou de la dévolution musulmane<br />

des biens.<br />

I1 ne faut donc pas voir la justice des tribunaux comme un<br />

recours exclusif ni ultime, au terme d’un circuit d’arbitrages qui<br />

passerait d’abord par la famille <strong>et</strong> le quartier, puis par la mairie<br />

<strong>et</strong> l’enquête policière. Souvent même, une requête auprès <strong>du</strong> juge<br />

est entamée pour court-circuiter un milieu social trop contraignant.<br />

Ou bien le plaignant, résidant à Bamako, se sent éloigné <strong>du</strong> con-<br />

texte municipal <strong>dans</strong> lequel se situe le terrain pour oser l’affron-<br />

ter directement. Le formalisme des plaidoiries, leur caractère inti-<br />

midant pour des ill<strong>et</strong>trés, la peur de la prison, placent alors le<br />

requérant en position de force vis-à-vis de son adversaire. Les intel-<br />

lectuels n’ont pourtant guère le monopole de ce recours. Les prin-<br />

cipaux protagonistes des tribunaux sont ici des ménagères, des cul-<br />

tivateurs <strong>et</strong> un maçon revenu de la Côte d’Ivoire. Les premières<br />

sollicitent notamment l’application des règ<strong>les</strong> coraniques de trans-<br />

mission des biens, qui <strong>les</strong> placent comme suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> non plus comme<br />

obj<strong>et</strong> des héritages.<br />

Le recours uux fétiches <strong>et</strong> à l’intervention de forces occultes<br />

C<strong>et</strong>te dernière forme d’arbitrage des conflits n’est évoquée de<br />

façon explicite que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> enquêtes. Elle est pourtant présente,<br />

avouée ou non, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> esprits des administrateurs, des magis-<br />

trats, des policiers <strong>et</strong> des techniciens maliens. Elle ne se situe pas<br />

non plus <strong>dans</strong> un déroulement chronologique préconçu. Bien que<br />

le (4) se transforme sensiblement en milieu<br />

urbain, la <strong>question</strong> <strong>foncière</strong>, par ses enjeux sociaux <strong>et</strong> économi-<br />

ques, notamment locatifs, lui offre une clientèle constante.<br />

Plusieurs exemp<strong>les</strong> aux scénarios voisins m<strong>et</strong>tent en scène, <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> vieux


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 237<br />

à expliquer que la sorcellerie ne soit pas d’emblée niée par des<br />

intellectuels (5).<br />

Des citadins des communes méridiona<strong>les</strong> évoquent enfin le cas<br />

des cours hantées, qui résulte de sacrifices non respectés sur le lieu<br />

d’anciens conflits de transmission. El<strong>les</strong> portent malheur aux usa-<br />

gers successifs de la parcelle tant que l’offense d’un droit bafoué<br />

n’a pas été réparée. C<strong>et</strong>te interprétation explique le gel de la cons-<br />

truction sur un nombre non négligeable de parcel<strong>les</strong>, ou bien le<br />

refus de locataires de s’installer <strong>dans</strong> <strong>les</strong> maisons maudites. Quels<br />

que soient <strong>les</strong> fondements, réels ou supposés, de gestions occultes<br />

des problèmes fonciers, il ressort que le maraboutage est vécu<br />

comme un recours, notamment en cas de crise des autorités socia<strong>les</strong><br />

loca<strong>les</strong>.<br />

Plutôt que d’instances spécialisées de règlement des conflits, on<br />

préfère donc parler de modes de confrontation <strong>et</strong> d’arbitrage<br />

urbains, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels justice <strong>et</strong> conciliation ne s’opposent pas. Des<br />

commissions domania<strong>les</strong> ou des cours de justice civile statuent sur<br />

de simp<strong>les</strong> permis d’occuper ou sur des titres fonciers définitifs ;<br />

des interprétations occultes autour de terrains de culture trouvent<br />

leur prolongement en pleine ville. D’autres constantes marquent<br />

mieux le déroulement de ces conflits, l’échange des arguments, la<br />

négociation des solutions, <strong>et</strong> donnent à la <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> son<br />

statut de


238 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Dans un conflit de voisinage, par exemple, une plainte con-<br />

cernant une limite de séparation est adressée 14 ans après le<br />


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 239<br />

testent <strong>les</strong> modalités de la vente <strong>du</strong> titre foncier) que des sœurs,<br />

qui sont dessaisies de leur affaire par un langage qu’el<strong>les</strong> ne maî-<br />

trisent plus. Après une première audition en justice de paix à com-<br />

pétence éten<strong>du</strong>e en décembre 1986, une nouvelle requête auprès<br />

<strong>du</strong> président <strong>du</strong> tribunal civil de Koutiala en janvier 1987, une<br />

audience en mars 1987, au cours de laquelle l’un des avocats<br />

demande au tribunal de se déclarer incompétent, puis une nou-<br />

velle audience en avril, reportée en août 1987, le jugement tombe<br />

enfin à la fin de l’année : il rem<strong>et</strong> en cause l’application impar-<br />

faite <strong>du</strong> jugement de 1983 <strong>et</strong> annule la vente <strong>du</strong> titre foncier. Ce<br />

renversement <strong>du</strong> rapport de force en faveur de l’aînée n’est peut-<br />

être que temporaire, puisqu’il reste aux cad<strong>et</strong>tes la possibilité de<br />

faire à nouveau appel, ou de contourner <strong>les</strong> décisions administra-<br />

tives en r<strong>et</strong>ardant la vente de leurs concessions. L’inapplication ou<br />

l’application négociée des sanctions expliquent ainsi bon nombre<br />

de ces rebondissements.<br />

Les changements de modes d’arbitrage ne sont pas moins fré-<br />

quents. Tout d’abord lorsque le plaignant pense avoir mal estimé<br />

<strong>les</strong> compétences, plus socia<strong>les</strong> que juridiques, de l’autorité vers<br />

laquelle il s’est tourné. En 1987, la commission domaniale de Kou-<br />

tiala hérite d’une


240 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ou moins élargi, ou des proches des intéressés par rapport à l’auto-<br />

rité <strong>du</strong> maire, il n’y a pas ensuite d’itinéraire imposé d’une ins-<br />

tance à l’autre. Non seulement <strong>les</strong> recours sont choisis selon <strong>les</strong><br />

circonstances, mais il n’est pas exclu de revenir en arrière, vers<br />

des instances autrefois requises puis dépassées. Le rebondissement<br />

le plus compl<strong>et</strong> est donné par un conflit koutialais dont <strong>les</strong> éta-<br />

pes effectuent une sorte de boucle <strong>et</strong> de r<strong>et</strong>our à la case départ :<br />

intermédiaires familiaux/police/mairie/tribunal/mairie/conseil de<br />

famille jalonnent ce processus sinueux d’affrontement des parties.<br />

Pour la transmission en héritage d’un permis d’occuper, la fille<br />

(Moussokoura) d’un premier mariage d’une veuve (Nana) s’oppose<br />

aux frères <strong>du</strong> mari d’un mariage ultérieur. Après la mort de celui-ci<br />

en 1976, puis de la veuve en 1983, <strong>les</strong> premiers contacts s’enga-<br />

gent entre <strong>les</strong> protagonistes, mais sur un mode indirect, par le biais<br />

de tuteurs <strong>et</strong> de représentants. Sans leur témoignage la confronta-<br />

tion apparaît impensable, <strong>et</strong> n’aurait pas de portée sociale pour<br />

l’avenir. L’impossibilité d’une parole directe est une constante des<br />

conflits, qui rend capital le choix des porte-paro<strong>les</strong> des cad<strong>et</strong>s<br />

sociaux. Dans l’audition en justice de l’un d’eux, un cultivateur<br />

âgé de 60 ans, on comprend que c’est seulement à la troisième<br />

entrevue que le problème de maison est discuté par <strong>les</strong> deux man-<br />

dataires, après toute une série de prétextes <strong>et</strong> de détours. Le rôle<br />

de l’intermédiaire est alors explicite : au nom des liens sociaux qui<br />

unissent protagonistes <strong>et</strong> témoins de l’affaire, il apaise <strong>les</strong> tensions,<br />

court-circuite <strong>les</strong> affrontements directs, prêche la conciliation, mas-<br />

que surtout l’enjeu économique <strong>du</strong> conflit foncier (la perception<br />

de loyers) sous un débat de morale sociale.<br />

Après l’échec de c<strong>et</strong>te première (< instance D, des autorités plus<br />

institutionnel<strong>les</strong> sont saisies. Enfin, chacun ayant fui la responsa-<br />

bilité d’une solution à trouver <strong>et</strong> s’étant déchargé <strong>du</strong> problème sur<br />

d’autres compétences, le conflit redescend toute la chaîne d’ins-<br />

tances qu’il a montée auparavant. Chaque étape provoque une sorte<br />

de surenchère <strong>dans</strong> l’argumentation des parties. Le procès-verbal<br />

des enquêtes policières se limite aux causes strictes <strong>du</strong> litige fon-<br />

cier, sans référence au contexte familial. Puis le langage se libère<br />

<strong>dans</strong> la première version de la commission domaniale ; <strong>les</strong> atta-<br />

ques débordent de l’enjeu foncier aux ressentiments sociaux ; la<br />

femme accuse <strong>les</strong> beaux-frères de sa mère de ne pas avoir ren<strong>du</strong><br />

visite à leur aîné lors de la maladie qui a précédé sa mort, signe<br />

d’un désengagement familial lourd de conséquence pour l’héritage ;<br />

l’argument de l’ingratitude répond à celui <strong>du</strong> manquement au<br />

devoir familial : bien que n’ayant pas épousé leur belle-sœur au<br />

décès de son époux, <strong>les</strong> frères reprochent à la fille de celle-ci de<br />

ne pas <strong>les</strong> avoir remerciés <strong>du</strong> fait qu’ils ont laissé le bénéfice d’une


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 241<br />

maison familiale à la veuve jusqu’à son propre décès. Mais le fond<br />

des choses n’est pas encore révélé. C’est au cours de l’audience<br />

judiciaire de 1986 que le souvenir de lourdes tensions remonte le<br />

plus loin :<br />

Mon grand-frère épousa la mère de Moussokoura <strong>et</strong> habita<br />

la nouvelle concession avec celle-ci alors qu’il l’habitait déjà avec<br />

sa première épouse qui partit en raison de son mariage avec Nana,<br />

au motif qu’elle ne pouvait être la Co-épouse d’une griotte (femme<br />

de caste) ... Notre frère n’est pas le premier mari de Nana, il doit<br />

être le quatrième. Est-ce que Moussokoura peut hériter de tous <strong>les</strong><br />

anciens maris de sa maman ? Elle ne peut pas hériter d’un C., elle<br />

est une griotte <strong>et</strong> nous, nous sommes nob<strong>les</strong>. Elle nous vilipende<br />

<strong>dans</strong> la ville, que cela cesse ! D<br />

Enfin, des conflits recourent à différentes autorités non pas suc-<br />

cessivement mais parallèlement, de telle sorte que l’on se demande<br />

parfois si certaines d’entre el<strong>les</strong> ne viennent pas arbitrer entre <strong>les</strong><br />

arbitrages, résoudre une crise des instances de négociation, après<br />

qu’un litige entre particuliers ait déteint sur el<strong>les</strong>.<br />

C<strong>et</strong>te soup<strong>les</strong>se n’est pas un fait récent. Dès 1955, un exemple<br />

colonial traite à Sikasso de la transmission des biens d’un riche<br />

douanier décédé. Ses héritiers sont divisés entre le frère <strong>du</strong> défunt,<br />

tuteur de ses orphelins, <strong>et</strong> quatre veuves représentées en justice par<br />

la troisième d’entre el<strong>les</strong>. L’enjeu est de taille : outre des bijoux<br />

en or <strong>et</strong> en argent, des biens meub<strong>les</strong> <strong>et</strong> des valeurs commercia<strong>les</strong><br />

estimés à 282 916 F de l’époque, le patrimoine familial se com-<br />

pose d’un troupeau de 22 bœufs, d’un terrain entièrement cons-<br />

truit en matériaux <strong>du</strong>rab<strong>les</strong>, pourvu d’un titre foncier (dont <strong>les</strong><br />

bâtiments sont loués aux commerçants <strong>du</strong> marché), <strong>et</strong> de la tutelle<br />

des enfants. Celle-ci garantit la perception des allocations fami-<br />

lia<strong>les</strong> par la conservation des actes de naissance. Pour faire entendre<br />

leur droit, <strong>les</strong> veuves ont mené l’affaire sur le double terrain judi-<br />

ciaire <strong>et</strong> familial. Sur le premier, el<strong>les</strong> obtiennent que soit appli-<br />

quée la coutume musulmane pour le partage de l’héritage entre<br />

<strong>les</strong> veuves <strong>et</strong> <strong>les</strong> enfants au détriment des collatéraux. Mais on mar-<br />

que la différence, à ce stade, entre le partage des biens meub<strong>les</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>du</strong> troupeau (remise des parts aux 1/8 pour <strong>les</strong> épouses <strong>et</strong> aux<br />

7/8 pour <strong>les</strong> enfants), <strong>et</strong> le maintien en indivision <strong>du</strong> titre fon-<br />

cier. Pour éviter que le conflit de succession n’achoppe sur la tutelle<br />

des enfants, <strong>les</strong> veuves sollicitent <strong>dans</strong> le même temps une réu-<br />

nion <strong>du</strong> conseil de famille, dont l’obj<strong>et</strong> implicite est l’attribution<br />

des loyers <strong>du</strong> titre définitif. I1 désigne alors comme tuteur des


242 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

enfants non plus le frère <strong>du</strong> défunt mais son oncle maternel, plus<br />

favorable aux épouses.<br />

Accumuler des gages de solvabilité sociale<br />

Bien plus qu’une évolution notable des enjeux fonciers, une telle<br />

fréquence des rebondissements tra<strong>du</strong>it celle <strong>du</strong> rapport de force<br />

entre <strong>les</strong> protagonistes, qui motive l’un d’entre eux à faire resur-<br />

gir une vieille affaire. De tels r<strong>et</strong>ournements de situation se pro-<br />

<strong>du</strong>isent d’abord lorsqu’intervient un nouveau porte-parole mieux<br />

à même de défendre une version <strong>foncière</strong>, ou simplement d’oser<br />

s’exprimer publiquement devant un auditoire en français. Dans le<br />

conflit koutialais précédent, c’est parce qu’elle a trouvé en un con-<br />

seiller municipal un nouveau tuteur, que Moussokoura se décide<br />

à entamer une requête au commissariat de police. Dans une affaire<br />

de champ disputé entre des <strong>et</strong> des


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 243<br />

s’exprimer contre <strong>les</strong> chefs d’autrefois. Enfin, la génération des<br />

aînés, postulants à la chefferie de quartier <strong>et</strong> de lignage, vient de<br />

connaître plusieurs décès ; <strong>les</strong> frères <strong>les</strong> plus influents <strong>du</strong> dernier<br />

chef de canton ne sont plus là pour user d’une forte pression per-<br />

sonnelle, voire de pouvoirs occultes, qui impressionnaient <strong>les</strong> géné-<br />

rations suivantes.<br />

L’évolution <strong>du</strong> rapport de force peut amener ainsi l’une des<br />

parties à réviser l’obj<strong>et</strong> de sa plainte, <strong>et</strong> à déplacer le conflit fon-<br />

cier sur un motif jugé plus efficace. Dans une affaire de permis<br />

d’occuper ven<strong>du</strong>s en même temps à deux personnes différentes,<br />

<strong>les</strong> deux ach<strong>et</strong>eurs campent d’abord un bon moment sur leurs posi-<br />

tions. Comprenant ensuite que c<strong>et</strong>te voie n’a pas d’issue, ils s’adres-<br />

sent à la commission domaniale pour entériner la décision de par-<br />

tage <strong>du</strong> lot : l’objectif devient alors d’acquérir non plus l’intégra-<br />

lité de la parcelle, mais la moitié jugée la plus favorable. Dans<br />

le conflit koutialais évoqué précédemment, Moussokoura se rend<br />

compte que la situation évolue défavorablement pour elle en reve-<br />

nant sur le terrain municipal : puisqu’il est de plus en plus évi-<br />

dent que la possession de la maison lui échappe, ainsi que la pos-<br />

sibilité d’en percevoir <strong>les</strong> loyers, elle joue désormais la carte des<br />

travaux qu’a effectués autrefois Nana <strong>dans</strong> la cour, <strong>et</strong> demande<br />

une indemnisation


244 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

sikassois accumule des ressentiments contre <strong>les</strong> héritiers d’une<br />

grande famille qui lui refusent le permis d’occuper qu’ils détien-<br />

nent <strong>et</strong> la possibilité de transm<strong>et</strong>tre à ses enfants la cour sur<br />

laquelle il réside. Mais


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 245<br />

Un autre conflit sikassois illustre le même passage d’arguments<br />

fonciers aux problèmes de cohésion sociale d’une famille élargie.<br />

Une veuve <strong>et</strong> sa marâtre (la Co-épouse de sa mère) s’affrontent<br />

en commission domaniale pour occuper <strong>les</strong> meilleures cases <strong>dans</strong><br />

la cour dégradée où el<strong>les</strong> cohabitent depuis longtemps. Chaque ver-<br />

sion renvoie aux


246 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

fils de feu Sinali S. A vrai dire, ce dernier cultivait le champ de<br />

son propre père, en plus <strong>du</strong> champ de mon père feu Bah. Mori<br />

est décédé il y a trois années environ. Je suis le plus âgé de ces<br />

deux famil<strong>les</strong>. J’ai dit à Yaya de continuer à cultiver le champ de<br />

son père Sinali <strong>et</strong> qu’il me laisse le champ de culture de mon père<br />

Bah. I1 a refusé ma parole <strong>et</strong> ne m’a respecté aucunement. n<br />

- Yaya : )<br />

C’est donc sur une dialectique de causes <strong>et</strong> de prétextes que<br />

l’enjeu de la terre (le contrôle <strong>du</strong> champ) rencontre l’enjeu fami-<br />

lial (l’autorité sur plusieurs ménages collatéraux). Une telle con-<br />

frontation marque la transition avec des dynamiques socia<strong>les</strong> de<br />

plus long terme.<br />

Crise des lignages<br />

Les tensions de groupes se lisent d’abord directement <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

divisions de générations, chez des cad<strong>et</strong>s qui se soum<strong>et</strong>tent de moins<br />

en moins à leurs aînés. <strong>La</strong> transmission de cours en est l’un des<br />

révélateurs, au même titre que le choix des épouses.<br />

A Sikasso, le conflit entre des onc<strong>les</strong> <strong>et</strong> leurs neveux, parmi<br />

<strong>les</strong> descendants des rois <strong>du</strong> Kènèdougou, l’illustre d’autant mieux<br />

qu’il concerne des notab<strong>les</strong> de la ville. Depuis <strong>les</strong> années 1960,<br />

une série de problèmes oppose <strong>les</strong> frères <strong>du</strong> dernier chef de can-<br />

ton Souleymane à certains fils de la génération suivante. Les pre-<br />

miers ont en


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 247<br />

pourtant pas celui des véritab<strong>les</strong> besoins, économiques, qui moti-<br />

vent la valorisation locative <strong>du</strong> sol urbain au centre-ville.<br />

Dans le premier débat, foncier, <strong>les</strong> onc<strong>les</strong> se fondent sur une<br />

distinction empirique : si quelques titres définitifs relèvent d’une<br />

propriété indivi<strong>du</strong>elle, transmissible en ligne directe aux enfants de<br />

Souleymane, la thèse dominante est celle des biens communs pour<br />

<strong>les</strong> simp<strong>les</strong> lots dont <strong>les</strong> permis d’occuper sont détenus au nom<br />

<strong>du</strong> dernier chef de canton décédé, quels qu’en soient <strong>les</strong> usagers,<br />

familiaux ou non. Une gestion indivise s’impose donc sous le con-<br />

trôle de la chefferie de famille qui est transmise en ligne mascu-<br />

line collatérale. Au contraire, <strong>les</strong> neveux prétendent détacher des<br />

biens lignagers la totalité des titres écrits, immatriculés ou non,<br />

en n’y laissant que <strong>les</strong> terres agrico<strong>les</strong> transmises par voie orale.<br />

Le débat se prolonge ainsi sur des responsabilités mora<strong>les</strong> : com-<br />

ment des onc<strong>les</strong> peuvent-ils assumer l’héritage de Souleymane alors<br />

qu’ils ont négligé de prendre en charge ses épouses (plus d’une<br />

dizaine à la fin de sa vie) <strong>et</strong> ses enfants après sa mort. Le man-<br />

quement au devoir d’assistance est évoqué de part <strong>et</strong> d’autre : <strong>les</strong><br />

frères cad<strong>et</strong>s n’ont pas ren<strong>du</strong> visite à leur aîné <strong>du</strong>rant la maladie<br />

qui précéda son décès ; mais <strong>les</strong> neveux


248 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

apparaît désormais bien réelle. A Nambouara, le chef de village<br />

est plus directement mis en cause au début des années 1980 :<br />

a Si réellement l’histoire (ddimitation de droits d’usage com-<br />

munautaires) que vient de provoquer le chef de quartier était <strong>du</strong><br />

vivant de ses aînés, il saurait à quel degré ça pouvait l’amener (ah-<br />

sion à une sanction occulte). )><br />

Dans le vieux quartier de Bougoula-Ville, on r<strong>et</strong>rouve <strong>les</strong> héri-<br />

tiers de la royauté critiqués par <strong>les</strong> descendants des esclaves, des<br />

serviteurs <strong>et</strong> des dépendants coloniaux des chefs de canton. Ceux-<br />

ci logent <strong>dans</strong> des cours centra<strong>les</strong> dont <strong>les</strong> permis d’occuper, éta-<br />

blis dès la colonisation, sont conservés par la grande famille Traoré.<br />

En 1981, le chef de lignage <strong>et</strong> de quartier s’oppose à une vieille<br />

ménagère Mahaoua. Celle-ci est pourtant assistée d’un oncle <strong>et</strong> de<br />

l’aîné des neveux de la famille Traoré, qui prennent parti contre<br />

leur frère <strong>et</strong> oncle.<br />

Le contrôle immédiat <strong>du</strong> permis d’occuper apparaît d’abord.<br />

Pour le chef de quartier, ce titre administratif perm<strong>et</strong> à la famille<br />

de récupérer une cour centrale sur laquelle elle n’a placé qu’à titre<br />

provisoire un ancien serviteur des chefs de canton <strong>et</strong> sa fille. Pour<br />

celle-ci, la concession relève au contraire d’une transmission désor-<br />

mais propre à son ménage, car son père a bel <strong>et</strong> bien ach<strong>et</strong>é le<br />

lot. <strong>La</strong> menace portée contre elle n’est pas justifiée tant que <strong>les</strong><br />

occupants de la cour s’estiment encore redevab<strong>les</strong> d’une attribu-<br />

tion administrative, fortement marquée par l’autorité personnelle<br />

mais bienveillante d’un chef de canton. L’achat <strong>du</strong> terrain n’a donc<br />

pas effacé la relation d’allégeance sociale <strong>du</strong> serviteur <strong>et</strong> de ses<br />

propres dépendants familiaux vis-à-vis des anciens chefs. Les car-<br />

tes d’un pur rapport marchand au sol urbain, que l’on pourrait<br />

croire émancipé des relations antérieures de clientèle, restent brouil-<br />

lées à la génération suivante.<br />

Puis <strong>les</strong> arguments échangés tournent à la querelle de person-<br />

nes. Elle médiatise, en quelque sorte, la mise en cause de la tutelle<br />

lignagère, qui ne peut s’exprimer directement. En interpellant un<br />

membre de la famille, on trouve le prétexte concr<strong>et</strong> d’une criti-<br />

que implicite de l’évolution de la chefferie. Ici, ce sont des insul-<br />

tes échangées <strong>dans</strong> la cour par <strong>les</strong> corésidentes de plusieurs décen-<br />

nies (une fille de dépendant, Mahaoua, <strong>et</strong> une sœur cad<strong>et</strong>te des<br />

Traoré), qui perm<strong>et</strong>tent d’atténuer la contestation sociale sous un<br />

ton moralisateur. De nouveau, <strong>les</strong> femmes apparaissent au cœur<br />

d’un débat de transmission sociale des espaces résidentiels. Enfin,


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 249<br />

<strong>les</strong> dissensions internes <strong>du</strong> lignage Traoré se greffent sur l’affaire<br />

<strong>et</strong> la font rebondir ; des cad<strong>et</strong>s prennent le parti de Mahaoua con-<br />

tre leur aîné, ce qui leur fournit de nouveaux arguments en faveur<br />

d’un partage des patrimoines résidentiels hérités de la colonisation :<br />


250 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

ARBITRAGES NÉGOCIÉS :<br />

DU


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 25 1<br />

fonciers. Pour éviter de tels abus <strong>dans</strong> le déroulement d’une affaire,<br />

pour court-circuiter <strong>les</strong> écarts de langage, la commission doma-<br />

niale, le commissaire de police ou le chef de quartier recomman-<br />

dent l’intervention de notab<strong>les</strong>, de tuteurs <strong>et</strong> d’intermédiaires, col-<br />

laborateurs d’une justice mesurée, qui doivent apaiser la discus-<br />

sion. On comprend ainsi mieux le rôle de ces porte-paro<strong>les</strong> qui<br />

désamorcent des ressentiments forts <strong>dans</strong> des voies filtrées dignes<br />

d’être reconnues par <strong>les</strong> arbitres.<br />

Une seconde vertu lignagère transparaît <strong>dans</strong> le conflit foncier,<br />

celle <strong>du</strong>


252 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

bon militant))), cy est à la morale religieuse, particulièrement islamique,<br />

que la modération <strong>et</strong> le pardon se mesurent :


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 253<br />

cun de vous... Cela ne doit rien faire regr<strong>et</strong>ter à Diakalia qui a<br />

eu l’initiative d’accorder sur le plan social une portion de 3’5 m<br />

pour l’installation d’une pièce d’habitation, a fortiori 25 cm pour<br />

construire un mur de séparation de manière à ce que <strong>les</strong> eaux de<br />

pluies ne stagnent pas derrière la cuisine de Diakalia. ))<br />

Dans le deuxième cas d’indemnisation, le partage des droits <strong>et</strong><br />

des tords reste clair, mais la compensation est plus conséquente.<br />

<strong>La</strong> pratique courante des communes favorise l’indemnisation en<br />

nature (un nouveau terrain ailleurs en ville) plutôt qu’en espèces.<br />

Le cas est fréquent notamment lorsque des vergers sont réquisi-<br />

tionnés pour de nouveaux lotissements urbains (7). A plusieurs<br />

reprises, la commission domaniale de Sikasso a eu également à r<strong>et</strong>i-<br />

rer des terrains déjà attribués officieusement par son président.<br />

Cependant, on trouva toujours un moyen d’indemniser <strong>les</strong> perdants,<br />

d’évacuer ainsi la responsabilité <strong>du</strong> maire <strong>et</strong> de sauver le consen-<br />

sus municipal.<br />

Enfin, <strong>dans</strong> le troisième cas de partage, le consensus dégagé<br />

entre <strong>les</strong> protagonistes est le plus équilibré. I1 est parfois recher-<br />

ché d’emblée par <strong>les</strong> parties qui s’adressent à la mairie pour une<br />

simple mesure technique :


254 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

tions ajustées au cas par cas font donc à la fois la force <strong>et</strong> la<br />

faib<strong>les</strong>se des commissions domania<strong>les</strong>. L’absence de mesure cœr-<br />

citive, <strong>les</strong> réticences à envisager un emprisonnement humiliant ou<br />

un déguerpissement déshonorant, tout cela est une garantie pour<br />

que le compromis s’ajuste à la sociologie des administrés. Inver-<br />

sement, la commission n’a pas <strong>les</strong> moyens de contrôler <strong>les</strong> prota-<br />

gonistes ni l’application de ses recommandations. Des consensus<br />

sociaux, admis <strong>du</strong> bout des lèvres par certains requérants, ne tien-<br />

nent pas lieu de promesses de respect des décisions. Ces lacunes<br />

expliquent bien des rebondissements de conflits, une fois que la<br />

publicité donnée à la réconciliation s’est usée <strong>dans</strong> un autre con-<br />

texte, ou bute sur un nouveau rapport de force. Les solutions pro-<br />

posées aux litiges, le sens donné à la transmission des cours, n’en<br />

apparaissent que plus divers.<br />

2. Des légitimités <strong>foncière</strong>s h


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 255<br />

affaires. Dans le cas de vente contestée, elle se prononce pour la<br />

responsabilité personnelle de celui dont le nom figure officielle-<br />

ment sur le permis d’occuper. Dans le cas de l’héritage, dont <strong>les</strong><br />

conséquences financières ne sont pas moindres, la mairie satisfait<br />

<strong>les</strong> intérêts de la branche collatérale en établissant un permis d’occu-<br />

per en nom commun aux frères <strong>du</strong> défunt.<br />

Si une esquisse de jurisprudence apparaît <strong>dans</strong> ces tâtonnements<br />

des communes maliennes, elle ne découle pas d’une norme univo-<br />

que, écrite ou orale, ni d’un corpus codifié de cas <strong>et</strong> de sanctions.<br />

Dans ce droit métissé des rapports de force, la commission doma-<br />

niale de la capitale régionale préfère attribuer une valeur collec-<br />

tive au terrain s’il est situé <strong>dans</strong> un vieux quartier ou s’il est occupé<br />

par plusieurs ménages cohabitants :<br />

-<br />


256 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

fait avec d’autres d’implantations irrégulih-es apparues la même<br />

année, le verdict est clément : ni sanction ni destruction de l’inves-<br />

tissement, l’occupation temporaire est reconnue. Mais d’autres déci-<br />

sions plus <strong>du</strong>res sont énoncées la même année :<br />

<br />

Des sanctions plus radica<strong>les</strong> encore sont demandées en 1982.<br />

Les condamnations vigoureuses tiennent compte de la conjoncture :<br />

une extension des sonsorobuguw,


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 257<br />

Le flou <strong>du</strong> droit domanial, méconnu, inappliqué ou détourné,<br />

laisse alors la porte ouverte à l’exposé de nombreuses justifica-<br />

tions particulières.<br />

Appropriations personnalisées <strong>et</strong> socialisées<br />

<strong>La</strong> reconnaissance <strong>du</strong> statut de <strong>du</strong>tigi découle, au fil des argu-<br />

ments évoqués, au moins autant d’une caution collective que d’une<br />

garantie administrative. On parlera donc de nouveau d’appropria-<br />

tion plutôt que de propriété. Dans la diversité de ces justifications,<br />

s’esquisse un classement qui différencie <strong>les</strong> légitimités à court tenne,<br />

<strong>et</strong> cel<strong>les</strong> qui relèvent d’un passé plus lointain <strong>dans</strong> la vie des pro-<br />

tagonistes <strong>et</strong> de leurs ancêtres.<br />

Dans le premier cas, l’argument le plus courant est l’investis-<br />

sement réalisé sur le terrain. Que celui-ci fasse l’obj<strong>et</strong> d’un titre<br />

écrit ou non, détenu ou non par l’occupant, <strong>les</strong>


258 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

- Moussokoura : ><br />

- Moussokoura :


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 259<br />

vis-à-vis de la responsabilité <strong>foncière</strong>. En évoquant avec détail sa<br />

biographie, chacun tente de comptabiliser <strong>les</strong> preuves de son anté-<br />

riorité <strong>dans</strong> la place <strong>et</strong> cel<strong>les</strong> des absences de 1’advers.aire :


260 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Si l’une pèse plus lourd <strong>dans</strong> la balance <strong>du</strong> rapport de forces de<br />

l’appropriation, une autre riposte avec une surenchère de détails<br />

passés. Arguments lointains <strong>et</strong> nouvel<strong>les</strong> conjonctures se té<strong>les</strong>co-<br />

pent en un véritable kaléidoscope d’initiatives indivi<strong>du</strong>el<strong>les</strong> <strong>et</strong> de<br />

responsabilités collectives, lorsqu’un héritier direct, Sékou, s’oppose<br />

à un prétendant adoptif, Daouda :<br />

- (< Navin D. est le père de Sékou <strong>et</strong> propriétaire de la mai-<br />

son. Daouda, oncle d’Oumar S. a été élevé (cad<strong>et</strong> adopté) chez le<br />

père de Sékou. Après son mariage il est r<strong>et</strong>ourné <strong>dans</strong> sa famille<br />

(désengagement de la cour). Le premier propriétaire de la cour était<br />

Navin, père de Sékou. <strong>La</strong> maison doit revenir à ce dernier. ))<br />

- (< Daouda a vécu <strong>dans</strong> la maison des D. jusqu’en 1937. I1<br />

a quitté la maison parce qu’il ne s’entendait pas avec Baliké qui<br />

vivait <strong>dans</strong> la maison. Lorsque Baliké est tombé malade il a<br />

demandé à Daouda de payer l’impôt de Sékou <strong>et</strong> de Baliké (tutelle<br />

fiscale qui place Daouda, même absent de la cour, en position de<br />

chef de famille). D’après Daouda, il a payé c<strong>et</strong> impôt pendant<br />

30 ans. Daouda était sur le carn<strong>et</strong> de famille des D. Puis il a ins-<br />

crit la maison au nom de son fils Moumouni K. (titre administra-<br />

tif indivi<strong>du</strong>el). Lorsque Sékou est revenu (rappel d’une absence de<br />

l’adversaire) il n’a pas voulu s’inscrire sur le carn<strong>et</strong> de famille car<br />

c’était Moumouni qui était le chef de famille. Je lui ai répon<strong>du</strong><br />

qu’il peut être inscrit comme le chef de famille mais il a tenu à<br />

avoir son propre carn<strong>et</strong> de famille (désengagement de la gestion fis-<br />

cale qui reste collective, contrairement à la garantie <strong>foncière</strong>). . .<br />

Après la mort de Navin, Fako est devenu chef de famille ; après<br />

la mort de Fako, c’est BalikC qui est devenu chef de famille.<br />

Daouda est parti de chez <strong>les</strong> D. parce qu’il ne s’entendait pas avec<br />

Baliké. Mais après ils se sont enten<strong>du</strong>s <strong>et</strong> Daouda, sans r<strong>et</strong>ourner<br />

<strong>dans</strong> la famille, y a construit un bâtiment de deux pièces (engage-<br />

ment immobilier). Après la mort de Baliké, sa femme était la seule<br />

occupante de la maison <strong>et</strong> c’est Daouda qui s’en occupait (l’entre-<br />

tien de la veuve court-circuite l’argument de non présence <strong>dans</strong> la<br />

cour). D<br />

Le foisonnement des légitimités est parfois poussé au point que<br />

<strong>les</strong> protagonistes insèrent des références au droit national <strong>dans</strong> leur<br />

exposé biographique ou familial. Dans un conflit koutialais hou-<br />

leux entre éleveurs <strong>et</strong> cultivateurs, des emprunts à un modernisme<br />

d’apparat (


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 261<br />

ÉVOLUTION DES PATRIMOINES FONCIERS,<br />

RAPPROCHEMENT DES LOGIQUES D’ARBITRAGE<br />

Au fil des récits d’appropriation <strong>et</strong> de transmission, l’évolu-<br />

tion des conceptions de deux ou trois générations sur <strong>les</strong> biens fami-<br />

liaux suggère une véritable transition <strong>foncière</strong>. Les plus anciens pro-<br />

tagonistes se réfèrent à une valeur de la terre qui puise <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

dominations précapitalistes <strong>les</strong> bases d’un contrôle matrimonial <strong>et</strong><br />

alimentaire sur la main-d’œuvre domestique des cours. En ville<br />

comme au village, l’organisation de la culture, <strong>les</strong> décisions de prêts<br />

puis de vente, la désignation des héritiers <strong>et</strong> des cases, tout cela<br />

relève d’une logique d’accumulation de dépendants sociaux.<br />

C<strong>et</strong>te conception laisse encore bien des traces <strong>dans</strong> <strong>les</strong> conflits<br />

urbains méridionaux. Mais une seconde la concurrence désormais<br />

<strong>dans</strong> l’esprit des citadins, en attribuant une valeur spéculative au<br />

patrimoine foncier. L’argent mis en cause <strong>dans</strong> la communauté<br />

domestique est moins celui qui entr<strong>et</strong>ient <strong>les</strong> hommes <strong>dans</strong> leur<br />

localité d’origine, qui paye leur impôt ou la dot de leurs épou-<br />

ses ; de plus en plus, il provient directement de la terre comme<br />

investissement de rapport : la commercialisation de condiments, de<br />

fruits ou de coton, <strong>les</strong> revenus de la vente de lots, <strong>les</strong> ressources<br />

locatives progressent comme enjeux, masqués ou explicites, de bon<br />

nombre de conflits sur <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> urbaines <strong>et</strong> péri-urbaines. Lors-<br />

que <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> se décongestionnent sur plusieurs cours résiden-<br />

tiel<strong>les</strong> en ville (Le Bris, Marie, Osmont, Sinou, 1987)’ le contrôle<br />

de c<strong>et</strong>te valeur marchande se disperse sur <strong>les</strong> lots périphériques,<br />

<strong>et</strong> se fragmente au niveau des ménages. <strong>La</strong> chefferie de lignage<br />

s’effrite mais ses vertus idéalisées continuent d’appuyer certaines<br />

initiatives personnel<strong>les</strong> ; <strong>les</strong> cad<strong>et</strong>s revendiquent plus d’autonomie<br />

<strong>dans</strong> leurs transactions <strong>foncière</strong>s, mais contribuent à maintenir des<br />

tutel<strong>les</strong> sur <strong>les</strong> dépendants sociaux d’une autre époque. L’argent<br />

devient l’argument d’une appropriation indivi<strong>du</strong>alisée, cohabitant<br />

plus ou moins facilement avec <strong>les</strong> usufruits collectifs.<br />

De la rencontre entre ces deux conceptions découle la plupart<br />

des tensions entre particuliers : la terre, support de la résidence<br />

<strong>et</strong> de l’activité des famil<strong>les</strong>; ou bien pro<strong>du</strong>it économique de la cir-<br />

culation marchande. Non pas une <strong>du</strong>alité figée, mais la dialecti-<br />

que d’un marché en structuration. Ainsi c<strong>et</strong>te confrontation rend-<br />

elle difficile l’élaboration d’un droit privé de la terre au <strong>Mali</strong>. Le<br />

Code domanial <strong>et</strong> foncier de 1986 n’a évacué ni <strong>les</strong> règlements par-<br />

ticularisés des conflits ni la complexité des sanctions administrati-<br />

ves. Au contraire, des modes d’arbitrage qui relèvent d’instances


262 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

différentes, autrefois opposées, semblent aujourd’hui se contami-<br />

ner. Une certaines moralisation des rapports sociaux <strong>et</strong> le sens <strong>du</strong><br />

compromis ainsi des conciliations lignagères vers <strong>les</strong><br />

instances judiciaires. Des magistrats requièrent en coulisse ou ver-<br />

balement l’entente entre <strong>les</strong> particuliers ; ils reconnaissent le déca-<br />

lage qui persiste entre <strong>les</strong> catégories abstraites, universalistes, d’un<br />

droit exogène, <strong>et</strong> <strong>les</strong> règlements casuistiques qu’une certaine<br />

demande sociale attend d’eux.<br />

Inversement, la chape réglementaire nationale, applicable en tout<br />

lieu, se diffuse vers <strong>les</strong> instances loca<strong>les</strong> des conseils municipaux,<br />

de quartier <strong>et</strong> de famille. I1 est certaines sanctions contre l’appro-<br />

priation illicite avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> légitimités <strong>foncière</strong>s en recom-<br />

position doivent compter. Chacun connaît désormais la portée <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> contraintes matériel<strong>les</strong> d’un permis d’occuper, d’une demande<br />

d’autorisation de construire, à défaut d’en maîtriser parfaitement<br />

<strong>les</strong> procé<strong>du</strong>res <strong>et</strong> <strong>les</strong> coûts. Aucun représentant ne peut prétendre<br />

ignorer qu’au <strong>Mali</strong>,


CONFLITS FONCIERS ET DYNAMIQUES SOCIALES URBAINES 263<br />

tes connues de tous, avec <strong>les</strong> porte-paro<strong>les</strong> qu’il sied. Mais d’autres<br />

recompositions s’organisent autour des concurrences de l’argent <strong>et</strong><br />

<strong>du</strong> verbe ; certaines proximités avec <strong>les</strong> fonctions de représenta-<br />

tion administrative hybrident des arguments anciens <strong>et</strong> de nouvel-<br />

<strong>les</strong> légitimités.<br />

On ne saurait pour autant en conclure que <strong>les</strong>


Élites urbaines <strong>et</strong> clientélisme foncier ,<br />

de la ville à 1’État<br />

Les tensions urbaines que révèle l’appropriation de la terre ne<br />

se ré<strong>du</strong>isent pas aux seu<strong>les</strong> relations privées. Des mouvements his-<br />

toriques plus larges impliquent <strong>les</strong>


266 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

années 1980, la repro<strong>du</strong>ction d’un contrôle social sur la ville. Les<br />

pressions <strong>foncière</strong>s y restent faib<strong>les</strong>, trop récemment stimulées <strong>dans</strong><br />

l’environnement urbain. <strong>La</strong> chefferie de canton de Bougouni, prs-<br />

mue par la colonisation, a moins ancré son pouvoir politique à<br />

la terre que ses homologues de Sikasso <strong>et</strong> Koutiala. Nombreuses<br />

sont <strong>les</strong> différences statutaires qui traversent ceux qui se réclament<br />

des fondateurs de la ville : anciens maîtres <strong>du</strong> canton <strong>du</strong> Banimo-<br />

notié, imposé aux


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 267<br />

DU REDÉPLOIEMENT DES CONCURRENCES LIGNAGÈRES<br />

DANS LES GESTIONS POLITIQUES ...<br />

Le contrôle territorial des populations précolonia<strong>les</strong> puis colo-<br />

nia<strong>les</strong> a pris des formes différentes à Sikasso <strong>et</strong> Koutiala. En moins<br />

d’un demi-siècle la domination française a bouleversé <strong>les</strong> rapports<br />

politiques entre <strong>les</strong> chefferies loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> leurs dépendants. Leurs<br />

attributs, dits a coutumiers )) sur <strong>les</strong> terroirs, sur <strong>les</strong> cours urbai-<br />

nes redressées des lotissements coloniaux, ont été redéfinis <strong>dans</strong><br />

le cadre des cantons. Puis l’espace social <strong>et</strong> foncier des grands<br />

lignages s’est contracté <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers urbains.<br />

1. Du jamanatigi au <strong>du</strong>gutigi<br />

Redistribution des pouvoirs territoriaux <strong>dans</strong> l’héritage colonial <strong>du</strong><br />

Kènèdougou<br />

Après la conquête militaire <strong>du</strong> Kènèdougou <strong>et</strong> <strong>du</strong> pays<br />

minyanka en 1898, <strong>les</strong> nouveaux découpages administratifs ont sus-<br />

cité une série de concurrences <strong>et</strong> d’alliances entre d’anciennes éli-<br />

tes politiques <strong>et</strong> militaires promues aux fonctions de chefs de<br />

canton.<br />

L’originalité <strong>du</strong> chef-lieu de cercle sikassois est d’avoir été le<br />

siège permanent des 4 principa<strong>les</strong> chefferies cantona<strong>les</strong> qui ont<br />

démantelé le royaume sénoufo-dioula. Auparavant, la dynastie des<br />

Traoré dominait la hiérarchie politique précoloniale depuis la capi-<br />

tale fortifiée, <strong>et</strong> s’était imposée comme chef suprême des terres<br />

soumises en auréo<strong>les</strong> concentriques. L’organisation territoriale <strong>du</strong><br />

royaume, <strong>dans</strong> des


268 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

O 20 km<br />

u<br />

CANTONS DU CERCLE DE SIKASSO EN 1910<br />

D'après RONDEAU, 1980, Archives de Sikasso.<br />

-<br />

----<br />

limite de cercle<br />

rivière<br />

cercle de Koutiala<br />

ercle de Bobo<br />

limite de canton


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 269<br />

tion de représentant <strong>du</strong> roi est d’ailleurs un aspect bien connu des<br />

économies guerrières précolonia<strong>les</strong> (Person, 1968 ; Tymowski,<br />

1981 ; Meillassoux, 1986).<br />

Puis la conquête française morcela l’aire de domination sikas-<br />

soise en installant, <strong>et</strong> en nivelant par là-même, des jamanatigiw<br />

qui relevaient de rangs sociaux hiérarchisés. Le chef militaire Kèlè-<br />

tigui Berté, premier à se rallier, fut doté <strong>du</strong> plus grand des can-<br />

tons, Kaboïla, qui brisa le monopole royal <strong>du</strong> Kènèdougou. Des<br />

Traoré, qui n’avaient pas poursuivi la résistance armée hors de<br />

la citadelle fortifiée, se virent ensuite attribuer <strong>les</strong> cantons <strong>du</strong> Bou-<br />

goula <strong>et</strong> <strong>du</strong> Fama.<br />

Par c<strong>et</strong>te scission lignagère chez <strong>les</strong> anciens maîtres de Sikasso,<br />

il y eut bien une volonté coloniale de casser l’ancienne puissance<br />

politique, en satisfaisant à certaines ambitions segmentaires qui<br />

avaient kté détournées de la transmission <strong>du</strong> pouvoir royal : la chef-<br />

ferie de Bougoula revalorisa la branche aînée descendante <strong>du</strong> roi<br />

Daoula Traoré, qui avait été écartée de la tête <strong>du</strong> Kenèdougou<br />

par <strong>les</strong> cad<strong>et</strong>s Tièba <strong>et</strong> Babemba ; à Fama, le fils d’une fille de<br />

Daoula se présenta lui aussi comme l’héritier


270 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

trôle administratif, délégué sur <strong>les</strong> terres agrico<strong>les</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> nouveaux<br />

lotissements, griots <strong>et</strong> plaidoyers écrits (Berte, 1915) ont tenté de<br />


Archives de Koutiala<br />

CANTONS DU CERCLE DE KOUTIALA EN 1923<br />

vers Ségou<br />

vers Bobo-Dioulasso<br />

O 20 k m<br />

U<br />

------ limite cantonale<br />

- route principale<br />

-i-*' frontière coloniale<br />

-<br />

rivière


272 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Les découpages territoriaux coloniaux ont donc préparé le ter-<br />

rain aux concurrences <strong>foncière</strong>s contemporaines. Les liens intimes<br />

entre l’administration déléguée des espaces <strong>et</strong> l’autorité sur <strong>les</strong> hom-<br />

mes ont façonné de nouvel<strong>les</strong> relations clientélistes entre la cité<br />

<strong>et</strong> ses campagnes, à partir d’anciennes contradictions socia<strong>les</strong>. Issue<br />

<strong>du</strong> royaume, la confusion entre charges fisca<strong>les</strong> <strong>et</strong> patrimoines fami-<br />

liaux a traversé la colonisation jusqu’à nos jours avec un acteur<br />

nouveau : le carcan réglementaire d’un pouvoir domanial centralisé.<br />

L’héritage de cadres politiques morcelés à Koutiala<br />

Contrairement au cas précédent, le chef-lieu minyanka ne fut<br />

le siège permanent que d’une seule chefferie de canton. Son élite<br />

indigène héritait d’une histoire territoriale beaucoup moins centra-<br />

lisée que celle <strong>du</strong> Kènèdougou (4). Les rivalités lignagères se déve-<br />

loppèrent entre des Coulibaly, considérés comme <strong>les</strong> G autochto-<br />

nes )) de la ville, <strong>et</strong> le représentant de Ouattara. Les premiers déte-<br />

naient la fonction de chef de terre provenant d’un vieux droit de<br />

défrichement, que <strong>les</strong> tout premiers occupants, dont la mémoire<br />

collective a souvent oublié l’existence, leur avait plus anciennement<br />

délégué. Originaires <strong>du</strong> pays dioula de Kong (actuelle Côte<br />

d’Ivoire), <strong>les</strong> seconds se sont installés à Koutiala au début <strong>du</strong><br />

XIX~ siècle. Ils y ont établi leur domination politique sur <strong>les</strong><br />

Minyanka quelques temps avant la colonisation, à la faveur de<br />

l’insécurité qui régnait <strong>dans</strong> la région agressée par l’ouest <strong>et</strong> par<br />

le nord.<br />

Après la conquête coloniale, la chefferie de canton fut d’abord<br />

attribuée à Zanga Coulibaly qui était chef <strong>du</strong> village de Koutiala<br />

(actuel quartier de Koko). I1 fut vite remplacé, pour (< abus de<br />

fonction n, par Datigui Ouattara qui l’aurait trahi auprès des Français.<br />

En fait, ceux-ci ont jugé que la présence d’une souche guerrière<br />

à la t<strong>et</strong>e d’une région mal soumise serait plus efficace. Meilleure<br />

interprète de leurs besoins, la lignée dioula garantissait une<br />

plus grande maîtrise administrative des territoires environnants,<br />

pour avoir antérieurement rodé ses réseaux de transit de la cola<br />

depuis le sud-est forestier. Au contraire, l’émi<strong>et</strong>tement foncier des<br />

(4) L’autorité des chefferies précolonia<strong>les</strong> minyanka n’a pas dépassé le cadre de<br />

quelques hameaux de culture. Leurs fondements guerriers, tardifs, viennent d’alliances<br />

instab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> l’état de guerre chronique de la fin <strong>du</strong> XIX~ siècle. El<strong>les</strong> n’ont pas<br />

mis en place de techniques <strong>du</strong>rab<strong>les</strong> d’exploitation des terroirs, <strong>et</strong> sont restées en surface<br />

de l’ordre social paysan. Le maillage colonial a donc figé, en un grand nombre<br />

de p<strong>et</strong>its cantons contestés, <strong>les</strong> dernières aires de dominations, fragi<strong>les</strong> <strong>et</strong> de portée<br />

limitée. C<strong>et</strong>te redistribution territoriale entra en concurrence avec <strong>les</strong> bases <strong>foncière</strong>s<br />

des communautés villageoises.


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 273<br />

sokalaw, disséminés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> terroirs pour résister aux razzias pré-<br />

colonia<strong>les</strong>, l’(< acéphalie )) politique des (< féticheurs )> minyanka,<br />

tout cela fut perçu défavorablement pour une prompte soumission<br />

des indigènes au nouvel encadrement.<br />

L’indépendance <strong>du</strong> groupe lignager est, en eff<strong>et</strong>, au centre <strong>du</strong><br />

dispositif social minyanka. Comme en milieu sénoufo, l’accès à<br />

la terre est régi par le patrilignage qui en maintient l’indivision<br />

sous l’autorité cultuelle des premiers occupants reconnus. Cepen-<br />

dant, après <strong>les</strong> replis défensifs <strong>du</strong> siècle dernier, la pression fon-<br />

cière a augmenté à Koutiala <strong>et</strong> a placé la mobilisation agricole au<br />

cœur d’une concurrence renouvelée entre Coulibaly <strong>et</strong> Ouattara.<br />

Ainsi le canton a-t-il connu un dédoublement de fait de l’admi-<br />

nistration indigène. Les prérogatives <strong>foncière</strong>s des Coulibaly étaient<br />

sacralisées ; cel<strong>les</strong> des Ouattara naquirent d’une interprétation patri-<br />

moniale de la fonction de chef de canton. Ce statu quo aboutit<br />

à une sorte de démarcation de leurs autorités respectives, encore<br />

partiellement vécue, de part <strong>et</strong> d’autre <strong>du</strong> marigot qui sépare la<br />

ville en deux. Les prêts de terre en rive nord furent jugés plutôt<br />

de la compétence des chefs Coulibaly de Koko ; le contrôle de la<br />

rive sud revint au seul chef Ouattara. <strong>La</strong> désignation des champs,<br />

puis des lots d’habitation, aux nouveaux immigrés, <strong>les</strong> cadeaux<br />

d’allégeance, s’organisèrent selon c<strong>et</strong>te nouvelle donne tacite, qui<br />

prit valeur de


274 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

cice, créée en 1959, donna l’occasion aux nouveaux chefs de quar-<br />

tier de rassembler leurs électeurs contre le personnel municipal jugé<br />

étranger à la ville. Malgré leurs rivalités, <strong>les</strong> quatre famil<strong>les</strong> s’iden-<br />

tifièrent aux territoires des points cardinaux, avec la précision d’un<br />

véritable cadastre mental entériné par la colonisation : <strong>les</strong> Traoré<br />

de Bougoula à l’est, vers la Haute-Volta, <strong>les</strong> Berthé au sud, vers<br />

la Côte d’Ivoire, <strong>les</strong> Traoré de Fama <strong>et</strong> <strong>les</strong> chefs <strong>du</strong> Nathié à<br />

l’ouest <strong>et</strong> au nord de la ville.<br />

A la même époque à Koutiala, <strong>les</strong> Coulibaly <strong>et</strong> <strong>les</strong> Ouattara<br />

s’opposèrent à propos des


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 275<br />

titre précaire. Inversement, <strong>les</strong> neveux ne postulent pas à la chef-<br />

ferie de famille <strong>dans</strong> l’immédiat, malgré l’islamisation <strong>du</strong> lignage<br />

<strong>et</strong> plusieurs précédents de succession en ligne directe. Mais une frac-<br />

tion d’entre eux fait pression pour être associée à la transmission<br />

des biens communautaires, <strong>et</strong> pour que <strong>les</strong> terres des Traoré soient<br />

définitivement partagées entre <strong>les</strong> chefs de ménage.<br />

Les plus anciens habitants <strong>du</strong> Diassa s’attribuent également le<br />

contrôle des terres. Ayant adopté le patronyme de leurs maîtres<br />

précoloniaux, ils s’arrogent aujourd’hui le droit de distribuer des<br />

parcel<strong>les</strong> aux nouveaux <strong>du</strong>nanw. Au nom de c<strong>et</strong>te continuité<br />

d’occupation <strong>foncière</strong>, <strong>les</strong> héritiers de Mpiè estiment avoir gagné<br />

une sorte de délégation définitive qui leur donne autorité sur le<br />

lieu. Ici encore, la position des dépendants d’hier n’est pas una-<br />

nime. L’un des fils de Mpiè Traoré s’est improvisé <strong>du</strong>gutigi <strong>du</strong><br />

hameau, décide des transactions sur la terre, <strong>et</strong> en perçoit person-<br />

nellement <strong>les</strong> rémunérations. Mais bien qu’ayant quitté le diassa<br />

pour d’autres villages ou pour la ville, ses frères <strong>et</strong> son neveu esti-<br />

ment avoir un droit de regard SUT la transmission des champs. Avec<br />

des intérêts différents, ils rejoignent <strong>les</strong> Traoré de Bougoula <strong>dans</strong><br />

leur plainte à la mairie contre l’appropriation usurpée de<br />

Sonsorobougou-Diassa. Ces versions des différents segments clien-<br />

télistes découlent bien <strong>du</strong> fait que la terre a acquis une valeur mar-<br />

chande.<br />

Les référents coutumiers apparaissent tout aussi fluides à Kou-<br />

tiala ; la


276 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

gères loca<strong>les</strong> ont dû se réorganiser en fonction des règ<strong>les</strong> adminis-<br />

tratives qu’impulsaient <strong>les</strong> fonctionnaires


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 277<br />

que <strong>les</strong> coutumes résultent de positions lignagères statutaires <strong>et</strong> <strong>du</strong><br />

degré de cohésion de leurs clientè<strong>les</strong> d’alliés ou de dépendants. Les<br />

ressorts d’une telle recomposition sociale à long terme sont éco-<br />

nomiques : transformation en valeur marchande des pouvoirs ter-<br />

ritoriaux des chefferies de canton, diffusion des plantations <strong>et</strong> <strong>du</strong><br />

jardinage péri-urbains, épuisement de champs communaux. Évo-<br />

luant par densification des lignages <strong>et</strong> par métissage migratoire,<br />

<strong>les</strong> rapports de force sociaux l’emportent sur <strong>les</strong> interprétations juri-<br />

diques pour idéaliser


278 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

mandants de cercle, monopolisant ainsi la reconnaissance admi-<br />

nistrative de nombreux . De tel<strong>les</strong> allégeances ont per-<br />

<strong>du</strong>ré après la suppression des cantons, <strong>et</strong> maintiennent encore l’arbi-<br />

trage de représentants lignagers <strong>dans</strong> <strong>les</strong> conflits de cohabitation<br />

<strong>et</strong> de voisinage.<br />

Cependant, c<strong>et</strong>telnfluëñE5s’est effritée depuis <strong>les</strong> années 1968.<br />

<strong>La</strong> crainte qu’inspiraient <strong>les</strong> derniers chefs, manipulateurs de féti-<br />

ches, s’est atténuée avec leurs successeurs. Dans <strong>les</strong> procès-verbaux<br />

de la commission domaniale, apparaissent plusieurs affaires oppo-<br />

sant <strong>les</strong> Traoré à d’ex-dépendants qui revendiquent une reconnais-<br />

sance autonome de leurs cours contre le monopole foncier admi-<br />

nistratif des Traoré.<br />

Dans d’autres cas, l’initiative <strong>du</strong> rapport de force vient des<br />

Traoré contraints de pallier la dégradation de leurs revenus. Sur<br />

l’un de leurs titres fonciers définitifs, détenus en propriété collec-<br />

tive entre <strong>les</strong> 42 héritiers <strong>du</strong> dernier chef Souleymane, une griotte<br />

<strong>et</strong> un palefrenier avaient été installés au service de la famille. Dans<br />

<strong>les</strong> années 1970, <strong>les</strong> onc<strong>les</strong> décidèrent de vendre le titre pour payer<br />

leurs impôts respectifs. Ils procédèrent, sans compensation, à une<br />

sorte a d’expropriation pour cause d’utilité lignagère D des usagers<br />

que leur prestigieux aîné avait mis sous sa protection personnelle.<br />

<strong>La</strong> griotte disposait de l’argent pour rach<strong>et</strong>er sa partie de la par-<br />

celle, monnayant ainsi son émancipation <strong>foncière</strong>. Mais le pale-<br />

frenier porta l‘affaire auprès <strong>du</strong> maire. Une solution de compro-<br />

mis fut trouvée sous la pression de cad<strong>et</strong>s de la famille Traoré,<br />

<strong>dans</strong> la foulée <strong>du</strong> conflit interne qui opposait <strong>les</strong> héritiers collaté-<br />

raux à leurs neveux. Au vu des pièces écrites fournies par <strong>les</strong> aînés<br />

<strong>du</strong> lignage, le titre fut ven<strong>du</strong> pour le compte des Traoré, mais le<br />

palefrenier fut relogé sur décision municipale <strong>dans</strong> un autre lotis-<br />

sement de la ville. Dans ces déchirements fonciers qui affectent<br />

<strong>les</strong> clientè<strong>les</strong> lignagères, des arbitres administratifs <strong>et</strong> politiques sont<br />

donc de plus en plus sollicités pour en atténuer, ou en orchestrer,<br />

l’impact social.<br />

Plus récemment, ces conflits se sont exportés vers <strong>les</strong> marges<br />

péri-urbaines de la commune, là où s’opère la conversion des par-<br />

cel<strong>les</strong> agrico<strong>les</strong> en terrains à bâtir non lotis. L’enjeu économique<br />

devient explicite <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sonsorobuguw ; la position des onc<strong>les</strong><br />

Traoré perd son unanimité devant l’émergence d’un tel marché<br />

(chapitre 4). Si <strong>les</strong> plus proches de la succession à la tête <strong>du</strong> lignage<br />

protestent de ce qu’il considèrent comme une usurpation, qui ne<br />

saurait briser la tutelle lignagère, d’autres entendent tirer parti<br />

financier des ventes, tout en maintenant une position ferme lors<br />

des réunions houleuses <strong>du</strong> conseil de famille.<br />

Enfin, des > exploitent plus systkmatiquement <strong>les</strong>


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 279<br />

différentes affaires qui se succèdent depuis deux décennies : titres<br />

immatriculés au centre-ville, terres


280 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

de la ville, le lignage a gardé une certaine cohérence politique en<br />

maintenant un patronage d’ensemble sur <strong>les</strong> cours de ses propres<br />

dépendants coloniaux (5). <strong>La</strong> décongestion de vieil<strong>les</strong> cours vers<br />

d’autres quartiers de la ville ou vers l’étranger a désamorcé cer-<br />

taines tensions de cohabitation qui pouvaient distendre <strong>les</strong> allégean-<br />

ces socia<strong>les</strong>. Surtout, l’influence <strong>du</strong> lignage a trouvé un nouveau<br />

souffle avec l’.élection comme maire de la ville, renouvelée au cours<br />

des années 1980, d’un successeur présumé à la tête de la famille.<br />

Ce nouveau capital social est bien reconnu comme stratégique pour<br />

délivrer permis d’occuper <strong>et</strong> attestations de ventes, pour arbitrer<br />

des conflits en commission domaniale, favoriser parents <strong>et</strong> clients<br />

demandeurs de lots. I1 a donc consolidé la représentation d’une<br />

lignée déjà consacrée par <strong>les</strong> colons autour <strong>du</strong> personnage de Kèlè-<br />

tigui, contrairement aux Traoré dont <strong>les</strong> clientè<strong>les</strong> s’étaient recons-<br />

tituées autour d’héritiers rivaux <strong>du</strong> Kènèdougou.<br />

Des contradictions lignagères apparaissent pourtant <strong>dans</strong><br />

l’exploitation des terres péri-urbaines méridiona<strong>les</strong>. L’arboriculture<br />

qui s’est développée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1950 implique, en eff<strong>et</strong>, un<br />

rapport pérenne à la terre. Bon nombre de parcel<strong>les</strong> de culture<br />

sont ainsi appropriées de façon privative pour la plantation d’arbres<br />

fruitiers, <strong>et</strong> donnent à penser aux autres lignages sikassois, à tort,<br />

que <strong>les</strong> Berthé se sont déjà partagés leur héritage cantonal. Le<br />

maire y exploite l’un des plus grands vergers péri-urbains ; quel-<br />

ques planteurs ont recherché des titres de concession rurale, voire<br />

l’immatriculation au livre foncier.<br />

Mais l’autorité <strong>du</strong> chef de famille <strong>et</strong> de quartier sur la gestion<br />

<strong>foncière</strong> n’est pas pour autant anéantie. En 1986, elle se main-<br />

tient notamment <strong>dans</strong> <strong>les</strong> transactions illicites qu’il a patronnées<br />

à Sirakoro en limite <strong>du</strong> périmètre communal (chapitre 4). Le patri-<br />

moine territorial des Berthé n’a donc pas connu <strong>les</strong> dissensions<br />

entre aînés <strong>et</strong> cad<strong>et</strong>s de leurs grands concurrents politiques de la<br />

colonisation. I1 passe plus en douceur d’une délégation des usu-<br />

fruits agraires, marquée par une forte tutelle sociale des jatigiw<br />

sur leurs anciens <strong>du</strong>nanw, à l’émergence d’un marché résidentiel.<br />

Au contraire, <strong>les</strong> distributions <strong>du</strong> chef de famille semblent avoir<br />

consolidé son prestige auprès des citadins démunis, <strong>dans</strong> la diffi-<br />

cile conjoncture d’insertion urbaine des années 1980. Même le maire<br />

(5) Le passage de la chefferie de canton à celle de quartier a pourtant été moins<br />

facile que chez <strong>les</strong> Traoré : en 1958, <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> municipaux ont promu un<br />

(( ancien serviteur H des Berthé à la tête de Kaboïla I, <strong>dans</strong> lequel se situe leur cour-<br />

mère de Kèlètiguila. Le militant RDA <strong>du</strong>t finalement laisser place au (( vrai représen-<br />

tant )) des populations en 1966. Mais ce r<strong>et</strong>our administratif ne s’est pas fait selon<br />

<strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de succession <strong>du</strong> lignage : <strong>les</strong> frères <strong>du</strong> jatnanatigi ont été écartés au profit<br />

de son fils qui est devenu <strong>du</strong>tigi <strong>et</strong> gérant des terres (( coutumitres n <strong>du</strong> sud de la<br />

commune.


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 28 1<br />

de la ville ne put s’opposer ouvertement aux transactions illicites<br />

de son aîné ; la responsabilité collective des Berthé était engagée<br />

jusqu’après le décès <strong>du</strong> chef de famille en 1987.<br />

Les équilibres intra <strong>et</strong> inter-lignagers se définissent donc en per-<br />

manence autour d’une reconversion <strong>foncière</strong> péri-urbaine. <strong>La</strong> valeur<br />

d’échange de la terre se dissimule derrière


282 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Échos politiques d’un


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 283<br />

lots sont ven<strong>du</strong>s au compte-gouttes à des prix n<strong>et</strong>tement spécula-<br />

tifs, jusqu’à plus de 450 O00 FCFA pour 750 m2 ; seuls des com-<br />

merçants <strong>et</strong> des salariés aisés acquièrent un emplacement au sud<br />

de <strong>La</strong>fiala.<br />

Une fois de plus, la reconversion des terres péri-urbaines s’opère<br />

<strong>dans</strong> la sphère des transactions illicites, avec le soutien d’alliés en<br />

dehors <strong>du</strong> lignage. Pour appliquer son (< bon droit D, l’ex-chef de<br />

canton a mêlé <strong>les</strong> références idéologiques de


284 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

vail. <strong>La</strong> valeur marchande <strong>du</strong> sol urbain marginalise <strong>les</strong> usagers<br />

coutumiers <strong>les</strong> plus pauvres, mais ouvre aussi des voies d’inser-<br />

tion à de nouveaux citadins sur le marché irrégulier. Les biens<br />

jusqu’alors indivis sont démembrés souvent en catastrophe ; ils<br />

n’assurent alors qu’une ressource ponctuelle, qui est plus


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 285<br />

... AUX (( TENDANCES )> DU PARTI UNIQUE<br />

HÉRITÉES PAR LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE :<br />

DÉPENDANCE ET USURE DES CLIENTÈLES LOCALES<br />

1. <strong>La</strong>


286 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

’ Avec l’arrivée <strong>du</strong> RDA au pouvoir politique, le discours sur<br />

la terre s’est déplacé. D’intérêts contradictoires entre indigènes <strong>et</strong><br />

colons, il s’applique désormais aux nouvel<strong>les</strong> élites <strong>et</strong> à leurs clients<br />

municipaux. Les recommandations <strong>du</strong> premier président situent <strong>les</strong><br />

pratiques <strong>foncière</strong>s <strong>dans</strong> le cadre des exigences idéologiques d’un<br />

régime socialiste. Mais el<strong>les</strong> témoignent aussi d’un patronage per-<br />

sonnel de Modibo Keita sur


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 287<br />

querel<strong>les</strong> loca<strong>les</strong> ont opportunément détourné des mots d’ordre<br />

bamakois <strong>dans</strong> <strong>les</strong> rapports de force ponctuels. Dans un cas, la<br />


288 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Parallèlement, on avait confisqué à la famille <strong>du</strong> rival RDA de<br />

Sidi, maire <strong>et</strong> dirigeant national, une grande partie de l’îlot rési-<br />

dentiel qu’elle occupait <strong>dans</strong> la ville. Sidi demanda alors une<br />

audience personnelle au général Moussa Traoré. I1 obtint une<br />

mesure d’exception pour disposer lui-meme de son domaine, <strong>et</strong><br />

s’engagea à en vendre p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it des parcel<strong>les</strong>. Depuis, sa mai-<br />

son reste protégée par un important îlot de ver<strong>du</strong>re, dont il a ven<strong>du</strong><br />

quelques lots à 100 O00 FCFA ou plus. Le reste est gardé en patri-<br />

moine familial pour 4 épouses <strong>et</strong> près de 40 enfants. Ce type de<br />

crédit politique personnel profite donc à des ressources <strong>foncière</strong>s<br />

non négligeab<strong>les</strong> ; mais la densification <strong>du</strong> ménage <strong>du</strong> propriétaire<br />

en a bloqué la capitalisation.<br />

Au-delà de protections indivi<strong>du</strong>el<strong>les</strong>, <strong>les</strong> tributs politiques se<br />

manifestent avant tout <strong>dans</strong> la programmation des lotissements <strong>et</strong><br />

la mobilisation d’influences personnel<strong>les</strong> autour des nouveaux quar-<br />

tiers illicites. Déjà évoqués d’un point de vue technique, ces pro-<br />

blèmes n’échappent pas aux échéances électora<strong>les</strong> de toute com-<br />

mune. C’est au nom de la paix sociale d’une importante capitale<br />

régionale que l’arbitrage <strong>du</strong> haut personnel politique a permis de<br />

boucler, en 1987, un dossier domanial qui inquiétait <strong>les</strong> fonction-<br />

naires locaux <strong>et</strong> maintenait des frustrations citadines depuis une<br />

décennie.<br />

Dans le cas des sonsorobuguw, le déguerpissement sélectif de<br />

janvier 1988 a révélé, une fois de plus, l’inégalité des citadins <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> représentations municipa<strong>les</strong>. Pourtant, une certaine tolérance<br />

politique se calque sur <strong>les</strong>


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 289<br />

à 5,2 Yo des bénéficiaires. <strong>La</strong> mairie a privilégié ces chefs de quar-<br />

tier, secrétaires généraux des comités politiques, représentants des<br />

femmes, des jeunes <strong>et</strong> des travailleurs, anciens combattants, afin<br />

de


290 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

3. Tensions exacerbées a Koutiala<br />

<strong>La</strong> politisation des conflits fonciers est plus marquée à Kou-<br />

tiala qu’à Sikasso. L’attribution de lots y apparaît bien comme<br />

la cheville ouvrière <strong>du</strong> ralliement des électeurs au cours de la der-<br />

nière décennie. C<strong>et</strong> usage personnalisé des réserves domania<strong>les</strong> est<br />

patronné par le premier responsable de la ville, dont <strong>les</strong> alliances<br />

municipa<strong>les</strong> se nouent autour des services fonciers : ventes, ces-<br />

sions de permis d’occuper, attestations de mutations. En r<strong>et</strong>our,<br />

une


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 29 1<br />

gans nationaux sur le


292 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Le <strong>du</strong>rcissement des conflits fonciers<br />

De nouveaux morcellements périphériques, pratiqués par la<br />

seconde équipe municipale, puis la vente anticipée des lots de Koko-<br />

Extension-Est, firent ensuite rebondir l’affrontement politique à<br />

l’approche <strong>du</strong> troisième mandat. L’eff<strong>et</strong> positif de c<strong>et</strong>te distribution<br />

électoraliste ne se r<strong>et</strong>ourna qu’après la réélection <strong>du</strong> maire,<br />

lorsque <strong>les</strong> attributaires sur le papier comprirent que leurs emplacements<br />

ne seraient pas désignés sans de nouveaux frais de viabilisation<br />

(chapitre 4).<br />

<strong>La</strong> chronologie <strong>du</strong> versement massif des taxes édilité (15 <strong>et</strong><br />

50 O00 FCFA) concorde ainsi avec <strong>les</strong> échéances électora<strong>les</strong> loca<strong>les</strong><br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> quittances communa<strong>les</strong>. Les tensions s ’exaspèrent au<br />

milieu des années 1980 <strong>et</strong> cristallisent <strong>les</strong> rivalités de


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 293<br />

basés à la mairie, ont spéculé sur l’achat de lots par plusieurs per-<br />

sonnes à la fois. L’affaire est confiée au commandant de cercle<br />

qui ordonne une enquête policière de plusieurs semaines. Des inter-<br />

médiaires sont arrêtés pendant plusieurs jours, mais <strong>les</strong> critiques<br />

pointent quant aux vrais responsab<strong>les</strong> : des lots insuffisamment<br />

valorisés ont été repris aux attributaires initiaux <strong>dans</strong> un quartier-<br />

bastion de l’opposition politique, puis réattribués d’une manière<br />

particulièrement confuse. Un employé de la commune a person-<br />

nellement ven<strong>du</strong> une soixantaine de parcel<strong>les</strong> dont il signait lui-<br />

même <strong>les</strong> l<strong>et</strong>tres d’attribution. Mais c<strong>et</strong>te gestion embrouillée a sur-<br />

tout essuyé <strong>les</strong> pots cassés d’aliénations communa<strong>les</strong> menées à des<br />

fins personnel<strong>les</strong> <strong>et</strong> non sanctionnées depuis près d’une décennie.<br />

L’enquête m<strong>et</strong> en évidence un véritable trafic d’attestations de vente<br />

sur des lots non numérotés. Payés au bas prix de 15 O00 FCFA,<br />

ces documents administratifs ont été reven<strong>du</strong>s à des tarifs person-<br />

nalisés allant de 100 à 200 O00 FCFA. Les parcel<strong>les</strong> étaient trou-<br />

vées <strong>dans</strong> la ville sous le couvert des clauses administratives de<br />

reprise. Mais n’apparaissaient clairement ni la justification <strong>du</strong> choix<br />

<strong>du</strong> quartier ni celle des terrains nus plutôt que d’autres.<br />

L’insuffisance des mises en valeur relevait de plus de raisons<br />

socia<strong>les</strong> diverses. Des bénéficiaires expatriés à l’étranger n’avaient<br />

d’autant pas renoncé à leur lot que <strong>les</strong> cas de r<strong>et</strong>raits administra-<br />

tifs sont rares <strong>dans</strong> <strong>les</strong> communes maliennes. D’autres avaient<br />

reven<strong>du</strong> en catastrophe leur parcelle de la main à la main, dès<br />

que furent connues <strong>les</strong> intentions <strong>du</strong> maire de réquisitionner <strong>les</strong><br />

lots nus pour mobiliser une dernière réserve lotie avant <strong>les</strong> élec-<br />

tions. Ces transactions ont donc multiplié <strong>les</strong> conflits entre anciens<br />

attributaires <strong>et</strong> nouveaux ach<strong>et</strong>eurs : deux ou trois


294 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

Fonctionnement des clientè<strong>les</strong> urbaines<br />

Toutes ces malversations rendent compte d’abord d’une appropriation<br />

des décisions communa<strong>les</strong> par <strong>les</strong> alliances <strong>du</strong> maire. Mais<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> arbitrages administratifs chargés de rem<strong>et</strong>tre de l’ordre<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> affaires municipa<strong>les</strong>, la fonction de premier représentant<br />

reste pudiquement exempte de tout soupçon, <strong>et</strong> conserve son potentiel<br />

de manipulation personnelle pour <strong>les</strong> successeurs. Faute de solution<br />

financière à une gestion domaniale de pénurie, on se replie<br />

sur une interprétation morale : <strong>les</strong> abus sont commis selon <strong>les</strong>


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 295<br />

des suffrages de militantes UNFM vers l’équipe municipale qui <strong>les</strong><br />

avantage. Dans <strong>les</strong> parcel<strong>les</strong> reprises puis reven<strong>du</strong>es en janvier 1987,<br />

el<strong>les</strong> représentent 13 Yo des bénéficiaires, alors qu’el<strong>les</strong> ne contri-<br />

buaient que pour moins de 2 Yo à la demande enregistrée. Des<br />

entrepreneurs locaux témoignent également d’un échange récipro-<br />

que de services. Le plus gros (< cumulard )> de titres fonciers kou-<br />

tialais apparaît notamment <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lots de raccords ven<strong>du</strong>s irré-<br />

gulièrement par le maire. En 1987, une correspondance munici-<br />

pale remercie ce transporteur pour avoir fourni 200 litres de gas-<br />

oil


296 ~<br />

LA<br />

QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

guliers fournirent une compensation de 4 parcel<strong>les</strong> au greffier,<br />

nommé entre temps à Niono, qu’il valorisa à distance pour la loca-<br />

tion. Le ralliement aux virulentes tendances politiques koutialaises<br />

n’exclut donc pas d’autres relations socia<strong>les</strong>. Motivées par une con-<br />

naissance fine des (< autochtones )) entre eux, el<strong>les</strong> soulignent la posi-<br />

tion stratégique mais en même temps


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 297<br />

Un conseiller a conclut que le sabotage est à la base de c<strong>et</strong>te<br />

affaire un autre préconisa de (( dénoncer <strong>les</strong> fauteurs de troub<strong>les</strong>,<br />

estimant que la population n’a pas agi d’elle même D.<br />

I J<br />

~<br />

Puis vient la réponse de l’opposition mise en cause :<br />

~~<br />

(( Si ceux-là persistent à y semer ou labourer, ce n’est pas notre<br />

recommandation. >> Mais l’ancien maire a rappela l’intervention de<br />

son quartier en faveur des cultures lors d’une réunion <strong>du</strong> comité<br />

politique D.<br />

Des planteurs ont également per<strong>du</strong> tout ou partie de leurs ver-<br />

gers <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980, <strong>dans</strong> des conditions que n’avaient pas<br />

connues ceux dont <strong>les</strong> terres étaient officiellement réquisitionnées<br />

au temps <strong>du</strong> CMLN. Mais ces propriétaires adhèrent pourtant<br />

moins aux arguments corporatistes de l’opposition, <strong>et</strong> plusieurs<br />

exploitent d’autres canaux d’expression de leur mécontentement :<br />

coopérative locale des planteurs, soutien lignager, influence per-<br />

sonnelle de commerçants <strong>et</strong> de transporteurs auxquels ils sont pro-<br />

fessionnellement liés. Ainsi, deux planteurs ont d’abord contacté<br />

l’un des représentants de la a droite )) pour rendre leur cas public,<br />

puis ils ont négocié des compensations en lots auprès des parti-<br />

sans <strong>du</strong> maire. Les positions communes n’ont pas tenu plus de<br />

quelques semaines <strong>et</strong> se sont désengagées de prolongements politi-<br />

ques. Les pressions des planteurs apparaissent ainsi moins impor-<br />

tantes, <strong>du</strong> fait de patrimoines fonciers qui étaient peu concentrés<br />

dès l’époque coloniale. <strong>La</strong> délégation des droits de culture à des<br />

responsabilités familia<strong>les</strong> morcelées a habitué <strong>les</strong> investisseurs kou-<br />

tialais à compter davantage sur leur propre initiative économique.<br />

Le ralliement des mécontents est aussi mouvant chez <strong>les</strong> sala-<br />

riés que chez <strong>les</strong> actifs indépendants. Les salariés de l’in<strong>du</strong>strie,<br />

gros bénéficiaires des attributions de 1985, ont été <strong>les</strong> principaux<br />

déçus <strong>du</strong> blocage de Koko-Extension-Est <strong>et</strong> des inconséquences de<br />

la commune. Des originaires de Koutiala ont ainsi rallié leurs voi-<br />

sins <strong>et</strong> parents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers que <strong>les</strong> élections divisaient. Le<br />

secrétaire général de la section syndicale HUICOMA fut d’ailleurs<br />

le seul cadre à oser expliquer l’attente des lots par <strong>les</strong> travailleurs<br />

au président de la République lors d’une tournée régionale. I1<br />

s’entendit répondre que a Bamako n’est pas au courant D, échec<br />

verbal qui démobilisa bien des salariés vis-à-vis des tendances<br />

politiques.<br />

Après la portée limitée de ces démarches loca<strong>les</strong>, il reste à Cvo-


298 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

quer <strong>les</strong> délégations de personnes, technique ultime de représenta-<br />

tion, qui connecte plus manifestement le patronage koutialais aux<br />

clientè<strong>les</strong> politiques bamakoises. Des militants de la


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 299<br />

est évoquée, celle des


300 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

koutialais ne peut se comprendre qu’au regard <strong>du</strong> poids économi-<br />

que de la région <strong>dans</strong> le budg<strong>et</strong> malien, le coton <strong>et</strong> ses dérivés<br />

in<strong>du</strong>striels finançant en partie la fonction publique <strong>du</strong> pays.<br />

<strong>La</strong> surveillance directe de dirigeants nationaux a donc <strong>du</strong>rci <strong>les</strong><br />

désaccords antérieurs. En sermonnant <strong>les</strong> rivalités personnel<strong>les</strong>,<br />


ÉLITES URBAINES ET CLIENTÉLISME FONCIER 301<br />

base D, <strong>les</strong> clivages locaux s’expriment de biais, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> détours<br />

de la gestion urbaine.<br />

Cependant, <strong>les</strong> liens établis entre <strong>les</strong> sélections <strong>foncière</strong>s com-<br />

muna<strong>les</strong> <strong>et</strong> la vie politique nationale ont usé en moins d’une décen-<br />

nie bien des positions de pouvoir personnel. Cel<strong>les</strong>-ci apparaissent<br />

précaires, dès lors que <strong>les</strong> problèmes de terrains sont clientélisés<br />

jusqu’à un niveau central moins soucieux d’en redistribuer <strong>les</strong> béné-<br />

fices sociaux : ou le


Conclusion<br />

<strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> malienne se pose finalement en termes de<br />

prélèvements sur l’usage de la terre selon une véritable chaîne territoriale.<br />

Le domaine national, <strong>les</strong> lotissements communaux, <strong>les</strong><br />

transactions citadines, chaque niveau confronte la pro<strong>du</strong>ction d’un<br />

espace normalisé, idéalisant ses outils juridiques <strong>et</strong> techniques, <strong>et</strong><br />

la pro<strong>du</strong>ction de valeurs économiques <strong>et</strong> socia<strong>les</strong>. <strong>La</strong> mobilisation<br />

locale témoigne donc d’un rapport des communes avec <strong>les</strong> représentants<br />

de I’État, mais aussi d’une capacité certaine <strong>et</strong> d’une<br />

grande diversité de


304 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

1. L’urbanisation vue


CONCLUSION 305<br />

per d’un statut étroit de


306 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

mis) de la capitale régionale, aux blocages <strong>et</strong> aux stratégies d’évi-<br />

tement plus démonstratifs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> chefs-lieux excentrés.<br />

On ne, peut cependant résumer l’ensemble des pratiques fon-<br />

cières à c<strong>et</strong>te hiérarchie communale. En eff<strong>et</strong>, la classification des<br />

principaux groupes économiques de demandeurs de lots, miroir des<br />

populations actives, varie peu <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois vil<strong>les</strong>. Les appropria-<br />

tions populaires illicites ne progressent pas non plus en propor-<br />

tion <strong>du</strong> nombre de citadins. Intermédiaire par sa taille, Koutiala<br />

fait figure d’Clément perturbateur <strong>dans</strong> la place des sonsorobuguw<br />

<strong>du</strong> centre semi-urbain à la ville moyenne. Son histoire <strong>et</strong> le poids<br />

économique de son environnement cotonnier la placent <strong>dans</strong> une<br />

relation directe avec Bamako. Ses investisseurs, ses représentants<br />

court-circuitent la tutelle administrative régionale, <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>iennent<br />

une sélection <strong>foncière</strong> différente <strong>du</strong> rôle intermédiaire qu’on vou-<br />

drait lui prêter de prime abord.<br />

D’autres caractères régionaux déforment également l’eff<strong>et</strong> de<br />

taille des agglomérations. Leur situation frontalière renvoie à des<br />

hinterlands migratoires qui ont varié <strong>dans</strong> le temps (relations avec<br />

l’ex-Haute-Volta, crise économique ivoirienne, conjonctures clima-<br />

tiques), <strong>et</strong> <strong>dans</strong> l’espace : <strong>les</strong> itinéraires sont concentrés vers le Bur-<br />

kina Faso, dispersés en Côte d’Ivoire ; Bougouni est plus récem-<br />

ment touché par l’arrivée de Sahéliens. C<strong>et</strong>te géographie fronta-<br />

lière se répercute de façon inégale sur <strong>les</strong> pressions résidentiel<strong>les</strong><br />

loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> sur la définition de solvabilités familia<strong>les</strong> : être un<br />


CONCLUSION 307<br />

2. Promotion <strong>foncière</strong> <strong>et</strong> immobilière au <strong>Mali</strong> : pauvr<strong>et</strong>és<br />

<strong>et</strong> dynamiques<br />

Misère <strong>et</strong> grandeur des cours urbaines<br />

L’investissement résidentiel reste pauvre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>,<br />

bien qu’il ne débouche guère sur de véritab<strong>les</strong> bidonvil<strong>les</strong>. <strong>La</strong> rar<strong>et</strong>é<br />

des matériaux de récupération atténue l’insuffisance des équipe-<br />

ments urbains, <strong>les</strong> précarités des statuts fonciers. Mais le bâti reste<br />

de faible coût, fondé en grande partie sur la brique d’argile <strong>et</strong><br />

sur l’auto-promotion par <strong>les</strong> ménages <strong>et</strong> <strong>les</strong> voisinages.<br />

Ces limites sont d’abord patentes au plan des politiques natio-<br />

na<strong>les</strong>. Pays rural <strong>et</strong> en partie sahélien, le <strong>Mali</strong> ne s’est pas moins<br />

orienté que ses voisins vers une approche étroite, instrumentale de<br />

la gestion urbaine. Dans la dernière décennie, ces pragmatismes<br />

domaniaux <strong>et</strong> fiscaux relèvent davantage d’une fuite en avant poli-<br />

tique que d’une rationalisation en profondeur des soubassements<br />

de la ville. Au début des années 1990, des lots continuent d’être<br />

promis ou attribués comme monnaie d’échange à quelques corpo-<br />

rations professionnel<strong>les</strong> négligées par le précédent régime ; ils main-<br />

tiennent au cœur de l’État des régulations socia<strong>les</strong> de courte por-<br />

tée, désormais plus catégoriel<strong>les</strong> que clientélistes. A Bamako, magis-<br />

trats <strong>et</strong> enseignants font ainsi récemment l’obj<strong>et</strong> de


308 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

emphytéotiques, in<strong>du</strong>striels ou commerciaux contraste avec l’exploi-<br />

tation souple, en bor<strong>du</strong>re <strong>du</strong> marigot Lotio, des terres maraîchè-<br />

res non enregistrées par écrit. Peu de parcel<strong>les</strong> non construites des<br />

lotissements périphériques de Bougouni sont exploitées pour la cul-<br />

ture d’hivernage. Les rares exemp<strong>les</strong>, qui passent outre la <strong>et</strong> l’interdiction de cultiver <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lotissements, relèvent<br />

de relations non marchandes, de prêts à titre amical, plus que d’une<br />

rente agricole repro<strong>du</strong>ctible. Enfin, <strong>les</strong> propriétaires de vergers péri-<br />

urbains insistent sur le médiocre rapport de leurs plantations, même<br />

lorsqu’il s’agit de variétés sélectionnées ou greffées : rar<strong>et</strong>é de l’irri-<br />

gation, incendies, insuffisances de I’écoulement commercial, absence<br />

de débouché agro-in<strong>du</strong>striel, concurrences régiona<strong>les</strong> d’une pro<strong>du</strong>c-<br />

tion concentrée <strong>dans</strong> l’année, sont <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> causes évoquées.<br />

<strong>La</strong> plantation reste avant tout un élément de prestige familial à<br />

léguer aux enfants, le témoin d’une certaine réussite sociale, une<br />

réserve <strong>foncière</strong> pourvoyeuse de revenus d’appoint en attendant<br />

d’éventuel<strong>les</strong> compensations de réquisition communale.<br />

Les pratiques économiques des investisseurs confirment c<strong>et</strong>te<br />

logique spéculative : <strong>les</strong> commerçants <strong>et</strong> <strong>les</strong> entrepreneurs qui achè-<br />

tent des lots conçoivent peu la terre comme un support pour la<br />

pro<strong>du</strong>ction artisanale ou in<strong>du</strong>strielle. Les rares créneaux r<strong>et</strong>enus<br />

par ces capitaux privés des vil<strong>les</strong> maliennes (boulangeries, ateliers<br />

de mécanique notamment) sont rapidement saturés par l’étroitesse<br />

des <strong>marchés</strong> de consommation. Même à Koutiala, un investisse-<br />

ment immobilier relativement prospère se concentre sur des filiè-<br />

res de rapport passif, comme l’hôtellerie ou <strong>les</strong> dancings.<br />

Enfin, l’occupation familiale des cours résidentiel<strong>les</strong> témoigne<br />

généralement d’un même état de pauvr<strong>et</strong>é. Dans la pénurie de lots,<br />

un véritable goulot d’étranglement foncier pompe <strong>les</strong> liquidités<br />

financières, qui manquent ensuite pour intensifier la promotion<br />

immobilière. Les ) de sonsorobougouw maliens se<br />

révèlent encore moins probants que d’autres régularisations, plus<br />

larges, menées en Afrique. <strong>La</strong> construction garde des formes arti-<br />

sana<strong>les</strong>, voire pré-marchandes <strong>et</strong> s’appuie sur la contribution non<br />

négligeable <strong>du</strong> sur-travail domestique. <strong>La</strong> faib<strong>les</strong>se des solvabilitks<br />

bloque l’émergence d’un véritable entrepreneuriat <strong>du</strong> bâtiment, ainsi<br />

que l’investissement de bénéfices commerciaux <strong>dans</strong> la filière habi-<br />

tat. Les activités des quelques tâcherons sikassois se concentrent<br />

sur le marché administratif (3).<br />

(3) Un seul entrepreneur en bâtiment apparaît à Koutiala, mais il intervient sur-<br />

tout <strong>dans</strong> la construction hôtelière, peu <strong>dans</strong> celle de villas louées aux cadres in<strong>du</strong>s-<br />

triels. Ses activités se deploient depuis Bamako, oh l’expérienbe immobilière d’un<br />

homme d’affaire sénégalais est également révélatrice : en une année, l’enthousiasme<br />

suscité par la construction des maisons ATEPA-<strong>Mali</strong> est r<strong>et</strong>ombé devant le coût <strong>et</strong><br />

le nombre limité de maisons pro<strong>du</strong>ites.


CONCLUSION 309<br />

Peu de capitaux locaux sont donc susceptib<strong>les</strong> de s’investir <strong>dans</strong><br />

la pro<strong>du</strong>ction d’un habitat standing ou populaire clef en main, <strong>du</strong><br />

fait <strong>du</strong> bas niveau des salaires <strong>et</strong> des loyers maliens. Seule la Société<br />

d’équipement <strong>du</strong> <strong>Mali</strong>, privatisée en janvier 1992, intervient à Kou-<br />

tiala pour la location-vente de quelques villas excentrées, en pri-<br />

vilégiant une fois de plus la p<strong>et</strong>ite ville montante au détriment de<br />

sa capitale régionale. Ailleurs, le marché locatif se déploie pour<br />

l’essentiel <strong>dans</strong> des cours aux constructions étalées. Investir mas-<br />

sivement sur un terrain résidentiel ne peut se justifier que par un<br />

proj<strong>et</strong> de location baillée pour la clientèle étroite des organisations<br />

non gouvernementa<strong>les</strong> ou de rares sociétés prospères. Ce sont bien<br />

d’autres logiques, de long terme, qui motivent <strong>les</strong> transactions fon-<br />

cières <strong>et</strong> immobilières d’ensemble.<br />

Entre rentes <strong>et</strong> patrimoines<br />

Les études <strong>foncière</strong>s menées en France connaissent un vérita-<br />

ble tournant <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1980, qui n’est pas sans intérêt pour<br />

la recherche africaniste. Des juristes <strong>et</strong> des économistes passent de<br />

points de vue normatifs à des approches plus anthropologiques,<br />

centrées sur <strong>les</strong> pratiques loca<strong>les</strong> <strong>et</strong> familia<strong>les</strong>. L’enquête notariale<br />

de P. <strong>La</strong>maison sur la transmission des propriétés rura<strong>les</strong> montre<br />

notamment à quel point la géographie des modes de succession<br />

provinciaux est tenace <strong>dans</strong> le long terme <strong>et</strong> ne reflète qu’un<br />


310 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

capitaliste <strong>et</strong> des filières de p<strong>et</strong>ite pro<strong>du</strong>ction marchande. Les pou-<br />

voirs publics s’y désengagent au plan financier , démissionnent vis-<br />

à-vis des classes pauvres, voire moyennes, servent des intérêts pri-<br />

vés d’origines historiques variées. Appropriations urbaines <strong>et</strong> recom-<br />

positions socia<strong>les</strong> sont donc intimement liées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mécanismes<br />

<strong>du</strong> profit foncier. Les transactions léga<strong>les</strong> <strong>et</strong> illéga<strong>les</strong> révèlent un<br />

double tribut prélevé sur l’insertion résidentielle, financier mais aussi<br />

social, fait d’allégeances électora<strong>les</strong> <strong>et</strong> de reconnaissances familia-<br />

<strong>les</strong>. De nombreuses politiques urbaines ’patronnées par la Banque<br />

mondiale achoppent ainsi sur une fonction <strong>du</strong> sol <strong>et</strong> <strong>du</strong> logement<br />


CONCLUSION 311<br />

tion familiale élargie, rapport locatif plus ou moins rentable, attente<br />

différée d’opportunités bancaires.. .), <strong>et</strong> également sur divers espaces<br />

de capitalisation <strong>foncière</strong>, locaux ou éclatés. Au bas de l’échelle<br />

socio-économique des usagers <strong>du</strong> sol, <strong>les</strong> seconds confirment sur<br />

le mode pauvre ces eff<strong>et</strong>s d’imitation <strong>et</strong> d’emprunt entre <strong>les</strong> seg-<br />

ments urbains officiels <strong>et</strong> illicites : ceux-ci n’offrent souvent qu’un<br />

détour pour mieux pénétrer ceux-là, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels ils puisent des<br />

modè<strong>les</strong> de cumul <strong>et</strong> de location.<br />

<strong>La</strong> dimension patrimoniale <strong>du</strong> statut de <strong>du</strong>tigi contamine en<br />

sens inverse <strong>les</strong> logiques marchandes de la ville. Les conflits mon-<br />

trent ainsi toute l’ambivalence des légitimités de propriétés con-<br />

testées. Ces hésitations sur la transmission sociale de la terre con-<br />

cernent tant des titres définitifs que des concessions domania<strong>les</strong><br />

<strong>et</strong> des biens dévolus en nom collectif, qui maintiennent <strong>les</strong> princi-<br />

pes lignagers de redistribution sociale au cœur des arbitrages muni-<br />

cipaux. Mais c<strong>et</strong>te anthropologie <strong>du</strong> patrimoine n’est pas pour<br />

autant figée <strong>dans</strong> une tradition a-temporelle. Ni le masque cou-<br />

tumier )) (4)’ ni une quelconque idéalité (< populaire )) ne cernent<br />

pleinement <strong>les</strong> tensions socia<strong>les</strong> de l’appropriation. Les populations<br />

citadines ne sont guère captives d’une bulle communautaire locale<br />

qui cloisonnerait l’appréhension de leur dynamique historique. Les<br />

hiérarchies statutaires dont el<strong>les</strong> héritent de sites précoloniaux<br />

démentent un dernier mythe, celui de formations socia<strong>les</strong> africai-<br />

nes authentiquement démocratiques.<br />

Contribution à l’étude de la société malienne<br />

<strong>et</strong> nouvel<strong>les</strong> perspectives républicaines<br />

Les gestions socia<strong>les</strong> <strong>et</strong> politiques des trois observatoires méri-<br />

dionaux apparaissent finalement riches d’enseignement pour le pro-<br />

cessus de démocratisation. En eff<strong>et</strong>, le pluralisme malien s’est très<br />

tôt émi<strong>et</strong>té en une quarantaine de partis, <strong>et</strong> en même temps con-<br />

centré sur quelques ténors nés d’expériences politiques antérieu-<br />

res. <strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> offre alors un support pour l’analyse des<br />

mutations socia<strong>les</strong> contemporaines, révélateur de portée conjonc-<br />

turelle mais aussi d’envergure historique.<br />

Elle montre, en particulier, comment de multip<strong>les</strong> filières de<br />

mobilités professionnel<strong>les</strong> <strong>et</strong> géographiques tentent au <strong>Mali</strong> de con-<br />

tourner <strong>les</strong> sélections marchandes urbaines. Les pratiques citadi-<br />

nes apparaissent ainsi denses, <strong>dans</strong> un cadre institutionnel <strong>et</strong> éco-<br />

(4) Chrétien J.-P., 1981 : (( Autorité mystique <strong>et</strong> pouvoir #État )), &tat <strong>et</strong> société<br />

en Afrique noire, Revue française d’histoire d’outre-mer, LXVIII (250-253), p. 121.


3 12 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

nomique pourtant fort contraignant. Acteurs indivi<strong>du</strong>alisés ou<br />

réseaux d’appropriation <strong>foncière</strong> dépassent l’opposition statique<br />

entre État <strong>et</strong>


CONCLUSION 313<br />

<strong>dans</strong> une demande <strong>foncière</strong> ten<strong>du</strong>e <strong>et</strong> hétérogène. <strong>La</strong> dégradation<br />

de leur pouvoir d’achat limite leurs possibilités d’accéder aux con-<br />

cessions viabilisées qui sont pourtant conçues comme lieu de dis-<br />

tinction des classes moyennes. Elle sape ainsi une des fonctions<br />

de protection de l’autorité centrale ; elle con<strong>du</strong>it au regain de<br />

réflexes fonciers spéculatifs chez certains agents administratifs, qui<br />

maintiennent une confusion <strong>du</strong>rable entre services publics <strong>et</strong> inté-<br />

r<strong>et</strong>s privés.<br />

Le milieu des commerçants ressort ensuite stratifié de c<strong>et</strong>te<br />

étude, des appropriations aléatoires aux plus rares réussites immo-<br />

bilières. Les plus entreprenants constituent moins une classe orga-<br />

nisée d’hommes d’affaires, mus par la conscience d’intérêts com-<br />

muns bien défen<strong>du</strong>s <strong>dans</strong> la capitale, qu’une sphère socio-<br />

économique fragmentée. Leurs activités marchandes dépendent<br />

encore beaucoup des cadres régionaux. Leur représentation politi-<br />

que nationale est souvent personnalisée. Leurs pratiques <strong>foncière</strong>s<br />

associent des perspectives de promotions indivi<strong>du</strong>el<strong>les</strong> <strong>et</strong> des réflexes<br />

de solidarités lignagères.<br />

Enfin, le devenir des (< aristocraties coutumières n, d’origine<br />

guerrière ou coloniale, est également sous-jacent aux enjeux doma-<br />

niaux <strong>du</strong> <strong>Mali</strong> contemporain. J.-L. Amselle interprète ces élites<br />

régiona<strong>les</strong>, déchues de leurs fonctions politiques, comme un groupe<br />

en déperdition sociale face aux élites bureaucratiques <strong>et</strong> commer-<br />

çantes montantes qui se disputent le pouvoir politique à Bamako.<br />

Pour S. Bagayoko, el<strong>les</strong> offrent encore une importante référence<br />

idéologique aux dirigeants maliens (5). Dans <strong>les</strong> conflits fonciers<br />

méridionaux, <strong>les</strong> grands lignages cherchent à se maintenir comme<br />

un


314 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

groupes citadins (6). Mais c<strong>et</strong> alignement d’une minorité sur <strong>les</strong><br />

filières


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ACIER M., COPANS J., MORICE A. (Dir.), 1987 : Classes ouvrières<br />

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AMSELLE J.-L. (Ed.), 1976 : Les Migrations africaines. Réseaux <strong>et</strong> processus<br />

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Paris, Pédone, 259 p.<br />

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repro<strong>du</strong>ctions des rapports marchands <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sociétés traditionnel<strong>les</strong><br />

à partir de l’analyse <strong>du</strong> surplus D, in Essais sur la repro<strong>du</strong>ction<br />

de formations socia<strong>les</strong> dominées, Paris, ORSTOM, pp. 105-138.<br />

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<strong>et</strong> développement D, Cahiers des Sciences humaines, no 1,<br />

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LABAZEE P., 1988 : Entreprises <strong>et</strong> entrepreneurs <strong>du</strong> Burkina Faso, Paris,<br />

Karthala, 275 p.<br />

LABORATOIRE CONNAISSANCE DU TIERS MONDE, universite de Paris VII,<br />

1983 : Entreprises <strong>et</strong> entrepreneurs en Afrique, XIX-xxe sièc<strong>les</strong>, Paris,<br />

L’Harmattan, 2 tomes, 638 p.


BIBLIOGRAPHIE 323<br />

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à l’analyse politique D, Revue française de sciences politiques, 26-1,<br />

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TERRAY E. (Dir.), 1987 : L’État contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan,<br />

418 p.


TABLE DES MATIÈRES<br />

AVANT-PROPOS : <strong>La</strong> <strong>question</strong> <strong>foncière</strong> au cœur de l’urbanisation<br />

africaine .....................................<br />

INTRODUCTION : Le <strong>Mali</strong> <strong>dans</strong> la crise urbaine <strong>et</strong> financière<br />

PREMIÈRE PAR TIE<br />

Itinéraires, filières,<br />

réseaux d’insertion urbaine<br />

CHAPITRE 1. Cohabitations résidentiel<strong>les</strong> <strong>et</strong> dgférenciation<br />

des quartiers à Sikasso.. ............................<br />

CHAPITRE 2. Les ouvriers koutialais <strong>et</strong> la redistribution de<br />

la rente cotonnière.. ................................<br />

CHAPITRE 3. Des propriétaires h distance.. .............<br />

DEUXIÈME PARTIE<br />

Tensions des <strong>marchés</strong> fonciers<br />

<strong>dans</strong> la crise économique<br />

CHAPITRE 4. Chronique de trois segments fonciers ......<br />

CHAPITRE 5. Les filtrages <strong>du</strong> marché municipal .........<br />

CHAPITRE 6. Valorisations <strong>du</strong> sol urbain : sélections sans<br />

ségrégations ........................................<br />

5<br />

15<br />

47<br />

75<br />

103<br />

131<br />

171<br />

199


326 LA QUESTION FONCIÈRE DANS LES VILLES DU MALI<br />

TROISIÈME PARTIE<br />

Conflits fonciers ~<br />

<strong>et</strong> dynamiques socia<strong>les</strong> urbaines<br />

CHAPITRE 7. Con frontations <strong>et</strong> arbitrages entre particuliers 229<br />

CHAPITRE 8. Élites urbaines <strong>et</strong> clientélismè foncier, de la<br />

ville à l’Étut .................... . . . . . I . . ............ 265<br />

I<br />

CONCLUSION.. ........................................ 303<br />

SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE .......................... 3 15


Achevé d'imprimer par Corl<strong>et</strong>, Imprimeur, S.A.<br />

141 1 O Condé-sur-Noireau (France)<br />

No d'Imprimeur : 3042 - Dépôt légal : octobre 1994<br />

lmprimé en C.E.E.


Quels sont <strong>les</strong> modes d’insertion résidentielle des citadins maliens ?<br />

Le présent ouvrage décrit <strong>et</strong> analyse ce phénomène <strong>et</strong> <strong>les</strong> contradic-<br />

tions qui l’accompagnent, à partir des trois chefs-lieux méridionaux<br />

des pays.<br />

Au-delà des limites juridiques, financières <strong>et</strong> techniques, sont exa-<br />

minés <strong>les</strong> pratiques loca<strong>les</strong> d’appropriation des parcel<strong>les</strong> à bâtir, <strong>les</strong><br />

segments <strong>et</strong> <strong>les</strong> valorisations des <strong>marchés</strong> fonciers, <strong>les</strong> conflits de<br />

transmission de la terre. Les légitimités <strong>foncière</strong>s, dont témoigne ce<br />

rapport anthropologique <strong>et</strong> économique au sol urbain, s’enracinent <strong>dans</strong><br />

l’histoire précoloniale des cités. El<strong>les</strong> sont également modifiées par la<br />

crise urbaine <strong>et</strong> politique que traverse le pays. Gestions <strong>et</strong> régulations<br />

<strong>foncière</strong>s instaurent ainsi un dialogue complexe entre <strong>les</strong> collectivités<br />

de base <strong>et</strong> <strong>les</strong> pouvoirs administratifs centraux, dialogue qui déborde<br />

des seuls cadres institutionnels.<br />

Ce développement des communes maliennes voit se confronter des<br />

logiques rentières, spéculatives <strong>et</strong> patrimonia<strong>les</strong>, ainsi que <strong>les</strong> proj<strong>et</strong>s<br />

des « autochtones » <strong>et</strong> des « étrangers », des commerçants <strong>et</strong> des fonc-<br />

tionnaires, des « nantis » <strong>et</strong> des « démunis ». <strong>La</strong> différenciation sociale<br />

à l’œuvre, <strong>les</strong> mobilités géographiques des citadins, <strong>du</strong> village à<br />

l’exode international, façonnent une transition <strong>foncière</strong> <strong>et</strong> urbaine qui<br />

éclaire la contribution des p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong> des moyennes vil<strong>les</strong> maliennes à<br />

la formation territoriale de 1’Etat contemporain, <strong>dans</strong> un contexte à la<br />

fois de démocratisation <strong>et</strong> de décentralisation.<br />

Géographe, docteur de l’Université de Paris X- Nanterre, Monique<br />

Bertrand est maître de conférences à l’Université de Caen <strong>et</strong> chercheur<br />

<strong>dans</strong> UJRA 915 <strong>du</strong> CNRS (géographie sociale).<br />

Collection dirigée par Jean Copans<br />

I!%N : 2-86537-461-5

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