xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne

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que, si mon âme doit cette année émigrer de mon corps, je ne m’en aille plus d’ici ; mais que cela m’arrive en vue du lieu de ton ascension. Je crois en effet que comme je t’ai poursuivi avec mon corps en venant jusqu’ici, ainsi mon âme entrera saine et sauve et joyeuse à ta suite dans le Paradis. » Après cette prière, il rentra avec ses compagnons à son gîte. C’était alors l’heure du repas. Mais pendant que les autres se mettaient à table, il gagna sa couche d’un air gai, comme si, sous l’effet d’un pesant sommeil, il allait prendre quelque repos ; il s’assoupit aussitôt, et l’on ne sait ce qu’il vit. Mais dès qu’il fut endormi il s’écria : « Gloire à toi, Dieu ! Gloire à toi, Dieu! ». Ses compagnons, l’entendant, l’engageaient à se lever et à manger avec eux. Il refusa, et en se tournant de l’autre côté, déclara qu’il ne se sentait pas bien ; il resta couché jusqu’au soir, appela ses compagnons de voyage, puis il les salua avec douceur, et rendit l’âme ». Cependant, malgré la félicité que le pèlerinage procure, le courage de l’entreprendre jusqu’au bout, peut faire défaut aux pèlerins. Certains rebroussent chemin ; d’autres se sauvent alors qu’ils sont sur le point de subir le martyre qu’ils espéraient. On raconte que Saint Uldaric, finissait de se baigner dans le Jourdain, quand il vit accourir une troupe menaçante de Sarrasins, et l’hagiographe de noter : « Le serviteur du Christ désirait dans son cœur la palme du martyre ; cependant, la fragilité humaine l’emportant, il s’enfuit à toutes jambes avec ses compagnons. ». L’idée que le lieu du tombeau du Christ rapproche du ciel est très présente et marque les esprits, amenant les pèlerins à souhaiter être associés à ce lieu à tout jamais. En dernier lieu, chacun des pèlerins de notre corpus a souhaité témoigner de ce qu’il a vu en consignant par écrit certains aspects fondamentaux à leurs yeux. Ainsi, à travers leur récit, ces humbles fidèles veulent édifier leurs lecteurs qui pourront participer aux solennités du pèlerinage par la pensée. Théodoric écrit pour ceux qui ne peuvent partir : « Hec de locis sanctis, in quibus dominus noster Iesus Christus, servi forma pro nobis suscepta, corporalis substantie presentiam, exhibuit, partim a nobis visa, partim ab aliis veraci relatu congnita digessimus, sperantes lectorum vel auditorum animos in ipsius amorem per eorum que hic descripta sunt notitiam excitandos. » 193 . Thietmar souhaite partager son expérience, faire ressentir son aventure et ne pas l’oublier. Ainsi il note : « Verum quia mihi aliquando lectioni operam danti redolet thimum, sapit favum in tam delectabilibus delectari, non utile duxi, que viderem et veraciter a veredicis intelligerem, scripto commendare, ne, oblivionis fumo 193 Theodoric, op. cit., p. 197, lignes 1625-1630. 85

subrepente, quod per naturam non possem, artificialiter alicuius scripti adminiculo memorie non reservarem. » 194 . Jean de Würzbourg a l’intention de rapporter à son entourage ce qu’il a vu à Jérusalem pour partager ces moments très intenses. C’est la raison pour laquelle il est si minutieux et qu’il n’hésite pas à mentionner jusqu’aux inscriptions qui ornent les murs des églises. Leur souci d’apporter un témoignage honnête et fidèle se manifeste dans les remarques que les auteurs peuvent écrire sur la qualité de leurs sources. C’est ainsi qu’à deux reprises, au milieu de son récit et à la fin, Theodoric expose la démarche d’écriture de son pèlerinage, en prenant soin de noter que tout n’a pas été vu de ses propres yeux : « Et de Christo quidem et eius loca ea, que visu didicimus, pro posse narravimus ; nunc quedam de eius amicis et aliis locis nota referemus, post hec quedam a nobis visa, quedam ab aliis nobis relata dicemus 195 » et en fin de récit, nous lisons : « Hec de locis sanctis, in quibus dominus noster Iesus Christus, servi forma pro nobis suscepta, corporalis substantie presentiam exhibuit, partim a nobis visa, partim ab aliis veraci relatu cognita digessimus, sperantes lectorum vel auditorum animos in ipsius amorem per eorum que hic descripta sunt notitiam excitandus 196 ». Les pèlerins de notre corpus n’hésitent pas à développer longuement sur la sincérité de leur témoignage. Le moine russe, Daniel, note à ce propos : « Et j’ai écrit au sujet de ces lieux saints sans mentir mais dans la vérité autant que je les ai vus » 197 . Il compare son récit à ceux des personnes qui ont également visité les lieux saints mais qui n’ont pas été à même d’en rendre compte avec exactitude et qui ont dit des erreurs. Il le confronte encore, avec les propos de ceux qui mentent et qui racontent des histoires. Il asseoit son propos sur sa foi et sur le don qu’il a reçu de Dieu et, il affirme : « Dieu m’a permis, moi, un homme mauvais, un pêcheur, d’aller et de voir toute la terre de Galilée, ce que je n’avais pu imaginer, ce à quoi je n’aurais cru » 198 . Aussi se fait-il un devoir et une obligation morale de restituer l’expérience à laquelle il a participé. De la même façon, le moine Abelard d’Ascoli 199 s’inscrit comme témoin occulaire, digne de foi, à la fin de son ouvrage : « Et ego Frater Belardus de Esculo hec omnia vidi et scrutatus fui et mihi notavi, ut aliis possem veritatem dicere ». 194 Thietmar, op.cit., « Incipit prologus in libro peregrinationis Thietmar » p. 1. 195 Theodoric, op. cit., p. 172, lignes 932-935. 196 Theodoric, op.cit., p. 197, lignes 1625-1630. 197 Daniel, op.cit., paragraphe 77. 198 Daniel,op.cit., paragraphe 77. 199 Descriptio Terrae Sanctae in Archives de l’Orient Latin, tome 1, p. 225-229. 86

que, si mon âme doit cette année émigrer de mon corps, je ne m’en aille plus d’ici ; mais<br />

que cela m’arrive en vue du lieu de ton ascension. Je crois en effet que comme je t’ai<br />

poursuivi avec mon corps en venant jusqu’ici, ainsi mon âme entrera saine et sauve et<br />

joyeuse à ta suite dans le Paradis. » Après cette prière, il rentra avec ses compagnons à son<br />

gîte. C’était alors l’heure du repas. Mais pendant que les autres se mettaient à table, il<br />

gagna sa couche d’un air gai, comme si, sous l’effet d’un pesant sommeil, il allait prendre<br />

quelque repos ; il s’assoupit aussitôt, et l’on ne sait ce qu’il vit. Mais dès qu’il fut endormi<br />

il s’écria : « Gloire à toi, Dieu ! Gloire à toi, Dieu! ». Ses compagnons, l’entendant,<br />

l’engageaient à se lever et à manger avec eux. Il refusa, et en se tournant de l’autre côté,<br />

déclara qu’il ne se sentait pas bien ; il resta couché jusqu’au soir, appela ses compagnons<br />

de voyage, puis il les salua avec douceur, et rendit l’âme ».<br />

Cependant, malgré la félicité que le pèlerinage procure, le courage de l’entreprendre<br />

jusqu’au bout, peut faire défaut aux pèlerins. Certains rebroussent chemin ; d’autres se<br />

sauvent alors qu’ils sont sur le point de subir le martyre qu’ils espéraient. On raconte que<br />

Saint Uldaric, finissait de se baigner dans le Jourdain, quand il vit accourir une troupe<br />

menaçante de Sarrasins, et l’hagiographe de noter : « Le serviteur du Christ désirait dans<br />

son cœur la palme du martyre ; cependant, la fragilité humaine l’emportant, il s’enfuit à<br />

toutes jambes avec ses compagnons. ».<br />

L’idée que le lieu du tombeau du Christ rapproche du ciel est très présente et marque les<br />

esprits, amenant les pèlerins à souhaiter être associés à ce lieu à tout jamais.<br />

En dernier lieu, chacun des pèlerins de notre corpus a souhaité témoigner de ce qu’il a<br />

vu en consignant par écrit certains aspects fondamentaux à leurs yeux. Ainsi, à travers leur<br />

récit, ces humbles fidèles veulent édifier leurs lecteurs qui pourront participer aux solennités<br />

du pèlerinage par la pensée. Théodoric écrit pour ceux qui ne peuvent partir : « Hec de locis<br />

sanctis, in quibus dominus noster Iesus Christus, servi forma pro nobis suscepta, corporalis<br />

substantie presentiam, exhibuit, partim a nobis visa, partim ab aliis veraci relatu congnita<br />

digessimus, sperantes lectorum vel auditorum animos in ipsius amorem per eorum que hic<br />

descripta sunt notitiam excitandos. » 193 . Thietmar souhaite partager son expérience, faire<br />

ressentir son aventure et ne pas l’oublier. Ainsi il note : « Verum quia mihi aliquando lectioni<br />

operam danti redolet thimum, sapit favum in tam delectabilibus delectari, non utile du<strong>xi</strong>, que<br />

viderem et veraciter a veredicis intelligerem, scripto commendare, ne, oblivionis fumo<br />

193 Theodoric, op. cit., p. 197, lignes 1625-1630.<br />

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