xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne

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D’autres estiment que c’est enfermer Dieu dans un lieu donné comme la Terre Sainte 143 et le Saint Sépulcre et que cela va à l’encontre de leur foi. Ainsi Pierre le Vénérable note : « Sciunt […] jam in illo Te sepulcro non jacere ut mortuum, sed in coelis regnare ut Deum vivum. » 144 Déjà, le concile tenu à Châlons-sur-Saône, un an avant la mort de Charlemagne, en 813, souligne les abus des pèlerinages. Nous y lisons dans l’un des canons : « Ils se trompent grandement les hommes qui, sans réflexion et alléguant des raisons de piété, se rendent à Rome, à Tours ou ailleurs. Il est des prêtres, des diacres et d’autres membres du clergé qui vivent dans le désordre et croient se purifier de leurs fautes et s’acquitter de leurs devoirs, s’ils visitent les lieux de sainteté ; il est encore des laïcs qui, en allant y prier, espèrent trouver l’impunité de leurs péchés. Il est des hommes puissants qui, prétextant un voyage à Rome ou à Tours, lèvent des tributs, amassent des richesses, oppriment les pauvres, et ce qu’ils font dans un but unique de cupidité, ils le colorent d’un motif pieux. » Et plus loin : « Il est jusqu’à des pauvres qui donnent les mêmes raisons, afin de trouver plus de facilité à mendier… Il faut demander au Seigneur Empereur de remédier à ces abus. ». Par conséquent, même l’autorité civile cherche à s’opposer à ces déplacements continuels, si propices au vagabondage. L’exemplum 843 145 (cité dans la partie précédente) évoque le problème très concret du pèlerinage d’un moine. La réticence et la réserve à donner une autorisation de partir se retrouvent dans la mise en scène faisant dialoguer un novice et un homme d’expérience. Cet exemplum nous a déjà permis de marquer une des qualités du pèlerin : le silence. Il souligne également les mauvaises pensées de ce jeune abbé et l’erreur qu’il s’apprête à commettre s’il part en pèlerinage sans changer d’état d’esprit. D’ailleurs, l’auteur du 143 Saint Grégoire évêque de Nysse en Cappadoce, écrit à un moine désireux de partir en pèlerinage au IVème siècle : « Qu’aura de plus celui qui s’est rendu en ces lieux, comme si jusqu’à ce jour le Seigneur vivait corporellement en ces lieux et qu’il soit absent de chez nous, comme si le Saint-Esprit abondait chez les habitants de Jérusalem et qu’il lui soit impossible de venir chez nous ? En vérité, s’il est possible de reconnaître une présence de Dieu d’après ce qu’on voit, on serait tenté de penser que Dieu habite dans la nation des Cappadociens plutôt que dans les lieux étrangers. Combien y a-t-il de sanctuaires grâce auxquels le nom de Dieu est glorifié ? On ne peut compter davantage de sanctuaires ou presque dans le monde entier ! Ensuite si la grâce de Dieu était plus grande dans les lieux de Jérusalem, le péché ne serait pas aussi habituel chez ceux qui les habitent ; mais aujourd’hui il n’y a aucune espèce d’inconduite qu’on n’ose commettre chez eux – fornications, adultère, vol, idolâtrie, empoisonnements, complots et meurtres. Surtout, le mal y est à ce point à demeure que nulle part comme dans ces lieux il n’existe une telle propension au meurtre : comme des bêtes sauvages, des gens de même sang se jettent les uns contre les autres, et pour un gain insignifiant. Quand donc s’accomplissent de tels méfaits, quelle preuve y a-t-il que la grâce soit plus grande en ces lieux-là ? […] Lettres Éd. Le Cerf - collection Sources Chrétiennes. 144 Petrus venerabilis sermones tres, édité par Constable, G., Revue Bénédictine, 64, 1954, p. 224-272. 145 Jean Gobi, op. cit. 67

ecueil d’exempla, Jean Gobi, donne une dimension péjorative au terme « Cogitatio » 146 . Il le traduit par mauvaises pensées inspirées par le diable. Et en effet, ce sont bien celles-ci qui sous-tendent tout l’exemplum car Longin fait preuve d’orgueil en définissant lui-même son programme. L’abbé le réprimande et lui rappelle la primauté de la vie intérieure, (lui recommandant de se corriger soi-même) sur les œuvres extérieures de piété. D’aucuns estiment que le pèlerinage n’apporte pas de changement véritable dans le cœur du pèlerin, qu’il reste malgré les épreuves traversées au nom de la foi un simple être humain avec ses défauts. En témoignent les phénomènes de foule, de bousculades ou de piétinements et les échanges violents de mots entre pèlerins à l’arrivée sur un lieu sanctifié. Pour ne pas citer le cas de Foulque Nerra qui massacre, pille, met à sac bien des villages pour agrandir son domaine de Touraine entre chacun de ses pèlerinages, la nature humaine étant ainsi faite, tout le monde ne peut changer du premier coup. 2) Les modalités du statut de pèlerin a) Le voeu On ne s’improvise pas pèlerin, on commence par formuler un vœu. D’abord, le pèlerin doit être volontaire, c’est à dire qu’il fait le choix d’émettre un vœu. Il s’astreint alors à accomplir un acte auquel il n’était pas obligé, avant de l’avoir prononcé. Cette distinction est capitale car les pèlerinages judiciaires ou pénitentiels sont des punitions et non un choix réfléchi de la part du futur pèlerin 147 . On distingue communément deux types de vœu. Le premier que nous pourrions qualifier de « pur et simple », qui manifeste le souhait de se rendre aux lieux saints sous la forme d’une phrase de type déclaratif, assertif. Le second, connu sous l’appellation de « voeu conditionnel », consiste en la formulation d’une phrase complexe avec la mention du souhait dans la proposition principale accompagné d’une restriction dans la subordonnée conditionnelle introduite par si à valeur de potentiel : « Je promets de visiter le tombeau de 146 Polo de Beaulieu, A-.M, « Modèles et contre-modèles du pèlerin dans la littérature exemplaire du Moyen Age » in L’image du pèlerin au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, Actes du colloque international tenu du 30 septembre au 4 octobre 1993, p. 145-157, Gramat, association des amis de Rocamadour, 1994. (Citation p.147). 147 Labande E-R « Eléments d’une enquête sur les conditions de déplacement du pèlerin aux X ème -XI ème siècles» in Pellegrinaggi e culto dei santi, 1967, p. 95-111. 68

D’autres estiment que c’est enfermer Dieu dans un lieu donné comme la Terre Sainte 143 et le<br />

Saint Sépulcre et que cela va à l’encontre de leur foi. Ainsi Pierre le Vénérable note : « Sciunt<br />

[…] jam in illo Te sepulcro non jacere ut mortuum, sed in coelis regnare ut Deum vivum. » 144<br />

Déjà, le concile tenu à Châlons-sur-Saône, un an avant la mort de Charlemagne, en<br />

813, souligne les abus des pèlerinages. Nous y lisons dans l’un des canons : « Ils se trompent<br />

grand<strong>eme</strong>nt les hommes qui, sans réfle<strong>xi</strong>on et alléguant des raisons de piété, se rendent à<br />

Rome, à Tours ou ailleurs. Il est des prêtres, des diacres et d’autres membres du clergé qui<br />

vivent dans le désordre et croient se purifier de leurs fautes et s’acquitter de leurs devoirs, s’ils<br />

visitent les lieux de sainteté ; il est encore des laïcs qui, en allant y prier, espèrent trouver<br />

l’impunité de leurs péchés. Il est des hommes puissants qui, prétextant un voyage à Rome ou<br />

à Tours, lèvent des tributs, amassent des richesses, oppriment les pauvres, et ce qu’ils font<br />

dans un but unique de cupidité, ils le colorent d’un motif pieux. » Et plus loin : « Il est jusqu’à<br />

des pauvres qui donnent les mêmes raisons, afin de trouver plus de facilité à mendier… Il faut<br />

demander au Seigneur Empereur de remédier à ces abus. ». Par conséquent, même l’autorité<br />

civile cherche à s’opposer à ces déplac<strong>eme</strong>nts continuels, si propices au vagabondage.<br />

L’exemplum 843 145 (cité dans la partie précédente) évoque le problème très concret du<br />

pèlerinage d’un moine. La réticence et la réserve à donner une autorisation de partir se<br />

retrouvent dans la mise en scène faisant dialoguer un novice et un homme d’expérience.<br />

Cet exemplum nous a déjà permis de marquer une des qualités du pèlerin : le silence. Il<br />

souligne égal<strong>eme</strong>nt les mauvaises pensées de ce jeune abbé et l’erreur qu’il s’apprête à<br />

commettre s’il part en pèlerinage sans changer d’état d’esprit. D’ailleurs, l’auteur du<br />

143<br />

Saint Grégoire évêque de Nysse en Cappadoce, écrit à un moine désireux de partir en pèlerinage au IVème<br />

siècle : « Qu’aura de plus celui qui s’est rendu en ces lieux, comme si jusqu’à ce jour le Seigneur vivait<br />

corporell<strong>eme</strong>nt en ces lieux et qu’il soit absent de chez nous, comme si le Saint-Esprit abondait chez les<br />

habitants de Jérusalem et qu’il lui soit impossible de venir chez nous ? En vérité, s’il est possible de reconnaître<br />

une présence de Dieu d’après ce qu’on voit, on serait tenté de penser que Dieu habite dans la nation des<br />

Cappadociens plutôt que dans les lieux étrangers. Combien y a-t-il de sanctuaires grâce auxquels le nom de Dieu<br />

est glorifié ? On ne peut compter davantage de sanctuaires ou presque dans le monde entier ! Ensuite si la grâce<br />

de Dieu était plus grande dans les lieux de Jérusalem, le péché ne serait pas aussi habituel chez ceux qui les<br />

habitent ; mais aujourd’hui il n’y a aucune espèce d’inconduite qu’on n’ose commettre chez eux – fornications,<br />

adultère, vol, idolâtrie, empoisonn<strong>eme</strong>nts, complots et meurtres. Surtout, le mal y est à ce point à d<strong>eme</strong>ure que<br />

nulle part comme dans ces lieux il n’e<strong>xi</strong>ste une telle propension au meurtre : comme des bêtes sauvages, des<br />

gens de même sang se jettent les uns contre les autres, et pour un gain insignifiant. Quand donc s’accomplissent<br />

de tels méfaits, quelle preuve y a-t-il que la grâce soit plus grande en ces lieux-là ? […] Lettres<br />

Éd. Le Cerf - collection Sources Chrétiennes.<br />

144<br />

Petrus venerabilis sermones tres, édité par Constable, G., Revue Bénédictine, 64, 1954, p. 224-272.<br />

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Jean Gobi, op. cit.<br />

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