xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne
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Annexe n°3 Extraits 1. Extraits des chroniques d’Anjou Sainte et bénigne astuce du comte d’Anjou - Le comte offrit une grande somme d’or [aux Sarrasins] pour qu’on le laisse entrer [au Saint-Sépulcre], mais ils ne voulurent pas consentir, à moins que le comte ne fit ce qu’ils disaient faire faire aux autres princes chrétiens. Le comte, en raison du désir qu’il avait d’y entrer, leur promit qu’il ferait tout ce qu’ils voudraient. Alors les Sarrasins lui dirent qu’ils ne souffriraient jamais qu’il y entrât s’il ne jurait de pisser et faire son urine sur le sépulcre de son Dieu. Le comte, qui eut mieux aimé mourir de mille morts (si cela lui eut été possible), que de l’avoir fait, voyant toutefois qu’autrement il ne lui serait pas permis d’entrer voir le saint lieu, auquel il attachait une si charitable affection, pour la visite duquel il était arrivé là par tant de périls et de travaux de lointains pays, il leur accorda d’agir de la sorte, et il fut convenu entre eux qu’il y entrerait le lendemain. Le soir, le comte d’Anjou se reposa dans son logis, et le lendemain matin, il prit une petite fiole de verre assez plate, qu’il remplit d’eau de rose pure et nette (ou de vin blanc, selon l’opinion de certains), et la mit dans la culotte de ses chausses, et il vint vers ceux qui lui avaient promis l’entrée ; et après avoir payé les sommes que les pervers infidèles lui demandèrent, il fut conduit au vénérable lieu du Saint-Sépulcre qu’il avait tant désiré, auquel Notre-Seigneur, après sa triomphante passion reposa, et on lui dit d’accomplir sa promesse, ou que sans cela on le mettrait dehors. Alors le comte, soi-disant prêt à le faire, détacha un lacet de sa culotte et, feignant de pisser, épandit de cette claire et pure eau de rose sur le Saint-Sépulcre ; de quoi les païens tenant pour vrai qu’il eût pissé dessus, se prirent à rire et à se moquer, disant l’avoir trompé et abusé ; mais le dévot comte d’Anjou ne songeait pas à leurs moqueries, étant en grands pleurs et larmes prosterné sur le Saint- Sépulcre. Comme le comte s’approchait du Saint-Sépulcre pour le baiser, la clémence divine montra bien que le bon zèle du comte lui était agréable, car la pierre du Sépulcre, qui était dure et solide, au baiser du comte devint molle et flexible comme de la cire chauffée au feu. Le 335
comte mordit dedans et en emporta une grande pièce à la bouche, sans que les infidèles s’en aperçussent, et puis après, tout à son aise, il visita les autres saints lieux. […] « Alors qu’ils demeuraient quelques jours à Lattaquié, ils commencèrent à rencontrer chaque jour des personnes de retour de Jérusalem. Ces groupes de pèlerins parlaient des morts d’un nombre incalculable de leurs compagnons. Ils gémissaient aussi, et montraient leurs propres blessures, encore sanguinolentes. Ils témoignaient publiquement de ce que personne ne pouvait passer sur cette route car tout le pays était occupé par une tribu d’Arabes féroces et assoiffés de sang. La question qui se posait alors aux pèlerins était de savoir ce qu’ils devaient faire et où s’en retourner. Tout d’abord, assemblés en conseil, ils se mirent d’accord rapidement pour renoncer à leurs souhaits et mettre tout leur espoir dans le Seigneur. Ils savaient que, morts ou vifs, ils appartenaient au Seigneur et ainsi, en toute connaissance de cause, ils se mirent en route à travers le territoire des païens vers la ville sainte. Ils atteignirent rapidement une ville nommée Tripoli. Quand le commandant barbare de la ville vit une telle multitude, il ordonna que tous, sans exception, soient massacrés cruellement et passés au fil de l’épée ; il espérait ainsi acquérir une infinie somme d’argent. Immédiatement se leva de la mer (qui bat les abords de la ville) un nuage noir d’où provenaient de nombreux éclairs, accompagnés de terribles coups de tonnerre. Quand la tempête eut soufflé jusqu’à midi du lendemain et que les vagues atteignirent des hauteurs inouïes, les païens, unis par l’urgence de la situation, se crièrent les uns aux autres que le Dieu des chrétiens combattait pour son peuple et allait précipiter la ville et ses habitants dans l’abîme. Le commandant, craignant la mort, changea d’avis. Les chrétiens reçurent l’autorisation de partir et le trouble de la mer se calma aussitôt. Accablés par diverses épreuves et tribulations, les pèlerins traversèrent enfin tout le pays pour atteindre la ville nommée Césarée. Ils y célébrèrent le Jeudi saint, qui tomba cette année-là le 24 mars. Ils se félicitèrent même d’avoir échappé à tous les dangers, puisque l’on disait que le voyage de là à Jérusalem ne prendrait pas plus de deux jours. Le jour suivant, le Vendredi saint, vers la deuxième heure du jour [entre 6h et demie et 8 h du matin], alors qu’ils venaient de quitte Kfar Sallam, ils tombèrent tout à coup aux mains des Arabes qui leur sautèrent dessus comme des loups affamés sur une proie depuis longtemps espérée. Ils massacrèrent sans pitié les premiers pèlerins et les taillèrent en pièces. Au début, nos gens tentèrent de contre-attaquer, mais ils durent rapidement trouver refuge dans le village. Après leur fuite, qui pourrait expliquer avec des mots combien d’hommes furent tués là, de combien de morts différentes, quel désastre et quel chagrin ce 336
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comte mordit dedans et en emporta une grande pièce à la bouche, sans que les infidèles<br />
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« Alors qu’ils d<strong>eme</strong>uraient quelques jours à Lattaquié, ils commencèrent à rencontrer<br />
chaque jour des personnes de retour de Jérusalem. Ces groupes de pèlerins parlaient des<br />
morts d’un nombre incalculable de leurs compagnons. Ils gémissaient aussi, et montraient<br />
leurs propres blessures, encore sanguinolentes. Ils témoignaient publiqu<strong>eme</strong>nt de ce que<br />
personne ne pouvait passer sur cette route car tout le pays était occupé par une tribu<br />
d’Arabes féroces et assoiffés de sang.<br />
La question qui se posait alors aux pèlerins était de savoir ce qu’ils devaient faire et où<br />
s’en retourner. Tout d’abord, assemblés en conseil, ils se mirent d’accord rapid<strong>eme</strong>nt pour<br />
renoncer à leurs souhaits et mettre tout leur espoir dans le Seigneur. Ils savaient que, morts<br />
ou vifs, ils appartenaient au Seigneur et ainsi, en toute connaissance de cause, ils se mirent<br />
en route à travers le territoire des païens vers la ville sainte.<br />
Ils atteignirent rapid<strong>eme</strong>nt une ville nommée Tripoli. Quand le commandant barbare de la<br />
ville vit une telle multitude, il ordonna que tous, sans exception, soient massacrés<br />
cruell<strong>eme</strong>nt et passés au fil de l’épée ; il espérait ainsi acquérir une infinie somme<br />
d’argent. Immédiat<strong>eme</strong>nt se leva de la mer (qui bat les abords de la ville) un nuage noir<br />
d’où provenaient de nombreux éclairs, accompagnés de terribles coups de tonnerre. Quand<br />
la tempête eut soufflé jusqu’à midi du lendemain et que les vagues atteignirent des<br />
hauteurs inouïes, les païens, unis par l’urgence de la situation, se crièrent les uns aux autres<br />
que le Dieu des chrétiens combattait pour son peuple et allait précipiter la ville et ses<br />
habitants dans l’abîme. Le commandant, craignant la mort, changea d’avis. Les chrétiens<br />
reçurent l’autorisation de partir et le trouble de la mer se calma aussitôt.<br />
Accablés par diverses épreuves et tribulations, les pèlerins traversèrent enfin tout le pays<br />
pour atteindre la ville nommée Césarée. Ils y célébrèrent le Jeudi saint, qui tomba cette<br />
année-là le 24 mars. Ils se félicitèrent même d’avoir échappé à tous les dangers, puisque<br />
l’on disait que le voyage de là à Jérusalem ne prendrait pas plus de deux jours.<br />
Le jour suivant, le Vendredi saint, vers la deu<strong>xi</strong>ème heure du jour [entre 6h et demie et<br />
8 h du matin], alors qu’ils venaient de quitte Kfar Sallam, ils tombèrent tout à coup aux<br />
mains des Arabes qui leur sautèrent dessus comme des loups affamés sur une proie depuis<br />
longtemps espérée. Ils massacrèrent sans pitié les premiers pèlerins et les taillèrent en<br />
pièces. Au début, nos gens tentèrent de contre-attaquer, mais ils durent rapid<strong>eme</strong>nt trouver<br />
refuge dans le village. Après leur fuite, qui pourrait expliquer avec des mots combien<br />
d’hommes furent tués là, de combien de morts différentes, quel désastre et quel chagrin ce<br />
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